Chapitre 4

Par Nana
Notes de l’auteur :  
 
 

 

Vik et Zad sortirent rapidement de la grande salle d’arme afin de trouver un coin au calme pour discuter.

— Vik, par là ! appela Zad à voix basse en poussant la porte d’une petite salle vide sur la droite.

Les deux amis se retrouvèrent dans une sorte de placard de stockage empli d’épées d’entraînement et de boucliers cassés, sentant la poussière et le moisi. Zad prit Vik par les épaules et le fixa, les yeux écarquillés.

— Vik, ce que je suis content de te voir ! Je ne savais même pas si tu t’étais remis de ta maladie… Je n’ai pas pu te voir à cause du risque de contagion, puis j’ai dû partir très vite et je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à tes parents.

— Zad, on n’a que cinq minutes, il faut que tu me racontes ce qu’il se passe ! C’est quoi cette histoire ? Tu as été testé positif, mais comment c’est possible, enfin ?

Zad soupira et se passa la main dans les cheveux en se détournant :

— Pfff… Je ne sais pas par où commencer… Je ne comprends pas grand chose moi-même pour le moment ! On ne m’a rien expliqué, en plus. Comment est-ce que je pourrais être un maître ? Tu es bien meilleur que moi à l’école…

Cela fit sourire Vik, qui s’était fait la même réflexion.

— Bon, reprends au début, que s’est-il passé pendant que j’étais malade ?

— Oui… Donc, tu étais malade. Comme je ne pouvais pas aller te rendre visite, un soir je jouais seul dans la ruelle devant mon bloc. J’ai envoyé ma balle très haut en l’air, et elle s’est bloquée dans le chéneau. Tu sais, à l’endroit où il y a toujours une cascade qui se forme quand il pleut ?

— Oui, je vois, et…?

— Donc, la balle se bloque là. Comme tout le mur est abîmé à cause de l’eau qui ruisselle à cet endroit, il y a pleins de trous et de prises pour grimper. Comme c’est ma seule balle, je me suis dit que je ne pouvais pas la laisser là-haut ! J’ai donc commencé à grimper, en faisant bien attention, mais comme il avait plu le matin les pierres étaient glissantes… Mon pied à dérapé et ma prise n’était pas assez bonne pour que je puisse me retenir avec les mains seulement. En tombant, j’ai réussi à me retourner, tu sais, comme je t’avais montré une fois ?

— Oui, je me souviens, fit Vik d’un air sombre. Je ne sais pas comment tu fais ça, mais c’est vraiment dangereux.

— Et bien heureusement que je m’étais entraîné à le faire, parce que sinon, je me serais cassé quelque chose en tombant ! Enfin bon, donc j’ai bien réussi à me retourner pour tomber sur mes pieds et mes mains. Mais quand je me suis relevé, j’étais face à maître Bargol ! Il m’a regardé bizarrement, en souriant, et m’a emmené avec lui, par la grande porte du bloc. Il m’a juste dit qu’il fallait qu’il vérifie quelque chose… Ensuite, il m’a conduit dans son bureau et a sorti un appareil étrange qu’il m’a appuyé contre le front. J’ai entendu des sons aigus, comme si l’appareil pouvait chanter ou parler !

— Comme s’il pouvait parler ? Mais qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je ne sais pas vraiment, je n’ai pas compris de mots… Mais j’ai eu l’impression que c’était un langage en tout cas, mais différent de nos paroles. Tu sais, comme les oiseaux, parfois, qui ont l’air de se parler entre eux ?

— Hmmm, murmura Vik d’un air sceptique.

— Enfin bon, ensuite maître Bargol avait l’air très content, et il m’a dit que j’étais positif… Sur le coup je n’ai rien compris ! Il a envoyé des messagers je ne sais où, et il m’a fait attendre pendant qu’il parlait avec d’autres maîtres que je ne connaissais pas… Ensuite, il m’a accompagné jusqu’à mon appartement, où il a expliqué tout un tas de choses à mes pères. Je n’ai même pas eu le droit de récupérer mes affaires, ma balle ou ma collection de pierres. On m’a amené ici tout de suite après, en chariot, et j’ai été conduit jusqu’à une chambre au cinquième. J’étais si triste de quitter mes pères ! Et ils pleuraient aussi, c’était horrible, je ne les avais jamais vu comme ça…

Vik vit une larme rouler sur la joue de son ami, qui essaya de l’essuyer discrètement.

— Et ensuite, Zad, qu’est-ce que tu fais ici, alors ?

— Eh bien, on m’a donc expliqué que j’étais un maître maintenant, que je m’appelais Zadir, et que je ne devais plus entretenir de relations avec mes anciens amis ou mes pères… C’est pour ça que j’ai eu peur, quand tu es arrivé ! Il ne faut pas que tu te fasses prendre, Vik !

— Ne t’inquiète pas, j’ai pensé à tout : j’ai une chemise bleue, et je suis venu avec un chariot de pierres de notre quartier. Il faut juste que je trouve une solution pour le retour…

— Tiens, Vik, prends ça ! s’exclama Zad en sortant un petit carré de métal de sa poche. Tu pourras passer le Pont en payant le péage, comme ça.

— Tu as eu des carrés ? Mais comment…

— Ne t’inquiètes pas de ça, on m’en a donné pour que je m’achète des bottes, l’autre jour, et il me reste quelques petits carrés.

Vik n’en croyait pas ses oreilles. Il n’avait même jamais vu de près ces carrés, la monnaie des maîtres. Il savait que sa mère en avait eu parfois dans les mains, quand elle faisait des achats pour leur maître, mais c’était uniquement parce qu’il lui faisait une confiance totale. Jamais un servant n’avait le droit d’utiliser des carrés pour son propre compte… Mais Zad était un maître, à présent, il pouvait donc en avoir.

— Vik, reprit Zad, il y a pleins de choses que je ne comprends pas ici, mais il y a des choses vraiment trop différentes… Je n’ai pas encore vraiment commencé l’école, mais je suis allé rencontrer les professeurs afin qu’ils me donnent des livres à lire pour rattraper un peu mon retard. Il y a des matières dont on n’a jamais entendu parler, je n’y comprends rien ! Je pensais aussi trouver de nouvelles légendes, tu sais que c’est ma matière préférée avec le sport, mais il n’y a rien du tout… C’est comme s’ils n’avaient pas de légendes, tu te rends compte ? Ça me paraît ennuyeux à mourir, et tu ne sera même pas là pour m’aider avec les révisions… Tout est si bizarre ici, je ne sais pas si je…

Zad s’interrompit, les sourcils froncés et l’air perdu, arrêtant du même coup son va et vient dans la pièce exiguë.

— Bien sûr que tu vas y arriver, Zad, même si tout te paraît étrange pour le moment ! Tu es un maître, c’est donc que tu as des capacités exceptionnelles ! Enfin j’imagine… Vik ne pouvait s’empêcher d’être sceptique à ce sujet.

Mais son ami ne semblait pas l’écouter, trop absorbé par ses préoccupations :

— Et surtout, ici ils se comportent tellement bizarrement… Il faut toujours se mettre en avant, montrer qu’on est plus fort que les autres ! Tu trouvais que je faisais trop mon intéressant pendant l’année de sport, mais alors là c’est carrément exagéré je trouve.

Vik n’avait pas vraiment la tête à réfléchir à ça ; le temps s’écoulait trop vite, il était inquiet pour Zad et voulait pouvoir organiser une prochaine rencontre avec lui.

— Bon, Zad, où est-ce qu’on peut se voir la prochaine fois ?

— Je ne sais pas, Vik, je ne sais même pas ce qu’il y a de prévu pour moi demain… répondit piteusement Zad. Alors prévoir de se revoir, je n’en sais rien, mec.

— Ne t’en fais pas…

Vik réfléchissait à toute allure, en essayant de paraître confiant devant son ami.

— Je reviendrai de la même manière qu’aujourd’hui, mais peut-être un chomdi pour que tu sois libre. On aura peut-être plus de temps pour parler ! Il faut que tu y ailles avant que la maîtresse d’arme vienne te chercher.

Vik serra Zad dans ses bras.

— Fais attention à toi, Vik, dit tristement Zad. Et passe le bonjour à mes pères, ils me manquent tellement…

— Je le ferai, Zad. Toi aussi, fais attention à toi ! Ne te fais pas embrocher à ta première leçon d’armes !

Retrouvant le sourire, Zad sortit le premier du placard puis fit un signe à Vik, qui partit dans l’autre sens.

Vik ressortit sans problèmes du bloc 40. Le petit carré serré dans son poing, il se dirigea à grands pas dans la direction du Pont de Pierre. L’air frais charriait des odeurs de pluie, et cela n’arrangeait pas son humeur. Avoir vu Zad, au milieu de tous ces maîtres, installé dans le bloc 40, lui avait fait réaliser que son ami ne reviendrait pas chez eux. Il ne pourrait jamais plus aller le chercher le matin avant de partir à l’école, l’aider à faire ses devoirs, jouer avec lui lors des longues soirées d’été ou partir espionner les maîtres se préparant lors des grandes chasses. Tout ce qui avait fait son quotidien, tout ce qu’il tenait pour acquis, était à présent terminé. Cela allait laisser un grand vide dans son existence.

Serrant encore plus fort les poings, Vik se fit la promesse de revenir voir Zad dès qu’il en aurait l’occasion. Il n’oublierait pas son ami sous prétexte qu’il était loin ou qu’il faisait partie des maîtres !

Il ralentit le pas à l’approche du Pont. C’était la première fois qu’il le voyait de si près ; sa largeur et sa hauteur étaient impressionnantes. Raffermissant sa résolution, Vik marcha d’un pas qu’il espéra nonchalant vers la file de chariots et de personnes à pied qui faisaient la queue au péage. Arrivé à son tour devant le soldat du péage, il laissa tomber dans sa main tendue le précieux petit carré. Il repartait déjà d’un bon pas quand une voix autoritaire le cloua sur place :

— Jeune homme, attends !

Vik se retourna lentement, le visage en feu, le coeur battant la chamade et sa respiration s’emballant.

— Tu oublies ta monnaie, enfin ! disait le soldat en le regardant d’un air ennuyé et en tendant la main vers lui.

— Me… ma… ma monnaie ? bafouilla Vik en avançant de quelques pas.

— Et bien oui ! Tiens, prends-là, que je puisse continuer sans créer d’embouteillage.

L’homme lui attrapa le poignet et lui fourra trois carrés dans la main, encore plus petits que celui que lui avait donné Zad un peu plus tôt. Vik resta ébahi quelques instants, les yeux fixés sur sa main ouverte et sur les carrés. Mais qu’allait-il bien pouvoir en faire ? C’était un crime, pour un servant, de posséder des carrées ! Un homme pressé le bouscula et le fit sortir de ses pensées. Voyant qu’il s’était immobilisé en plein milieu du passage, Vik commença à grimper la rampe vers le centre du Pont de Pierre.

Vu la largeur et le fort débit de la rivière, il avait fallu construire un pont à la courbure marquée, et en même temps à la pente assez douce pour permettre aux chariots de le franchir avec aisance. Vik s’approcha du parapet, afin de regarder les eaux tumultueuses en contrebas. La hauteur était vraiment saisissante ; c’était à se demander comment cette arche unique parvenait à tenir sans vaciller.  Pendant les grandes pluies, la rivière en crue parvenait parfois à frôler les contreforts de l’arche, mais jamais elle n’était passée au-dessus. Les légendes racontaient qu’un autre pont avait été détruit par une crue exceptionnelle lors de grandes inondation, il y avait bien longtemps, mais on n’en voyait plus les restes aujourd’hui. Restant le long du parapet, Vik continua à gravir la pente puis s’arrêta au point le plus haut du Pont. Il voyait, en amont, les longues rangées de quais auxquels s’amarraient les barques des pêcheurs du Troisième Quartier, et entendait au loin les exclamations des poissonnières qui négociaient des stocks à la descente des bateaux avant d’aller les revendre au grand marché du bloc 127. Sentant les odeurs de fumée des séchoirs, Vik traversa le Pont en évitant chariots et piétons pour regarder vers l’aval. Des cabanes rondes serrées les unes contre les autres le long de la rivière laissaient échapper de longs rubans de fumée blanche. Il y en avait même quelques unes qui avaient été construites sur des quais en bois au dessus de l’eau, sans doute par manque de place. Vik se demandait comment faisaient les habitants du Deuxième quartier pour supporter de vivre ainsi, tout le temps dans une sorte de brume. De l’endroit où il se trouvait, déjà, cette odeur âcre le faisait larmoyer.

Vik serrait toujours les trois petits carrés dans sa main. Qu’allait-il pouvoir en faire ? Il hésita un instant à s’en débarrasser en les laissant tomber par dessus le parapet, dans la rivière. Mais il y avait beaucoup de monde sur le Pont et sur les berges en-dessous. Si quelqu’un le voyait, il aurait des problèmes à coup sûr. Il valait mieux pour l’instant ranger les carrés dans la poche intérieur de son sac à dos ; il pourrait peut-être s’en servir pour revenir voir Zad en passant par le Pont. Il lui faudrait faire bien attention à ce que personne ne les trouve, mais il n’y avait pas de raison pour qu’on fouille son sac.

Soulagé par cette résolution, Vik se remit en route d’un bon pas. Il allait essayer d’arriver chez lui pour l’heure du repas de midi, il pourrait ainsi prétendre avoir passé la matinée à l’école, puis retourner en classe dès l’après-midi. Il lui restait une bonne heure de marche, c’était donc faisable s’il ne traînait pas en chemin. Ne voulant pas se faire remarquer, il resta sur la Route centrale, la plus fréquentée. Quand il fut arrivé au niveau de la Route séparant le Sixième et le Dixième quartier, il se cacha dans l’entrée d’une ruelle et enleva sa chemise bleue, qu’il fourra dans son sac à dos à la place de son pull gris. Encore une raison de plus pour que personne ne touche à son sac ! Mais il ne pourrait pas éternellement garder ses secrets avec lui et il lui faudrait donc trouver une meilleure cachette, de préférence en dehors de chez lui pour que ses parents ne tombent pas dessus en faisant du rangement.

Vik se remit en marche rapidement en direction de l’école, pour voir si les cours du matin étaient terminés. En arrivant au coin de la place où se tenait le grand bâtiment austère à cinq étages, il n’entendit pas un bruit ; il était en avance. Il contourna la grande place et attendit, caché et silencieux, que la cloche retentisse. Il avait mal aux jambes après ce long périple et avait hâte de rentrer chez lui pour dévorer son repas du midi. Dès qu’il entendit le son strident, il se mit en marche en direction de son bloc.

 

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GueuleDeLoup
Posté le 08/09/2018
Hello Nana,
je viens de lire ton texte et j'ai un avis un peu mitigé.
Dans l'ensemble, ton écriture est agréable, tes personnages cool (d'ailleurs je suis allée jusqu'au chapitre 4 pour avoir la discussion entre les deux amis) et ton scéanrio a l'air chouette pour ce que j'ai pu en voir)
Qu'est ce qui pêche pour moi? C'est une critique compliquée parce que je vais la faire à beaucoup de gens et qu'elle me vise aussi (avec Ville Noire, pas 63/84 jours): les romans décrivants des systèmes totalitaires sont hyper à la mode et en général les auteurs n'écrivent pas trop avec leur fesses, ce sont des récits bien construits et complexes. Mais du coup, j'ai l'impression que ton récits (et les autres dont le mien) ont du mal à se distinguer  les uns des autres.
Pour être plus explicite, j'ai beau ne pas trouver de vrais défaut à ton texte, quand j'ai commencé mon commentaire, je mélangeait totalement "Catrême" avec "Sillage" de Makara et il a fallut que je relise des passages.
Une solution: Pourquoi pas rajouter une intro qui mettrai en avant un élément plus tardif de ton scénario qui poserai un mystère? Un truc qui titille la curiosité de ton lecteur et qui le pousserai à s'immerger davantage ?
Bref, voilà, j'ai conscience que c'est une critique compliquée et j'ai hésité à le dire parce que c'est difficile à corriger -_-'
Des poutoux et à bientôt sur PA!
Loup
 
 
Nana
Posté le 08/09/2018
Coucou Loup !
Alors merci beaucoup pour cette remarque hyper pertinente ! 
En fait j'avais pas vraiment conscience que je décrivais un régime totalitaire, mais c'est bien à ça que ça ressemble :o Donc il faudrait en effet que j'ajoute une intro un peu différente pour que les lecteurs comprennent un peu mieux mon but dans tout ça... Ça me fait bien réfléchir, car j'ai en effet ajouté des "interludes" qui lève un peu le voile sur ce qui se cache derrière cette société bizarre, mais ces éléments arrivent peut-être trop tard du coup. Je vais sérieusement y réfléchir pour voir ce qui pourrait donner plus de profondeur et apporter une réflexion différente aux lecteurs.
Merciiii beaucoup pour ta lecture, et j'espère que tu repasseras à l'occasion (quand j'arriverai à me remotiver pour reprendre les trucs qui clochent xD )
Bisouuuuu
Nana 
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