Chapitre 3 - Rencontre

Par Siocbo

 - Rien n’indique que les humains prévoient de continuer leur attaque… Leur retraite était réelle.

 - Envoyez nos drones pour les chatouiller dans leur retraite. Cadeau d’au revoir, ordonna Elmunneth, le chef de l’armée démoniaque.

Voilà quatre jours que le point zéro n’émettait plus de mana, et alors que le convoi était désormais à la lisière du territoire des gobelins, un messager les avait rejoints pour donner des nouvelles du front.

Quelque chose ne tournait pas rond. Les humains sont-ils responsables de cette situation ? Le désarroi s’était installé dans son cœur, et il ne pouvait s’empêcher de spéculer en vain sur les événements actuels.

Il faudrait encore quelques heures de voyage au convoi d’une trentaine de militaires armés jusqu’aux dents pour arriver sur les lieux présumés du point zéro. De nombreux démons de faible rang les observaient passer au loin au travers des fourrées dénudées par l’hiver rude. Bien sûr, rien de tout cela n’intéressait ces démons aguerris à l’égo prononcé. Après tout, dans cette civilisation, il était généralement accepté d’être vaniteux à l’égard des créatures moins puissantes que soi. C’est d’ailleurs pour cette raison précise qu’une troupe d’élite choisie parmi tous les démons du continent avait baissé sa garde, entourée par tant de démons du plus bas niveau.

Crash

En tête du convoi, la monture de l’un des démons venait de se faire dévorer par un trou béant vraisemblablement préparé à l’avance. La preuve en était les branches taillées contemplant le ciel pourpre après avoir embroché la pauvre bête. Bien entendu, le guerrier ne fut pas inquiété pour sa vie et seule celle de son fidèle destrier avait dû être abandonnée à un piège grossier qui avait pourtant su les duper.

La réponse fut instantanée et l’atmosphère se durcit en une fraction de seconde. Ces trentes démons dégainant leur arme de prédilection comme un seul homme créèrent un tintement métallique strident. Comme si cela avait été répété à l’avance, tous les petits êtres jusqu’à lors spectateur prirent leur jambes à leur cou.

Parmi ceux-là, un groupe de cinq gobelins ricanants s’enfonçait dans la forêt à toute allure.

Incapables d’échapper au regard acéré d’Elmunneth, les soldats à son service n’eurent pas besoin de dix secondes pour capturer les gobelins et les ramener à lui.

 - Kighaghu go ka ghiiiiii !

D’abord dubitatif quant à l’utilisation de pièges de la part de gobelins, il eût suffit de cette interaction pour rappeler à Elmunneth qu’il n’était pas nécessaire d’essayer de communiquer avec ces êtres primitifs. Leur regard rageur semblait empli d’une once de folie, nouvelle pour une créature d’habitude si chétive face à plus fort que soi. 

Qu’importe. Ils restent des gobelins. Durcissant sa poigne, prêt à mettre fin aux cinq gobelins d’un tranchant de son épée, il se figea.

 

Une goutte de sueur perla sur son front, seul signe manifeste que le temps ne s’était pas arrêté. Une éternité passa. Les tremblements de ses globes oculaires basculèrent finalement sur la paire d’yeux flamboyants qui le pourfendait depuis l’ombre d’un arbre.

Hiiiiii

Les pattes des 29 montures restantes se brisèrent, incapable de supporter le poids du ciel qui venait de s’effondrer. Les cieux semblaient s’être écrasés sur leur tête et ils étaient maintenant coincés entre le ciel déchu et leur monture agonisant au sol. Seul Elmunneth était toujours sur ses deux jambes, résistant tant bien que mal au poids surnaturel qui le poussait inlassablement vers le sol froid. Terreur, effroi et horreur cosmique suffiraient à peine à décrire ce qu’il ressentait à présent. Il ressentait physiquement la main crochue de la mort caresser son cœur battant comme s’il s’agissait d’un amant perdu depuis trop longtemps.

L’être immaculé au loin prononça quelques mots qu’il n’eut pas le loisir de déchiffrer, étant dans ce que les gobelins appellent sûrement un langage. Le gobelin blanc fit volte-face, s’enfonçant dans la forêt, désinvolte. Et alors que les démons écrasés au sol ouvraient leur bouche, la douleur inscrite sur le visage pour tenter de reprendre leur souffle, Elmunneth posa les genoux au sol, épuisé par sa futile résistance. 

Non pas qu’ils en aient besoin avec leur corps pratiquement entièrement composé de mana, mais pendant plusieurs longues minutes, le seul son qui emplissait les oreilles du vieux chef des armées fut la respiration saccadée de ses subordonnés.

 - Qu’est-ce que… c’était… ?

Le souffle court, l’un des soldats murmura ces quelques palabres que tous se demandaient en silence. À cette question qui resta sans réponse pendant de longues secondes, c’est Elmunneth, alors qu’il se redressait, qui y répondit, la voix ferme et pleine d’une détermination renouvelée.

 - Point zéro. Point zéro est en fait une créature.

Il apparut telle une évidence au moment où il eut croisé le regard cinglant de la créature. Cette présence, la façon dont le mana se prosterne presque autour d’elle. Cela ne peut être que le phénomène mythique responsable de la récente guerre avec les humains. Il a disparu des radars il y a tout juste quatre jours et a pris la forme d’un étrange gobelin, le plus faible de tous les démons, et par conséquent la race qui a été refoulée jusqu’à ce trou paumé du monde.

Cela faisait désormais plusieurs minutes que le gobelin immaculé avait libéré les lieux, mais tous sentaient encore la douce étreinte de la mort, symbole rémanent de la présence de la plus grande des créatures. Pourtant tous étaient contraints. Tous se sentaient appelés à le voir une nouvelle fois. À expérimenter une nouvelle fois sa présence. Leur instinct de survie complètement détraqué par une force supérieure, les soldats se remirent en marche à l’unisson.

Badoom

Dans la forêt où ils marchaient, le sol givré par l’hiver semblait aspirer leur chaleur corporelle à chaque pas.

Badoom Badoom

À chaque pas, ils ressentaient le froid s'engouffrer dans leur armure. Le vent glacial semblait capable de cisailler leur visage et les branches dénudées des arbres semblaient plus aiguisées que les armes des humains.

Badoom Badoom Badoom

Peut-être était-ce pour toutes ces raisons que le vacarme était si étourdissant. Peut-être était-ce pour toutes ces raisons que leur cœur battait si fort.

Peut-être était-ce pour toutes ces raisons que sur leur visage, un sourire rayonnait.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez