Chapitre 35 - Retour à Cardiff

Par Keina

Lorsqu'il sortit de l’Aile Blanche, une sorte d'urgence lui tenaillait les entrailles. Pourtant, l'espoir était encore ténu. Il n'y avait quasi aucune chance pour que son capitaine se trouve encore sur cette Terre, et même s'il y était, comment parviendrait-il à le retrouver ? La Faille étant a priori refermée, il ignorait si Torchwood Trois avait poursuivi ses activités. Peut-être pourrait-il, dans un premier temps, se lancer à la recherche de Gwen, même si une toute petite partie de lui n'avait pas très envie qu'elle soit le premier contact qu'il aurait de ce monde. Mais si elle pouvait l'amener à Jack, alors…

Tandis que Myfanwy galopait pour rejoindre la Traverse, il pesta entre ses dents, se maudissant d'être parti sans réfléchir. S'il avait pu avoir accès aux outils de la Logistique, il lui aurait été facile de retrouver des archives sur Torchwood, Gwen Cooper et peut-être même Jack Harkness, qui sait ? En patientant un peu, et en menant l'enquête de son côté, il aurait tenté de comprendre ce qu'il s'était passé, l'année précédente, ce qui avait provoqué la mort de son double…

Mais, non, il n'aurait pas pu attendre plus longtemps. Il en avait parlé à Kat, et elle risquait d'en parler elle-même à Beve, à Lilly, qui en parleraient à Angie, ou à Jane… Il ne voulait pas que les autres s'en mêlent. Il voulait mener sa quête seul.

 

Il traversa le Passage sans y penser. La sensation gluante qui l’assaillait à chaque fois qu’il s’engageait à travers le halo mouvant ne lui fit cette fois-ci ni chaud ni froid.

De l’autre côté, une pluie fine et persistante l’accueillit comme une vieille amie. Ça y est, il s’y trouvait. Là où il était né, là où il avait grandi. Cette ville qu’il avait fuie, puis retrouvée à travers les yeux d’un autre, toujours la même, industrielle, multiculturelle, moderne, jeune et intemporelle.

Il était de retour à Cardiff.

 

Il avait atterri à l’endroit même qu’il avait eu en esprit lorsqu’il avait enfourché son elfide. Devant lui, le Mermaid Quay qui longeait l’eau noire et mouvante de Cardiff Bay. En face, l’église norvégienne. Sur sa gauche, le Pierhead building et, derrière lui, le Millenium Center, bien sûr, qui affichait sur sa façade la devise : « In these stones horizon sings », drôle de devise pour cette ville protéiforme, et sur le toit duquel Jack aimait à contempler l’horizon, justement…

Mais quelque chose clochait. Ce n’était pas comme dans ses souvenirs. La place Roald Dahl semblait changée. Les pavés étaient trop neufs, trop clinquants, et ne dessinaient pas les motifs qu'il se remémorait. Même la tour d’eau, au centre de la place, ne ressemblait pas à ce qu’il croyait. Quelque chose s’était produit, mais quoi ?

Il descendit prestement les quelques marches qui aboutissaient sur le quai, là où aurait dû se trouver l’entrée du faux syndicat d’initiative, et du vrai Torchwood Trois. Cependant, au bout, comme il s’y était attendu, il ne vit que des planches vissées sur un lieu qui semblait abandonné depuis longtemps.

En cette saison, il n’y avait que peu de touristes sous le crachin typiquement gallois, et il remonta dans la rue principale pour questionner le barman du pub le plus proche, qui essuyait les tables extérieures et les empilaient dans un coin. Ce dernier le renseigna de mauvaise grâce, ne cessant de faire des digressions pour se plaindre de la baisse du tourisme depuis les événements qui avaient détruit cette si belle place.

Quels événements ? Le barman n’était pas vraiment en mesure de dire exactement ce qu’il s’était passé, mais il y avait eu une attaque terroriste, sans aucune doute. Au même moment, « l’affaire des enfants hurleurs » avait fait grand bruit dans les médias, c’était sans doute lié, il n’était pas là quand l’explosion s’était produite, mais tout ça n’était qu’un écran de fumée, une diversion savamment menée par le gouvernement, qui, comme tout le monde le savait, était vérolé par ces groupuscules d’étrangers qu’on croise maintenant à tous les coins de rue. Un meilleur contrôle des frontières, voilà ce qu’il fallait, et un Premier Ministre qui n’hésiterait pas à taper des poings sur la table, et le monde se porterait mieux…

Au bout de quelques minutes d’explications embrouillées et truffées de théories conspirationistes (mais, après avoir connu Torchwood, puis l’Organisation du Royaume Caché, pouvait-il donner tort au barman d’imaginer qu'on lui cachait des choses ?), Ianto finit par abandonner la partie, et le remercia.

Il se détourna, ne sachant que faire. D’après ce qu’il avait pu comprendre du discours, il y avait eu en 2009 une explosion qui avait soufflé la place Roald Dahl, et depuis, celle-ci avait été complètement restaurée.

Il avait cru, une fois à Cardiff, qu’il trouvait une piste, un indice, que son cœur lui soufflerait une intuition… Mais il n’y avait plus rien ici. Plus trace de Torchwood, plus trace de son capitaine.

Toute sa quête avait été vaine.

Il redescendit sur le quai et tandis que la pluie continuait à tomber, s’infiltrant dans ses habits, noyant ses chaussures, s’installa sur une marche, le cœur lourd et l’esprit vide. Il n’avait plus qu’à rappeler Myfanwy, qui devait être repartie au Royaume, comme après chaque traversée du Passage, et retourner vivre sa vie. À quoi avait-il pensé ? Il n’y avait aucun espoir. Torchwood n’existait plus.

Il se releva en soupirant et s’apprêtait à rappeler son elfide lorsqu’une drôle d’impression lui broya l’estomac. Il y avait quelque chose, pas loin, à peine plus loin… Quelque chose qui l’appelait…

Il ferma les yeux, essayant de laisser ses sens de Gardefé prendre le relais. Les émotions qui l’environnaient le submergèrent aussitôt.

Envie ennui impatience intérêt désir colère stress curiosité bonheur espoir amusement sérénité…

Et parmi eux, ténu, si ténu qu’il aurait pu passer à côté : détresse terreur désespoir souffrance souffrance SOUFFRANCE

C’était un appel à l’aide, il en était certain. Il y avait un Gardefé dans les parages.

Et celui-ci souffrait le martyr.

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