Chapitre 32 - "Elle"

  • Je t’attendais, mon enfant.

Till ne répondit pas. Il serrait dans la sienne la main d’Iwar, refusant de la lâcher, comme si ce simple geste avait le pouvoir de le retenir encore un peu dans le monde des vivants. Son regard fixait avec intensité le visage de son père pour graver chacun de ses traits dans sa mémoire. Il savait qu’avec le temps le souvenir s’estomperait. Il ne voulait pas oublier.

  • Tu dois le laisser s’en aller à présent. Il est attendu.

Des tambours retentissaient au loin, une résonnance sourde, un murmure entêtant, puis le martellement rythmé s’intensifia jusqu’à éveiller l’attention du garçon. Il leva les yeux, les parois de la grotte se dressaient jusqu’à la voûte étoilée. Un minuscule soleil s’en détacha, suivi bientôt par d’autres ; une pluie de soleils qui descendaient à sa rencontre. En quelques instants, la grotte tout entière fut illuminée. Puis les astres minuscules s’unirent pour donner corps à une femme aux longs cheveux de soie.

  • Bonjour Till. Je suis Hedda, ta mère.

Till hocha la tête, il savait. Elle s’agenouilla à ses côtés, embrassa son front. Longuement. Un baiser qui dura une éternité, effaçant l’absence, les regrets, une mélancolie qui n’avouait pas son nom. Puis, elle posa délicatement la main sur le cœur de son père qui ouvrit les yeux.

  • Il est temps, mon aimé. Je suis venue te chercher.

Déjà, elle s’écartait. Sous le regard incrédule de Till, son père se leva pour rejoindre Hedda. Chaque pas qui l’éloignait vidait son corps pour l’emplir de lumières. Il enlaça longuement Hedda avant de se tourner vers lui :

  • Ne sois pas triste car je suis heureux à présent. Garde toujours ton cœur généreux et ne doute jamais de ce que tu es.
  • Enfant de l’Île, enfant des Sables et enfant de l’Amour, Till. Nous serons toujours à tes côtés, murmura Hedda.

Tout en prononçant ces dernières paroles, Hedda avait tendu un bras vers ce ciel étrange qui n’en était pas un. Un oiseau, habillé de mille éclats de nuit, vint se poser sur sa main. Il étira ses ailes, tournant son regard vers le garçon. Dessiné en une ligne parfaite au-dessus d’un œil de saphir, un trait de plume immaculé. Le cœur de Till tressaillit. Thiya !

  • Kraâ, moi bien dire Thiya spéciale ! Till voir de ses yeux maintenant.

La joie de Till n’avait d’égale que sa stupéfaction. Bien sûr, il savait son amie originale mais jamais il n’aurait pu imaginer qu’elle soit… qu’elle soit…

  • Thiya veilleur ! Thiya veille. Krâa. Toi compris maintenant !

Till hocha la tête sans piper mot, son visage affichait cette expression d’incrédulité émerveillée qu’ont parfois les humains confrontés à des manifestations qui les dépassent. Hedda sourit.

  • Nous te le confions encore, Thiya. Prends bien soin de lui.
  • Krâa, les Esprits croire quoi ? Que Thiya se rouler plumes toutes ces années ! Bon Thiya encore affaire, Thiya disposer maintenant ?

Et sans attendre de réponse, la corneille s’envola. Là-haut, Iwar et Hedda n’étaient déjà presque plus qu’un souvenir.

  • Au revoir mon enfant, entendit Till dans un ultime souffle.

Ils étaient partis. Le ciel s’était refermé, ne restaient que les parois moussues et les restes calcinés de ce qui avait été autrefois un homme.

  • Es-tu triste, mon enfant ? demanda « Elle », avec une grande douceur.
  • Je le devrais mais je ne le suis pas. Pas vraiment. « Rien ne meurt jamais », c’est Piblô qui dit ça. Je crois qu’à présent, je comprends ce qu’il voulait dire.
  • Seuls les cœurs purs et désintéressés accèdent au monde des Esprits.
  • Que va-t-il advenir de lui ? questionna Till en désignant le technovateur.
  • Lui retourne à la poussière.

« Elle » souffla, le corps allongé perdit alors toute consistance pour se disperser dans les airs. Puis elle tourna son visage vers Till :

  • Sais-tu ce que signifie « Kokoën » ?
  • C’est le nom que ces hommes ont donné à l’île, un nom de là-bas.
  • « Kokoën », est un nom emprunté à un dialecte très ancien qui signifie « La Source », expliqua « Elle ». Dans l’esprit étroit de cet homme, il ne pouvait s’agir que d’une source de richesse matérielle, l’objet dénaturé de sa quête. Mais le sens premier de ce nom signifie : Source de la vie. De toute évidence, il l’ignorait. En vérité, il ne pouvait y avoir de meilleur choix pour désigner notre île. Sans le savoir, ce choix est probablement ce que cet homme a fait de meilleur.

Peut-être… Mais Till n’avait pas envie de débattre des aspirations du Technovateur. Ce qu’il désirait à présent plus que tout, c’était regarder vers l’avenir.

  • Nous reverrons-nous ?
  • L’histoire n’est pas encore écrite. Tu dois rejoindre les tiens maintenant. Va, mon enfant.

Une ouverture se matérialisa dans la paroi de la caverne. Au moment de la franchir, Till se retourna :

  • Merci, dit-il.

Mais « Elle » avait disparu.

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Edouard PArle
Posté le 13/11/2022
Coucou !
Je suis assez d'accord avec Claire, ça n'aurait pas été désagréable une petite baisse de rythme après le chapitre précédent, très intense.
Sympa d'apprendre que Thiya était envoyée par Hedda, ça rajoute un quelque chose au personnage de la corneille (=
Bon, tant qu'il y a "suivant", je clique dessus xD
Hortense
Posté le 14/11/2022
Oui, là encore je vais prendre le temps de respirer ! Dans ce chapitre, on apprend que Koköen signifie la source, je me disais que "La Source" ferait un meilleur titre. Qu'en penses-tu ?
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 14/11/2022
Je t'avoue que je n'ai pas forcément de préférence, "elle" est aussi un bon titre
Claire May
Posté le 24/09/2022
Oh quelle surprise, de savoir que Thiya était une envoyée d'Hedda !! J'étais toute émue jusqu'à ce que... je me rende compte que Till s'en était remis bien avant moi ! Prends ton temps, nous on aime bien pleurer pour les personnages :')
C'est un joli chapitre, qui va trop vite :D
A bientôt
Hortense
Posté le 28/09/2022
C'est vrai que j'ai écrit aussi vite que le cheval qui galope en sentant l'écurie, visiblement trop, emballé par la proche fin. Tu as raison il faut que je respire et prenne un peu le temps.
Je revois ma copie, merciiiiiii !
Claire May
Posté le 28/09/2022
Je comprends, en même temps j’ai fait pareil avec bell et le loup, dix fois trop vite ^^
Claire May
Posté le 28/09/2022
Je comprends, en même temps j’ai fait pareil avec bell et le loup, dix fois trop vite ^^
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