Chapitre 31 : Le cœur de la Fédération

La carriole bringuebalait dans les rues inégales de Topia. Coincé, sous sa tente, le Baroudeur repoussait un petit bout de tissu pour jeter un œil au paysage. La pluie s’était tue, les nuages s’ouvraient pour déverser sur les maisons hétéroclites une lumière fraiche. Les Automates patrouillaient sèchement au milieu des habitants aux vêtements encore humides. Ils fixaient les soldats d’un air insistant, pourtant leur regard semblait passer au travers. Parfois, il venait se planter dans la prunelle du Baroudeur.

— J’aurais aimé libérer ma cité, énonça Agnès d’une voix mi-grognon, mi-triste. Ses habitants aussi.

Kotla eut un sourire compatissant.

— Déclencher les hostilités maintenant ruinerait notre plan et…

— Je sais, gamin.

Elle soupira, puis fronça son nez dru.

— C’est la première fois que je quitte cette ville depuis vingt-deux ans.

Sous la lumière tamisée de la toile, ses quatre alliés Gontrand, Victoria, Chemino et Lieberkhün affichèrent des mines mélancoliques. Ils pensaient sans doute à l’époque bénite où les terres étaient vierges d’Estiens, ou les seuls obstacles étaient les locaux sous-armés. Une nostalgie que ces derniers ne partageaient pas.

— Moi aussi, j’ai dû quitter ma patrie il y a trois ans, confia alors Neska. Elle me manque tous les jours, mais je ne regrette pas d’être partie. Car je sais que tout ce que je fais à l’autre bout du monde, c’est pour elle et ceux qu’elle abrite.

Kotla sourit et se rapprocha presque imperceptiblement de son amie. Agnès se contenta d’opiner, pensive, ce qui devait s’apparenter à une franche accolade considérant son tempérament. Ce n’était pas si mal.

Le Baroudeur glissa encore un regard au dehors. Les murailles de Topia, cerclée par le camp militaire de la Compagnie, disparaissaient déjà dans les brumes du matin. Elles furent bientôt avalées par la plaine.

 

***

 

Afin de répartir chacun dans les différentes Meutes, Clans et Hardes, l’ensemble des représentants de tous les partis devaient se réunir pour se coordonner. Il fallait un lieu proche du théâtre des opérations, le Marêt, mais pas à l’intérieur pour ne pas subir les assauts de la Compagnie. Il fallait aussi qu’il soit central pour permettre une circulation plus rapide de tous les peuples. Une destination avait paru claire dans l’esprit du Baroudeur.

L’auberge de Molly avait pris la poussière. Les samaïs avaient barricadé les portes et les fenêtres avec des planches cloutées. Les tombes de Molly, Furie et Karen étaient toujours là. Une personne s’y recueillait à leur arrivée.

Le Baroudeur mit du temps à reconnaître la Main de l’Ombre, ancien collègue de la défunte. Son visage avait changé, sa mâchoire étaient devenue plus carrée, ses boutons d’acné avait disparu. Et son regard était un océan de calme. Le nouveau venu descendit précipitamment de la carriole.

— Qu’est-ce que tu fais là ? lança-t-il d’un air agressif.

L’autre se tourna posément vers lui.

— Bonjour, Long-Marcheur. Je rends hommage à ma camarade décédée, comme vous pouvez le voir.

Le Baroudeur douta presque qu’il soit en face du gamin hystérique qu’il avait brièvement connu tant cet homme respirait la sérénité. Son cache-œil, lui, ne trompait pas.

— Mes amis sont arrivés peu avant vous. Maintenant que vous êtes là, nous allons pouvoir ouvrir la maison. Ils souhaitaient à tout prix vous attendre.

— Amis ?

— Les guerriers samaïs à qui vous m’avez confié, il y a trois ans.

L’ancien chasseur de prime se décala sur la gauche pour laisser voir derrière lui un groupe d’Ouestiens assis à l’ombre. Le Baroudeur s’approcha, intrigué, et fut encore plus étonné de voir qu’ils jouaient aux cartes. Ils étaient pourtant connus pour s’opposer farouchement à la culture des colons.

— Bienvenue, Hêsog, dit l’un d’eux. Nous t’attendions. Allons ouvrir la maison de notre lîta.

Sans un mot de plus, les guerriers samaïs déposèrent leur cartes et s’attelèrent à libérer les ouverture de l’auberge de leur prison de bois.

— Les gens ont changé, par-ici, remarqua Kotla.

— On dirait bien, approuva Neska. Que diriez-vous d’aller les aider plutôt que de rester plantés là ?

Ses compagnons hochèrent la tête. Agnès vint elle-aussi leur prêter main forte, vite suivie par Victoria, Chemino et Gontrand. Seuls Lieberkhün, qui ne voulait probablement pas abîmer ses doigts délicats d’artiste, et Ellis, restèrent à l’écart, à l’ombre d’un baobab.

L’auberge avait été figée dans le temps. Rien n’avait bougé depuis son attention. La lumière filtrante dessinait des rideaux de poussière sur les chaises éparpillées. De grandes taches brunes se languissaient sur le sol, rappelant les funestes évènements qui s’y était déroulés. La Main de l’Ombre s’arrêta devant le poêle où le Baroudeur avait tué Karen.

— Je suis désolé, lâcha ce dernier.

L’amertume imprégnait son palais quand il se remémora son accès de colère meurtrier. Les larmes lui piquèrent les yeux sans qu’il ne les laisse en sortir.

— Elle m’avait beaucoup parlé de vous, souffla l’homme au bandeau. Elle vous appelait « son petit frère ».

Le Baroudeur déglutit et préféra ne pas répondre. Il se détourna pour aller ouvrir une fenêtre. Il se trouva alors nez à bec avec un faucon pèlerin.

— Ah, c’est pour moi ! fit Kotla.

Il tendit un morceau de viande au rapace qui le goba immédiatement.

— C’est quel groupe ? demanda son ami.

— La délégation de Marova.

Neska, qui dépoussiérait une table un peu loin, releva la tête.

— Quand arrive-t-elle ?

Kotla regarda le faucon prendre son vol.

— Ces oiseaux volent vite, je dirais encore une journée.

L’Aovienne parut presque déçue, mais elle se reprit vite.

— Nous avons une journée pour préparer ce bâtiment, alors.

 

***

 

Le Baroudeur contempla l’auberge de Molly remise à neuf. Elle aurait bien aimé cela, après trois ans d’abandon. Elle aurait sans aucun doute accepté que sa maison serve de camp de base pour la rébellion. Elle les aurait encouragés.

— Ça va, Barou ?

— Hm, oui.

Kotla lui confia un sourire rassurant.

— Je ne l’ai pas beaucoup connue, mais je suis aussi content d’avoir remis son rêve en état.

Le Baroudeur haussa les épaules.

Dehors, le soleil de Savnaha tapait contre les vitres, imprimant dans l’air de subtiles ondulations.

— Il n’y a pas un souffle de vent, remarqua Kotla. C’est parfait.

— Tu veux encore me torturer, c’est ça ?

— Il faut que tu apprennes à maîtrise de don de Hôs !

— Pfff

— De quoi vous parlez ? demanda Victoria en levant le nez d’un bouquin.

Kotla afficha un air fier.

— Il a reçu le don d’un Esprit élémentaire. Il a acquis un pouvoir qu’il doit apprendre à maîtriser.

— Qu’est-ce qu’il faut pas entendre, ricana Agnès.

Son air moqueur se transforma quand elle reçut une bourrasque qui souleva ses mèches grisonnantes.

— Mais que…

— Bravo Barou ! Tu as fait de sacrés progrès !

— C’est stupéfiant, murmura Victoria. Je ne savais pas que les Esprits barbares existaient réellement.

— Ouestiens, s’il vous plaît, la reprit Neska.

— On s’en fiche, allez jouer dehors avec vos tours de passe-passe, grogna Agnès.

Kotla pouffa, ce qui la fit froncer les sourcils. Le Pokla finit par hocher la tête et prit son ami par la main pour l’emmener à l’extérieur, à l’ombre du bâtiment.

— Alors, cette fois-ci, je veux un courant continu ascendant, et léger, ordonna-t-il.

Le Baroudeur le considéra, circonspect.

— Je ne vois pas en quoi pouvoir faire ça me servira à quelque chose contre la Compagnie.

— Chuuut, on en a déjà parlé. Un don, ça se cultive. Ce n’est pas comme si tu avais quelque chose d’autre à faire, si ?

— Tu m’énerves.

— Allez, ferme les yeux et concentre-toi.

Le Baroudeur eut très envie de lui envoyer un coup de vent à la figure comme il l’avait fait quelques instants plus tôt. Mais il décida d’obtempérer et referma les paupières. Il prit une longue inspiration, percevant les mouvements de l’air avant qu’il ne caresse ses lèvres. Il étendit sa perception autour de lui, captant les reflux causées par la chaleur. Il rassembla doucement une brise qu’il orienta vers le pied de Kotla avant de la faire remonter.

— Ah, comme c’est agréable, apprécia ce dernier.

La brise rafraichissante cessa aussitôt.

— Je fais pas pour te servir d’éventail !

— Rhoo laisse-moi profiter un peu, je fais qu’attendre moi.

— Oui bah attends sinon tu pourras la faire toute seule ta séance d’entrainement !

— Je suis étonné par la facilité avec laquelle tu réalises cet exercice, n’empêche.

— Contrairement à ce que tu sembles penser, je m’applique.

— Mais c’est très bien !

— Manquerait plus que tu dises le contraire.

— On va passer à la vitesse supérieure, alors.

— Quoi ?

— Je veux que tu fasses passer le courant d’air entre cet arbre là, le poteau puis sous le rebord du toit, là. Tiens le longtemps pour que je puisse vérifier que tu le fais bien !

— T’es vraiment…

— Ohééééé !

Les deux hommes sursautèrent et se tournèrent vers la rivière qui longeait la domaine de Molly. Une barque de Marova décorée de mille rubans colorés se glissait sur l’eau, propulsé par une vingtaine de rameurs. Une jeune femme faisait des signes de mains à la proue, arborant un grand sourire.

— Sora ! s’exclama Kotla.

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Sorryf
Posté le 29/12/2022
Alors... C'est le moment où j'aurais besoin d'un petit recap, j'avais hésité a t'en demander un quand t'as repris, mais j'étais bien rentrée dans l'histoire donc je me suis dit que c'était pas nécessaire. Par contre, ce chapitre ou on retourne dans kes lieux du passé, je voudrais bien que tu me rafraîchisse un peu la memoire sur ce qui s'est passé, qui est qui, notamment la main d'ombre que je n'arrive pas a resituer. Je me rappelle a peu près de la pauvre Furie et de Sora (mais j'ai oublié ou était passée cette dernière)
Sinon rien a dire, je fonce attaquer la suite !
AudreyLys
Posté le 29/12/2022
Ah je comprends que ce soit difficile de reprendre après deux ans ! Tu veux que je te fasse un récapitulatif complet par mail ? Je pensais aussi peut-être à un faire un entre la deuxième et la troisième partie au cas où quelqu'un d'autre reprendrais la lecture, qu'est-ce que tu en penses ?
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