Chapitre 33 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'espère que ce chapitre vous plaira :-) Bonne lecture

Je suis devant la porte de la chambre d’Isis, un classeur calé sous le bras. Je préfère travailler dans ma chambre. Je n’en peux plus de voir mon bureau. J’aimerais prendre de ses nouvelles avant de m’enfermer pour bosser, mais je n’arrive pas à frapper. Depuis que Tellin m’a rappelé mon rôle ici, j’éprouve un profond malaise. Je ne vaux pas mieux que lui et cela m’est insupportable. Si j’avais été plus rapide et moins aveugle, elle n’aurait pas souffert. Je lève mon poing prêt à signaler ma présence, mais je me retiens la seconde d’après. Je ne peux pas me montrer devant elle ce soir. Je n’y arriverai pas. Pardonne-moi, Isis. Je fais un pas de côté et me retrouve face à chez moi. Cette fois-ci, je n’hésite pas et entre. Je dépose mes dossiers sur mon lit et me mets à l’aise. Je m’installe le plus confortablement possible, mais je ne commence pas tout de suite. Je ferme les yeux et me remémore la réunion de tout à l’heure. J’ai bien vu au regard de Tellin qu’il m’en voulait. Pourtant, cela n’aurait pas changé le choix de notre chef. Je crois surtout que Tellin n’a pas apprécié que j’aie préféré ma sœur. Ces deux-là se détestent vraiment comme chien et chat. Je ne lui ai jamais promis ma contribution. Il n’a rien à me reprocher. Celui qui m’a surpris aujourd’hui, c’est mon père. Je suis contente qu’il ait cloué le bec à Tellin au profit de Hans, mais d’un autre côté, j’aurais souhaité qu’il fasse moins attention au colonel. Cela pourrait s’avérer dangereux pour la suite. Tellin peut très facilement se venger pour cette humiliation publique. J’ouvre mon classeur et attrape la première feuille qui se présente à moi. Je ne vois pas à quoi je peux servir pour la préparation de la mission. Je ne connais pas bien la partie Sud. Les rares fois où je suis sortie, j’étais sous les ordres de quelqu’un. Je ne sais que me battre. Pour preuve, on ne m’a pas désigné de tâches particulières à part rédiger un rapport sur la réunion et étudier le plus possible. Ma main me démange, j’ai envie de frapper dans n’importe quoi. Ils ont fini de me prendre pour leur larbin ? Le secrétaire du maréchal peut très bien se charger de ce rapport. Il a assisté à toute la réunion. D’ailleurs, j’ai expédié cette corvée en deux temps, trois mouvements dès que je suis retournée dans mon bureau. Je remarque que Luna a écrit un petit commentaire sur un post-it. « Étudie bien les cartes ». Je le jette à l’autre bout de la pièce. Elle me prend vraiment pour une gamine. Ce n’est pas ma première mission. J’observe à nouveau mon classeur. J’ai beaucoup à retenir. Je dispose les documents de manière à voir plus clairement. Je commence par analyser les informations sur les rebelles. Ce qui me surprend, c’est que l’on ignore qui est leur chef. L’armée possède énormément de données sur d’autres membres, mais rien sur la tête du réseau. D’ailleurs, je ne trouve aucune information sur ce Tim qui a failli me découvrir. Il semblait pourtant occuper une place importante au sein du mouvement. J’examine les feuilles à nouveau. Ce n’est pas possible de ne rien connaitre sur leur chef, j’ai dû manquer une page. Après la quatrième lecture, je dois me rendre compte à l’évidence, je n’ai rien à son sujet. Je demanderai demain à Luna. Elle doit en savoir plus que moi. Après les rebelles, je m’occupe des cartes. Même si ma sœur me l’a recommandé, je ne m’attarde pas trop dessus. Hans doit nous donner des précisions demain. Les heures s’écoulent. Je ne vois pas le temps passer. Je mémorise tout ce que je peux. Pour ceux à qui je tiens, je ferai de cette bataille une victoire.

 

Je me réveille en sursaut comme à chaque fois que je réussis à m’endormir. Je tourne la tête vers mon horloge, il est presque sept heures. J’ignore quand je me suis assoupie. La lumière est toujours allumée et le contenu de mon classeur est éparpillé sur mon lit et le sol. Je me lève. Je déteste quand le sommeil me surprend de cette manière. Cela ne me repose absolument pas. J’hésite à changer de chemise puis finis par le faire. Je suis peut-être bonne pour une nuit blanche aujourd’hui. Je ramasse mes dossiers et les range. Mon ventre crie famine. Je me rappelle que je n’ai rien mangé depuis les biscuits de Luna la veille. Je sors et frappe chez Isis. Celle-ci m’ouvre. Je remarque qu’elle est déjà habillée. Je lui propose de se doucher, mais elle refuse. Elle semble aller mieux qu’hier.

- Comment te sens-tu ? Tu n’as plus mal ? lui demandé-je.

- Non, ça va, répond-elle.

Je m’accorde un sourire en soupirant de soulagement.

- Tant mieux. Je vais déjeuner. Tu m’accompagnes ?

Elle hoche la tête. Elle ferme sa porte et se place à mes côtés. Je frappe chez ma sœur lorsque nous passons devant sa chambre. Autant la prévenir que je m’occupe d’Isis ce matin. Le silence me répond. Luna doit être probablement déjà au travail. Alors que je m’apprête à partir, la porte s’ouvre et mon ainée apparait sur le seuil. Je devine à ses cheveux en bataille et ses yeux rouges qu’elle devait être en train de dormir.

- Pardon de t’avoir tirée de ton sommeil, m’excusé-je.

- Aucun problème, me rétorque-t-elle en bâillant. Je me suis couchée tard… enfin tôt ce matin. Que me veux-tu ?

- Simplement te prévenir qu’Isis est avec moi.

- Ça marche.

Sa main se place devant sa bouche alors qu’elle est prise d’un nouveau bâillement.

- Désolé, Elly. Allez, à ce soir, moi je retourne au lit.

- À tout à l’heure, Luna.

Un dernier salut et ma sœur referme derrière elle. Nous nous remettons en marche pour prendre notre petit déjeuner.

 

Nous arrivons rapidement au réfectoire. Il y fait encore relativement calme, mais cela ne devrait plus durer. Après m’être servie auprès du cuisinier de la base, je pars en quête d’une place. Je finis par en trouver une dans un coin. Je m’installe et quelques instants plus tard Isis me rejoint. Nous attaquons notre repas en silence. C’est rare que nous mangions ensemble. D’habitude à cette heure-ci, je suis à l’entrainement. Isis dépose sa tartine pour me demander :

- Quel est le programme aujourd’hui ?

Je suis tellement désolée pour elle, mais je n’ai rien à lui donner.

- Je dois préparer la réunion de cet après-midi.

- Ah, je vois, répond-elle presque déçue.

J’attends qu’elle ait terminé de manger avant de me lever et de rendre mon plateau. Nous nous dirigeons ensuite vers mon bureau. À l’intérieur, je m’adosse à ma table. Avant de me remettre au travail, je dois m’assurer qu’Isis va bien, mais je dois surtout m’excuser comme je l’ai fait avec Hans.

- Pardonne-moi.

Mon aide de camp se retourne le même sourire plaqué sur le visage

- Pourquoi ? Ce n’est pas ta faute.

- Si. Si j’étais allé voir Tellin tout de suite, rien de tout cela ne serait arrivé.

- Personne n’aurait pu le prévoir. De toute façon, je mérite ce coup. J’ai été beaucoup trop naïve. Tu avais raison, je dois être plus méfiante.

Le fait qu’elle reconnaisse qu’elle doit davantage se méfier me soulage, mais je ne peux pas accepter le reste de sa phrase qui m’a choqué.

- Ne dis pas ça. Cette violence gratuite est inadmissible. Tellin n’avait pas à te frapper. Un point c’est tout.

Lorsque je dis ces mots, je me hais. Isis n’a rien avoir avec tout ça. Je veux la protéger, mais je n’y arrive pas. Je ne sers à rien. Ce n’est pas après les actes qu’il faut agir, c’est avant. Mon aide de camp semble perdue, triste peut-être, je ne saurais le dire. Je m’avance et pose mes mains sur ses épaules.

- Isis, je sais que je t’ai dit de ne pas me faire confiance. Je regrette ces mots. Si tu as quelque chose sur le cœur, n’hésite pas. Je te promets de t’écouter.

Pour toute réponse, elle éclate en sanglots. Je suis un peu déstabilisée. Je n’ai jamais été douée pour consoler les gens. L’image de Magda m’apparait. Je me décide de l’imiter en serrant Isis contre moi et en lui frottant le dos.

- El… Elena, hoquette-t-elle. Je voudrais tant revenir chez moi.

- Je sais et je te promets de faire tout mon possible pour que tu y retournes.

Elle relève la tête. J’ignore si je vois dans son regard la surprise ou la perplexité. Elle s’écarte et me demande d’une voix pleine d’espoir :

- C’est vrai ?  

Non, je ne peux rien lui garantir. Si je parviens déjà à la tenir en vie, je serais contente, mais je ne peux pas lui dire ça. Après une seconde d’hésitation, je finis par lui répondre :

- Je te le jure.

Je ne sais pas quand ni comment y arriver, mais cette promesse semble avoir redonné du courage à Isis. Un faible sourire apparait sur ses lèvres. Je reprends :

- À ton tour de me faire une promesse. Ne te déplace jamais seule. Reste toujours avec quelqu’un de confiance. Moi, Luna, Nikolaï, Hans ou même Liam. J’ai l’impression que tu t’entends bien avec lui. Luna m’a certifié qu’il était digne de confiance et venant d’elle, je ne crains rien.

Isis rougit légèrement au nom de Liam puis me répond :

- Je te le promets.

L’instant d’après, elle me serre de nouveau contre elle.

- Merci Elena. Qu’est-ce que j’aurais fait sans toi ?

Je bafouille puis m’écarte. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de reconnaissance. Je sais qu’au fond de moi, je ne mérite pas cette gratitude. J’ose tout de même espérer qu’en agissant ainsi, je pourrais peut-être me racheter pour tous les crimes que j’ai commis. Je culpabilise tellement pour ce que j’ai fait et ce que je vais accomplir. Je donnerais n’importe quoi pour me faire pardonner, mais j’ignore si cela est possible pour moi. Je pense à Hans et à son attitude bienveillante envers moi. Pourquoi agit-il de la sorte ? J’aimerais lui demander, mais je n’en ai pas le courage pour l’instant. Un jour peut-être me le dira-t-il. C’est avec des gens comme lui que j’ose espérer que tout n’est finalement pas perdu. Isis a rejoint sa place habituelle. Pour ma part, il est grand temps que je retourne à mon étude.

 

Je sors de la réunion, crevée. Il doit être minuit passé. La séance s’est éternisée sur le plan d’attaque. Je bâille à m’en décrocher la mâchoire. Nikolaï se place à côté de moi. On a fait appel à lui pour aujourd’hui. Il me lance un sourire auquel je réponds.

- Je ne vais pas tarder à aller me coucher, dis-je. 

- Moi non plus. On doit être en forme pour le combat.

Luna et Hans s’approchent de nous.

- Si nous allions boire un verre ? propose ma sœur.

- Ah non, je suis claquée, répondis-je.

- Ce ne sera pas long promis.

Avant d’avoir pu protester, elle m’empoigne par le bras puis se tourne vers les garçons.

- Cela vaut aussi pour vous.

Les deux frères se contentent de hocher la tête dans un même élan. Personne ne dit non à Luna. Celle-ci nous amène dans son bureau. Elle ouvre son frigo puis le referme avec une mine un peu contrariée.

- Je n’ai qu’une tournée de jus de fruit ou de thé à vous proposer. Je pensais qu’il me restait encore quelque chose.

Nikolaï s’esclaffe avant de se lever pour se diriger vers la sortie.

- Je pense qu’il doit me rester quelque chose, dit-il un brin moqueur à l’attention de ma sœur. Je vais voir.

Il revient l’instant d’après avec quatre bières. Luna lui saute au cou et l’embrasse à pleine bouche. Je rougis et détourne le regard pour leur laisser un semblant d’intimité. Hans semble lui aussi quelque peu gêné par cette effusion de sentiment. Après s’être repris, Nikolaï nous tend à chacun une bouteille. Je refuse, car j’ai besoin d’avoir l’esprit lucide ici. Luna me lance un regard plein de reproches. Je l’ignore. Elle peut déjà être contente que je sois là. Je me sers un verre de jus d’orange pendant que les autres décapsulent leurs bières. Je retourne m’asseoir à côté d’eux.

- Santé ! s’exclame mon ainée en levant sa bouteille.

Nous faisons tinter nos boissons. Luna finit la sienne d’une traite puis attaque celle prévue pour moi avec plus de modération. Les garçons dégustent. Je trempe à peine mes lèvres dans mon jus. Je n’ai pas très soif. Nous discutons de tout et de rien excepté de notre mission. On évoque notre enfance. En tout cas en ce qui me concerne, uniquement les années où j’étais avec Luna. Je n’ai aucune envie de parler de ce que j’ai vécu avant de rencontrer ma demi-sœur. Les deux frères quant à eux racontent anecdote sur anecdote et j’ai bien du mal à réprimer de nombreux fous rires. Le temps passe. La fatigue commence par s’estomper peu à peu. On plaisante. Je me sens bien. Malheureusement, tout instant a une fin et il est déjà l’heure de se quitter. Luna me retient. C’est vrai, elle devait encore me parler. Je lui demande si cela ne peut pas attendre demain, mais elle insiste. Je me résigne une nouvelle fois à faire ce qu’elle veut. Nous saluons Hans et Nikolaï puis nous retournons dans le bureau de ma sœur. Je reste debout. J’attends ce que Luna a à me dire. Ses épaules sont voutées. Elle me sourit, mais je remarque bien que quelque chose la tracasse.  

- Alors ? demandé-je

- Je voulais juste profiter d’un dernier moment avec toi.

- Ce n’est pas la première bataille que nous menons toi et moi. Il n’y a pas à s’inquiéter, affirmé-je.

Cela me fait bizarre de dire ça. D’habitude, c’est Luna qui tient ce rôle. C’est elle qui me rassure, pas l’inverse. Je me mets à angoisser. Si Luna est dans cet état, c’est que quelque chose ne va pas. Je reprends d’un ton hésitant.

- Tu crois que l’on va perdre ?

- NON ! hurle mon ainée avant de continuer plus bas. Ce n’est pas ça, Elena. C’est juste que… que tout me parait incertain. C’est la première fois que je dirige une troupe pareille. Je crains de ne pas être à la hauteur. 

En deux enjambées, je suis devant elle. Je l’attrape par les épaules.

- Tu es quelqu’un de fort, Luna. Ne l’oublie pas. Je crois en toi comme Nikolaï et Hans.

Pour la première fois depuis que je suis arrivée dans cette base, ma sœur éclate en sanglots. Me voilà de nouveau contrainte à consoler, mais contrairement à Isis je connais parfaitement la personne qui se tient en face de moi. J’enlace Luna et la laisse pleurer tout son saoul.

- Ce sera ma dernière faiblesse, Elena. Je te le promets.

- Je te crois, soufflé-je.

Je m’écarte. En me redressant, j’ai l’impression que Luna me glisse à l’oreille « Pardonne-moi », mais lorsque je l’interroge, elle nie. J’ai dû rêver, la fatigue sans doute. Je quitte ma sœur qui semble avoir repris du poil de la bête. Je bâille. Il est grand temps de se coucher. Je m’enfonce dans les couloirs de la base qui ne sont plus éclairés. Plus qu’un jour avant l’affrontement.  

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Cléo
Posté le 07/11/2020
Une scène d'avant bataille qui m'évoque un peu ces moments dans les jeux vidéos où le héro/l'héroïne et ses alliés se rassemblent une dernière fois. C'est le genre de scène où tu sais que ça va chier des bulles dans trois minutes et que tout le monde ne va peut-être pas revenir indemne. Mince... maintenant j'ai peur de la suite !

Étrange, ce comportement de Luna en tout cas. Je comprends qu'elle ait peur de mener toute cette troupe à la bataille, mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a autre chose :/
Zoju
Posté le 08/11/2020
J'avais envie d'écrire ce passage, même s'il peut sembler vu et revu. Il permet de souffler un peu dans cette histoire où se qu'ils vivent n'est pas forcément des plus joyeux.
annececile
Posté le 11/05/2020
On dirait qu'avant la bataille, les uns et les autres ont en tete qu'ils peuvent y rester et se font d'ultimes recommandations et promesses, sans s'avouer leur inquietude trop directement. Du coup le suspense augmente, bien joue! J'etais surprise par la remarque d'Elena "Je ne veux pas être un poids comme je l’ai été lors de ma dernière mission." alors qu'elle n'a pas ete un poids, c'est meme elle qui a ramene Tellien, le poids mort c'etait plus tot lui a ce stade de la mission. "Je craque mon dos", c'est une formulation qui me semble curieuse, j'imagine plutot "mon dos craque" ou je m'etire pour detendre mon dos et percois des craquements? Elena pense au pardon et se demande "si cela existe". C'est un peu etrange, pour mon oreille en tout cas de le dire comme ca. Le pardon existe, elle pourrais se demander plutot si un pardon sera jamais possible pour elle, ou si elle pourra jamais demander pardon et dans ce cas, a qui? Bon courage pour la suite!
Zoju
Posté le 11/05/2020
Merci pour ton commentaire ! Concernant le poids qu'elle pense être, pour elle, c'est pratiquement Tellin qui a tout fait. Elle estime aussi que si son supérieur a été blessé, c'est parce qu'elle a manqué de vigilance. Je vais réfléchir à cette phrase car elle ne m'a jamais convaincu. Pour le pardon, c'est un vaste sujet qui est également au centre de ton histoire. :-) Elena est quelqu'un de très pessimiste. Pour elle, la notion de pardon est assez abstraite. Quand elle se demande si le pardon existe, elle se demande s'il existe pour elle. Elle demande surtout comment faire pour l'obtenir. Je vais essayer de mieux reformuler dans mon texte. Merci de continuer à me suivre. :-)
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