CHAPITRE 32

CHAPITRE 32 

 

1.

Soupe au miso dans les bols, petits légumes marinés au vinaigre, poisson grillé et riz dans l’assiette d’Akira, mon premier petit déjeuner japonais.

Akira me sourit tandis que je m’installe à la table ronde. Katsumi nous rejoint, une bouilloire à la main.

- Les sachets de thé sont là, dit-il en montrant une direction de la tête.

Le thé, oui, ça c’est important. Je peux tout affronter après une bonne tasse de thé.

- Nous avons du pain de mie et du miel, assure Akira.

Commencer la journée avec des tartines ? A cette idée, Katsumi lève les yeux au ciel avec un petit sourire. Je regarde le container de plastique blanc, carré et plat, posé devant lui. Il l’ouvre soigneusement puis remarque mon attention.

- Nato ! lance-t-il gaiement. Tu veux goûter?

- Soja fermenté, explique Akira. Non, tu ne veux pas goûter.

Le fait est que le nato n’est pas très appétissant : un petit amas de haricots beiges. Katsumi en prélève quelques-uns avec ses baguettes, connectés les uns aux autres par des filaments. On dirait du fromage fondu, mais c’est le résultat de la fermentation. Je souris.

- Oui, pourquoi pas?

Katsumi en laisse presque tomber ses baguettes. Son visage exprime une surprise exagérée et la joie de la victoire tandis qu’il se tourne vers Akira, comme si ma réponse lui donnait raison dans un débat précédant mon arrivée. Il glisse devant moi la boîte de Nato avec une paire de baguettes.

Alors qu’il fait ce mouvement dans ma direction, je remarque un oiseau exotique tatoué sur son cou, sous son oreille. Je ne l’avais pas vu hier - un foulard vert étroitement noué le couvrait. L’oiseau est une œuvre d’art, tout en mouvement et en couleurs vives. Je suis sur le point de faire une remarque admirative quand Akira, sous la table, effleure mon genou. Son visage est impassible, tandis qu’il porte un morceau de poisson à sa bouche avec ses baguettes. Il n’a même pas besoin de me regarder. Je comprends et je me tais, me concentrant sur le nato.

- Alors ? demande Katsumi après ma première bouchée. Tu peux cracher si ça ne te plaît pas.

Mon garçon, au cours des siècles j’ai mangé du rat et d’autres choses que je ne vais pas mentionner ici, alors ton soja fermenté, c’est du velours.

- On dirait… du fromage… dis-je pensivement. Un fromage qu’on aurait affiné bizarrement… Ce n’est pas mauvais!

Je finis la portion. Akira rit et lève les mains dans une admission de défaite.

- De quoi j’ai l’air, moi, maintenant ? Je ne supporte pas ce machin.

Katsumi me lance un baiser.

 

2.

Finirai-je jamais par apprendre, siècle après siècle ? Ignorer une attaque de panique ne la fait pas disparaître. Elle semble refluer pendant quelque temps puis surgit à nouveau avec une force renouvelée. Je n’ai même pas eu le temps de réaliser. J’ai été engloutie.

La foule infinie, dans cette intersection connue pour être couverte de monde, m’a plongée dans un malaise que j’ai espéré mettre de côté le temps de notre exploration.

- Shibuya, ce n’était pas une bonne idée, soupire Katsumi sur un ton d’excuse.

Marchant à mes côtés sans me regarder, le jeune homme sourit avec regret. Nous sommes dans un parc, calme, aux arbres majestueux. L'allée est large, permettant aux groupes de promeneurs de garder leurs distances les uns avec les autres.

- Où sommes-nous?

- Meiji Shrine, ce n’est pas très loin de Shibuya. Je t’ai attrapée par le bras quand j’ai vu que tu allais t’effondrer et nous avons marché jusque-là. Tu te laissais mener, même si tu n’avais pas l’air complètement… présente.

Nous restons silencieux un moment. Je reprends souffle progressivement. J’ai vécu dans des forêts, les arbres ont été mes complices. Ils m’ont abritée, cachée. La présence de toute cette végétation autour de nous me rassure. La forêt, la nature, le lieu de la consolation, selon Anne Franck… Cette enfant des villes avait tout compris.

Je cherche un banc du regard mais je n’en vois aucun. Le promeneur japonais ne fait pas de pause. Aux Etats Unis, il y aurait de quoi s’asseoir tous les vingt mètres. 

- Ma mère avait des réactions un peu comme les tiennes, dit mon compagnon, rompant le silence. Sortir de la maison, même sans aller loin, c’était une épreuve pour elle. C’est pour ça qu’elle m’emmenait partout. Elle regardait l’expression de mon visage. Si j’étais souriant, détendu, elle savait qu’il n’y avait pas de danger objectif - juste cette angoisse en elle. Alors elle se risquait à ma suite. Elle m’appelait sa “petite sentinelle”.

Nous échangeons un sourire. Je remarque qu’il porte à nouveau un foulard pour masquer son tatouage. Il poursuit :

- Ce n’est pas très pratique d’avoir peur… enfin, d'être mal à l'aise en présence d’une foule, quand on est au Japon. Nous sommes très nombreux... Essayons de trouver une façon de contourner ce problème…

Il reste songeur quelques instants. Je le regarde du coin de l'œil. J’ai une solution toute trouvée. Rester dans l’espace harmonieux de leur maison avec Akira …

- Si tu devenais invisible, est-ce que ça t’aiderait ?

Je ne m’attendais pas à cette question.

- Oui, je crois. Tu as une baguette magique ?

Il rit. Ai-je fait une allusion scabreuse ?

- Je peux te rendre invisible. Si tu veux.

Ça a pris presque cinq heures, mais il a réussi.

 

3.

Mes cheveux sont longs, un rideau dont je perçois le poids sur mes épaules.  Les couleurs évoquent une forêt : des teintes vertes et auburn voisinent artistiquement avec le bleu qui m’est devenu habituel. Une frange et des mèches plus courtes encadrent mon visage. Et je suis dotée de lunettes de soleil en forme d'étoiles. Quand je les porte, avec ma peau mate, on peut imaginer que je suis asiatique. Katsumi et moi portons des tenues assorties, qui évoquent des personnages du monde des mangas. Alors que les histoires de ce média sont souvent situées en milieu urbain, les personnages que nous incarnons évoluent dans une forêt dont ils sont les protecteurs. Nous portons des chemises aux motifs caractéristiques dans des camaïeux de verts.

Cette transformation a eu lieu dans le salon de coiffure d’un de ses amis, situé à l'intérieur d’un grand magasin où nous avons trouvé nos nouveaux vêtements.

Katsumi s’est lui aussi donné la peine de teindre ses cheveux à nouveau : il a ajouté des couleurs similaires aux miennes. Nous sommes assortis. Je suis à présent la moitié d’un couple. Et un personnage de fiction. Je me sens doublement dissimulée.

C’est vrai que, tandis que nous nous promenons au milieu des passants, je me sens invisible alors même que j’attire les regards. Katsumi a tenu sa promesse.

Nous avons pourtant failli nous accrocher. Il insistait pour que je porte une mini-jupe comme le personnage que j’incarne. Impensable.

- Mais tu as de jolies jambes, répétait-il avec obstination, contrarié de cet obstacle à réaliser sa vision.

Porter une mini-jupe - et celle qu’il me propose est particulièrement courte - laisser à découvert tant de ma personne, c’est inviter la panique à bord. Je sens l’oppression me gagner.

Finalement, je suis sur le point de lui sauter à la gorge et de lui décrire en termes graphiques la facilité avec laquelle les prédateurs peuvent faire basculer une femme en jupe courte pour la dominer, et ensuite l’accuser de les avoir provoqués.

Katsumi perçoit, je suppose, que c’est une bataille qu’il ne gagnera pas, et soudain, il cède. Il sourit et propose des alternatives. Je porte finalement une paire de corsaires qui s'arrête juste sous le genou.

Lorsque nous parcourons à nouveau les rues de Tokyo, Katsumi semble ravi, c’est comme si le moment de tension entre nous n’avait jamais existé. Il me dit qu’il a eu une idée dont il a hâte de parler à Akira.

Nous sommes de nouveau à Yanaka, dans le cimetière. Une promenade paisible pour terminer notre première journée. Sa mère repose-t-elle ici ? Je n’ose pas poser la question. Le chemin est irrégulier entre les tombes étroites et les nombreux arbres.

- Ce sont des sakuras, de la famille des cerisiers, explique-t-il. Quand ils sont en fleurs, c’est tellement joli.  C’est dommage que tu ne sois pas venue au printemps….

A l'entrée, on trouve un espace de jeux pour les enfants, dont nous entendons les rires pendant notre promenade. Si j'étais enterrée quelque part, hypothèse d'école, je crois que j’aimerais entendre des enfants jouer.

- Je n’arrive pas à comprendre quelque chose, reprend Katsumi d’une voix hésitante.

- Oui ? Quoi ?

- Tu as vécu si longtemps… tu as dû vivre tant de situations… tant de… enfin, comment se fait-il que… je veux dire, tu as dû t'habituer…

Il tourne en rond dans ses propos pendant un moment, craignant de m’offenser. Je l’interromps finalement.

- Tu te demandes pourquoi je suis atteinte par des attaques de panique alors que je devrais être blindée, blasée, après avoir vécu tant de siècles ?

- Euh… oui….

Je lui souris.

- Je me pose la question moi-même. Je crois que les traumatismes se sont accumulé quelque part en moi… Je peux souvent les laisser de côté. Mais ça ressort quand je m’y attends le moins. Par exemple, je viens de vivre plusieurs années à Paris, en dirigeant la cuisine d’un restaurant, et ça se passait très bien, je me sentais accomplie et sûre de moi. Très heureuse, aussi. Mais depuis cette explosion en mars dernier, les mauvais souvenirs se déchaînent. J’ai vécu plus de crises ces derniers mois que depuis... au moins un demi-siècle. C’est décourageant, je ne te le cache pas. Humiliant, aussi.

Katsumi attrape ma main et la serre.

- Tu es très courageuse, assure-t-il

Je ne m’attendais pas à cette affirmation et elle me va droit au cœur.

- Akira le dit souvent, poursuit-il. De vous deux, c’est toujours toi qui t’es trouvée au cœur des batailles, pas lui. Tu es une guerrière et lui, un dilettante qui évite les conflits en jouant du piano, de la guitare et en charmant les gens.

- Quoi, il dit ça ?? C’est lui qui m’a appris à me battre quand nous nous sommes rencontrés au Moyen Age !

Le jeune homme a un mouvement fataliste des épaules.

- C’est ce qu’il dit…

 

4.

Après avoir admiré notre nouvelle apparence, Akira est entrepris par son boyfriend qui lui parle avec enthousiasme. Il me fait un petit signe, quand tous deux descendent l’escalier, qui signifie : rejoins-nous en bas !

Dans ma chambre, une surprise m’attend. Sur le lit, des vêtements soigneusement pliés : deux pantalons légers et souples dans des tons sombres, des t-shirts larges et confortables, des ballerines pour aller et venir dans la maison. Tout est à ma taille. Un cadeau d’Akira qui a aussi lavé les vêtements, ils sont encore tièdes de leur passage dans la sécheuse. Et, en nous entendant arriver, il a mis en route l’air conditionné dans ma chambre pour que la fraîcheur m’accueille.

La vie avec Akira, c’est ça. Quoiqu’il advienne, la prévenance et la gentillesse sont au rendez-vous.

 

5.

Je descends l’escalier avec prudence, marche après marche : je tiens mon ordinateur portable dans mes bras. Cet ordinateur, c’est mon lien avec Tacoma et mon fiancé. Je viens de lire l’email où il m’apprend qu’il va s’adresser à la congrégation dimanche. Ce ne sera pas un sermon. Il va parler de son parcours, de son crime, de ses années en prison. La plupart des paroissiens savent… mais il veut officiellement partager son passé.

- Libby est d’accord avec moi. Depuis que je travaille à l'église, des liens se créent avec les uns et les autres, et je ne veux pas que qui que ce soit puisse penser que j’ai dissimulé mon crime et trahi leur confiance. Le conseil presbytéral est au courant, bien sûr… mais il est temps que je parle à la congrégation.

Et je ne serai pas là pour le soutenir. 

En bas, je suis distraite par la taille de la pièce où je viens d’arriver. Je comprends qu’une classe entière ait pu s'y installer. L’atelier est spacieux et clair : la lumière du jardin entre abondamment grâce à de larges portes-fenêtres.

Plusieurs divans et fauteuils sont aussi disposés à quelque distance, formant une demi-lune d'où l’on peut confortablement admirer les œuvres d’art en cours de création. C’est là que mon frère et son amant se sont installés, ils parlent avec animation. Un carnet à la main, Akira prend des notes.

Je me pose sur un des fauteuils. Katsumi saute sur ses pieds et déplie une petite table devant moi. Je le remercie tout en y posant mon portable. Il saisit la belle théière en fonte posée devant eux, me verse une tasse de thé et me la tend.

J’ai pris une douche rapide et je porte à présent un des pantalons confortables choisis par Akira, et ce qui est finalement plus une tunique qu’un T-shirt, mauve pâle, avec un lien autour de la taille. Nos yeux se croisent et j’articule un “merci” silencieux en posant la main sur mon vêtement.

Tandis que je bois ce thé, dont j'apprécie la chaleur malgré son amertume, Katsumi m’explique son idée : proposer aux jeunes Tokyoïtes de devenir une œuvre d’art le temps d’une soirée. Leur chevelure peut devenir forêt, comme la nôtre, ou se transformer en flammes, en une crinière de lion ou les écailles d’un dragon. Katsumi prévoit d'élaborer les motifs à l'avance avec ses amis coiffeurs et stylistes pour qu’ils soient simples à réaliser avec des teintures temporaires, des extensions, comme pour moi, des ajustements au ciseau et une mise en plis. Des motifs plus abstraits pourraient aussi être envisagés, et aussi des commandes personnelles, pour ceux qui ont en tête un univers bien précis.

- La jeunesse japonaise, et aussi les moins jeunes, aiment devenir quelqu’un d’autre le temps d’une soirée, d’un concert, d’une party ou même de vacances…, explique- t-il. Qu’est-ce que tu en penses?

Je l’assure de mon enthousiasme. Les deux hommes se plongent à nouveau dans leur conversation, ce qui me permet de me tourner vers l'écran de mon ordinateur.

Je parcours l’email de Greg à nouveau. Le regret de ne pouvoir être à ses côtés dimanche me tenaille. Son récit, sur la plage, me revient à l’esprit, ainsi que le tout premier baiser qui avait suivi. Et la façon dont il m’a embrassée quand je me suis cachée dans la chambre d’Amy. La surprise et la joie, alors que je m'attendais à une confrontation tendue. Je sens en moi ce vide, son absence. Il me manque tellement.

J’essaie de faire taire ces émotions avec des arguments raisonnables. Rester dans l’ombre est le bon sens en action pour un Semblable, surtout avec Guillain et Bergaud dans la région. Je ne sais pas s’ils se parlent, ou même s’ils se connaissent. Tous deux m’ont vue à l'église, mais loin de Greg, Dieu merci.

Greg… Si je retourne à Tacoma, il faudra bien que je lui dise la vérité à mon sujet… Pensera-t-il que j’ai trahi sa confiance pendant ces mois de silence ?

Je profite d’une pause dans la séance de stratégie marketing de mes hôtes pour lancer une question.

- Akira, comment as-tu fait pour expliquer à Katsumi que tu étais un Semblable ? Quand as-tu su que c’était le moment?

Ma question jette un froid, c’est le moins qu’on puisse dire. Tous deux se sont figés et leur expression est soudain sérieuse, triste même. Akira chuchote quelque chose et Katsumi hoche la tête, le visage sombre.

Mon frère se tourne vers moi.

- C’était presque un accident, dans un sens. Bon. J’ai fait une mauvaise rencontre dans un parking un soir, je me suis fait tabasser, c’était violent. J’ai réussi à rentrer chez nous, et là, bien sûr, dès qu’il m’a vu, Katsumi a voulu appeler une ambulance… j’ai dû lui expliquer que ce n’était pas la peine. Je n’avais pas la force d’inventer une histoire… Je lui ai dit la vérité.

Je suis horrifiée.

- Mais je ne savais pas ! C’est arrivé quand ? Tu as su pourquoi ? Ils voulaient ton argent?

Akira jette un regard rapide vers son boyfriend et pousse un soupir.

- Ça s’est passé trois jours après l’explosion de ta bombe. C’est pour ça que je ne t’en ai pas parlé, tu n'étais pas exactement disponible.

- Ils ne l’ont pas attaqué pour le voler, intervient Katsumi sombrement. Ce sont des yakuzas qui ont fait ça, des membres de la mafia japonaise, et ils l’ont fait à la demande de mon père.

Je le regarde, saisie. Akira hoche la tête, acquiesçant à la déclaration du jeune homme qui poursuit :

- Mon père veut me ramener à la vie qu’il avait prévue pour moi. Alors que ça fait plus de dix ans que j’ai quitté ma famille. Je ne leur ai jamais demandé d’argent. Je vis de mon côté, mais il continue à me faire surveiller et à écarter les hommes qui pourraient faire partie de ma vie. Il me veut sans attache. Chaque fois ! Chaque fois que je rencontre quelqu’un, soudain il disparaît. Il ne veut plus me revoir. Je pensais que ça venait de moi ! Que j’avais déçu, que je n'étais pas à la hauteur. Ce que je ne savais pas - jusqu'à Akira - c’est que dès que je commence à voir quelqu’un, il se retrouve menacé, un couteau sous la gorge, s’il ne renonce pas à cette relation. C’était quand, pour toi ? Une semaine ?

Akira a un sourire embarrassé.

-  Oui, les menaces et le couteau, c’était après cette première semaine où on s’est vu tous les jours.

- Il ne m’a rien dit sur le moment ! poursuit Katsumi. Mais il n’a pas rompu ou disparu, lui.

- Le tabassage, c’était trois mois plus tard, au moment où on achetait cette maison.

- Si tu avais vu dans quel état il était, reprend Katsumi, rougissant sous l’effet de la colère. Ils lui ont cassé une main, parce qu’ils se sont dit que c’était la pire chose à faire à un artiste…

- En trois jours, c’était réparé, commente Akira, qui visiblement souhaite calmer les émotions, celles de Katsumi et les miennes.

- ls lui ont cassé le nez, son visage était en sang, ils l’ont bourré de coups de poing, il avait des côtes brisées… et son foie… il vomissait de la bile...

J’agite la main vers lui pour qu’il cesse son énumération. Je me sens physiquement malade en imaginant ces hommes s’acharner sur mon frère.

- J’ai expliqué à Katsumi que je n’avais pas besoin d'hôpital, reprend Akira qui essaie vaillamment de faire évoluer la conversation dans une direction moins brutale. Je lui ai dit que j’avais une particularité génétique, que j’allais vite cicatriser. Je lui ai promis que si mon état n’avait pas évolué dans le bon sens au matin, on irait aux urgences.

- Le lendemain, j’ai vu, et je l’ai cru…

Moment de silence. Je marche de long en large, la main sur ma bouche.

- Je suis allé voir mon père le lendemain, poursuit Katsumi, interrompant mon cheminement. Il n’a même pas nié ! Je lui ai dit, respectueusement, que si quiconque s’attaquait à Akira a nouveau - car ils lui ont dit que, s’il restait avec moi, la prochaine fois ils le tueraient - je mettrais fin à ma vie. Et je le ferai ! Je lui ai demandé de cesser de me considérer comme son fils. Il a d’autres enfants, de son deuxième mariage ! Il m’a répondu que sa dévotion à ma mère l'empêchait de renoncer à me faire revenir au sein de la famille. La pauvre, si elle savait… En fait, il veut avoir le dernier mot, c’est tout.

Akira se lève, remplit ma tasse de thé, me la tend avec son sourire chaleureux :

- Bois. C’est le passé, ne te laisse pas bouleverser. Aucune menace ou hostilité depuis. Nous sommes prudents. Selon nos projets, nous engageons deux, trois gardes du corps, des gens de confiance, juste pour être tranquilles… Un peu comme Burke et Garrick, tu te souviens ? Et j'évite les parkings désormais.

Katsumi reste sombre, les yeux fixés au sol. J’ai eu tort de poser cette question en sa présence. Je veux alléger l’ambiance. Je me tourne vers lui.

- Tu m’as dit que c’était ici que les cours de peinture de ta mère avaient lieu? Comment était-ce organisé ? Où étais-tu installé ?

Katsumi donne des explications et petit à petit se détend. Il raconte des anecdotes, montre où le tabouret qui lui servait de table était posé, le long du mur où se trouve la porte qui doit mener à leur chambre commune, décrit le professeur si admiré de tous. Puis il annonce avec un sourire qu’il va préparer le dîner. Je propose de l’aider mais il refuse poliment.

- Non, tu es en vacances ici. Pas question de te mettre au travail.

Il monte l’escalier en quelques enjambées. Je m’approche d’Akira, pose ma tête contre sa poitrine. Il m’entoure de ses bras. Je murmure mes regrets d’avoir abordé le sujet. Il hausse les épaules.

- Autant que tu saches… Et puis maintenant, tu comprends peut-être un peu mieux ce que je ressens quand j’apprends qu’il t’est arrivé quelque chose… On est d’accord, j’ai passé un mauvais quart d’heure. Un vrai quart d’heure, quinze minutes, c’est tout ! Ce n’était pas la Gestapo qui me torturait, ou un camp de concentration, ou une bombe qui m’a presque coupé en deux…

La tête toujours posée contre sa poitrine, je soupire. J’entends son cœur battre. Je me sens plus accablée que jamais. Il ajoute :

- C’est pour ça que…

Il sent la tension immédiate dans mon cou, mes épaules. Il interrompt son allusion à son désir de me voir rester au Japon. Après quelques instants, je me dégage et le regarde. Il est triste, si peu habitué à ce que nous soyons en désaccord.  Je caresse sa joue.

- Je suis désolée de ce qui t’est arrivé. Et visiblement, ça a été très pénible pour Katsumi aussi…

- Cette situation lui pèse beaucoup … Mais ta question sur les cours de peinture, c’était parfait. Tu as vu comme il était content d’en parler !

Il lève les yeux vers la cuisine.

- Tu sais quoi ? Installe-toi, réponds à tes emails. Je vais lui donner un coup de main.  

Il m’embrasse sur la joue et va rejoindre Katsumi.

 

6.

Tara et Ryu, les personnages issus de l'univers manga que nous incarnons, protègent la forêt où ils vivent. Ils forment un couple romantique, tirant de leur amour la force de lutter contre leurs ennemis : des industriels rapaces qui veulent abattre les arbres et/ou en tuer les animaux.

Cet univers est complètement nouveau pour moi mais ici, Tara est connue et aimée : je suis souvent saluée par des gestes approbateurs. Katsumi reçoit aussi des saluts et signes de connivence.

Je ne lui ai pas demandé ce qui l’avait conduit à choisir ces personnages créés par deux célèbres artistes écologiques. Le thème de la forêt, peut-être, facile à intégrer dans des chevelures déjà bleues ? Le combat contre des industriels tout puissants qui lui rappellent son père ? En tout cas, pendant nos visites, il se donne du mal pour que nous correspondions à l'image de nos modèles, un couple amoureux. Il est plein d’attentions, me tient le bras ou la main.

Nous sommes assis dans un petit restaurant, dégustant des onigiris. Ce sont des bouchées de riz agglutiné, le plus souvent triangulaires, agrémentées d’une ceinture d’algue séchée. J’ai pris l’habitude de laisser Katsumi commander pour nous deux. Je veux goûter ce qu’il choisit, la sélection d’un Japonais de souche. Mais ce jour-là, le chef du petit restaurant nous surprend en nous présentant des onigiris en forme de cœur qu’il a façonnés pour nous en nous voyant entrer dans son établissement. Il aime Tara et Ryu et est ravi d’offrir ce repas à des clients qui incarnent ses héros. Katsumi le remercie pour nous deux.

Nous commençons à les déguster quand Katsumi me demande des nouvelles de Greg. J’ai mentionné qu’il allait prendre la parole devant la congrégation. Ce qu’il a fait il y a trois jours.  

- Il m’a dit que ça s’était très bien passé. Les paroissiens ont été chaleureux avec lui, l’ont soutenu. Je crois qu’ils étaient déjà tous plus ou moins au courant, en fait. Beaucoup de gens viennent le voir depuis, ils partagent leur propre histoire, ou lui demandent conseil parce qu’ils veulent pardonner… ou être pardonnés... Marion, la mère de sa victime, est venue l’écouter avec son mari. Et elle a pris la parole, à la fin. Greg avait dit, en parlant de Michael, l’adolescent qu’il a tué, qu’il voulait accomplir la vie qu’il aurait vécu, avec la générosité et le cœur dont il a entendu parler… Et Marion l’a repris. Elle lui a dit d’être lui-même, de ne pas chercher à être quelqu’un d’autre, même Michael. Elle a ajouté qu’elle avait confiance qu’être « Greg » suffirait pour qu’il mène une vie dont Michael aurait été fier. Greg était bouleversé… Et puis elle a ajouté quelque chose qu’il ignorait. Elle a dit que Michael avait expérimenté avec des drogues peu de temps avant sa mort. Et que, qui sait, les rôles auraient pu être inversés entre son fils et Greg. Et à ce moment-là, John, le mari de Marion, s’est levé et a quitté le sanctuaire.

Katsumi lève les sourcils.

- Ooh… murmure-t-il.

- Oui, Greg était désolé, d’autant que John n’est pas revenu, il aurait voulu lui parler. Marion lui a dit par la suite que John était furieux contre elle, et de ce qu’elle disait de leur fils, pas contre lui. Elle lui a demandé de ne pas chercher à le contacter. Greg est très….

Je fais un geste au niveau de mon cœur, comme si je froissais un papier. Je poursuis.

- Il se demande si le mari l’a vraiment pardonné, en fait. Ou s’il a suivi le mouvement de Marion pour la soutenir, elle. C’est toujours avec elle que Greg a correspondu quand il était en prison. Ce sont ces lettres qui ont créé la fondation de leur relation. Greg n’hésite pas à écrire très longuement quand quelque chose lui tient à cœur…

Katsumi reste silencieux un moment, et je me demande s’il m’écoute toujours. Finalement, il reprend la parole :

- Le pardon, c’est difficile… Quand tu nous as raconté l’histoire de Greg, je me suis demandé si je pourrais pardonner à mon père, un jour. Ce qu’il m’a fait, la façon dont il a manipulé ma vie… peut-être. Mais pardonner la façon dont il traitait ma mère, et ce qu’il a fait à Akira, ça… Je crois qu’Akira souffre encore de cette agression.

- Tu veux dire, physiquement ? Non, il a cicatrisé, il est… réparé.

Katsumi me raconte alors que mon frère hésite à sortir spontanément, comme ils le faisaient avant, pour voir des amis, aller au cinéma ou dîner dans un restaurant du quartier.

- Il trouve toujours de bonnes raisons mais je crois qu’il est encore traumatisé, soupire-t-il. Qu’en penses-tu ?

Katsumi a peut-être raison. Le fait est, Akira a toujours été l’extraverti dans notre relation, m’entrainant hors de ma cuisine pour des virées impromptues.

- C’est possible… dis-je prudemment. Ça ne fait pas si longtemps, finalement.

Il enchaîne avec une question qui me prend au dépourvu :

- J’ai vu, quand nous sommes arrivés de l’aéroport, parfois vous vous embrassez sur la bouche ? Il m’a dit que c’est fréquent.

Ça me fait rire, surtout après la gravite de ce dont nous venons de parler, mais lui reste sérieux.

- Ça t’inquiète ? Nos baisers sont très innocents.

Il sourit et baisse les yeux sur son assiette. Malgré son sourire, l'expression préoccupée qu’il a parfois le soir apparaît sur son visage. Je vois cet air anxieux quand Akira et moi bavardons. Pourtant, nous prenons soin de parler anglais pour qu’il ne se sente pas exclu, alors même qu’il s’adresse souvent à mon frère en japonais, que j’apprends mais ne parle pas encore et comprend à peine. Et je remarque à quel point Akira met prudemment une certaine distance physique entre nous, soucieux de ne pas intensifier l’inquiétude tourmentée de son boyfriend.

Provoquée par l'indiscrétion de sa question, j’ajoute :

- Rien que du baiser en surface. Pas de langue. Nous ne sommes pas des girafes !

La veille, nous avons passé la journée au zoo de Tokyo, dans le parc Ueno. Beaucoup de visiteurs cherchaient à voir les pandas mais nous avons admiré les girafes un long moment. Katsumi a griffonne des croquis, saisissant en quelques traits leurs mouvements gracieux. De jeunes employées du zoo en uniforme kaki leur tendaient des morceaux de patates douces et feuilles de laitues et nous ont invité à faire de même. Nous avons été impressionnés par la longueur et la souplesse de leur langue d’un noir bleuté.

Ma réponse le surprend : il éclate de rire et je l’imite. Et dans la foulée de cette explosion de bonne humeur, il me parle de sa sœur.

- Mon père m’a invité cette année à l’anniversaire des jumelles, les cadettes, qui fêtaient leurs 20 ans. C’est l'âge de la majorité, ici, tu sais. Alors, ils ont organisé une grande soirée avec famille et tous leurs amis et mon père m’a envoyé une invitation avec un mot manuscrit de sa main, me demandant de venir, que mes sœurs espéraient mieux me connaître. La dernière fois que je les ai vues, c’étaient des petites filles. Bon, j’en ai parlé à Aki, il m’a conseillé d’y aller, c’était peut-être le début d’une… comment dirais-je, une normalisation de nos relations ?

- C’était avant ou après l’agression d’Akira ?

- C’était avant, bien sûr.

Il verse de la sauce soja sur son cœur de riz et en mord la pointe, puis avale une gorgée de bière. Il poursuit.

- La soirée n’avait pas grand intérêt, la musique était assourdissante, les jumelles riaient beaucoup avec leurs amis, elles savaient à peine qui j'étais et n’avaient aucune curiosité à mon égard. Mais l'aînée des trois, Nobuko, c’était autre chose. Elle a 23 ans. Imagine…  Totale provocation de ce qu’on attend d’une jeune fille japonaise, surtout dans une famille influente comme la nôtre. Elle est censée être fine et délicate, comme les jumelles d’ailleurs le sont, et avoir une attitude souriante, discrète. Nobuko, c’est tout le contraire. Quand je l’ai vue, j’ai pensé “on dirait une vache”.

Il voit ma réaction de surprise, un peu choquée. Il sourit et explique :

- Oui, ce n’est pas très gentil, mais c’était une observation spontanée. D’ailleurs, pour moi végétarien, une vache est un animal bénéfique et qui mérite protection. Quoi qu’il en soit, Nobuko est massive, ce soir-là, elle était vêtue d’un tailleur qui ne l’arrangeait pas, on sent qu’elle se fiche de son apparence. Elle a ce regard profond, presque minéral. Intimidante. Elle ne sourit pas. Très intelligente et, je peux l’imaginer, redoutable en affaires.  Elle adore mon père. Tout ce qu’elle veut et espère, le but de sa vie, c’est travailler avec lui et devenir son bras droit, lui succéder. Elle a fait des études poussées en économie, elle a obtenu un Master à Harvard… Elle a aussi ramené des Etats Unis un franc parlé parfois brutal qui, là aussi, n’est pas du tout dans la tradition japonaise, surtout pour une femme. Bref, ce soir-là, elle m’a vu et j’ai senti aussitôt son hostilité. Elle m’a abordé, et sa première question, c'était : pour qui tu te prends ? Comment peux-tu vivre en osant refuser l’honneur que notre père veut t’offrir ? C’est quoi, cet enfantillage ? Alors je lui ai expliqué qui je suis, ma décision de suivre mon propre chemin. Finalement, nous ne sommes pas si différents. Elle se sent isolée, n’a rien en commun avec les jumelles. Et nous sommes tous deux impuissants face à la volonté de notre père, même si ce que nous espérons de lui est complètement opposé. Je voudrais lui donner ce qu’il m’offre, tout de suite et pour toujours ! Je le lui ai dit ! Et pendant que nous parlions, dans un coin de ce salon immense où la soirée avait lieu, j’ai dessiné des esquisses de son visage - oui, je l’ai arrangée un peu, qu’elle ait plaisir à se voir - et quand je lui ai montré, son expression a changé, j’ai deviné qu’elle se disait “il a un certain talent, c’est un fait… ”

- Vous êtes encore en contact ?

- Pas vraiment… parce que figure-toi… Cette soirée a eu lieu le soir où Akira a été agressé. Ce n’était pas un hasard. Mon père s’est assuré de ma présence à la soirée pour que je ne risque pas d'être dans les parages… Et comme il escomptait que je perde mon boyfriend ce soir-là, il avait l’espoir que je me tourne vers ma famille de sang, juste redécouverte, après avoir été abandonné par mon compagnon… Evidemment, ce n’est pas ce que je suis venu lui dire le lendemain. Je lui ai demandé : mais pourquoi, pourquoi, s’accrocher à l'espoir que je change radicalement, au lieu de choisir Nobuko qui a déjà passé des années à se préparer à ce rôle et n’attend que ça…

Il soupire. Après un moment de silence, j’interviens.

- Et qu’est-ce qu’il a répondu ? Il y avait pensé, tu crois ?

Katsumi secoue la tête avec tristesse.

- Ce serait tout simple, mais non, ce n’est pas son intention. J’ai l’impression qu’il est embarrassé par Nobuko, son apparence, sa façon brusque de s’exprimer, et puis c’est une femme. Elle ne porte pas le prénom de notre grand-père. Ce n’est pas ce qu’il a prévu. Il lui a donné un poste subalterne dans sa compagnie. En fait, il faudrait qu’elle parte, qu’elle trace son propre chemin, loin de lui … Il la respecterait davantage.  Mais elle ne quittera jamais son entourage. Elle va passer sa vie à l’idolâtrer, à attendre et espérer… Elle m’a envoyé un message ce soir-là, indignée que je sois venu “faire une scène", que j’ai osé menacer de me suicider. Je m’occupais d’Akira. Je n’ai pas répondu.

Il a un petit geste fataliste.

 

7.

- J’ai du mal à comprendre ton boyfriend…

Akira cesse un instant d’effleurer mes omoplates, ce qui, il le sait, me plonge dans une détente délicieuse. J’adore ces moments où il me rejoint dans mon lit, au milieu de la nuit ou avant le petit jour.

- Bienvenue au club, dit-il avec légèreté. L’animal est complexe, c’est un fait… Fascinant aussi. Tiens, ce soir, enfin hier soir, ça l’amusait de m’appeler ‘sa girafe’. Au début de notre relation, ça l'agaçait que je sois nettement plus grand que lui, il craignait qu’on ne nous prenne pour un père et son fils, c’est typique, sa façon de réagir en se moquant de moi… Ce n’est pas méchant.

Je me tourne légèrement pour voir son visage et reprends :

- Non, je veux dire… Il est adorable quand nous faisons du tourisme ensemble, il me fait des confidences sur sa famille... Mais le soir, il me regarde comme si j'étais une intrigante prête à te voler …

- Oui, il fait des crises d'anxiété quand il me voit avec d’autres, comme si soudain j’allais disparaître avec quelqu’un de nouveau… ou quelqu’un d’ancien, en l'occurrence. Il a été si seul, pendant tant d’années…  Ce n’est pas rationnel, il s’en rend bien compte. Mais ça le fait souffrir. Ça me désole de le voir ainsi. Parfois, j'évite même de sortir, de voir certains de nos amis, rien que pour éviter que ça ne se produise… Tu sais, je lui ai demandé ce qu’il pensait de la possibilité que tu restes à Tokyo avec nous.

Je me détourne.

- On avait dit…

- Je ne cherche pas à te convaincre, c’est juste une information ! Il est d’accord, il m’a dit que de tous nos amis, les miens et les siens, tu es celle avec laquelle il se sent le plus confortable.

Je me redresse et m’assois en tailleur sur le lit, à ses côtés.

- Tu ne vois pas le paradoxe ? Tu veux que je reste avec toi alors que tu as été battu comme plâtre par la mafia locale, et menacé de mort. A Tacoma, la seule menace est ton sentiment imprécis d’un danger.

- Ici, les menaces ne te visent pas, toi ! Et tu as dit "imprécis” ?

Il compte sur ses doigts.

- Un, Bergaud, deux Guillain, trois Clarissa - enfin, Libby - qui se fait poignarder, probablement par Bergaud, et quatre, Aemouna a disparu.

- Elle n’a pas disparu à Tacoma.

Nous nous regardons, conscients d'être revenus à la case départ de notre discussion.

- Je ne veux pas quitter Greg… dis-je doucement. Est-ce que tu quitterais Katsumi dans ma situation ? Tu restes avec lui en dépit du danger…

Akira pousse un profond soupir.

- Oh, Xavier, pourquoi essaies-tu d'avoir le dernier mot à tout prix ? Ne peux-tu pas simplement me faire confiance ? Ce ne sont pas des Semblables qui me menacent ici, ça fait toute la différence !

Je ne lui réponds pas. Il se penche vers moi et m’embrasse. Nous nous serrons l’un contre l’autre puis il glisse hors du lit et retourne auprès de Katsumi. Alors que je tente de trouver une position confortable pour m’endormir, j’ai la surprise de voir ma petite Sainte près de moi. Je lui souris.

- Quel plaisir de te voir ! Ça faisait longtemps ! As-tu un conseil à me donner? Tu as dû entendre notre conversation.

Comme elle le fait souvent, Emilie ne répond pas à ma question.

- J’ai vu passer un de tes amis, annonce-t-elle simplement.

- Quoi ? Passer où ?

Emilie ne dit rien de plus, elle me sourit et pose la main sur ma joue. Je sens la fraîcheur de sa paume un instant, puis je suis seule à nouveau.

 

8.

Nous rentrons de notre journée au parc national Chichibu-Tama-Kai, cette fois en voiture. Katsumi et moi avons tenté de convaincre Akira de venir avec nous - ne suis-je pas méconnaissable, maintenant que je suis devenue Tara ? Et nous serons bien moins visibles en voiture qu’en transports en commun. Mais il a refusé en souriant, nous faisant signe de partir avec de grands gestes, comme on envoie des enfants s’amuser dehors.

- Tu vois ? soupire Katsumi. Ça devient de pire en pire.

- Quand je serai repartie, ça ira mieux, le fait est, ma présence l'empêche d’aller où que ce soit avec toi… Vous devriez aller quelque part tous les deux, et me laisser garder la maison…

- Il ne voudra pas… 

Le parc est superbe, et même si nous ne faisons qu’y passer, contrairement aux campeurs et randonneurs que nous apercevons, la beauté des paysages, des rivières et des collines nous fait regretter de ne pas la partager avec Akira.

Le trajet du retour semble interminable et nous arrivons à Yanaka plus tard que nous le faisons d’habitude. La nuit tombe. L'anxiété de Katsumi est perceptible. Je ne sais pas si Akira est encore traumatisé par l’agression qu’il a subie, en revanche Katsumi est visiblement toujours frappé de l’avoir retrouvé en sang après avoir passé la soirée avec sa famille.

Quand finalement il ouvre la porte d'entrée, Akira ne nous accueille pas dès notre arrivée comme il le fait d’habitude. Tout est sombre, la maison semble vide. Katsumi appelle Akira, jette un regard dans la cuisine, descend vers leur chambre à une vitesse qui montre son affolement croissant. Je reste immobile dans l'entrée, enveloppée d’une espèce de torpeur. Ma façon de paniquer.

Soudain j’entends la voix de Katsumi. Il parle japonais mais je saisis un mot de ci de là, et son intonation me permet de comprendre le tout.

- Qu’est-ce que tu fais ici, sans aucune lumière ? J’ai failli ne pas te voir ! Tu m’as fait une peur !

Je descends les rejoindre, Akira est installé dans un des fauteuils. Katsumi allume différents éclairages. Akira le laisse faire, sans bouger ou dire quoi que ce soit. Je connais cette expression et je la crains.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? dis-je à mi-voix, cette fois en vieux Saxon dans mon émotion.

Il répond sans me regarder.

- Iain.

- Iain quoi?

- Iain a été détruit.

Sous le choc, je me laisse tomber à ses côtés.

- Quoi??  Comment?

- Son avion…

- Il nous disait que si son avion s'écrasait, il serait juste blessé, pas détruit !

- Son avion ne s’est pas écrasé. Il a explosé en plein vol.

Akira lève les yeux vers moi.

- Une bombe. Dans son avion. Quelqu’un a mis une bombe dans son avion. 

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Edouard PArle
Posté le 19/10/2022
Coucou !
Aie... Pauvre Iain, il était sympa comme gars. Mais ce rebondissement a l'intérêt de montrer que les éternels ne sont pas invincibles, qu'ils peuvent bel et bien être en danger. L'attentat à l'origine de sa mort est assez inquiétant, je me demande qui en est à l'origine (semblable, humain ?) , si ça a un lien avec les problèmes récents de Max. Bref, ça soulève pleins de questions, c'est intéressant !
Sinon, cette escapade au Japon est sympa, j'aime bien le changement d'ambiance, le fait de côtoyer d'autres personnes. Katsumi est un personnage intéressant, on apprend beaucoup de choses sur sa famille et lui dans ce chapitre. Ils forment un drôle de couple avec Akira.
Malgré tous ces éléments positifs, j'avoue que Greg me manque. ^^ J'adore ce personnage ! Tu as vraiment réussi à en faire quelqu'un de super attachant et intéressant. J'espère que Max ne va pas trop tarder à le retrouver xD
Mes remarques :
"- Tu es très courageuse, assure-t-il" manque le point
"Il me manque tellement". peut-être qu'enlever le tellement rendrait la phrase encore plus percutante ?
"Ça me fait rire, surtout après la gravite" -> gravité
Un plaisir,
A bientôt !
annececile
Posté le 25/10/2022
Merci de ton commentaire ! Ca me fait plaisir que tu apprecies le personnage de Greg, qui va d'ailleurs etre au centre de chapitres a venir... Et tu remarques justement ce que j'esperais accomplir avec ce voyage au Japon : etre un peu dans une autre atmosphere que Tacoma, tout en restant dans le present. Et j'approuve ta suggestion sur le "tellement". J"ai tendance a etre "verbeuse" et je coupe beaucoup de phrases et mots par la suite. Ici aussi, la concision est plus parlante !
Merci encore de ta lecture ! :-)
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