Chapitre 31

Par maanu

Julienne, Héléna et les deux guetteux chefs de groupe furent d’abord introduits dans une petite salle austère, les autres ayant été invités à patienter dans le hall. Cette pièce, qui était selon toute vraisemblance une salle d’attente, était un peu sombre, éclairée seulement par deux tours d’une brûliane qui leur parut un peu fatiguée. Sur le mur du fond, en face d’eux, certains morceaux avaient tout l’air d’avoir carbonisé, et n’émettaient plus la moindre lueur, mais seulement de petits grésillements de fumée triste.

    Il y avait des fauteuils de pierre, un peu partout, dans un alignement chaotique, occupés par quelques guetteux au visage rendu inexpressif par l’attente, qui ne levèrent pas même le nez vers eux à leur entrée. Julienne et Héléna, qui commençaient à ressentir douloureusement le contrecoup de leur remorquage forcé à travers la forêt et de leur interminable chute dans l’arbre creux, eurent l’espoir qu’on les ferait s’asseoir dans ces sièges, qui leur paraissaient pourtant bien inconfortables. Il n’en fut rien ; leurs guetteux prirent tout de suite le parti de rester debout à l’entrée de la pièce, parfaitement immobile, et ne firent pas le moindre geste leur faisant comprendre qu’elles pouvaient procéder autrement. Elles patientèrent donc avec eux, debout et épuisées.

    La porte, derrière eux, s’ouvrit une première fois, devant une guetteuse portant le même uniforme que celui qui les avait accueillis. Elle appela un nom, et l’un de ceux qui commençaient à s’endormir dans les fauteuils se leva d’un bond, en clignant de ses yeux ensommeillés. Les autres eurent à l’unisson un soufflement impatient. La porte se referma, mais celui qui avait été appelé n’avait visiblement pas rendez-vous avec ce Vioc que les filles et leurs chaperons étaient venus voir, puisque moins d’une minute plus tard la porte s’ouvrit de nouveau. La même guetteuse apparut, et après un très bref tour d’horizon de la salle, fit signe à leurs deux convoyeurs de venir vers elle.

    « Ce sont les détrousseuses de magiciens ? » demanda-t-elle dans un chuchotement.

    Les guetteux eurent à l’unisson un hochement de tête, et elle s’écarta pour qu’ils passent devant elle, non sans jeter aux filles un regard lourd de mépris.

    « Il vous attend dans son bureau, leur dit-elle après avoir refermé la porte derrière eux. Suivez-moi. »

    Ils étaient de retour dans l’immense entrée de la résidence, où les attendaient toujours le reste de leur escorte, et elle les guida tous les quatre en direction des grands escaliers. Malgré leur fâcheuse situation, Héléna m’a raconté avoir ressenti une certaine satisfaction, en gravissant ces innombrables marches lisses qui l’avaient intriguée, entourées de leurs belles balustrades ouvragées.

    Son plaisir fut pourtant de courte durée. La guetteuse, le pas infatigable, leur avait déjà fait grimper trois étages, ce qui représentait plusieurs dizaines de marches, et n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter. Elles découvrirent ainsi qu’une rencontre avec le Grand Giboyeur est un privilège qui se gagne, et qui mérite bien qu’on gravisse les cent-trente-huit hautes marches de sa résidence.

    En nage, les jambes en feu et le cœur martelant, Julienne et Héléna parvinrent tout de même en haut, entre les trois guetteux encore gaillards qui s’amusèrent et s’impatientèrent de leur respiration sifflante et de leur visage rougi.

    « C’est ici », leur indiqua la guetteuse en uniforme, en leur désignant la porte, plus haute et travaillée que toutes les autres, qui occupait seule le mur qui leur faisait face, tout au bout d’un long couloir nu.

    Encore une fois elle prit la tête du groupe, et elle les mena vers cette porte qui se révéla bien plus impressionnante lorsqu’on se trouvait juste devant elle. La guetteuse leva le poing, tapota deux fois sur le battant, et une voix étouffée retentit aussitôt.

    « Oui », disait-elle, et dans ce simple mot les filles perçurent clairement l’accent, si particulier à leurs oreilles, des delsaïens.

    La guetteuse ouvrit à demi la porte, passa sa tête dans l’ouverture pour annoncer les visiteurs, puis s’écarta pour les laisser passer.

    Ils pénétrèrent alors dans une pièce plus petite que ne s’y attendaient Julienne et Héléna, mais infiniment plus accueillante que toutes celles qu’on venait de leur faire traverser. Comme dans les rues, dehors, les nombreuses tiges de brûliane donnaient à la pièce une agréable atmosphère enflammée. Les grands fauteuils de cuir, leurs dossiers immenses et leurs épais sièges accentuèrent la forte impression de confort qui les envahirent lorsqu’elles entrèrent. Elles furent aussi saisies par le désordre de cette pièce, par la multitude d’objets éparpillés sur le grand bureau de bois sombre, sur la table basse ronde, dans les quatre coins de la pièce, et un peu partout sur le sol. Chaque fauteuil était entouré de plusieurs piles de livres, petits ou gros, le bureau était jonché de documents prêts à s’envoler au moindre courant d’air, et çà et là de jolies petites tasses avaient été laissées à l’abandon, pour la plupart à moitié remplies d’un breuvage verdâtre.

    Derrière le bureau, elles distinguaient à peine un petit homme, caché derrière un dangereux amoncellement de papiers et de livres ouverts, sur lequel un flambeau de brûliane embrasée était posé en équilibre précaire. Au moment où ils entrèrent, ils ne voyaient de lui que quelques touffes de cheveux gris, jaillissant d’un crâne pointu.

    Puis le crâne pointu s’éleva tout à coup, tandis que le petit homme se levait de sa chaise, et le reste de son visage leur apparut. Il avait de grands yeux jovials, et c’était la première fois que les filles en voyaient de tels chez un guetteux, d’autant plus qu’ils n’étaient pas sombres, mais d’un bleu limpide, saisissant dans ce visage tanné et parcheminé. Ce guetteux-là était encore bien plus vieux que celui qu’ils avaient rencontré dans le hall, et cela leur sauta immédiatement aux yeux. Pourtant, il leur parut très alerte, et n’eut aucun mal à contourner son bureau, non sans avoir porté une serviette à sa bouche pour essuyer ses lèvres. De toute évidence, il y avait derrière ces monstrueuses piles de pagaille un repas pendant lequel ils l’avaient dérangé.

    Le vieux guetteux ne s’avança pas vers eux, resta devant son bureau, et s’adressa à eux d’un ton qu’elles trouvèrent un peu abrupt.

    « Détrousseuses, hein ?

    _Oui », répondirent les deux guetteux qui venaient d’entrer, en s’inclinant à demi, respectueux.

    En se redressant, l’un d’eux, celui qui avait la pierre, précisa :

    « On vient de les trouver dans la forêt. Elles allaient en direction du Palais. Je sais que tu ne t’occupes pas des affaires de détrousseurs en règle générale, mais cette fois nous avons préféré t’avertir.

    « Pourquoi ça ? » demanda le Grand Giboyeur, en accordant aux filles un rapide coup d’œil.

    Le guetteux, pour la troisième fois, sortit la pierre de Julienne, et s’avança vers le petit homme pour la lui remettre.

    « On a trouvé ça sur elles. Elles l’ont sûrement prise à un magicien qu’elles ont dépouillé. Elles ont tout un bric-à-bric dans leurs sacs, j’imagine qu’elles ont volé tout ça aussi. »

    Imité par son compagnon, il retira le sac à dos qu’il avait à ses épaules, et ensemble ils les firent tomber sur le sol, entre eux et le Grand Giboyeur. Celui-ci regarda de nouveau Julienne et Héléna, ses yeux bleus dardés sur elles, sévères.

    « C’est vrai ? » leur lança-t-il.

    Soulagée que quelqu’un, enfin, leur laisse l’occasion de s’expliquer, Héléna répondit aussitôt.

    « Non. »

    Leurs deux accompagnateurs levèrent les yeux au ciel en secouant la tête.

    « On n’a attaqué personne, poursuivit-elle quand même. Vous êtes même les premiers qu’on ait rencontrés depuis qu’on est ici.

    _Ici ? releva Vioc. C’est-à-dire ?

    _À Delsa, dit Héléna. »

    Devant le silence un peu lourd qui suivit, elle demanda, comme prise d’un doute :

    « C’est bien ça, n’est-ce-pas ? On est à Delsa, ici ?

    _Bien sûr, répondit Vioc. Plus précisément, vous vous trouvez dans la résidence giboyeuse de l’Arbaraque, foyer des guetteux de Prim’Terre, au sud de la forêt de Fagautain. »

    C’est ainsi que les filles purent apprendre le nom de cet endroit où elles avaient plongé, et de ce peuple parmi lequel elles évoluaient depuis déjà plus d’une heure.

   « La terre a tremblé, tout à l’heure, poursuivit le Grand Giboyeur. En général, c’est parce que quelqu’un est sorti de l’Abyssyba. C’était vous ?

    _Si par Abyssyba vous voulez dire ce lac sans dessus dessous, dit Julienne, alors oui, c’était nous. »

    Vioc opina du chef plusieurs fois, en regardant les filles. Il semblait les jauger, tout en paraissant un peu ailleurs. Puis il fit signe aux deux autres guetteux de retirer les cordes par lesquelles ils les tenaient toujours. Ils lui adressèrent aussitôt une mine déconcertée, presque indignée.

    « Vioc… commença celui qui lui avait donné la pierre, prêt à protester.

    _Olli, n’est-ce-pas ? » le coupa le Grand Giboyeur, sans la moindre sévérité dans la voix.

    Le guetteux hocha la tête, morose.

    « Tu es le fils de Brè, le commandant du deuxième groupement de sentinelles, c’est bien ça ? »

    Le guetteux qui visiblement se prénommait Olli acquiesça encore.

    « Je dois voir ton père dans deux jours, pour son bilan stellaire. Je pourrai lui dire que son fils a fait du bon travail, et que je suis content de lui. »

    Il se tourna vers le deuxième guetteux.

    « Et toi aussi, dit-il. Rappelle-moi ton nom ?

    « Mar, répondit aussitôt le guetteux, esquissant le premier sourire dont furent témoins les filles, et s’inclinant encore.

    _C’est noté. Je vous remercie tous les deux. Vous avez bien fait de mes les amener, mais je crois que je n’aurai plus besoin de vous. Vous pouvez les détacher, et retourner à votre poste. »

    Devant leurs hésitations évidentes, il ajouta :

    « Les détrousseurs ne surgissent pas du Là-Bas. Ils rôdent en profitant du chaos. Et les poisseuses ne laissent pas passer les voleurs. J’ai encore du mal à comprendre ce qui amène nos visiteuses, mais je pense pouvoir m’en sortir seul. »

    Sans plus se faire prier, mais manifestement déçus de ne pas avoir mis la main sur deux dangereuses intruses, ils défirent les cordes qui leur lacéraient le torse, et s’en allèrent après une dernière révérence, renfrognés.

 

    Julienne et Héléna se trouvèrent seules avec le Grand Giboyeur guetteux, mais n’en furent pas inquiètes. Au contraire, elles furent soulagées de ne plus sentir de regards dédaigneux sur elles, et surtout de voir le petit homme leur faire signe de s’installer dans les accueillants fauteuils qu’elles avaient repérés en entrant. Elles y prirent place en essayant de ne pas trop laisser transparaître leur contentement, et Vioc s’assit face à elles.

    « Une grouilleuse ? » leur proposa-t-il avec un sourire amical.

    Elles eurent une hésitation, s’entre-regardèrent.

    « Vous ne savez pas ce que c’est ? devina Vioc.

    _Non, admit Julienne, confuse.

    _C’est une plante qu’on trouve à peu près partout à Delsa, expliqua le vieux guetteux, sans se formaliser. Très envahissante. Un cauchemar. Mais heureusement, on peut en faire de très bonnes infusions, dont je raffole. Est-ce que vous avez envie de goûter ? »

    Les gens du Là-Bas consomment eux aussi beaucoup d’infusions – d’autres sortes que chez nous, évidemment –, mais ni Julienne ni Héléna n’en étaient particulièrement amatrices. Pourtant, elles n’osèrent pas décliner une proposition que le vieux guetteux semblait si heureux de leur faire. Elles acquiescèrent avec raideur, et il se releva aussitôt. Il alla de son pas vaillant de jeune homme vers un petit guéridon, le seul meuble de la pièce dont l’usage initial n’avait pas été détourné pour y fourrer le plus de bazar possible. Seules une bouilloire et quelques tasses y trônaient, posées sur un petit plateau doré, et Vioc fit volte-face pour les apporter à ses invitées.

    « Alors, dit-il à ses dernières en servant trois tasses d’un liquide vert fumant qui répandit dans toute la pièce une odeur qu’elles trouvèrent particulièrement âcre. Dites-moi tout. »

    Héléna adressa un rapide regard à Julienne avant de prendre la parole, tandis que Vioc s’installait de nouveau, se trémoussant pour s’enfoncer dans son grand fauteuil.

    « Nous venons d’arriver du Là-bas, lui dit-elle, bien qu’il ait déjà cette information. C’est Monsieur Gérard qui nous envoie. Claude Gérard. »

    Il lui fit signe qu’il voyait très bien de qui elle voulait parler, et l’encouragea d’un signe à poursuivre.

    « Jusqu’à hier, nous n’avions jamais entendu parler de Delsa. C’est lui qui nous a dit ce que c’était. Il nous a dit aussi que nous venions d’ici, toutes les deux, et qu’il fallait qu’on revienne. »

    Le Grand Giboyeur eut un geste d’incompréhension.

    « Pourquoi ça ? demanda-t-il. Ces temps-ci, les gens cherchent plutôt à fuir Delsa qu’à y entrer. Si vous avez eu la chance de partir à temps, pourquoi vous faire revenir ? J’imagine pourtant mal Claude Gérard faire courir un tel risque à qui que ce soit n’en ayant pas les épaules. Tout le monde se souvient du temps où il était le premier Conseiller du roi et de la reine. Sûrement l’un des meilleurs qu’on ait eu, et à mon avis on n’en retrouvera pas un autre comme ça avant un bout de temps… »

    Un peu vexée par sa remarque, Héléna répondit :

    « Pour nous, c’était devenu plus dangereux là-bas. Des gens nous avaient retrouvées. Des démons, d’après ce qu’on nous a dit. »

    Cette fois, Vioc s’agita un peu plus.

    « C’est impossible, dit-il, catégorique. Les démons ne peuvent pas traverser l’Abyssyba. Les poisseuses les en auraient empêchés.

    _Pourtant on les a vus, affirma Héléna. Un loup a attaqué Julienne, il y a quelques semaines. J’étais là aussi, et j’ai réussi à le faire fuir. J’ai très bien vu ses yeux, ils étaient rouges. On n’a pas de loups avec des yeux pareils dans le Là-Bas. Et tout à l’heure, toute une meute nous a pourchassés alors qu’on essayait d’atteindre le lac. Monsieur Gérard avait dit à Ivan, l’un de ses amis, de nous accompagner. Il a retenu les démons pour qu’on puisse arriver à l’Abyssyba, et il a très probablement été tué. »

    Sa voix mourut un peu dans sa gorge, et Vioc leva vers elle des yeux tristes.

    « Ivan comment ?

    _Je ne sais pas, avoua Héléna, honteuse. On n’a pas eu le temps de vraiment discuter. Je sais seulement qu’il travaillait pour Monsieur Gérard, avec d’autres personnes. Je ne sais pas depuis combien de temps.

    _Sûrement Ivan Morel, dit Vioc en secouant la tête, abattu. Il est passé par ici, il y a quelques années. Il était en chemin pour l’Abyssyba, et il a été attaqué dans la forêt. Quelques uns de nos chasseurs l’ont sorti de ce mauvais pas et conduit jusqu’ici. Il nous a expliqué qu’il voulait rejoindre le Là-Bas, mais il a bien insisté sur le fait que ce n’était pas pour fuir, mais pour rejoindre le réseau que Claude Gérard avait monté sur place pour venir en aide aux réfugiés et communiquer avec le Palais. Ivan était vraiment tout jeune à ce moment-là. À peu près votre âge, sûrement. Ça nous a beaucoup impressionnés. On l’a aidé à atteindre l’Abyssyba sans encombre. Depuis, nous n’avions plus eu de nouvelles. »

    Il resta songeur un instant, enfoncé dans le cuir de son fauteuil, et but machinalement quelques gorgées de grouilleuse. Puis il secoua tristement la tête, et en revint à leur histoire.

    « Je ne comprends toujours pas comment des démons ont pu vous retrouver dans le Là-bas, dit-il, sceptique. Et je ne saisis pas non plus ce qu’ils vous voulaient. »

    Héléna, consciente que sa réponse allait sûrement leur valoir quelques sarcasmes, prit une brève inspiration avant de répondre.

    « Je m’appelle Héléna Nevin, dit-elle. Et elle, c’est Julienne Corbier. Mais hier, Monsieur Gérard nous a dit que ce n’étaient pas nos vrais noms. Il m’a dit que je m’appelais en fait Stéphane D’Elsa, et que Julienne était Ysaure Lamarre. »

    Il n’y eut pas de sarcasme, mais de nouveau un silence, long et profond, pendant lequel Vioc les étudia, sa tasse dans les mains. Il finit par pousser un soupir, et par boire une gorgée.

    « Drôle d’histoire, dit-il. C’est vraiment Claude Gérard qui vous a dit ça ? »

    Héléna opina.

    « Et il en est certain ?

    _C’est ce qu’il nous a dit, ne put que répondre Héléna. Les démons allaient arriver, il n’a pas eu le temps de nous expliquer grand-chose. Mais je ne vois pas pourquoi il nous aurait menti. Comme vous l’avez dit, ça aurait été nous mettre en danger.

    _Je ne vois pas non plus pourquoi il aurait inventé ça, approuva Vioc. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’aurait pas pu avoir une raison. Il pourrait aussi, tout simplement, se tromper. Personne ne sait vraiment ce qui est arrivé à Stéphane D’Elsa et Ysaure Lamarre. Ysaure pourrait être en vie, cachée quelque part avec sa mère. Pour ce qui de Stéphane, rien n’est moins sûr. Il y a toutes les chances pour qu’elle ait été tuée il y a quinze ans, aussi dramatique que puisse paraître cette éventualité. »

    Il se tourna vers Julienne, qui n’avait pas encore ouvert la bouche, et que son regard posé sur elle intimida.

    « Alors j’imagine que la pierre est à vous ? dit-il.

    _Oui, confirma-t-elle. C’est Monsieur Gérard qui me l’a donnée. Mais je ne sais pas m’en servir. Jusqu’à hier, je n’avais aucune idée qu’il était possible de faire de la magie. Si je n’avais pas été entraînée dans le fond d’un lac pour émerger de l’autre côté, et si je ne m’étais faite rapetisser, j’aurais encore de sérieux doutes.

    _Et est-ce que vous avez aussi des doutes sur ce que vous a dit Claude Gérard ? Est-ce que vous pensez vraiment être Ysaure Lamarre ?

    _Je n’en sais rien. »

    Héléna tourna vers elle un regard lourd de reproches, mais elle n’était que sincère.

    « Je suis partie de chez moi parce qu’il nous a dit que des gens arrivaient pour nous tuer. Sur la route, on a été attaqués, comme vous l’a raconté Héléna. J’ai compris qu’il avait au moins raison sur ce point, et que quelqu’un en avait effectivement après nous. En arrivant ici, j’ai su qu’il n’avait pas non plus menti sur l’existence de Delsa, même si je continue de trouver tout ça complètement fou. Mais aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été Julienne Corbier. Je ne peux pas vous dire si je suis ou non Ysaure Lamarre.

    _Bien sûr que si », intervint brusquement Héléna.

    Ils se tournèrent vers elle, surpris.

    « Monsieur Gérard nous a laissé des papiers. Des articles de journaux, des photos… Et aussi le faire-part de mariage des parents de Julienne. Je veux dire, d’Ysaure. Elle les a très bien reconnus, et dessus il était écrit que son père s’appelait Victor Lamarre. C’est une bonne preuve, non ? »

    La mine absolument convaincue, elle adressa un regard plein d’espoir à Vioc. Il avait repris sa posture songeuse, mais ne semblait pas aussi persuadé qu’elle l’aurait voulu. Il se gratta pensivement la joue.

    « Je vois bien que vous ne connaissez pas bien Delsa, dit-il finalement. J’imagine que Claude Gérard a dû vous expliquer un peu tout ce qui se passe ici. Mais je ne suis pas certain que vous saisissiez vraiment ce que la réapparition soudaine d’Ysaure Lamarre et de Stéphane D’Elsa représenterait. Beaucoup de gens les cherchent, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Ils y ont mis une énergie que vous n’imaginez pas, pendant très longtemps. Ce que vous affirmez, Héléna, est à la fois trop improbable et trop important pour que je puisse me permettre de ne pas émettre de très sérieux doutes. Je veux bien croire, s’empressa-t-il d’ajouter devant le visage outré et affligé de Héléna, que vous êtes de bonne foi, et que vous pensez vraiment être celle que vous prétendez. Mais comme je vous l’ai dit, je ne peux pas prendre votre histoire à la légère. »

    De nouveau, il se tourna vers Julienne.

    « La bonne nouvelle, lui dit-il, c’est que j’ai peut-être un moyen de m’assurer que vous êtes, ou non, Ysaure Lamarre. »

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Claire May
Posté le 30/10/2022
Je reviens vers toi, après quelques semaines un peu loin de PA, et quel plaisir de revoir ces personnages ! Je trouve que tu as bien fait de laisser entendre que Vioc était un personnage dont il fallait se méfier, et de le retourner en bon vieillard dès son apparition tant attendue ! Une écriture toujours élégante et qui glisse toute seule !
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