Chapitre 4

4

 

 

Vendredi matin en se levant, Séfan sentit comme une boule au ventre qui l’empêcha de terminer son petit déjeuner. Avec le dernier jour des examens, la pression se faisait de plus en plus forte. Tout allait se jouer là. Les épreuves physiques consistaient en une succession de plusieurs tests d’endurance et de précision. La force brute n’entrait pas en jeu. Le matin, il faudrait franchir un parcours semé d’embûches, puis démontrer son habileté au tir à l’arc et enfin l’après-midi se terminerait par un parcours de dix kilomètres en pleine nature.

Il fallait donc pas mal d’énergie pour terminer toutes ces épreuves et là, tout de suite, il se sentait vidé.

Les épreuves du matin auraient lieu au stade du quinzième quartier où les amis avaient l’habitude de s’entraîner au Circle Ball après les cours.

Petit Pas retrouva Séfan et Erié aux abords du quatorzième quartier et ils finirent le trajet ensemble. Malgré le nombre de participants l’ambiance était plutôt calme. Les professeurs chargés de contrôler les épreuves donnaient des consignes scrupuleusement respectées. Selon les doctrines landiennes chacun se devait d’obéir à l’autorité quelle qu’elle fut.

Cent cinquante élèves en tenue de sport attendaient nerveusement le début des épreuves. Bizertland fournissait les tenues et le matériel : short blanc, maillot kaki et chaussures de sport, que chaque participant pourrait conserver après les épreuves. Toujours ça de gagné avait déclaré Petit Pas, très pragmatique. On avait alterné les épreuves d’endurance et celle de précision pour garder aux élèves un semblant de fraîcheur.

À huit heures trente précises, le parcours commença. Les participants s’élancèrent par groupes de quinze espacés chacun de trois minutes. Le temps moyen du parcours était de vingt minutes. Il fallait franchir des obstacles en hauteur, ramper, escalader des murets en un temps record.

Séfan arriva dixième, Petit Pas troisième et Erié dut se reprendre quatre fois pour franchir le muret, ce qui la classa parmi les dernières. Il y eut dès le début plusieurs blessés qui ne purent terminer. C’en était donc fini pour eux. Les règles très strictes  imposaient que toutes les épreuves devaient être terminées. Aucune exception ne serait admise. À onze heures le groupe ne comptait plus que cent quarante et un candidats.

Le tir à l’arc leur permit de récupérer et de reprendre des forces. Chaque candidat disposait de cinq flèches pour obtenir le meilleur score en visant une cible à cinquante mètres le plus rapidement possible. Il fallait donc faire preuve de précision mais aussi de calme et de concentration.

Petit Pas décocha ses cinq flèches en vingt-cinq secondes avec un score de cent cinquante et se plaça premier du concours sur cette épreuve. Séfan mit plus de temps mais il atteignit le très bon score de cent trente en trente-cinq secondes. Il prit la huitième place. Quant à Erié avec soixante-cinq points en quarante secondes, elle termina en milieu de tableau mais ne sembla pas trop déçue. Consciente de ses capacités sportives en général, elle ne comptait pas sur les examens physiques pour réussir l’examen.

Après une pause déjeuner durant laquelle chacun débriefa ses performances, le trio se réunit sous un pin pour prendre un peu de repos. En ce début avril, le beau temps était enfin revenu. Le soleil brillait et les conditions semblaient idéales pour toutes les épreuves sportives de la journée.

— Nous sommes dans la dernière ligne droite, déclara Erié.

— J’ai hâte que tout ça soit terminé. Hélas ! Il nous restera encore deux mois de cours avant d’être fixés sur les résultats et de profiter des vacances d’été, soupira Petit Pas.

Les cours continueraient après le concours prélastique. Cette semaine, aussi intense fut-elle, ne représentait qu’un court répit avant la reprise. Officiellement tous les cours, quel que soit le niveau, se terminaient fin juin. Les résultats seraient alors proclamés pendant une cérémonie officielle le dernier jour du mois. C’est à ce moment-là qu’on annoncerait  la liste des dix candidats retenus. Dans la foulée, la HAM les recevrait pour un dernier entretien et retiendrait les deux élus.

Séfan fixait l’horizon. Au-delà du stade de Circle Ball s’étendaient de vastes plaines et des champs cultivés. Treize heures trente. L’air embaumait des odeurs de printemps : herbe fraîchement coupée et  parfums de fleurs, lui donnant l’impression que le temps se figeait à cet instant précis et qu’il ne redémarrerait jamais tant il se sentait apaisé. Petit Pas reprit la parole :

— Séf ! Tu es avec nous ? Le dernier parcours démarre dans trente minutes. Il faut  se préparer !

Chaque participant revêtit son dossard portant le même numéro que sa table d’examen.

Séfan le soixante-trois, Erié le soixante-quatre et Petit Pas le deux. Pour cette épreuve cela n’avait aucune importance car le départ s’effectuait groupé. La durée moyenne de la course était de deux heures. Un départ rapide permettrait juste de ne pas piétiner avec le reste des concurrents.

Les trois amis avaient décidé que, stratégiquement, il valait mieux partir dans les premiers. À quatorze heures, au coup de sifflet, ils se positionnèrent  en tête du peloton.

Le parcours serpentait au départ du stade sur une grande route qui menait tout droit entre les champs de blé. Ce n’était pas la partie la plus difficile mais en prenant de l’avance, ils aborderaient la suite dans de meilleures conditions. La route continuait aux abords de la forêt de Min qu’il fallait traverser. Le trajet commençait alors à se corser avec des dénivelés, des arbres coupés en travers du chemin, un ruisseau à traverser, des montées et descentes incessantes sur des chemins boueux et abrupts. Erié décrocha dès les premières difficultés et tenta de réduire son allure pour terminer l’épreuve. C’était là le plus essentiel car un abandon la disqualifierait et alors adieu au concours.

Séfan et Petit Pas, toujours dans le peloton de tête, géraient au mieux leurs efforts. En Sortant de la forêt, la dernière partie menait les participants sur une longue ligne droite qui conduisait vers le stade. Tout au long du parcours des examinateurs contrôlaient le bon déroulement de la course et portaient secours aux candidats en détresse. À mi-parcours, dix participants avaient abandonné pour des blessures légères, essentiellement des entorses et des jeunes gens en pleurs complètement épuisés.

Il restait donc cent trente et un candidats potentiels. Intérieurement tout élève restant tenait le décompte car il fallait bien avouer que sans vraiment souhaiter du mal aux autres, moins il y avait de postulants plus les chances de chacun augmentaient. Évidemment personne ne se réjouissait publiquement et tout le monde déplorait diplomatiquement l’abandon de leurs camarades.

Aux trois derniers kilomètres un groupe de huit coureurs s’était largement détaché du reste du peloton. Séfan et Petit Pas en faisaient partie. Tour à tour ils se relayaient pour ne pas s’épuiser à mener le train. Un gars efflanqué faisait figure de grand favori tant il avait l’air de commencer seulement la course : foulées  fluides et rythme cardiaque très bas. Il n’avait pas du tout l’air de peiner. Séfan essaya de calquer son allure sur lui mais cela lui coûta pas mal d’énergie. Au détour du dernier virage on aperçut l’entrée du stade et les premiers signes de la ville. Les quartiers avec leurs maisons de briques rouges se trouvaient à la lisière des champs de blé. La ligne droite finale équivalait aux derniers kilomètres. C’est à ce moment-là que le grand gars accéléra le rythme d’une façon si intense que tout le monde décrocha sauf Petit Pas, dont le surnom n’était pour le coup plus approprié. Il n’aurait jamais cru que son meilleur ami puisse faire preuve d’autant d’énergie et de volonté. Il en fallait à Théry pour pouvoir prétendre continuer ses études. Secrètement il rêvait d’entrer à l’école de police landienne et il savait que réussir les épreuves physiques comptait plus que tout. Il n’en avait jamais parlé à Séfan de peur de le décevoir dans le cas où il échouerait à l’examen.

À trois cents mètres de l’arrivée, le podium se dessinait clairement. Le grand gars efflanqué passa la ligne d’arrivée avec dix mètres d’avance sur Petit Pas qui s’écroula dès celle-ci franchie. En troisième position une fille brune toute menue.  Séfan ferma la marche du groupe des huit.

Une fois son souffle repris, il vint féliciter chaleureusement son ami.

— Je ne t’aurais jamais cru capable d’une telle énergie ! Comment doit-on t’appeler maintenant « Grand Pas » ?

Petit Pas aurait voulu éclater de rire mais le souffle lui manquait encore.

— Il faut que je t’avoue quelque chose…

— Tu t’es dopé c’est ça ? Plaisanta Séfan.

— Oui, à la motivation.

— Je ne comprends pas ?

— Tu sais que les épreuves écrites ne sont pas mon fort mais que je suis plutôt doué pour le sport. Avec un peu de chance, je pourrais peut-être entrer à l’académie de police landienne. Tu en penses quoi ? Bredouilla Petit Pas.

— Si c’est ton choix et que tu y seras heureux, ça me va très bien. Mais mon avis ne compte pas.

— Au contraire, j’ai besoin d’un allié car déjà mes parents voudraient me voir mécanicien de convoyeur. Mon père est persuadé que j’échouerai au concours et il a déjà presque organisé mon arrivée comme apprenti à son atelier de  mécanique.

Il lut dans le regard de son ami une grande détresse et voulut le consoler :

— Tu as fait un parcours formidable aujourd’hui, nul doute que les points des épreuves physiques feront remonter ta moyenne générale. Et je sais, par mon père, que les examinateurs regardent de très près les candidats ayant obtenu de très bons scores en sport pour  les repêcher.

— Il faudra patienter jusqu’à fin juin pour le savoir, gémit Petit Pas.

— Tu pourras à ce moment faire tes vœux et choisir l’académie de police. Allez, ne t’inquiète pas. Allons retrouver Erié.

Le temps de la discussion ne suffit pas pour voir arriver les autres participants. Dix minutes plus tard, des coureurs apparurent en une file égrenée qui s’étendit pendant encore vingt minutes. Les deux amis étaient à présent très inquiets car presque tous les concurrents avaient fini leur parcours et toujours pas d’Erié en vue. Avait-elle abandonné en route ? Séfan en doutait fort car elle aurait pu finir en rampant tellement elle voulait réussir ce concours.

Était-elle blessée ? Possible. Dans ce cas ce serait un cataclysme dans la vie de la jeune fille qui ne s’en remettrait pas. L’occasion de repasser le concours ne se représenterait pas.

Au bout de la ligne droite, Séfan aperçut enfin un petit groupe d’une quinzaine de personnes déboucher sur le dernier virage.

Il crut reconnaître la silhouette d’Erié et Petit Pas lui confirma qu’elle faisait bien partie du dernier wagon. Ils décidèrent d’avancer sur le bas-côté de la route pour l’encourager. Dès qu’elle les aperçut, en train de gesticuler et hurler, cela provoqua une montée d’adrénaline et elle accéléra l’allure comme jamais elle ne s’en serait crue capable. Plantant là, tous les autres coureurs, elle franchit la ligne d’arrivée en deux heures et trente-sept minutes et à la cent huitième place. Au cours des derniers kilomètres, neuf candidats avaient encore abandonné. Le classement final toutes épreuves écrites et physiques confondues se jouerait sur une liste de cent vingt-deux candidats, soit vingt-huit de moins qu’au départ. Les résultats seraient proclamés fin juin et chacun pourrait alors faire ses vœux, c’est-à-dire choisir en fonction de son rang les écoles proposées et adaptées à son niveau. Les dix premiers du concours pourraient prétendre au cursus de prélat. Mais avant tout, il fallait passer la toute dernière épreuve : l’entretien avec la HAM. Le choix des deux derniers candidats cette fonction  était basé sur les résultats du concours mais aussi sur la valeur morale des candidats et leur capacité à faire face à la pression, au changement, à prendre des décisions importantes. La HAM s’attacherait lors de l’entretien à évaluer par un questionnement la présence ou l’absence des capacités nécessaires à exercer la plus haute fonction. Le père de Séfan en ferait partie mais cela ne conférait à son fils aucun privilège, -bien au contraire- et il n’était pas certain de figurer dans la liste finale des dix noms.

 

Pendant cinq longues années, on leur enseignerait la gestion, la politique, l’économie, les relations diplomatiques et surtout l’utilisation du pouvoir attaché à leur district. Depuis des générations,  nul ne pouvait dire d’où provenaient ces étranges capacités et comment elles étaient apparues sur Land.

À l’issue de leurs études, un grand conseil composé de tous les professeurs de l’académie prélastique, des dix HAM et des dix prélats, se réunirait pour débattre et élire les dix nouveaux chefs de régions en tenant compte de leurs résultats scolaires mais aussi de leurs attitudes, leur personnalité, leur morale, leurs aptitudes à se servir de leur pouvoir. Les dix candidats élus seraient alors nommés avec effet au premier janvier de l’année suivante, soit trois mois après la fin des études, permettant ainsi d’organiser leur arrivée et la passation de pouvoir. Les dix autres malheureux candidats hériteraient malgré tout d’une fonction honorifique puisqu’on les nommerait ambassadeurs, mais leurs pouvoirs leur seraient retirés. Leur rôle consisterait alors à établir de bonnes relations diplomatiques et d’affaires avec les autres districts et à promouvoir le leur à travers tout le continent.

Land investissait cinq années de ressources et d’efforts pour former vingt apprentis. Il n’était pas raisonnable de se séparer des dix non retenus, car ils possédaient eux aussi de grandes capacités. Souvent le choix ultime demeurait très difficile tant les écarts entre eux s’avéraient minimes. Certes tout candidat aspirait à devenir le prochain chef de sa région, mais la fonction d’ambassadeur constituait un très beau lot de consolation. Sans vraiment gouverner, il participait malgré tout à la gestion et avait une place de choix dans la société landienne.

— J’ai cru ne jamais te voir franchir la ligne d’arrivée, déclara Séfan en félicitant son amie d’une tape dans le dos.

— Tu nous as fait une de ces peurs ! On a même vu un escargot arriver avant toi, se moqua Petit Pas.

— Oui je sais, j’étais vraiment à l’agonie et je songeais même à abandonner, puis j’ai repensé à tous ces sacrifices pour en arriver là et quand je vous ai vus au bord de la route, j’ai reçu comme une décharge qui m’a propulsée sur la ligne d’arrivée. Merci les garçons !

— Voilà c’est terminé ! Ça fait drôle de se dire qu’on vient de passer une semaine d’examens, depuis le temps qu’on s’y prépare.

— Tu sais Séfan, je dirais que ça ne fait que commencer ! Nous avons encore deux mois à nous morfondre avant de connaître les résultats, puis ce sera le grand oral, remarqua Erié.

— Je ne veux plus y penser, déclara Petit Pas. Quelques paniers de Circle Ball ça vous tente ?

 

 

 

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