Chapitre 4

Le cellier ne débordait pas, mais il me restait des vivres. Suffisantes pour m’alimenter avant que mon tube digestif se nécrose. Ou qu’un gamin m’achève à coups de crick pour me voler deux trois boites de fayots. En temps de conflit, la faim tenace devient plus meurtière que les balles. Les travestissements n’allaient pas tarder. L'homme bon ne le resterait pas très longtemps. Dorénavant, tout agneau s’approchant de ma bulle serait un loup-garou potentiel. Chaque bouche contiendrait un lasso tentaculaire. Si une émouvante mamie cherchait à m’embrasser au détour d'un éboulis, j’allais devoir compter mes dents.

Mon côté inhospitalier me serait fort utile pour soigner mes abords immédiats. Maquiller mon regard d’épines noires, barbeler mes sourires de clous sournois, jouer les tarés, était complètement dans mes cordes.

De toute façon, en regard de ma réputation, j’allais crever seul, c’était certain. Oui, et alors ? Pas de quoi fouetter un chat. Je m’étais préparé depuis un bail à affronter la mort en face, à lui faire un clin d’oeil et lui dire : je t’attendais avec gourmandise. Même baigné d’incontinence, même secoué de râles caverneux, ce do it yourself me convenait parfaitement. Personne à mon chevet, pas de main tenue, d’éruptions nasale, de ces pleurnicheries lamentables qui temporisent le dernier soupir pour des nèfles. J’ai toujours eu en répugnance ces maniaques qui ne ratent pas une agonie parce qu’ils trouvent leur bonheur dans le malheur des presque morts. Le temps d’une simagrée, ils se croient impérissables, à l’abri dans une couveuse, comme si leur bonne étoile leur massait les omoplates. Mais aujourd’hui, l’éternité pour tous avait un compte à rebours. Chacun allait devoir apprendre à souffler sa veilleuse avec sa propre grimace.

Seul ? Pas tant que ça. Je serais dispersé dans la foultitude des insignifiants, avec ces squelettes ahuris que les bouchers distingués ont le respect d’appeler « dommages collatéraux ». Si la mort d’un homme est une tragédie, la mort de millions d’hommes est juste une statistique, avait dit Staline, qui s’y connaissait bien en inventions d’hécatombes.

Soudain, une idée saugrenue chatouilla mes méninges. Et pourquoi ne pas organiser une petite fête funéraire en mon honneur ? Pourquoi ne pas composer mon panégyrique et le faire lire par un

Salut, les enculés, comment allez-vous ?


 

Pouvais-je me préparer à mon propre deuil ? Allais-je me regretter ? Me pleurer ? Méritais-je de composer mon panégyrique ? En général, la mort d’un être cher engendre toujours une douleur, contre laquelle il est impossible de s’immuniser.

Je suis allé ouvrir mon congélateur. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir me mitonner pour fêter mon triomphe de pythonisse ?

J’ai opté


 

Chassez le naturel, il vous revient au galop. Irrépressibles, les dénigrements rebroussèrent chemin dans mon esprit. C’était plus fort que moi, il me fallait décharger mon dégoût sur cette Humanité gâtée en voie d’extinction, pour me sentir mieux.

- Adieu ! Wadae ! Gàobié ! Lebewhol ! Adiós ! Bon vent, saloperie de race humaine ! Bouche-gouffre à dévorer de l’homme. Morte-matière à désosser de l’homme. Pullulement de corps belliqueux, de ciboulots sinoques stimulés par un perpétuel besoin de se croire plus fort que l'autre, meilleur que l'autre, plus juste que l'autre. Ah sacrebleu ! Ils l’ont fait « ces cons ». Ils l’ont fait. Ils ont roussi jusqu’aux racines l’herbe tendre et les lys sur lesquels ils se prélassaient. Préférant le tintamarre au silence, les bulldozers aux prairies, les biftons au Kamasutra, les grenouilles ont enfin trouvé leur crapaud pour les mener tout droit vers la géhenne. Chute libre et sans retour vers les abysses, plongeon vers le benthos, le magma, puis l’oubli éternel. Adios les nullos. Ah, ils l’ont fait « ces cons ». Et quoi que je puisse dire, baver d’écoeurement, je ne valais pas mieux qu’eux. Je n’étais ni plus ni moins qu’un con de mortel.

Tout ce qui restait de bon encore en moi refusait de vibrer. Le chagrin avait du mal à accrocher, la pitié paressait, seule l’ironie, tel un ersatz d’indulgence, dansait toujours la gigue dans mon cervelet. Pauvre race qui se disait humaine, je me répétais tout mielleux ! Elle respectait tellement la Vie qu'une poignée de dingos avaient suffi pour concrétiser ses désirs d'anéantissement. 

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Zoé Florent
Posté le 09/11/2023
Le portrait de ton mysanthrope s'affirme, dans un sans faute, qui accentue l'impression de vécu.
Il manque un S à chaussettes ;-)...
Bon, je meuble encore pour que mon commentaire fasse les minimum cent cinquante caractères requis :-)...
Loup pourpre
Posté le 27/01/2023
Bonjour Zultabix,

Je ne vais pas te mentir puisque c'est déjà la fin du monde. Tu vois ces particules de plastique et de radon qui s'immiscent dans nos poumons et les encrassent de miévreries abêtissantes. Ah Ah Ah ! Ce récit est carrément déprimant. L'ambiance est délétère et très présente. Cela nous happe de désespoir. Ce vieux schnock est vraiment rasoir et à la fois, je sourie de son comportement de vieil ermite désabusé. Il manquerait un peu d'humour. A ce que comprends, ce récit n'a pas vraiment et est juste un constat. Voilà, voilà. J'ai fini ma diatribe un peu soulante.

A la revoyure.
Hortense
Posté le 14/12/2022
Bonjour à toi,
Je ne sais si je dois aimer ou détester ton personnage. Peut-être les deux à la fois tant il fait preuve d'une lucidité cynique, parfois touchante et assez juste. Les autres sont dans le déni, ce système de défense inconscient qui les protège de l'indicible et nourrit un espoir pour contrer le désespoir. Ton personnage n'est pas désespérer, je le ressens comme un homme en colère. Un homme qui a vu arriver la catastrophe et qui, tel un spectateur a simplement regardé, puis constaté la pertinence de ses observations. Cette analyse le place de fait au centre de l'histoire mais n'en fait pas pour autant un héro. Car en réalité, il est bien à l'image de ce monde qui s'effondre : individualiste, consommateur et asocial. Il est en conscient, tout son attitude le démontre, ce qui rend le trait encore plus noir.
C'est excellent !

Juste une remarque :
- En son midi le plus clair : juste une virgule après.
A très bientôt
Zultabix
Posté le 14/12/2022
Le grand retour d'Hortense !!! Hip hip hip hourra ! Pas pour tes éloges qui deviennent routinières, mais pour soutenir un peu la lucidité maladive de ce anti-héros qui pourrait paraître malaisant ! C'est une lutte vaine, comme il sait depuis longtemps que la Nature humaine ne changera pas !
Je ne sais plus si je t'avais déjà demandé la possibilité de t'appeler ? Afin de te poser quelques questions. Je t'embrasse. Bien à toi !
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