Chapitre 4

Pleine d'appréhension,  je prends place sur la chaise que me désigne Vesper.

– Nausicaa, je te présente Cassandre, dit-il en désignant la personne qui se tient debout derrière lui.

Cassandre paraît avoir une vingtaine d'années environ. Je me demande quel âge a Vesper.

– Enchantée.

Cassandre me sourit, et son sourire fait écho à celui de Vesper. Il sonne faux, comme le sien.

– Comme tu le sais, Cassandre est responsable du laboratoire. Tu seras donc amenée à coopérer régulièrement avec elle.

"Régulièrement" est un faible mot. Je vais la voir tous les jours quand mon travail va commencer. 

– Ça ne te dérange pas, j'espère ? demande le jeune homme, déjà conscient de la réponse.

– Pas du tout, je souris.

Mon sourire a vite fait de devenir une grimace quand je sens le regard fixe de la scientifique posé sur moi. Ses yeux aussi noirs que la nuit me sondent. J'ai l'impression qu'elle peut presque lire dans mon esprit en ce moment-même.

– De quoi voulais-tu me parler, Vesper ? je demande.

– Oh, c’est vrai. J’allais oublier. Allons droit au but. J’aimerai te parler d’un grand projet que tous ceux de l'entrepôt ont en commun. 

Tout cela va un peu trop vite à mon goût. Récapitulons. je suis arrivée hier soir, presque sur un coup de tête, après avoir vu mon frère au marché noir. Je ne savais même pas si j'allais vraiment me faire punir. Ensuite, Vesper me parle d’un grand projet alors que je n’ai même pas encore commencé à travailler !

Mince, quoi ! J’ai pas demandé à prélever du sang à une gamine de 8 ans, moi.

Surprise par cet accès de colère, je soupire. Cela ne me fait rien de tuer quelqu’un, mais je me sens mal à l’idée de faire quoi que ce soit à une enfant. Je ne sais pas si c’est normal… Mais ce n’est pas ma priorité.

– Tu connais sans doute l’impératrice Soraya, continue Vesper.

Bien sûr ! N’importe quel habitant de Tinsarell avec un minimum de culture générale connaît notre impératrice, “l’Étoile Écarlate”, même si tout le monde ne la porte pas forcément dans son cœur.

Je hoche la tête en réponse à la question de Vesper.

– Cela fait trop longtemps que l’impératrice est sur le trône de Tinsarell, explique Vesper.

– Et c’est une mauvaise chose ?

– C’est néfaste pour les créatures surnaturelles.

En quoi les créatures surnaturelles ont quelque chose à voir avec ça ? Je sais seulement que l'impératrice ne les aime pas… Et puis, en quoi leur sort importe à Vesper. Il n’a pas l’air d’être le genre de personne à se soucier d’autrui s’il n’y a pas d'intérêt à le faire. En plus, il travaille dans le marchandage de créatures surnaturelles… Mais, s’il considère que le fait que Soraya soit sur le trône est une mauvaise chose, c’est qu’il prend leur défense, ne serait-ce qu’un peu.

– Et donc, où veux-tu en venir ?

Derrière lui, Cassandre reste silencieuse. Elle me lance un regard que je n’arrive pas à interpréter. 

– Mon but ultime est de tuer l’impératrice, annonce Vesper avec un sourire confiant.

Son “but ultime”, carrément. Il n’exagère pas un peu ?

– Et moi, qu’est-ce que j’ai à voir avec ça ?

Je m’en fiche un peu, qu’il veuille tuer qui que ce soit. Ce n’est pas mon problème si l’impératrice dirige mal son pays. Mon seul objectif reste de rembourser mes dettes pour être libre.

– C’est une très bonne question… Et désolé, tu vas peut-être être déçue, mais tu n’as aucun rôle dans ce projet. Je voulais seulement te mettre au courant, voilà tout, répond Vesper. 

Cela me rassure.

– Tu voulais seulement me parler de ça ou tu as autre chose à dire ? j’insiste, pour être sûre qu’il n’y a pas anguille sous roche.

– Non, c’est bon, tu peux disposer, conclut le jeune homme en me chassant d’un geste de la main comme un vulgaire moustique.

Je me lève sans protester et quitte la pièce.

J’en ai presque oublié ce que je cherchais au départ. Je voulais parler à Cassandre. Bon, alors je n’ai plus qu’à repartir à la recherche du laboratoire.

J’ai fini par le trouver, après dix bonnes minutes. il était en fait situé dans le long couloir sombre rempli de cages, celui où j’ai rencontré Orion. Je pense que Cassandre doit déjà être retournée à l’intérieur.

Je toque trois petits coups, mais personne ne répond. Je réessaie une deuxième fois, puis une troisième. Toujours rien. Je remarque que la porte est déjà ouverte, alors je rentre. Le labo est très… blanc. Je me demande en quelle matière sont fait les murs. La pièce est séparée en deux par un grand rideau rapiécé de toutes parts. Au centre, de la première partie, le labo, Cassandre est penchée sur une grande table couverte d’objets de toutes sortes. Je crois qu’elle ne m’a pas entendue arriver. Elle a l’air concentrée dans son travail. 

Je profite de cette occasion pour la détailler un peu plus. Je ne l’avais pas remarqué, mais les pointes de ses longs cheveux sombres sont de couleur bleu-violet, une couleur surement pas naturelle pour un humain normal. La scientifique a sans doute des gènes de créature surnaturelle, mais ça ne m'intéresse pas d’en savoir plus. Ce n’est pas mon genre de me mêler de la vie des autres.

– Approche, jeune fille.

Je sursaute. Cassandre m’a remarquée, tout compte fait.

Elle se redresse et attache ses cheveux en une queue de cheval haute.

– Tu t’appelles Nausicaa.

– Oui, c’est ça.

– C'était une affirmation, s’amuse-t-elle.

– Et vous, c’est Cassandre.

– En effet.

– C’était également une affirmation, je riposte.

Elle sourit, d’un sourire plus sincère, cette fois.

– Tu venais pour quelque chose en particulier ou tu venais juste me rendre visite ? demande la scientifique.

– Vesper m’a dit que je pouvais venir te voir si j’avais des questions à propos de Vanille, j’explique.

– Oh, mais bien sûr ! Tu dois être un peu perdue, j’imagine.

Je n’ai pas besoin de sa fausse compassion.

– Quel genre de gènes de créature surnaturelle Vanille a en elle ?

– D’après mon examen, elle possède entre 30% et 40% d’ADN d’alicorne.

– D’alicorne ? je répète.

Je ne connais pas grand chose en créatures surnaturelles. 

– Oui. Comment te décrire une alicorne ?... C’est… une sorte de cheval avec des ailes et une grande corne sur le front, me décrit Cassandre.

J’essaie d’imaginer tout ça mêlé à un humain. Apparemment, cela donne quelqu'un comme Vanille. Elle aura une corne quand elle grandira ?

– Donc…  Quel sera mon travail exactement ? Combien de temps cela va-t-il durer ?

– Ce sont de très bonnes questions. Tu dois te douter que le sang d’humanoïde vaut très cher sur le marché noir. Ton boulot à toi, Nausicaa, sera donc de prélever ce sang, mais aussi de protéger Vanille. Tu n’as pas à te soucier du reste. Et quant à la durée, je ne sais pas. C’est à vesper d’en décider.

– Protéger Vanille ? je répète, interloquée.

– On ne sait jamais ce qu’il peut arriver, réplique la scientifique.

– Mais je ne sais pas me battre !

C’est un énorme mensonge. J’ai déjà tué, plusieurs fois.

Cassandre semble le sentir. Elle me scrute de ses yeux sombres, mais ne dit rien. Elle conclut simplement  :

– Si tu n’as pas d’autres questions, je peux retourner à mon travail ?

Elle n’a qu’une envie, c’est que je la laisse tranquille. Je ne discute pas et je sors.

Je vais retourner dans ma chambre. Il vaut mieux que je reste proche de Vanille si je dois la protéger.

Ma protégée s’est endormie, roulée en boule sur le sol de sa cage. Posés dans un coin de la pièce, des vêtements m’attendent sagement. Parfait ! Je commençais à en avoir marre de ces haillons. Il y a aussi quelques couvertures. Vanille en aura plus besoin que moi. Je glisse donc mes mains au travers des barreaux de fer et recouvre la petite fille d’une des couvertures.

Puis j’enfile une chemise blanche, un pantalon en cuir noir et le pull à capuche qui va avec. Puis j’enroule autour de mon cou le seul accessoire qui ne me quitte jamais, une longue écharpe grise en laine avec quelques trous de mites.

Je me sens à l’aise dans mes nouveaux vêtements, ils me plaisent bien. Je m'assois sur la fenêtre grillagée, et je reste là.

Je réfléchis à mon avenir, quand je serais partie de Selka. Si j’y arrive un jour…

Le sol tremble sous moi. Une voix me murmure des mots que je ne suis pas en mesure de comprendre. Tout est sombre, hormis une petite sphère lumineuse qui flotte quelques mètres devant moi. J’essaie de l’attraper, mais à chaque pas que je fais vers elle, elle semble reculer.

Puis quelqu’un murmure un nom qui m’est familier :

– Azarielle…

J’ouvre subitement les yeux. J’ai un mauvais préssentiment. Je me tourne vers Vanille, mais tout va bien. Enfin, je crois… Elle échange un regard inquiet avec moi.

Je m’approche de la cage et la déverouille pour laisser la petite fille sortir. Je sais que les humanoïdes peuvent ressentir le danger, dans la mesure du possible. Si elle est paniquée, c’est sûrement que mon impression est exacte. Elle ne me lâche plus du regard. 

– Nausicaa…

Je n’ai pas le temps de lui demander comment elle connait mon nom. Une détonation lui coupe la parole, suivie d’une gigantesque secousse qui ébranle les murs de la pièce. Des blocs de roche tombent du plafond. Tout en tentant d’attraper ma sacoche, je protège Vanille de mon corps, au prix d’un un morceau de plafond me tombant sur le crâne.

Je m’effondre au sol.