Chapitre 3 : Réunion

Par Joffrey

Alors que la meurtrière fonça sur lui, le conseiller était paralysé par ce qu’il venait de voir. Heureusement, sa monture, bien plus réactive que lui, se cabra et failli le renverser. Ce n’était pas la première fois qu’Élias se trouvait dans une telle situation, le bois des fées était connu pour les nombreux accidents mystérieux qui s’y déroulaient. Le botaniste se redressa, profita de l’élan de la bête pour se jeter en arrière et atterrit sur le sol, à genoux. Tentant simplement de se défendre face à la terrible épéiste, le cheval tomba au sol écumant et souffrant terriblement.

Plus rien ne pouvait protéger le jeune homme. Encore une fois, la nordiste fonça sur sa nouvelle cible préparant un terrible coup d’estoc. Se connectant à la source, Élias s’y abreuva comme rarement il l’avait fait dans sa vie. Son tissage s’étendit à ses pieds à une vitesse folle, alors que la lame de la combattante s’embrasa à nouveau. Le terrible fer de flamme fut stoppé dans sa course par un tronc qui sortit violemment du sol. Puis en une fraction de seconde, l’épéiste se retrouva face à un mur de bois lui barrant la route. Le hibou porta la main à son visage. Constatant qu’une grande partie de son masque avait volé en éclat, Il se rendit compte que du sang avait commencé à couler le long de son arcade. La blessure n’était que superficiel et son plus grand problème n’était pas encore résolu. En effet, ne se laissant pas barrer la route par ce qui ne semblait à ses yeux, n’être que des misérables brindilles qu’elle fauchait sans mal, la meurtrière approchait toujours lentement mais sûrement. S’abreuvant une nouvelle fois à la source, le botaniste se prépara à la prochaine attaque de son ennemie.

Impitoyable, la mystérieuse guerrière réussit à se frayer un chemin pour atteindre enfin le mage qui fonçait aussi dans sa direction. Elle arma un coup et abattit de toutes ses forces son épée sur le crâne du pauvre hère. Des ronces sortirent alors du masque et restreignit la lame de la guerrière. Le Hibou continua de foncer sur elle, ayant renforcé son masque grâce à la magie et quelques écorces. Il canalisa un tissage dans sa main qui déchira son bandage. Dans une fulgurance dont elle seule avait le secret, la mystérieuse femme attrapa le poignet d’Élias et le leva instinctivement dans le ciel. L’air vibra violemment à cause du tissage et résonna dans le silence qui s’imposa. Alors les deux combattants se trouvaient l’un face à l’autre. Le masque du botaniste finit de se briser révélant entièrement son visage.

La chouette dépassait d’une tête le Hibou qui tentait de se débattre en vain de sa prise. Elle ne profita pas de l’avantage qu’elle détenait sur lui pour l’achever, rengainant même sa lame. Élias essaya de ne montrer aucun signe de faiblesse mais sa connexion avec la source l’avait exténué. Pour la seconde fois, la nordiste prit la parole :

-Je ne pensais pas tomber sur toi. Malheureusement même avec les précautions que j’avais prise te voilà empêtré dans cette histoire.

-Qui êtes-vous ? Répondit sèchement le hibou.

-Une personne en quête de vengeance. Méfie-toi de tes amis.

-Ça ne répond pas à ma quest…

Avant la fin de sa phrase, l’étrange cavalière assomma d’un simple revers de la main le pauvre homme. Il tomba au sol. Sombrant dans l’inconscience, Élias remarqua que la jeune femme enlevait son masque. La seule chose que la mémoire du jeune homme réussit à retenir de son agresseur était une chevelure d’un noir d’ébène striée de quelques cheveux blancs.

 

Quand Élias reprit conscience, c’était dans un lit inconnu. Son corps entier était endoloris et un mal de crâne lancinant occupait son esprit. Une leçon de sa grand-mère lui revient en mémoire à ce moment. Un sermon sur la trop grande consommation de magie. Une fois de plus, mamie Eli avait eu raison. La lumière du soleil l’éclairait délicatement. Lorsqu’il ouvrit les yeux, deux voix féminines s’agitèrent :

-Ah ! Notre princesse se réveille enfin Agathe !

-Chut, laisse-le se réveiller tranquillement. Il ne doit pas être dans son assiette.

Le jeune homme se redressa sur son lit mais des vertiges l’assaillirent aussitôt. Une main puissante le repoussa violemment l’obligeant à se rallonger. Elle appartenait à une femme blonde, ses traits sévères et faussement nobles cachaient ses origines modestes. Elle était bien plus grande que le botaniste. Tout en réajustant ses vêtements chics, Agathe déclara :

-Ah non ! Toi tu restes allongé pour l’instant, tu as trop tiré sur la corde ces derniers temps et ça se voit. Tu as vraiment une tête de déterré. Je suppose que tu ne fais pas attention à ton alimentation. Rose, s’il te plaît, prépare lui un peu de thé, il faut qu’il s’hydrate. Après avoir mangé quelque chose tu iras te laver, même si je remarque que tu fais au moins un peu attention à ça. J’espère aussi que tu ne négliges pas ton entraînement !

-Tu m’assommes de questions alors que tu viens de dire à Rose de me laisser tranquille ?

-Ce ne sont pas des questions mais des exclamations, voyons, je connais déjà toutes ces réponses.

-C’est vrai que tu as toujours réponse à tout Agathe. A moins que tu préfères que je me réfère à toi par ton titre ?

La jeune femme toisa le jeune homme du regard et lui cracha :

-Oui, il serait mieux que tu m’appelles Lièvre, que tu te souviennes ce que veut dire « Faire partie de l’Assemblée ». Regarde ce qui est arrivé à ces pauvres soldats qui étaient censés te protéger. Si tu avais été un véritable Tisserand, tu aurais pu les sauver et affronter la personne qui t’as mis dans cet état !

-Ah c’est vrai que j’aurais dû prendre une épée et l’agiter devant son nez ! A quoi ça aurait servi ! Je ne suis pas un soldat, je n’ai jamais demandé à faire partie d’un quelconque pouvoir et encore moins de me retrouver dans vos problèmes !

-Tu n’as pas choisis, comme chacun d’entre nous. Le don a choisi pour nous, maintenant notre rôle est de prendre nos responsabilités ! Ce n’est pas en fuyant à l’autre bout du royaume que tu seras libre !

-C’est ridicule, vous êtes tous si aveuglés par cet Assemblée, par ce besoin de vous mettre en avant !

Les esprits s’échauffaient de plus en plus, Élias était sur la défensive. Alors qu’Agathe continuait à le pousser dans ses retranchements. C’est à ce moment que Rose décida d’agir en tendant une tasse à chacun et en demandant gentiment :

-Calmez-vous un peu les amis, ça ne sert à rien de se battre pour ça. Après tout nous devons ramener Élias en un seul morceau, n’est-ce pas Agathe ?

Malgré ses badinages, Rose était une reine de la négociation. Aucun ne pouvait l’égaler quand il s’agissait d’apaiser les tensions, à mieux y réfléchir cela lui venait sûrement de sa famille. Cette jeune femme aux cheveux d’or et aux yeux mauves était l’hirondelle de l’Assemblée, mais aussi, un véritable mystère indéchiffrable. Elle continua en s’installant confortablement dans sa chaise en face d’Élias et l’interrogea :

-Elisabeth nous a parlé de tes travaux sur la magie. As-tu continué à travailler dessus ?

-Oui j’ai continué mes études, actuellement j’essaye de prouver mes soupçons.

-En tout cas, sache que tes travaux ont agréablement surpris Léandre. Si tu arrives à prouver que la source n’est pas une simple entité mais qu’elle fait partie de notre monde… Je n’imagine pas les répercussions possibles !

-Nous pourrions l’utiliser comme une source d’énergie au même titre que le bois pour une cheminé par exemple ! reprit Agathe.

Les discussions à propos de l’origine de la magie alimentaient la dégustation de thé, le botaniste restait cependant en retrait la majeure partie du temps. La matinée s’écoula rapidement et la tension laissa place à des discussions plus calmes. Lorsqu’il en eut assez, Élias posa sa tasse sur la table de chevet du lit. Il se leva sans ménagement et rassura ses deux consœurs en prenant la direction de la porte :

-Je vais aux bains, il me semble que nous sommes à Aast. Je suis venu plusieurs fois avec Elisabeth, cette auberge doit avoir des sources thermales non ?

-Effectivement, profite bien de ce petit temps de repos ! N’oublie pas de revenir parfaitement propre sinon j’en connais une qui va te passer un savon. Répondit Rose sur un ton moqueur.

Lièvre n’émit qu’un léger grognement envers sa camarade.

-Je vais y penser. Rétorqua sur le même ton le hibou.

 

Les bains thermaux d’Aast en faisaient sa renommée dans tout le royaume. Il s’agissait d’un art transmit par les Aquariis, le peuple de la mer. Très peu de personnes avaient la confiance de ces mystérieux personnages, mais chaque être ayant eu la chance de recevoir leurs connaissances revenaient chez eux avec de grands talents. L’auberge était magnifique, sa construction n’était pas le fruit du hasard et cela se ressentait dans les matériaux utilisés ainsi dans la configuration du lieu. A n’en pas douter, son architecture était un héritage Aquarīs.

Il atteignit la salle des bains, se déshabilla et profita de la désertion du lieu pour se relaxer.  La pièce était chaleureuse et bien aménagée, construite à même la pierre, des mosaïques décoraient l’ensemble des murs dans des couleurs chatoyantes. Cela faisait un moment que le botaniste n’était pas venu à Aast.

Se laissant presque couler entièrement dans l’eau chaude il repensa à la guerrière au masque de chouette. Ses deux consœurs avaient agi étrangement. En effet, ni l’une ni l’autre n’avait posé une question sur la nature de l’attaquant, comme si elles connaissaient déjà ce potentiel ennemi. La lettre que Lion lui avait fait parvenir parlait d’une menace pour les membres de l’Assemblée. Mais il semblait que son confrère en avait volontairement amoindri la dangerosité.

Quoiqu’il en soit la Chouette était dangereuse, sa force n’était plus à prouver tout comme sa maîtrise du tissage. Pourtant quelque chose semblait lui échapper, quelque chose dont il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Le corps du botaniste était endolori par les multiples puisements de magie. Cependant, ce qui le faisait le plus souffrir, était la perte de deux vies. Deux vies qu’il n’avait pas su protéger. Le fantôme qui l’avait hanté récemment se manifesta à nouveau. La petite Hilda lui murmura « Pourquoi en étant si fort, encore une fois, tu n’as rien fais ? ». Élias serra les dents car, au fond de lui, il connaissait la réponse. Il n’était qu’un lâche. Agathe avait touché un point sensible, le Hibou avait toujours pensé qu’en fuyant loin de la capitale le monde l’oublierait. Mais il ne l’avait pas fait et au contraire c’était ce dernier qui l’avait puni avec ce rappel à l’ordre cruel. Finalement, depuis sa jeunesse rien n’avait changé, seul l’échec avait guidé ses pas.

Il sortit de son état méditatif et le fantôme de son passé disparut aussitôt. Le botaniste finit rapidement sa toilette. Lorsqu’il sortit enfin des bains, le jeune homme ne trouva pas ses vêtements. A la place, une nouvelle tenue avec un masque identique à celui qu’il avait perdu l’attendait. La présence fantomatique réapparut assise en haut de l’armoire, balançant ses pieds au rythme d’une musique qu’elle seule entendait. Son regard se planta sur Élias, cependant ce dernier l’ignora. Il s’habilla sans vraiment faire attention à ses vêtements mais resta planter devant le masque.

-C’est qu’un masque qu’attends-tu pour le mettre ? Interrogea Hilda.

-Il représente ce que j’ai fuis toute ma vie. Murmura le botaniste.

-Oui… Te voilà face à un véritable dilemme. Quel est ton choix ? Railla la petite fille.

La main du jeune homme se dirigea vers l’objet de ses problèmes. A l’instant où ses doigts le frôlèrent, il se stoppa. Il tremblait face à lui, face à l’Assemblée, ses responsabilités, sa culpabilité. Ce masque était son fardeau. Avec toute sa volonté, sa main se posa sur la surface lisse et froide du masque. Il ne put retenir un frémissement quand ses doigts agrippèrent le bord de l’objet. En le présentant devant son visage, le temps sembla s’étendre indéfiniment. Son cœur palpitait prêt à faire exploser sa poitrine. Au dernier instant, son bras se relâcha violemment, retenant in extremis le masque. Le botaniste poussa un soupir pour retrouver son calme et prit la direction de la sortie. La petite Hilda observa le départ de son supplicié et marmonna « Couard… ». Quand il franchit la porte, Élias était certain que les jours à venir n’allait pas être de tout repos.

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