Chapitre 4

Notes de l’auteur : TW racisme

Les derniers « au revoir » lui parurent bien douloureux. Athéna n’est pas restée longtemps à l’appartement de Karine après que cette dernière lui remit le collier. Elle s’est abandonnée à une longue étreinte avec Oscar et Eden prenant quelques instants pour entendre battre leur cœur. Elle a ensuite salué la mère des enfants, son amie, lui confiant qu’elle ferait tout pour revenir saine et sauve.

À peine sortie du bâtiment, les rayons du soleil se cognent contre ses cheveux noirs et son front pâle. Elle prend une bouffée d’air à plein poumon essayant de calmer cette angoisse dans le creux de son estomac. Il bouillonne à l’intérieur d’elle une peur mais aussi des remords qui peuvent la conduire à sa perte. Cette ville ne se préoccupe guère du passé des survivants, elle n’éprouve encore moins des regrets à ses gestes inhumains. Avant de rejoindre ses camarades dont elle ne connaît encore rien, Athéna prend le temps d’aller retrouver Olivier. Cette fois-ci, l’échange sera plus cordial, quelques blagues sur la force physique d’Athéna, une poignée de main.
 

« - Si je ne reviens pas, commence Athéna.
- Je ne leur dis pas que tu es morte, termine Oliver. »
 

C’est avec les larmes aux yeux qu’Athéna se dirige à contrecœur vers les portes Est. Là-bas, elle y retrouve les silhouettes des personnes qui vont l’accompagner. Elle essuie sa tristesse d’un revers de main pour paraître plus présentable face à ses nouveaux collègues. Athéna connaît sa réputation au sein des ephraimites et les responsabilités qui pèsent sur ses épaules. Au fur et à mesure qu’elle se rapproche, les traits des visages se dessinent, des noms se posent sur les différentes faciès. Ces fourmis ouvrières se transforment en être humain, en âme, sous les ordres d’Athéna dont elle a l’entière responsabilité. Elle n’en connaît aucun personnellement : ce sont simplement des frères et des sœurs croisés à des fêtes ou des réunions. L’un d’eux s’approche d’elle dès qu’il l’aperçoit, il la salue et quelques formalités religieuses passées, il en vient au fait.
 

« - Nos premiers éclaireurs nous rapportent que la route est libre. L’entrée a été libérée et elle ne possède plus de menaces, explique-t-il. Ils n’ont cependant pas osé aller plus loin. »
 

Athéna décrit l’homme devant elle, toujours muette. Il n’est pas plus grand qu’elle, les cheveux bruns, une barbe grisonnante, la silhouette élancée. Un point de plus dans la foule, un visage qui ne lui apporte aucune information si ce n’est son prénom : « Théo ».
 

« - Pourquoi ? Athéna se cache les yeux du soleil.
- Ils n’avaient pas assez de matériel. Ils soupçonnent un nid d’infection. »
 

Un rictus nerveux fend son visage, l’expédition s’annonce périlleuse de bien des manières. Elle remercie Théo d’un geste de la tête avant de rejoindre les pieds des murailles. Ces dernières construites de bois, de pierre et d’acier s’élèvent au-dessus des têtes pour garder les Éphraïmites en sécurité. Ce fut le chantier le plus long et fastidieux de leur communauté, mais aussi, celui qui augmenta leur résistance à la pandémie. Des échafaudages primaires sont érigés à l’intérieur des murs comme des tours de guet. Certaines parties sont plus fragiles que d'autres, des pans entiers sont en rénovation, une équipe s’occupe de leur maintien.

Athéna entre dans une petite cabane en bois où elle rencontre Rose, mariée à Théo. Si les autres visages ne lui paraissent en rien familier, elle connaît bien plus cette dernière. Comme toute femme ayant réussit son destin marital, Rose se devait de rester à l’intérieur des murs pour participer à la repopulation. Néanmoins, elle a été diagnostiquée comme infertile, bannie tout d’abord de son rôle de femme, puis expulsée en tant qu’éclaireuse. Athéna la salue brièvement concentrée sur son état de fatigue, les cernes violettes s’enfonçant aux creux de ses globes oculaires. Ses cheveux crépus sont dans un piteux état, les pointes fourchues, les mèches brûlées par le soleil. Son corps frêle, mal nourri, ne donne pas confiance à Athéna envers ses capacités malgré ses loyaux services.
 

« - Je t’ai préparée ton équipement, soupire Rose sans relever la tête. »
 

D’un geste de menton, elle indique l’inventaire d’Athéna sans donner d’indication supplémentaire. Athéna sait que Rose ne se plaît pas à jouer la chair à canon mais elle serait tuée par Esther si elle revenait au centre du camp. Plus protégés, les Éphraïmites sont aussi bien mieux armés pour affronter leurs ennemis que le sont les Enfants Libres. Fusil d’assaut, arme de poing, au simple couteau de chasse, Athéna s’estime chanceuse de pouvoir manipuler ses artefacts entre ses mains. Esther et son passé ont joué un rôle précieux dans le contrôle des stocks d’armement. Elle ouvre son sac, organise ses affaires, nettoie les armes, compte les munitions, règle les bandoulières et prend ses affaires.
 

« - J’ai croisé beaucoup d’insectes, annonce Rose. »
 

Athéna se fige sur le pas de l’entrée, elle tourne les talons puis plante son regard sur son interlocutrice. Cette dernière essuie son front avant de poser son carnet de note sur la table. À bout de force, elle prend le temps de s’asseoir sur une chaise qu’elle vient tirer avant de reprendre la parole après une gorgée d’eau.
 

« - Tu penses qu’on est assez préparé pour affronter ce qu’il y a là-bas ? »
 

Athéna hésite sans le laisser transparaître sur son visage de marbre. Dans les faits, il n’est pas impossible que le centre-commercial se soit transformé en un sarcophage. L’ouvrir serait une potentielle erreur tant ils ne possèdent aucune information sur les pièges qu’il renferme. Une si fine équipe ne leur apporte pas de force supplémentaire et Athéna déplore le manque de bras expérimentés des anciens corps armés. Tous, sont trop occupés au front à tuer des mômes pour venir aider pour les plans plus stratégiques.
 

« - Oui, répond Athéna. Faisons attention et tout ira bien. »
 

Un petit sourire essaye de réconforter l’éclaireuse épuisée. Athéna sort de la cabane pour rejoindre leur véhicule garé devant les grandes portes ouvertes. Elle dépose son sac dans le coffre et elle arrange toutes les affaires pour parvenir à le fermer. Le quatrième membre de leur escouade fait son apparition pour prêter main forte à Athéna. Sophie, à l’inverse de Rose, représente ce que les Éphraïmites voient en la femme idéale. Cheveux blonds, peau laiteuse, taille fine, docile et énergique, elle sera mariée dans un an avec un homme de son choix. Athéna se contrarie d’avance de l’avoir à côté d’elle, une jalousie profonde qui coule dans ses veines.
 

« - Tu vas bientôt épouser Marc de ce qu’il m’a dit, lâche-t-elle. »
 

La fermeture éclair d’un sac couine alors que la puissante poigne d’Athéna se referme dessus. Elle cache son irritation derrière un masque doté d’un simple sourire ignorant sa question rhétorique. Sophie sautille sur place, naïve et enjouée, à l’idée de célébrer une nouvelle union au sein des Éphraïmites. Quand Athéna ferme le coffre, la sainte s’est mise à comparer les avantages de certaines robes par rapport à d’autres. Elle explique les raisons pour lesquelles celle de Rose était inadaptée sans cacher sa répulsion pour sa couleur de peau. Athéna grince des dents avant de lui faire comprendre qu’elle se doit de préparer le véhicule pour leur départ.
 

« - Bien sûr, conclut Sophie. Les plans du Divin peuvent nous paraître flou mais n’oublie pas qu’il n’est composé que d’amour. »
 

Athéna n’entend pas réellement la fin de sa phrase quand elle claque la porte pour la faire disparaître. Leur 4x4 empeste la sueur, les bottes militaires et la poudre à canon. La chaleur n’est pas plus respirable, les sièges noirs ayant absorbés les rayons du soleil estival. À peine possède-t-elle le temps de régler son siège que le dernier adelphe ouvre la porte et s’installe à l’avant de la voiture. Si des visages des trois autres éclaireurs, elle connaissait au moins un prénom, elle doit avouer que la jeunesse de la personne à côté d’elle empêche de le deviner. Son visage enfantin déboussole Athéna : si elle devait lui donner un âge, il ne serait pas plus vieux que le môme qu’elle a tué hier. Elle s’étonne de voir ces vêtements bien trop grands, ceux confectionnés pour les hommes, sur une personne d’apparence féminine. Enfin, sa capillarité rasée bien au-dessous de ce qui est autorisé pour les personnes nées femmes l’interpelle.
 

« - Tu m’as l’air bien heureuse d’être ici, taquine Athéna. »
 

Un long silence s'ensuit avant que l’individu n’émette un son. Les premiers mots tardent à sortir de sa gorge et ces derniers se font à peine entendre.
 

« - Est-ce que c’est possible que tu parles de moi au masculin ? »
 

La demande particulière de l’adolescent fait hausser un sourcil à Athéna. Le rapprochement immédiat avec ses vêtements, ses cheveux, son jeune âge et sa présence se lient dans sa tête. Elle s’éclaircit la gorge puis elle se met à chercher les clefs de la voiture dans les différents rangements du véhicule.
 

« - Tu m’as l’air bien heureux d’être ici, se reprend Athéna. »
 

Athéna met enfin la main sur ce qu’elle cherchait. Elle se prépare à démarrer la voiture attendant que tout le monde entre à l’intérieur du véhicule. Ses yeux cherchent les autres membres de leur groupe dans les rétroviseurs. Elle ouvre les fenêtres pour renouveler l’air avant de tourner la tête vers son interlocuteur. Elle sait à quel point les règles des Éphraïmites peuvent être cruelles : Athéna en a fait les frais quelques années auparavant. L’adolescent doit être âgé d’une quinzaine d’années, quelques boutons d’acnés parsèment son visage. Lui, mise à l’aise par la bienveillance de la conductrice, essaye d’aborder une discussion avec elle.
 

« - Si tu pouvais me trouver une pomme, je suis sûr que je serais plus heureux à l’idée d’affronter des insectes, rétorque-t-il. »
 

Lorsqu’Athéna lui demande son prénom, Elias hésite, réfléchit avant de le lui annoncer. Elle le répète trois fois pour ne pas l'oublier, baissant le niveau sonore à chaque énonciation.
 

« - Joli prénom, dit Athéna.
- Merci, je l’ai choisi moi-même, répond Elias. »
 

Un sourire traverse le visage du concerné qui égaye l’espace d’un instant son faciès déprimé. Alors que Théo et Rose s'installent dans le véhicule, Athéna observe les sombres cumulus s’engorgeant dans le ciel. Il va pleuvoir et elle sent dans l’atmosphère l’odeur qu’imprègne l’arrivée imminente d’un orage. Sophie est la dernière personne à s’installer dans le 4x4, elle prend le temps de bien fermer sa porte et comme un réflexe idiot, d’attacher sa ceinture.

Athéna allume le moteur, embraye la première et avance le véhicule jusqu’aux portes. Là-bas, les gardes des murailles les saluent puis ils se hâtent à baisser les mécanismes. Un frisson parcourt l’échine de la conductrice quand elle engouffre la voiture dans le No Man’s Land. À ses débuts, il ne lui a pas été évident de piloter un engin aussi robuste mais à force d’expériences, Athéna réussit à dompter la bête même dans les rues les plus escarpées. Les routes proches du camp, celles du sud, ont été relativement épargnées par les bombardements et les affrontements. À l’exception des carcasses de véhicules, de quelques trous et plantations, il n’est pas difficile de se frayer un chemin vers la côte ouest de la cité. À l’arrière, Théo et Sophie discutent de quelques banalités, d’espérer de voir la pluie pour aider au mieux les jardins. Rose, sur le côté, muette, observe les tableaux édifiants de la fin du monde, de ces maisons inertes sans âme aux routes détruites et la forêt avalant le bitume. La voix de l’adolescent résonne dans l’habitacle ce qui contraste avec les rires à l’arrière :
 

« - Tu m’as l’air plutôt cool, commence-t-il. Je préfère être à côté d’une femme aussi musclée que de mourir de chaud sur les premières lignes. »
 

Athéna s’applique à esquiver un bus encastré dans une maison avant de reprendre son attention sur Elias. Elle sait qu’il aurait été envoyé au front pour mourir, les vétérans se seraient servis de lui comme d’un appât pour tendre un piège aux mômes. Cette guerre, elle y aimerait mettre un terme par tous les moyens possibles, les pertes étant trop nombreuses de tous les côtés. Les combats sont sordides, les batailles violentes et cela ne vaut pas la fourberie des attentats équivoque au fanatisme des deux clans. Athéna se souvient encore de toutes ces rues lorsqu’elles n’étaient pas simplement un champ de guerre. Elle se remémore les passants sur les trottoirs, les voitures sur le bitume et les visages des bâtiments avant qu’ils soient déformés par le fléau.
 

« - Tu aimerais faire quoi plus tard ? demande Athéna. »
 

Elle observe l’adolescent du coin de l’œil, ce dernier se gratte le menton.
 

« - Collectionneur de sarcasmes, conclut-il. Même si je suppose qu’enfant soldat est une situation qui paie mieux dans ce monde. »
 

Athéna ne peut s’empêcher de sourire face à la prestance d’Elias, elle n’a pas à chercher plus loin les raisons de sa présence. Les yeux rivés sur les tableaux désolés de la fin du monde, l’esprit associe dorénavant ces anciens foyers chaleureux pour des monstres aux griffes acérées. Au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent dans le No Man’s Land, le sentiment de sécurité laisse place à l’instinct de survie. Cette sensation permanente qu’une menace sautera hors de l’ombre, que des mômes tendront une embuscade ou qu’une horde se réveillera. Il faut dire que dans cette grosse machinerie, le groupe éphraïmite ne se couvre d’aucune discrétion. Les routes agréables du sud laissent place à celles de l’ouest, détruites et dangereuses, pour peu qu’on ignore les itinéraires principaux. Les racines des arbres déchirent le bitume si ce dernier n'est pas déjà fragmenté par un obus. Athéna doit faire attention aux ravins creusés dans la terre où une eau stagnante attend qu’un individu sain vienne y tomber. Les maisons sont effondrées, le mobilier urbain et les véhicules forment des barrages où s’enroulent divers végétaux. L’eau qui ruisselle d’une tuyauterie sonne une interrogation dans son esprit :
 

« - Vous n’avez pas oublié un purificateur ? Questionne Athéna aux trois adultes.
- Il est dans le coffre avec quelques tests, rétorque Rose. »

 

***

 

Le dôme de verres et d’aciers du centre-commercial se dresse au-dessus des autres bâtisses et de la végétation ambiante. Son immense tête impersonnelle paraît flotter dans les airs scrutant l’horizon à la recherche des dernières âmes osant respirer à ses pieds. Il est un monstre, inerte et ancré sur le sol, à la panse gargantuesque et aux bras squelettiques pullulant de pustules. Incapable de se mouvoir tant il est dégoûtant, il a trépassé pour ne laisser que son cadavre au service de la nature. Des excroissances végétales poussent à travers ses fenêtres et les animaux se nichent dans ses failles et ses fissures.

Athéna arrête le véhicule caché entre quelques arbres et bâtiments au pied de la bête. Dans ses souvenirs, le centre-commercial lui paraissait bien moins impressionnant, au minimum, moins terrifiant. À cinq, elle est certaine de ne pas avoir assez d’une seule journée pour sécuriser l’entièreté de la bâtisse. Elle préfère ne pas imaginer les scènes sordides sur lesquelles elle va tomber ou le nombre d'insectes qui habite ces lieux. Le miasme pestilentielle du bâtiment monstrueux lui donne déjà la nausée.
 

« - Les éclaireurs nous ont ouvert les entrées principales, informe Théo.
- Bien, ne perdons pas de temps, ordonne Athéna. »
 

Le groupe ouvre le coffre du véhicule pour s’équiper de sacs et d'armes. La fin du monde cloue les gosiers les plus bavards et c’est ainsi que dans le silence le plus complet, le groupe se met en marche. Seuls les bruits de pas et la faune environnante résonne tout autour d’eux. Car, si la ville n’accueille plus le genre homo, la nature niche toute sorte d’animaux en son sein. Le monde n’a pas attendu l’être humain pour tourner et il tournera encore bien après sa mort.

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