Chapitre 31 - Une routine à retrouver

Par Keina

Ses vraies ailes ? Qu'avait-elle voulu dire ? Quand Ianto rentra chez lui, cette nuit-là, il n'avait pas vraiment de réponses et beaucoup de questions. Cependant, après sa rencontre avec l'elfine, il ressentait un certain apaisement, comme si elle lui avait transmis une partie de sa sagesse et de sa quiétude, et il parvint enfin à dormir d'un sommeil sans rêve.
Pourtant, l'elfine n'était pas restée longtemps. À peine avait-elle parlé des ailes de Ianto qu'elle se tut, comme honteuse d'avoir lâché un important secret. Elle lui sourit doucement, et le Gallois n'arrivait toujours pas à saisir ce qui se cachait derrière ce sourire. De la tristesse ? Du regret ? De l'espoir ? Puis elle était repartie comme elle était arrivée, petite vieille ratatinée cheminant légèrement au-dessus des rochers.

Pourquoi le hasard l'avait-il amené à elle ? Était-ce vraiment le hasard ? Il se promit d'interroger Jane à son sujet ; a priori, les deux se connaissaient. Étaient-elles parentes ? L'elfine n'avait rien mentionné à ce sujet, mais elle s'était montrée très mystérieuse…

Quand il voulut trouver l’aveugle, le lendemain, Beve, qu'il croisa entre deux couloirs au Château, lui indiqua qu'elle était repartie avec Kat, toujours en quête des nouveaux Gardeféss disséminés à travers les mondes. Ce fut donc à la Reine Blanche qu'il parla de sa rencontre incongrue, et Beve ne put s'empêcher un sourire railleur en écoutant la description qu'il faisait de l'elfine.

— Je reconnais bien là Mun'di. Jane l'appelle grand'mère, et du coup elle ne peut pas s'empêcher d'apparaître à nous autres humains sous la forme d'une vieille indigente…

— Elle n'est pas ainsi d'habitude ?

Un mouvement négatif de la tête.

— Les elfes du Royaume, les mémorieux, n'ont pas de substance corporelle, ils ne sont que pure magie. Comme les elfides, ils peuvent prendre l'apparence qui leur sied le mieux…

— Alors, si je comprends bien, elle m’a fait une blague ? fit Ianto avec un petit sourire. Moi qui la croyais vraiment impotente…

— Elle fait le coup à tout le monde, si ça peut te rassurer, ajouta Beve dans un rire avant de s'éloigner.

Ianto réalisa qu'il ne lui avait pas demandé la question qui le turlupinait : pourquoi Mun'di lui avait-elle parlé de ses ailes ? Mais il était trop tard. Il haussa les épaules et se dirigea vers les escaliers qui menaient au bureau de Classification des Mondes. Après tout ce qu'il avait vécu auprès de la cellule d’exploration, il avait un travail à reprendre, et une routine à retrouver.

 

Comme il s'y attendait, Angie se jeta à son cou en remerciant tous les Jones de l'univers de le revoir entier et bien portant.

— Je suis déjà mort une fois, et je suis invulnérable. Qu'est-ce que tu crois qu'il pourrait m'arriver, Angie ?

La jeune brune haussa les épaules, boudeuse.

— Tu aurais pu tomber sur un Collectionneur…

L'allusion refroidit tout de suite l'atmosphère, et il fallut l'arrivée inopinée d'Andy, en retard, comme d'habitude, pour que la conversation rebondisse sur les aventures de Ianto dans les différents mondes qu'il avait exploré. Andy en connaissait déjà la plupart - il avait en effet passé la nuit avec Malik. Mais Angie insista pour tout savoir, et il leur fallut bien toute la matinée et deux pauses café pour, enfin, parvenir à se mettre au travail, avec les nouvelles données que Ianto leur apportait.

La journée fila à une vitesse qui étonna le Gallois, lui qui pensait que la vie au Royaume allait lui sembler particulièrement ennuyeuse après l'adrénaline qui l'avait poussé en mission… Mais avec l'aide de ses deux acolytes, et l'intervention d'une urgence venue de la Logistique, il n'avait pas vu le temps passer.

Angie l'avait invité à se soûler ensemble dans son antre, mais il avait poliment décliné l'invitation. Ce soir-là, il avait envie d'être seul. Il mangea un fish & chips qui lui rappela les brasseries de Cardiff Bay, regarda à la télévision une rediffusion d'Eastender  vieille d’au moins quinze ans (sur les télévisions du Royaume, les programmes de différents mondes étaient diffusés de façon très aléatoire, et suivant la chaîne choisie, le téléspectateur pouvait tomber aussi bien sur une obscure télé-novella mexicaine, une émission de variété japonaise des années soixante, ou un blockbuster qui n'était pas encore sorti).

Il était minuit passé lorsqu'il décida finalement de rejoindre la chaleur de son lit. Il redoutait encore un peu le moment de s'endormir, mais après la soirée de la veille, l'angoisse s'était changée en une vague appréhension qui n'allait pas tarder à se résorber. Il ferma les yeux. La bière qu'il avait avalée avec son fish & chips lui était un peu montée à la tête, et il se sentait lourd et ensommeillé. À peine sa tête se posa sur l'oreille qu'il sombra dans le sommeil.

 

Et soudain…

Il s'y trouvait à nouveau. Aux côtés de son capitaine, Gwen lui parlant dans l'oreillette, pour enquêter dans un antique pub de Cardiff où se déroulait une séance de spiritisme à l'objectif suspect.

C'était… incompréhensible. Le cœur battant à tout rompre, les idées bouillonnantes, Ianto tenta, comme d'habitude, de remonter les souvenirs de son double. Peut-être avait-il été dans le coma durant ces derniers mois ? Peut-être y avait-il une explication logique à ce retour impromptu ?

Mais, dans l'esprit de Ianto-le-double, il n'y avait rien. Pas de passé, pas d'avenir. Même pas la trace de leurs échanges.

C'était comme si ce Ianto-là n'avait pas d'existence propre. Comme s'il n'était qu'une chimère, un souvenir.

Un fantôme.

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