Chapitre 4

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonjour les plumes ! N'hésitez pas à me laisser un commentaire, je suis preneuse de conseils et d'observations. Bonne lecture :)

Il y avait quelque chose de rassurant dans les combats. 
Roxanne était d’abord restée pétrifiée quand elle s’était retrouvée face à Anna. Mais l’esquive lui venait naturellement.

Les encouragements de Jérôme avaient fondu dans un brouillard statique qui lui remplissait les oreilles. L’air bourdonnait tout autour d’elle, comme un insecte jouant avec ses nerfs. Elle haletait, mais Roxanne savait quoi faire. Elle ne s’était jamais battue, toutefois elle avait souvent fui. Il lui en restait une honte brûlante qui lui collait à la peau, qui ne s’estompait que sous les attaques d’Anna. Ses épaules s’effaçaient pour laisser passer les coups de poings, elle glissait d’un endroit à l’autre.

Son adversaire commençait à transpirer. Sa respiration se faisait plus lourde, de même que ses pas. Quelqu’un de plus audacieux en aurait profité. Sa garde tombante était une invitation pour un crochet. Ses sourcils froncés demandaient une provocation. Roxanne caressa du dos de la main sa hanche, sans lâcher Anna des yeux. Les genoux pliés, elle marchait avec précaution sur le tapis. Son cœur battait comme un tambour de guerre. Le murmure d’Alexandre perça la brume :

—Glissante comme une anguille…

—Sauf que ce n’est pas de la défense, non ? Elle esquive, c’est tout, répliqua Marius sur le même ton. 

—Elle n’a pas assez de souffle, dit alors Koffi.

Sa voix grave résonna dans le gymnase comme une cloche. Comme pour lui donner raison, Jérôme annonça la fin du combat. Anna quitta sa posture défensive et s’étira, bras en l’air, les mains recroquevillées dans ses bandes blanches. Elle les laissa retomber avec un soupir d’aise. Roxanne poussa un long soupir et essuya d’un revers de manche la sueur sur son front.

Elle avait rejoint le club trois semaines plutôt, à la suite de la session d’entraînement. Chaque samedi, de quatorze à seize heures, Roxanne courait avec Anna, Marius, Alexandre et Koffi sous l'oeil attentif de Jérôme. Elle en revenait chaque soir courbaturée et légère. 

—Raaah ! s’écria Anna avec un sursaut d’énergie. J’arrive jamais à t’avoir !

—Moi non plus, remarqua-t-elle en quittant le centre du tapis pour rejoindre les autres élèves.

—Ça, c’est parce que tu n’essaies pas, dit la jeune fille en lui tapant gentiment l’épaule. Tu me diras, tu n’en as pas besoin. L’important dans le krav-maga, c’est de se défendre. SI tu parviens à t’enfuir, c’est bon !

—Tu n’as pas assez de souffle, répéta Koffi.

Elles se tournèrent vers lui. Vêtu tout de noir, il avait croisé les bras, ce qui faisait ressortir ses muscles. Il avait l’air agacé et Roxanne s’en étonna. Il lui avait paru être d’un tempérament détaché, et ce depuis leur première rencontre. Pourtant, un sentiment semblable à de la frustration se lisait clairement sur son visage.

—Comment, comment ça ?

—Anna est plus entraînée que toi. Dans un vrai combat, elle t’attraperait rapidement. Il suffit que les sorties soient bloquées pour que ce soit « game-over ». Sans mouvement offensif, tu ne peux rien faire. On ne peut pas toujours fuir.

Brusquement, Roxanne se surprit à haïr ces yeux noirs indiscrets qui la jaugeaient. Elle se vit, l‘espace d’un instant, mettre en pratique ce qu’on lui avait appris ces dernières semaines. Certes, il était plus grand qu’elle, mais cela ne l’empêcherait pas de sentir l’impact de son genou dans son foie. Un coup rapide qui le forcerait à se pencher en avant, plié en deux par réflexe plutôt que par souffrance. Elle aurait alors une ouverture : ses doigts éclateraient sa pommette dans un craquement de pétards. Il y aurait un échange de coups, sans doute, mais ça suffirait à effacer cet air suffisant de son visage.

Roxanne baissa les yeux. Sa gorge sèche entravait ses mots. Anna était en train de répondre quelque chose à Koffi, mais ses mots étaient enfouis, insonores. Koffi ne lâchait pas Roxanne des yeux, insensible lui aussi à ce qu’Anna disait. Quand elle s’en rendit compte, Roxanne fut glacée d’effroi. On aurait dit qu’il avait entendu ce qu’elle pensait. Sa honte en avala presque sa colère. Mais les cendres de sa rage restaient vives. Qu’au moins, ses illusions restent siennes. Elle n’avait rien dit, alors qu’il ne la dévisage pas ainsi. 
Le jeune homme, les traits fermés, tourna les talons, coupant Anna au milieu d’une phrase, et s’en alla voir Marius et Alexandre qui s’entraînaient à perfectionner une combinaison de mouvements particulièrement complexes. La blonde secoua la tête tandis qu’il s’éloignait, agitant ses courtes mèches blondes avec agacement.

—Il est très sympa, mais… Elle soupira. Parfois,  il agit comme si on devait tous être comme lui. Ne prends pas à cœur ce qu’il raconte. Il passe tellement de temps à s’entraîner qu’il oublie qu’on doit bien commencer quelque part. 

Roxanne hocha machinalement la tête. En son for intérieur, pourtant, elle bouillonnait. Le dos tourné de Koffi, plein de mépris, lui avait à son tour révélé le fond de sa pensée. Elle le trouvait arrogant ? Il portait sur elle le même jugement. Pas le droit de s’imaginer gagnante quand on n’osait pas frapper dans la chair. Et Roxanne, parce qu’elle était au fond d’accord, se mordit la lèvre pour retenir ses larmes.

Chaque lundi matin, les souvenirs des leçons de krav-maga s’estompaient comme un rêve. Roxanne, plantée au milieu de la foule d’élèves, attendait que le lycée ouvre. L’ombre des barres de métal lui caressa le visage alors que la grande grille coulissait en poussant de longs cris hantés. Ses cheveux glissèrent devant ses yeux et elle entra dans la cour. On la bouscula -un élève reculant au hasard, riant aux éclats avec ses amis. La jeune fille ramena son sac en bandoulière près d’elle. Elle les évita d’un pas sur le côté et accéléra. La tête obstinément baissée sur ses baskets, elle zigzagua entre les groupes jusqu’à ce qu’elle atteigne l’entrée du bâtiment principal. Elle sauta pratiquement par-dessus le surplomb de béton qui y menait et s’engouffra dans l’ouverture. La porte se referma lentement derrière elle. Le vacarme de la cour semblait venir d’une bulle. Les voix assourdies lui semblaient moins dangereuses désormais. 
Le couloir était vide. Il n’y avait pas de mouvement dans les salles de classe, et les cours ne débuteraient que dans un quart d’heure. Ses épaules retombèrent. Elle mit son poids sur une jambe et arrangea tant bien que mal son sac sur son épaule. Une horloge, cachée quelque part, égrenait les secondes. Elle jeta un dernier regard en arrière, puis se mit à gravir les escaliers. Elle avait français, de huit heures trente à dix heures, au deuxième étage. Les lundis avaient cet avantage : la pièce se trouvait à côté de la bibliothèque et Roxanne pouvait s’y cacher avant que la cloche ne sonne. C’était une routine qu’elle avait mise au point depuis plusieurs mois. Être seule trop longtemps était dangereux, mais la foule ne la protégeait pas comme elle aurait dû. Le matin lui offrait, en revanche, une certaine sécurité. Les élèves étaient trop fatigués, les professeurs trop alertes. Roxanne s’offrait donc le luxe chaque jour d’un moment de paix, assise entre les livres ou au fond de la classe. 

Ses semelles résonnaient comme un écho dans l’escalier. L’échange silencieux qu’elle avait eu avec Koffi ne cessait de lui revenir à l’esprit, malgré ses efforts. Elle essayerait de lui parler seule à seule, la prochaine fois. Peut-être qu’ils parviendraient à se comprendre mieux.

—Bah alors, qu’est-ce que tu fais là, Skeletor ?

Elle ne les avait pas entendus. Pourquoi ne les avait-elle pas entendus ? Un frisson électrique lui traversa la nuque. Une volée de marches plus bas se tenaient trois jeunes garçons. Elle les sentait maintenant. Ils la fixaient avec un sourire vorace. Roxanne planta ses ongles dans la paume de sa main pour l’empêcher de trembler. 
 

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