Chapitre 37

Notes de l’auteur : Raphaël se confia et Gabriel aussi (il était temps !)

Gabriel se rapprocha de son aîné pour lui montrer son soutien, un soutien qui brillait par son absence jusqu’à maintenant. Il lui tapota maladroitement le dos puis se racla la gorge à la recherche des mots adéquats. Que dire à un homme qui semblait anéanti par la vie ? Le balafré n’avait jamais vu Raphaël réagir de cette manière, lui d’ordinaire si décontracté et je-m’en-foutiste. 

Il n’avait pas été un bon frère. C’était un fait difficile à encaisser mais il était temps de lever le voile sur ce qu’il refusait de voir. Le lycéen ne pouvait plus dissimuler son ignorance derrière sa séquestration et ses propres monstres. Il était temps d’éclater sa petite bulle d’égocentrisme et de s’intéresser aux gens qu’il côtoyait, et à sa famille en particulier. Le jeune homme ravala la bile qui lui nouait la gorge pour délivrer ces mots : 

– Je sais que je ne suis pas le petit frère que tu aurais voulu avoir… Je ne pense qu’à ma petite personne, et j’en suis désolé, déclara-t-il tout bas. Je vais essayer de faire des efforts… Et le jour où tu m’en jugeras capable, partage tes soucis avec moi. Je ne te promets pas les meilleurs conseils mais au moins, tu auras une oreille attentive...

Il se tut, le regard rivé sur le parquet. Gabriel se triturait nerveusement les mains, en attendant la réponse de son frère. Celui-ci souffla avant de lui asséner : 

– C’est vrai que tu n’es pas le frère que j’attendais. 

Le premier coup fut délivré.

– Tu es égoïste, Gaby.

Le second coup fut douloureux.

– Si on en est à l’heure des vérités, j’avais honte de toi. Je n’osais même pas montrer ta photo à mes amis.

Le troisième coup fut difficile à encaisser. Le jeune garçon retint difficilement ses larmes devant ce discours qui ne cherchait pas à blesser mais à dévoiler un second point de vue.

– Je n’avais pas honte de ton apparence. C’est la rancoeur qui me poussait à te cacher aux yeux du monde. Je te tenais responsable de ma vie misérable. Après l’incident, je ne pouvais plus aller à la boxe. On n’allait plus au cinéma ou au parc d'attractions… On ne faisait plus rien. Tu me gâchais la vie.

Le dernier coup fut le coup de grâce. Les larmes ruisselaient abondamment sur ses joues. Les mots étaient difficiles à entendre, autant pour lui que pour son frère. Gabriel ne s’attendait pas à ce que son existence pèse un tel poids dans la vie de son aîné. Sans qu’il ne s’en rende compte, il avait entraîné les membres de sa famille dans les profondeurs de son malheur. Ils ne cherchaient qu’à se libérer de leur fardeau quand lui s’accrochait désespérément à eux. La peur de se retrouver tout seul le poussait à freiner les autres dans leur quête du bonheur. Il renifla pitoyablement.

– Puis quand je te vois pleurer, je me dis que le seul fautif ici, c’est moi. Tu n’es pas responsable de tous mes malheurs. Ce sont mes décisions et mes choix qui m’ont conduit à prendre le mauvais chemin. Si je ne t’avais pas laissé ce jour-là, peut-être qu’on en serait pas là.  Toi, tu ne serais pas en train de lutter contre tes démons et moi, je ne serais pas en train de me remettre en question à chaque putain de seconde de la journée...

Le regard vide, Raphaël attendait. Il attendait que son frère lui partage sa pensée, ses reproches surtout. Il avait besoin de tout mettre à plat pour pouvoir enfin respirer. Après, il serait prêt à affronter d’autres problèmes plus ou moins importants.

– Je repense sans cesse à cette fameuse journée d’été. On jouait à cache-cache, tu t’en rappelles ? J’étais heureux que mon grand-frère accepte de jouer avec moi parce que, pour une fois, tu me préférais à tes copains. Puis ces types sont venus et cette journée est rapidement devenue un véritable cauchemar… 

Sa voix se tut. Gabriel inspira avant de poursuivre. 

– Ils m’ont emmené dans une pièce sombre qui puait l’isolement et la poussière. Au début, ça allait. J’avais l’espoir que l’on me retrouve rapidement, puis les heures… Des jours sont passés. Plus on attendait, plus ils devenaient nerveux, colériques. Et j’étais là, au milieu de tout ça. La suite, on la connaît tous, souffla-t-il en montrant sa cicatrice.  Alors, à qui revient la faute ? A toi ? A moi ? Aux parents ou à la baby-sitter, peut-être ? Je ne sais pas. Toujours est-il que NOUS n’avons pas pris la pire décision. NOUS n’avons fait que subir leurs actes, leurs choix. Nous n’y sommes pour rien, Raphaël. Et je suis désolé qu’il m’ait fallu toutes ces années pour m’en rendre compte… 

Le constat le terrifia. Gabriel continuait à être la victime de ses bourreaux. Il essuya ses larmes de dépit. Il restait la marionnette inoffensive, piégée entre les mains de fantômes qui croupissaient en prison. Qu’il était pathétique…

– Mon ex a fait une tentative de suicide, déclare son aîné, la mort dans l’âme.

L’aveu rendit le plus jeune muet. Son esprit fut transporté des années en arrière alors qu’il avait lui-même succombé à ses propres faiblesses une seconde fois. Il se souvenait de la lame qui lui renvoyait sa détresse. Il avait perdu une bataille contre lui-même. Son regard se porta mécaniquement vers son poignet qui portait toujours les stigmates de sa bêtise. Il avait laissé le passé l’emporter.

Gabriel inspira profondément avant de reporter toute son attention sur son frère. Cette fois-ci, il ne s’agissait pas de lui mais de son aîné. Il serait là.

– Tu connais la raison ?

Pour l’avoir fait, le jeune homme savait qu’il y en avait toujours une. Et s’il en croyait l’expression de Raphaël, il devait être impliqué de près ou de loins à cette tentative de suicide.

– Je l’ai quittée. Ça ne lui a pas plu. Fin de l’histoire.

Sa voix était plus grave et remplie d’amertume. Cette fille, qu’il n’appréciais plus, lui gâchait la vie. Son ex lui avait remis ses propres problèmes sur le dos et il était devenu le gros connard de l’histoire. Les réseaux sociaux le désignaient comme coupable alors “c’est qu’il devait l’être”. Ouais, c’est ça. Je n’ai aucun regret, sauf  peut-être celui d’être sorti avec elle. L’étudiant ne la prendrait certainement pas en pitié. Elle avait choisi de perdre la vie. Lui, il n’y était pour rien, essaya-t-il de se convaincre. 

Il soupira et, les yeux remplis de détermination, se dirigea vers la porte d’entrée. Un sac assez conséquent lui pendait sur les épaules mais cela ne ralentit pas pour autant sa course. Il devait y aller avant de perdre courage. Il les affronterait, tous ces regards juges. Et après, il pourrait laisser cette affaire derrière lui.

– Attends une minute mon garçon. Où est-ce que tu vas comme ça ? Demanda Gloria en relevant la tête de son ordinateur portable.

– A l’hôpital.

– MARCUS ! hurla-t-elle tout en fermant l’appareil qui reposait sur ses cuisses.

En entendant le cri de sa femme, le père de famille relâcha ses outils pour rejoindre la pièce à vivre. Son fils aîné tenait un énorme sac et Gloria était en train de mettre ses chaussures. Il n’eut pas besoin de mots pour savoir qu’il était l’heure de partir. Raphaël regardait ses parents se préparer sans comprendre. C’est quand il vit son frère descendre les escaliers armé d’une console portable qu’il comprit.

– Mais qu’est-ce que vous– 

– On t’emmène. Je ne vais certainement pas te laisser conduire dans cet état, argumenta son père en prenant les clés de la voiture.

Raphaël souffla avant de les suivre. Son petit frère ferma la marche en revêtant sa capuche et une écharpe. Le smartphone dans une main et la console d’en l’autre, il ressemblait à un enfant qu’on obligeait à sortir.

La fratrie s’asseya à l’arrière du Range Rover. Gabriel posa sa console au centre de la banquette avant de déverrouiller son smartphone pour la première fois de la journée. Son pouce hésita un instant sur la photo de Clara. Que pouvait-elle bien lui vouloir ? Il posa son doigt sur le joli visage et fronça les sourcils en lisant le contenu :

“Je tenais à m’excuser pour les photos… J’espère que tu ne m’en veux pas… 😥”

Le jeune homme s’interrogea. A quelles photos faisait-elle référence ? Le gringalet remua nerveusement les doigts avant de se tourner vers son aîné.

– Clara me parle de photos. Tu sais de quoi il s’agit ? 

– Aucune idée. J’ai supprimé mes comptes, répondit le concerné en haussant les épaules.

Ses pensées étaient toutes dirigées vers l’hôpital. Il cherchait les mots qui pourraient consoler les proches de son ex. Gabriel, quant à lui, revint à son smartphone. Il tenta d’ouvrir Twitter avec le peu de connexion internet qu’il possédait, et souffla quand l’application tarda à charger. Le balafré tapa le nom de la jeune fille dans la barre de recherche et inspira bruyamment en voyant son visage en compagnie de Clara. Ils avaient été photographiés ! Le pouce tremblant, il appuya sur l’image afin de l’agrandir. Il tapota violemment sur cette dernière quand elle tarda à apparaître.

Le lycéen observa, bouche bée, la jolie brune nouer ses cheveux en un vague chignon. Il se souvenait très bien de ce moment où il avait senti de drôle de sensation au niveau de son corps. Le cœur frénétique, il zooma sur son propre visage. Positionner de profil, on ne pouvait apercevoir l'entièreté de sa cicatrice. Le jeune homme en fut soulagé. 

Puis, sans qu’il ne puisse s’en empêcher, son pouce glissa vers la seconde personne présente sur la photo. Elle était belle. Clara était très belle, pensa-t-il en détaillant son visage souriant. Il rapprocha ses doigts pour regarder la photo une dernière fois dans son ensemble. Son visage a lui aussi été souriant, du moins, s’il en croyait l’arrondi de ses lèvres. Un sentiment chaleureux entoura le cœur du plus jeune de la fratrie, un détail qui n’échappa pas aux yeux de l’aîné qui épiait discrètement ce dernier. Le rouge qui colora ses joues détourna son regard sur l’objet de curiosité. Une photo ? 

Sans aucun remord, Raphaël lui prit le téléphone des mains. Un rictus décora le visage du plus vieux. S’il s’attendait à ça… Son frangin entre les mains expertes de l’influenceuse. Le petit veinard. Raphaël le jalousait presque.

Gabriel reprit son smartphone des mains du voleur. Il quitta l’application sous l’oeil moqueur de son aîné et rédigea un message, non sans dissimuler au préalable l’écran de sa curiosité mal placé : 

“Ne t’en fais pas pour ça. Ce n’est pas de ta faute.”

Devait-il ajouter un emoji en retour ? Après une dizaine de secondes de réflexion, le gringalet décida de modifier légèrement son message :

“Ne t’en fais pas pour ça, Clara la vampire. Ce n’est pas de ta faute. 😉”

Il appuya sur la touche d’envoi avant qu’il ne puisse changer d’avis. Gabriel reposa le téléphone à ses côtés, le palpitant sur le point d’exploser. 

Il changeait. Pour le meilleur et pour le pire. Il avançait.

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