Chapitre 3 : Sous la cendre

 

Il ne faisait jamais vraiment nuit dans la Cité des ombres. Il ne faisait pas jour non plus.

Lohan n’arrivait pas à dormir. La chambre d’Adhara se trouvait au sommet de la Tour, toutes les lumières de la ville lui parvenaient. Il soupira, se retourna pour la énième fois. Son amante, elle, dormait comme un bébé. Un redoutable bébé.

Le jeune homme arrêta de lutter contre l’éveil et se glissa hors des draps, bien décidé à aller dormir dans sa chambre. Alors qu’il saisissait son pantalon, son regard dériva sur la cité. Toutes ces petites lumières le narguaient. Elles lui évoquèrent vaguement un ciel étoilé. Et le ciel étoilé amena la pensée d’Asha.

Il reposa ses vêtements, fixant la ville.

Asha…

Il alla se recoucher près d’Adhara, s’allongeant sur le dos et fermant les yeux. Il respira lentement, s’immergeant dans la vision qu’Asha lui avait offerte.

Il ouvrit les paupières sur son Sanctuaire.

Il fut une nouvelle fois surpris de la tangibilité de ce lieu. Tout semblait réel dans cette étendue grisâtre. Il sentait le sol sous ses bottes — il remarqua d’ailleurs qu’il était habillé ici — l’air rêche qui le fouettait, l’odeur des cendres. Et ce paysage meurtri que ses yeux n’auraient pas pu inventer.

Il fit quelques pas, baissa les yeux. Il venait d’apercevoir une tache de couleur sur le sol morne. Il s’agissait d’une touffe d’herbe verte qui perçait vaillamment la couche de cendres. Il s’agenouilla pour la caresser, elle était douce. Lorsqu’il releva la tête, il fut ébloui par l’aube naissante. C’était Asha qui avait provoqué cet afflux de lumière. En lui.

Lohan reporta son regard derrière lui, examinant son Sanctuaire. Il remarqua alors les vestiges d’un rivage. Au loin, quelques falaises se jetaient dans une mer asséchée. Il les connaissait. Une image colorée se superposa à cette vision, il frémit. Fébrile, il longea la côte fantôme. Il la connaissait, il l’avait de nombreuses fois arpentée. S’il continuait vers l’ouest…

Il stoppa net en apercevant le squelette calciné d’une maison. Non, pas une maison. Sa maison.

Il s’avança, étrangement calme malgré sa nervosité. Il pénétra dans les restes du bâtiment de bois. Il était méconnaissable mais terriblement familier. Là…

Lohan se baissa et fourragea dans la cendre. Il trouva des morceaux de natte d’osier tressé. Une natte sur laquelle il avait dormi pendant les premières années de sa vie. Tout était là, sous la couverture calcinée. Cette fois, il sentit son cœur s’emballer. Il creusa dans l’ancien coin de rangement. Il ne trouva pas la boîte qui était censée y être, juste un des foulards qu’elle contenait. Un beau morceau de tissu brodé de fleurs dont la couleur oscillait entre le rouge et le rose. Il était parfaitement intact.

Lohan caressa l’étoffe, il sentait chacune de ses broderies comme s’il tenait le véritable foulard entre ses mains. Ce Sanctuaire semblait réel, bien trop réel. Il redécouvrait le tissu enfoui dans ses souvenirs, le foulard préféré de…

— Eh !

Lohan ouvrit brusquement les yeux sur le plafond du lit à baldaquin d’Adhara. Cette dernière s’était redressée, une petite lumière flottait entre eux. Elle le fixait avec un sourire étrange.

— Tu pleures ? fit-elle.

— Quoi ? Mais non je ne…

Il réalisa que ses joues étaient mouillées. Il se tourna et les essuya d’un geste rageur.

— Je ne t’ai jamais vu pleurer, je pensais que tu ne pouvais pas.

Elle gloussa.

— Tu sais que t’es mignon comme ça ?

Il ne répondit pas et se leva.

— Je retourne dans ma chambre.

— Te vexe pas !

Il s’habilla prestement, ses mouvements étaient raides.

— Bonne nuit.

Il sortit, entendant Adhara ricaner derrière lui. Il s’adossa contre la porte, prit d’un léger tremblement.

Il n’avait jamais cédé. Cela faisait presque douze ans qu’il n’avait pas versé une larme. Il se l’était interdit.

Asha lui avait montré ce qu’il était. Il n’était pas sûr de s’aimer.

 

*

 

Kurtis s’éveilla doucement, bercé par les lumières de l’aube. Ealys sommeillait près de lui, son visage pâle tiré par des cernes noirâtres.

Le jeune garçon se leva, raide, et s’habilla. Il sortit dans l’air frais, inspirant difficilement. Il promena ses yeux bouffis sur le village qui s’éveillait. Il pinça les lèvres, son épaule le démangeait, elle l’avait réveillée plusieurs fois dans la nuit. Pourtant, sa peau ne montrait rien.

Il descendit les marches de sa maison et se dirigea vers la hutte des Arsalaïs.

— Moïa ? lança-t-il en y pénétrant.

Il stoppa net en apercevant à la lumière d’une torche la haute silhouette de son père adoptif. Il rendait souvent visite à la vieille femme ces derniers temps, mais de quoi parlaient-ils ?

Aedan hocha la tête en un bonjour impersonnel.

— Je vais aller préparer les patrouilles, annonça-t-il.

Il frappa ses paumes dans un salut protocolaire et quitta la hutte des Arsalaïs. Kurtis ne put s’empêcher de baisser la tête quand il passa devant lui. Il avait beau être son père, il lui avait toujours inspiré peur et respect. Mais c’était pire depuis quelques lunes. Depuis la mort d’Asha.

— Ton âme est toujours éprise de tourments, remarqua Moïa avec un sourire désolé.

Kurtis enfonça ses doigts dans ses cheveux.

— Les… les temps sont durs…

La vieille femme ne répondit pas, prenant plutôt ses mains dans les siennes. Elles étaient rêches mais chaudes. Moïa laissa s’écouler un silence chaleureux.

— Que veux-tu faire aujourd’hui ? demanda-t-elle au bout d’un temps.

— Je… je ne sais pas…

— As-tu révisé tes plantes médicinales ?

— Avec le soin des blessés, oui. Mais je peux en apprendre d’autres.

Le sourire de son mentor se para d’une fierté mélancolique.

— Tu as tout appris, Kurtis.

— Vrai… vraiment ?

— Ton apprentissage d’Arsalaï touche à sa fin, mais je peux t’enseigner encore quelques petites choses.

— Je suis sûr que tu peux m’apprendre encore plein de choses, Ma.

— Sans doute.

Son regard se perdit dans la danse des flammes. Ses rides traçaient de profonds gouffres sur son visage parcheminé.

— Aide-moi à me lever.

Il s’exécuta, muet.

— Viens.

De sa démarche vacillante, la vieille femme le guida hors de la hutte. Ils longèrent les abords du village, salués par tous ceux qui croisaient leur chemin. L’atmosphère lourde retrouvait un peu de sa vigueur en cette matinée humide.

Moïa le guida au bord de la rivière, un peu à l’écart.

— Que sont les échos spirituels ? demanda-t-elle soudain du ton du professeur.

— Les réminiscences du passé qui marquent encore le Silh. Ils sont souvent causés par des émotions fortes qui perturbe le flux spirituel

— Bien. En perçois-tu un ici ?

Kurtis contempla la berge, oubliant les bruits et les odeurs du village. Il inspira profondément, s’immergea dans des perceptions indescriptibles jusqu’à ressentir les flots intangibles qui couraient sur son âme. Alors, il perçut deux silhouettes éthérées assises sur la berge, l’une grande et raide, l’autre petite et frêle. Des sons et des émotions lui parvinrent, il les bloqua instinctivement.

— Oui, souffla-t-il. Il est récent. Mais… j’en perçois d’autres, plus anciens.

— Peux-tu décrire les plus vieux échos ?

— … Non… ils sont trop lointains…

— Et le plus récent ?

— C’est…

Kurtis se concentra d’avantage.

— C’est toi, Ma… toi et Père.

— Bien. Peux-tu t’immerger dans cet écho et me dire clairement quelles ont été les paroles échangées ?

— Mais… c’est personnel… nous n’avons pas le droit de…

— Je t’en donne la permission.

Le jeune garçon frémit, il se crispa un peu. Mais il acquiesça et obéit.

La silhouette fantôme de son arrière-grand-mère était à peine perceptible, tout passait par les émotions d’Aedan. Il se glissa dans sa peau avec un frisson. Il se sentit soudain à l’étroit, raide, comme si tout son corps était fait de pierre.

Kurtis vit à travers les yeux de son père adoptif Moïa s’approcher, il se redressa immédiatement et la salua.

Ne sois pas aussi cérémonieux, fit la vieille femme.

Sa voix lui parvenait comme s’il était sous l’eau, pourtant sa vision, elle, était extrêmement claire.

Moïa plia son corps maigre près de celui du chef des Hekaours.

Tu étais si joueur, enfant, souffla-t-elle. Téméraire et espiègle, tu as enfreint plus d’une loi sacrée. Je n’aurais jamais pensé que tu deviendrais un homme si sérieux.

Aedan ne répondit pas, mais sa physionomie, face à ce regard chaleureux, se délita. Kurtis vit par les yeux de Moïa l’expression de son père se craqueler, fondre, s’écouler pour laisser apparaître une tristesse infinie qui déborda sur son visage. Il ne lui avait jamais montré ce regard-là.

Tu penses à ta fille ? murmura Moïa.

Il acquiesça lentement.

C’est de ma faute, lâcha-t-il.

C’est faux.

Les iris bleus d’Aedan dérivèrent sur ceux, émeraudes, de son interlocutrice.

Tu t’en veux, mais ce n’est pas de ta faute, et tu le sais très bien.

Il se tassa, reportant son regard sur la rivière.

J’ai failli. Je n’ai pas pu la protéger. J’ai trahi le vœu de sa mère. C’est comme si je l’avais perdue une deuxième fois. Elle, et Asha.

Il se courba, sa voix se fit murmure. Moïa posa une main tendre sur son épaule. Kurtis ne put entendre la suite. Il s’était trop rapproché de lui-même en pensant à son père, à sa raideur qui n’était qu’une façade. Il ne chercha pas plus à écouter cette conversation à laquelle il n’aurait pas dû assister et revint au présent.

— Tu le comprends mieux, à présent ? s’enquit Moïa.

— Oui… je crois… mais…

— Tu apprendras à t’immerger dans des échos plus anciens.

— Mais, c’est contraire aux lois sacrées…

— Kurtis.

La voix de la vieille femme se fit plus dure.

— Tu dois apprendre à lire les échos. Je sais que tu y trouveras quelque chose qui va tout changer.

Le jeune garçon demeura un instant muet.

— Tout… tout changer ?

— Oui. Alors je te l’ordonne, apprends à lire les échos. Ce sera mes dernières leçons.

Elle baissa la tête.

— Tu sais, l’autre jour, quand tu t’es énervé. Eh bien, je sais que tu avais raison.

— Ma…

Il fourragea dans ses cheveux blonds.

— Merci.

Un sourire amer flottait sur les lèvres de son mentor.

— Maintenant fais-moi voir cette épaule, elle te démange, non?

— Heu… oui… mais comment as-tu su ?

— Tu ne devines pas ?

La vieille femme passa ses doigts rêches sur l’épaule de son élève.

— C’est bien ce qu’il me semblait.

— Quoi ?

— La tache va bientôt apparaître. Tu vas avoir ton totem.

Le cœur de Kurtis s’emballa.

— Il est l’heure de ta retraite, mon enfant. Tu connais la coutume.

Le jeune garçon sentit une bouffée d’air froid pénétrer dans ses poumons. Il avait peur, soudain.

 

*

 

Angelus posa le pied sur le rebord de la charrette et tira de toutes ses forces sur la corde qui maintenait les bagages.

— Oh la ! Sauf vot’ respect, vous n’avez pas grand-chose dans les bras, commenta Abram dans un rire.

Le jeune prêtre soupira et laissa le maréchal ferrant accrocher correctement les sacs de toile qui contenaient leurs affaires.

— Voilà ! Prête pour le départ !

— Celle-là du moins, il en reste encore quelques-unes à charger, tempéra Angelus.

— Ça va l’faire !

Les deux hommes chargèrent une autre charrette avec l’aide du fils aîné d’Abram, Magnon. Le soleil se parait de pourpre quand ils eurent fini.

— Papa !

Angelus sourit en voyant Lucio courir vers eux.

— Alors mon grand ? demanda le maréchal ferrant. Tu as bien aidé ta mère ?

— Oui ! J’ai rempli un sac entier !

Une main calleuse vint ébouriffer encore plus la tignasse brune du garçonnet.

— C’est bien, je suis fier de toi ! Allez, on rentre à la maison, on doit se préparer pour la fête.

— La fête ?

— Oui, tu sais, la fête de départ. Tu viens Magnon ?

— J’arrive.

Le prêtre observa la famille se mettre en marche avec un sourire. Il inspira l’air frais chargé de sel, apaisé.

— Tu médites ?

Angelus se tourna vers Sulpicia, souriant d’autant plus. Elle était la garante de son union avec Amaya, la troisième personne qui maintenait l’équilibre dans leur mariage. Car deux était imparfait.

— Je suis juste heureux.

— Ça fait plaisir à voir, après la Grande épidémie.

Le sourire du jeune homme vacilla, mais ne disparut pas.

— Alors, tu as fait ton choix ?

Sulpicia baissa la tête, évitant son regard.

— Je sais que je suis votre garante, mais je suis aussi liée à d’autres, tu le sais. Je ne peux pas les laisser.

Angelus eut du mal à cacher sa peine. Se séparer de son amie d’enfance creuserait un vide dans son cœur. Ce n’était pas pour rien qu’il l’avait choisie comme garante.

— Alors, nous nous séparons ?

— Oui, je suis désolée.

— Ce n’est pas ta faute, je comprends. Tu… vas me manquer.

— Toi aussi. J’espère qu’un jour, nous nous reverrons.

Le trion retrouva un peu de sa joie.

— C’est certain.

Ils s’étreignirent dans le silence de la ruelle.

— Tu viens à la fête d’adieu ?

— Bien sûr.

— Merci.

— Je n’allais pas rater ça. D’ailleurs je prévois de mettre ma plus belle robe, je n’ai pas souvent l’occasion de sortir sans uniforme.

— Alors je vais te laisser te préparer, je dois y aller aussi.

Sulpicia paraissait enthousiaste, ce qui le rassura.

— À tout à l’heure, fit-elle.

— À tout à l’heure !

Angelus rejoignit Amaya dans leur maison. Presque toutes les pièces étaient vides désormais, seuls restaient les meubles qu’ils ne pouvaient pas emporter.

— Tu me trouves comment ? s’enquit Amaya.

Elle tourna sur elle-même, faisant voler sa légère robe violette. Ses cheveux noués étaient parés de camélias.

— Magnifique, encore plus que d’habitude, c’est dire.

— Tu es sûr ? Tu crois que ça me va bien ?

Il la saisit doucement pour l’embrasser.

— Quoi que tu portes, je te trouverai toujours sublime, tu le sais.

Elle soupira malgré son sourire.

— C’est d’un avis dont j’ai besoin. Ta tenue est posée sur le lit, dépêche-toi, on va être en retard.

— Oui, cheffe, rit-il.

Il revêtit une toge blanche et magenta puis peigna ses cheveux blonds. Amaya, une fois prête, vint le couver de son regard amoureux.

— Ah la la, tes boucles rebiquent de partout.

Alors qu’elle se penchait pour le recoiffer, il l’attira contre elle.

— J’avoue que j’ai envie qu’on reste tous les deux, souffla-t-il.

Elle posa un baiser sur ses lèvres et se redressa.

— Après la soirée, promit-elle. Pour l’instant, célébrons avec les autres l’achèvement de notre projet. De notre rêve.

— Oui, de notre rêve.

Ils sortirent en se tenant la main. La nuit était déjà tombée, et les lumières des torches traçaient les contours sinueux des ruelles. Ils se dirigèrent vers une grande place plus éclairée que les autres qui faisait face à la mer. Presque une centaine de personnes discutait sur les lieux de la fête. Parmi elles, seulement un tiers les accompagnerait dans leur voyage.

Dès qu’ils arrivèrent en vue des invités, ils furent entourés de sourires et de félicitations. Le rouge vint aux joues d’Amaya qui avait l’habitude de cacher son embarras derrière son voile. Angelus la serra contre lui alors qu’ils se dirigeaient vers le buffet. Ils saisirent chacun une coupe de vin en terre cuite. Ils avisèrent Magnon qui les attendait près de l’estrade. Le fils d’Abram était devenu trion depuis seulement quelques jours, il portait fièrement son uniforme de prêtre bien qu’il n’ait pas mis son voile.

Le couple le rejoignit et monta sur l’estrade. Le silence se glissa peu à peu dans l’assemblée et bientôt tous les regards furent rivés sur les trois clercs. Angelus sentit Amaya se tendre contre lui, elle luttait contre sa timidité. Mais tous les yeux posés sur elle étaient empreints de bienveillance, il la sentit prendre peu à peu confiance. Il la lâcha alors pour s’avancer jusqu’au bord de l’estrade.

— Bonsoir, mes chers amis. Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer un départ. Un départ, oui, un nouveau départ vers des terres nourricières. Après la famine et la Grande épidémie, nous avons compris qu’il nous fallait partir pour le bien de tous. Mais nous ne disparaissons pas dans la nature ! Nous fonderons bientôt un nouveau village de l’autre côté des montagnes, près d’une des plus grandes forêts sacrées du sud des Triétats ! Notre voyage sera long, bien sûr, et éprouvant. Mais nous parviendrons sur les rives du lac Lémence pour commencer une nouvelle vie, j’en suis certain ! Alors mes amis, pour ceux qui partent et pour ceux qui restent, je lève ma coupe ! Profitez de cette soirée de larmes et de rires !

Une ovation monta dans la foule, les coupes furent vidées dans des gorges avides. Angelus goûta au vin en observant la fête. Des gens s’étreignaient en pleurant, d’autres se tapaient sur l’épaule avec de grands rires. Une musique s’éleva dans l’air et bientôt une file de danseurs vint onduler sur les pavés.

Le jeune prêtre vit Sulpicia, un peu à l’écart. Elle était accompagnée de son mari et de son garant. Lorsqu’elle croisa son regard, elle lui offrit un sourire étincelant quoique mélancolique. Angelus entraîna Amaya sur la piste de danse, attrapant sa vieille amie au passage. Sulpicia ne résista pas et prit la main du petit Lucio qui sautillait en bout de file. Les gorges se déployèrent entre rires et chants tandis que les cheveux tournoyaient.

Ça ira ! Ça ira ! Ça ira ! Même à travers l’hiver ! Ça ira ! Ça ira ! Ça ira ! Malgré la colère !

Angelus, plutôt réservé d’ordinaire, se laissa emporter par la liesse. Le décor se dilua, les effluves d’alcool imbibèrent l’air. Un grand sourire aux lèvres il se laissa porter par la musique, plus rien n’existait à part la joie. Ses seules sensations stables étaient les mains de Sulpicia et d’Amaya qui formaient des contours à ce monde coloré.

Il oublia les spectres de ses parents emportés par la peste, le gamin au ventre rongé par la faim. Il oublia les doutes, la tristesse, la colère. Il oublia tout, tout sauf cette lumière chaude qui l’emportait dans un tourbillon.

Ça ira.

 

*

 

Lohan toqua sèchement à la porte. La voix d’Adhara résonna au travers du battant et il entra. Il déposa une pile de documents sur son bureau sans qu’elle ne lève les yeux pour le regarder.

— Voilà le rapport de Bénen sur les nouvelles recrues.

— Mmmmh.

Il allait tourner les talons quand elle l’arrêta.

— Tu m’en veux ?

Elle daigna le regarder.

— Pourquoi ?

— Pour m’être foutue de toi quand tu as pleuré.

— Je ne t’en veux pas. Je m’en veux à moi-même.

— Bah, ce n’est pas très grave, ça arrive de craquer. Il faut juste que ça ne se reproduise pas.

Son ton était affûté comme une dague. Lohan hocha sèchement la tête et sortit.

— Attends.

— Quoi ?

— Viens dans ma chambre ce soir, on ne va quand même pas rester fâchés.

— Et si je n’ai pas envie ?

Elle leva les yeux au ciel.

— Tu ne fais aucun effort.

Il la considéra un instant, se faisant la réflexion que la lumière ambiante ne la mettait pas en valeur.

— C’est bon, je viendrai.

— Tant mieux.

Il ferma la porte derrière lui sans retenir un soupir. Adhara semblait si hautaine et capricieuse comparée à Asha.

 

*

 

Lohan grinça des dents. Évidemment, il n’arrivait toujours pas à dormir. Adhara était elle, plongée dans un profond sommeil. Sa respiration douce était berçante, mais pas assez pour que son compagnon trouve le repos.

Le jeune homme résista longtemps, mais dans cet ennui profond, il ne put se retenir et plongea dans son Sanctuaire.

Il y était revenu plusieurs fois depuis qu’il avait découvert le foulard de sa mère caché sous la cendre, mais jamais en présence d’une autre personne. Il décida d’explorer les terres plus neutres qui bordaient la barrière de montagnes, se tenant éloigné du rivage de son enfance.

Alors qu’il fixait le sol à la recherche d’un carré d’herbe ou d’un objet inédit, il perçut une nette baisse de luminosité. Il leva la tête vers l’horizon pour voir l’aube décliner, comme si le soleil faisait marche arrière. Il fronça les sourcils et tendit la main vers la lumière qui se faisait de plus en plus tenue. Une détresse sourde l’envahit, son cœur se mit à battre à un rythme effréné.

Lohan ouvrit brusquement les yeux sur l’obscurité de la chambre. L’angoisse l’engourdit, et il resta immobile pendant plusieurs secondes. Il jeta un regard à Adhara, puis à l’ombre qui reprenait le dessus dans son Sanctuaire. C’est en apercevant un bout de la Cité des ombres qu’il eut comme un choc. Le ciel étoilé.

Il bondit du lit et enfila rapidement ses habits. Adhara ne se réveilla pas alors même qu’il ne faisait aucun effort pour être silencieux. Il hésita sur le pas de la porte, le poing serré sur la poignée.

Et ta vengeance ? souffla une voix perverse qui ressemblait à celle de son amante. Il se pinça les lèvres et revint vers la couche. Il avisa le secrétaire de la princesse et s’empara d’une feuille et d’une plume.

 

Je dois partir, je reviendrai dans quelques jours.

Ne me cherche pas.

Lohan

 

Les mains fébriles, il reposa la plume. Il abandonna le message bien en évidence sur le secrétaire et s’empara de sa cape.

Il sembla entendre Adhara marmonner quand il referma la porte, mais il l’ignora. Il franchit le labyrinthe de couloirs de la Tour, faisant un détour par les cuisines, pour déboucher sur la place du Soleil. Il salua les gardes d’un geste sec et se dirigea vers les écuries.

— Mon… Monsieur l’Ombre ? bégaya le palefrenier en sortant de sa maison.

— J’ai besoin d’un cheval robuste et rapide, vite.

— Tout de suite, Monsieur !

L’homme s’ébroua et parcourut le couloir qui empestait le crottin pour amener un étalon ensommeillé. Il le sella sous l’œil pressé de Lohan.

— Merci, fit celui-ci en le montant.

Le palefrenier avisa ses sacs de provisions. Une question passa dans son regard sans qu’il n’ose la poser. Lohan le salua et talonna son cheval qui renâcla.

Alors que l’Ombre voyait défiler les lumières du tunnel d’accès, ses yeux étaient rivés sur la lueur faible du soleil qui éclairait à peine son horizon.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Aude JB
Posté le 03/05/2021
J’aime beaucoup ces nouvelles parties avec Angelus et Amaya. Cela permet, à mon sens, de rendre l’existence de cette religion plus réelle car c’est le seul camp dont on entendait pas parler. J’ai hâte de savoir quel rôle ils vont jouer et à qui ils seront confrontés en premier.
Est-ce que tu vas revenir sur les garants de l’union? Je pense que ca serais intéressant de le développer car cela donnerait plus d’info sur la “psychologie” de la religion. Et personnellement, j’ai du mal à comprendre le rôle concret que joue ces personnes.
AudreyLys
Posté le 04/05/2021
Merci ! J'avais peur qu'ils soient un peu ennuyeux x)
Mmmh, on en reparle un peu oui, mais de manière générale j'essaie de donner le moins d'explications possibles pour garder un texte "organique". Je vais donc te répondre succinctement ici : la religion est basé sur une trinité, les chiffres sont très importants, or 2 (comme un couple) est considéré comme incomplet, on lui alloue donc un garant qui va servir à maintenir l'équilibre d'un point de vue spirituel et relationnel. Cela permet aussi de lier les humains entre eux puisqu'en étant garant on peut sois-même être marié(e) et donc avoir un garant etc...
Dis-moi si tu crois que je devrais mettre tout ça dans le corps de texte ! Il y a tellement de choses sur ce monde que je n'arrive pas à expliquer :x
Aude JB
Posté le 05/05/2021
Merci 😊
En fait, on le comprend en filigrane, mais je trouvais ça étrange de ne pas avoir d'explication. Ça ne rend pas le texte incompréhensible mais, je pense que ce serait un plus de l'expliquer. D'autant plus que, à mon sens, ce type d'explication renforce la réalité de cette religion et ne donne pas l'impression que c'est juste un prétexte qui n'est pas travaillé. Peut-être que tu pourrais rajouter deux, trois phrases pour l'expliquer, en racontant comment et pourquoi elle a été choisie par exemple. S'il y a une cérémonie pour officialiser le garant, ça peut également être un bon moyen de l'expliquer.
Après, d'après ce que j'ai vu, je suis la seule à avoir posé une question dessus donc peut-être qu'il n'y a que moi qui n'a pas trouvé ça clair 😅
AudreyLys
Posté le 05/05/2021
Je comprends ce que tu dis, ça ne me dérange pas de donner plus d’explications, au contraire ! En ce moment je me tâte de faire une encyclopédie pour tout dire x) Généralement je me retiens car j’ai peur de perdre les lecteurs en fait
Aude JB
Posté le 06/05/2021
Hoooo interessant 🤩
Tu voudrait lui donner quelle forme? L'ajouter à cette histoire ou en faire un livre à part?
J'y pense aussi pour mon livre et je pensais le faire à part un peu comme les animaux fantastiques d'Harry Potter.
AudreyLys
Posté le 06/05/2021
Ce serait un livre à part^^ Mon idée pour le rendre dynamique ce serait de faire discuter des personnages ^^
Ah je vois ! Ça pourrait être cool^^ Moi je n'ai pas de bestiaire particulier ça va plus se concentrer sur les différentes cultures, religions etc...
Guimauv_royale
Posté le 23/08/2020
Coquilles

- Il (se) pinça les lèvres
- Angelus posa le pieds (pied)
- Sulpicia baissa les (la) tête
- Ta tenue est posée sur le lui (lit)
- Il revêtit une toge blanche et (une virgule irait mieux) magenta et peigna ses cheveux blonds
- Presque une centaine se (de) personnes discutait
- un bout de (la ?) Cité des ombres
- et s’empare (s’empara) d’une feuille et d’une plume
- fit celui (celui-ci) en le montant.


Remarque

- Tu répètes beaucoup de fois “cendre” dans la 1ère partie Lohan
AudreyLys
Posté le 23/08/2020
merchi !
_HP_
Posté le 18/07/2020
Hey !

Je pense que finalement, Lohan s'est "trop" attaché à Asha pour continuer sa relation (très particulière, de plus) avec Adhara ^^ Et je pense aussi qu'il va la rejoooiiiiindre 😝
Je t'avais déjà dit que j'aimais beaucoup l'idée des sanctuaires, mais j'aime d'autant plus que ça te permet de nous en faire subtilement apprendre plus sur tes personnages ^^
Et ça sent plutôt mauvais pour les voyageurs là, j'dis ça j'dis rien... 😬

• "Un beau morceaux de tissu brodé de fleurs dont la couleur oscillait" → morceau
• "il sentait chacune des broderie comme s’il tenait le véritable" → broderies
• "ce qu’il était, mais elle ne lui avait pas demander son avis" → demandé
• "Kurtis contempla la berge, oubliant les bruit et les odeurs du village" → bruits
• "Ta tenue est posée sur le lui, dépêche-toi, on va être en retard" → "le lui" ? 🤔
• "Adhara semblait si hautaine et capricieuse comparé à Asha" → "comparée", j'aurais dit ^^
• "depuis qu’il avait découvert le foulard de sa mère caché sous la cendres" → la cendre
• "la barrière de montagnes, se tenant éloigner du rivage de son enfance." → éloigné
• "qu’il eut comme un choc. Le ciel étoilée." → étoilé
AudreyLys
Posté le 18/07/2020
Yooo
Ha ha peut être 😏
Contente que ça te plaise <3
Hé hé
Merci pour cette avalanche de com’ (((o(*゚▽゚*)o)))♡
Alice_Lath
Posté le 14/05/2020
Mmh, est-ce qu'il partirait pas à la recherche d'Asha le petit monsieur? En même temps, Adhara et lui, c'est spé quoi. Elle lui reproche clairement de pleurer, c'est pas mega mega sympa, pareil pour la notion de consentement. Et cette migration de villageois héhé, quelque chose me dit qu'ils vont dangereusement se rapprocher d'Asha et de la Cité des Ombres. En tout cas, ils sont bizarres eux aussi, euphoriques comme s'ils fumaient H24. Ils vont prendre cher, très cher.
AudreyLys
Posté le 14/05/2020
yep x)
Le consenquoi ?
"comme s'ils fumaient H24" XD ouais ils vont prendre cher :P
El
Posté le 13/04/2020
Coucou !
Je trouve la relation Adhara/Lohan un chouia malsaine.. Il a presque dit qu'il avait pas envie, mais on insiste quand même, mué mué mué.
Par contre, on en apprend plus sur Lohan, et ça, j'adore <3 Le concept des sanctuaires est super cool aussi, j'ai l'impression que je comprends un peu la symbolique derrière. Il court rejoindre Asha pour retrouver de la lumière parce qu'en fait la lumière c'est vachement sympatouche ?
Alors, j'ai un keur (<3) à donner à Moïa, voilà, tu lui transmettras pliz :p
Contrairement à Sorryf, j'adore toutes ces intrigues croisées qui finissent par se rejoindre. Je sais pas si c'est effectivement GoT qui me fait aimer ça, mais bon x3
AudreyLys
Posté le 13/04/2020
Coucou !
Ah bah oui c'est pas sain c'est sûr, Adhara n'en a rien. faire du consentement des gens
Oui, c'est ça, et d'autres choses. ^^
Oki, je lui transmets, mais pourquoi un keur ?
Ah oui, moi aussi j'adore ça x)
Merci pour ta lecture et ton com' !
El
Posté le 13/04/2020
J'sais pas, je l'aime bien cette Moïa :D
Keina
Posté le 25/01/2020
Ohoh ! Lohan a senti qu'Asha allait être en danger, et il vole à son secours, à tous les coups !
Je me demande d'ailleurs si Angelus et Amaya, dans leur périple dans les montagnes, ne vont pas tomber sur elle... Et vu qu'ils ne semblent pas vraiment très "open" en ce qui concerne les Sylviens (bon, c'est juste une intuition, vu leurs pratiques religieuses...), je sens venir les embrouilles...
Par contre, du côté des Sylviens, je t'avoue, j'ai du mal à me souvenir des liens de parenté entre eux. Kurtis, c'est le frère d'Asha ? J'ai cru à un moment que c'était son père, mais vu que tu parles d'un jeune garçon, j'ai dû confondre. Il faudra que je relise la première partie pour me les remettre en tête. Sinon, c'est toujours aussi cool !
AudreyLys
Posté le 25/01/2020
Oui <3
Haha oui je n'ai pas introduit Angelus et Amaya pour rien, il vont bientôt croiser la route d'un des autres perso (d'ailleurs t'as deviné le problème que ça va poser : la religion, JEDISPLUSRIEN)
J'ai déjà remarqué que tu confonds Kurtis et Aedan, du coup je peux te faire un petite topo sans que t'aies besoin de relire toute la partie 1. Grosso modo on a quatre parents (2 couples du coup) qui ont chacun eu deux enfants, mais un parent de chaque couple est mort le même jour, du coup les survivants, Aedan et Séla, se sont unis pour élever les orphelins ensembles. Ces enfants sont Keatys (l'aînée, fille de Séla), Asha et Keira qui sont les filles d'Aedan et Kurtis qui est l'enfant de Séla. Je sais pas si je suis claire... En gros le père c'est Aedan et Kurtis est le frère adoptif d'Asha et Keira mais le frère biologique de Keatys.
C'est un peu compliqué cette famille recomposée, désolée.

Merci !
Sorryf
Posté le 15/01/2020
Oooh, Lohan va retrouver Asha !! Il aura pas tenu longtemps xD
La partie de Kurtis était très intéressante, ces interdits qu'il va devoir apprendre a transgresser. Hate de connaitre son totem !

La partie Amaya et Angelus, je sais pas encore quoi en penser, ça me perturbe de ne pas arriver a les lier aux autres histoires, peut-être parce qu'ils arrivent tard dans la narration... Mais je te dis pas de changer, je pense que c'est une question de gouts persos, récemment j'ai regardé pas mal de séries qui font ça et ça m'énerve a chaque fois, mais je suis la seule ! Je voudrais bien que tu me spoiles si les intrigues vont se recouper, si oui dans longtemps, si j'ai pas déjà manqué des indices permettant de situer (en ce moment je lis dans les pires conditions :o )

Je reviens a Lohan, j'aimais bien sa relation avec la vilaine Adhara, et je suis encore pour eux, plutôt que pour Lohan/Asha. Je suis aussi intriguée parce que je me demande ce que prévoyait Lohan pour sa vengeance, et quel rôle avait Adhara dedans. J'espère qu'on en a pas fini avec ce duo de plan-cul :p
AudreyLys
Posté le 15/01/2020
Il a tenu deux-trois mois XD c’est déjà pas mal ! Perso je pense que je resterais skotchée à Asha xD
^^
J’espère que le suspens du totem de Kurtis va pas te paraître trop long parce que c’est pas pour tout de suite...

Ah toi tu n’aimes pas GoT XD moi j’adore et j’adore aussi les POV multiples et sans forcément de lien du coup y en plein dans DE. Mais ne t’inquiète pas ils ne restent pas détachés des intrigues principales très longtemps généralement. Bah d’accord je spoile alors XD Angelus et Amaya vont rencontrer un perso dont on a le POV dans la partie 2 mais je pense qu'à ce moment là tu vas pas aimer (j’en ai peut-être trop dit ?). Tu n’as pas spécialement raté d’indices, faut juste retenir qu’ils vont partir et donc rencontrer d’autres perso. Désolée c’est encore à cause des grèves :-/ ?

Moi aussi je les adore, alors c’est pas fini ! « Duo de plan-culs » XD

Merci pour ton com Sorryfounette !
Sorryf
Posté le 15/01/2020
Lol j'y ai pensé à GoT en plus en écrivant mon com, je crois que c'est la série qui a habitué tout le monde a cette structure (sauf moi, puisque j'ai pas aimé xD)
Oui a cause des grèves et de mon stress de PAL qui fait que je me force un peu a lire quand les circonstances s'y prêtent pas... mais ça s'arrange les transports, je pense le pire est passé
AudreyLys
Posté le 15/01/2020
Bah manque de bol c'est Le Trône de Fer (plutôt les bouquins que la série) qui m'a beaucoup pour DE :P XD
Bwo te force pas, va à ton rythme <3 j'espère que ça reviendra vite à la normale (pour nous les grèves c'est juste des cours en moins parce que les transports marchent toujours donc franchement je me plains pas)
Vous lisez