Chapitre 3 : L’institution Saint-Georges

Sans surprise, les deux amis trouvèrent à leur arrivée les grilles de l’Institut Saint-Georges fermées. 

— Bingo, maugréa Siméon. On applaudit tous Joey pour sa capacité à nous mettre dans le pétrin...

Joey ne releva pas. Elle attrapa le cordon de la cloche de porte avant d’en agiter le battant. Siméon fit un pas de côté afin de se glisser derrière son amie. Entreprise de dissimulation vaine tant son corps débordait de tous côtés.

— Qu’est-ce que tu fais, Siméon ? demanda Joey sans cesser de scruter l’obscurité de la cour du collège.

— Chut, ne bouge plus.

— Pourquoi ?

— C’est pas toi qui m’as dit que les dinosaures avaient une très mauvaise vision ? Si on reste immobile, ils ne nous voient pas...

— Non, on l’a entendu dans un film aux sources scientifiques vraiment douteuses…

— Essayons quand même, juste pour voir... murmura Siméon entre ses dents.

— On a l’air d’un épouvantail. Tu te caches derrière moi alors que tu fais deux têtes de plus que moi. Et tiens, j’ai un scoop pour toi, le superviseur n’est pas un tyrannosaure...

« Enfin, ça se discute... », se dit Joey pour elle-même.

Calûm, géant pour sûr aussi grand qu’il était chauve, sortit lentement de la pénombre. D’abord un pied, une jambe, puis le reste de son long corps maigre. Seule l’ombre qui entourait ses globes oculaires, enfoncés dans ses orbites, ne se dissipa pas. Vêtu d’une longue blouse grise boutonnée sur l’avant, l’homme s’avança vers eux d’un pas lent. Le trousseau de grosses clefs noircies que le superviseur tenait dans la main droite semblait être le prolongement naturel de son interminable bras.

— Où étiez-vous ? lança-t-il d’une voix grave et morne en les observant à travers les barreaux du portail. 

En vérité, Calûm se moquait de connaître la raison de leur retard. D’ailleurs, il ne leur laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.

— L’institut n’est pas un moulin, continua-t-il sans que son visage ne laissât transparaître la moindre expression. Les entrées et sorties sont strictement réglementées.

— Désolés, lança instinctivement Joey.

Elle n’en pensait pas un traître mot. C’était un jour spécial et, si elle n’éprouvait pas le moindre scrupule à arriver en retard en toute occasion (de ses propres dires, elle avait toujours de bonnes raisons de l’être), ce n’était sûrement pas aujourd’hui qu’elle allait commencer à culpabiliser. Une lettre de l’oncle Edward valait bien une nouvelle entorse au règlement.

— Je vous attendrai dans la grande salle à quinze heures, conclut Calûm en déverrouillant la porte.

Le géant n’avait pas eu besoin de préciser quel était l'objet de cette lugubre convocation. Joey et Siméon savaient pertinemment que chaque retard était sanctionné par une heure de retenue à la fin des cours.

Calûm ouvrit la porte du vieux châssis en fonte. Alors que Joey s’apprêtait à entrer, il l’arrêta en soulevant son long bras à la main inanimée. La vue du membre pendant arracha un rictus de dégoût à Siméon.

— Ajustez votre uniforme, ordonna le superviseur.

Joey obéit, réfrénant un élan de rouspétance mal placé.

Calûm était le gardien des clefs de cet ancien monastère transformé en institution pour jeunes gens de bonne famille. Joey le trouvait aussi crispé que Saint-Georges dont la statue trônait fièrement dans la cour de l’école. Cela dit, elle se demandait parfois s’il ne ressemblait pas davantage au dragon qui l’accompagnait, pataud, mais toujours sur le qui-vive. 

L’école devait son nom à une fameuse légende issue de l’imaginaire médiéval qui raconte que Georges, un valeureux soldat, aurait réussi à sauver la fille d’un roi des griffes d’un dragon. Après avoir apprivoisé l’effroyable bête, l’homme l’aurait terrassée du bout de sa lance avant d’être canonisé pour sa bravoure. 

Cette histoire avait longtemps laissé Joey pensive. Se pourrait-il que pactiser avec Calûm puisse lui valoir quelques petits arrangements avec les horaires ? Elle s’était ravisée rapidement. Joey étant bien trop intègre pour nier la méfiance que lui inspirait le superviseur. 

Joey détonait dans cet environnement aussi morose et ankylosé que l’était son gardien. Sa vivacité d’esprit et sa spontanéité étaient souvent confondues avec de l’arrogance par la plupart des enseignants de l’école. Il est vrai que peu d’enfants de son âge osaient reprendre leurs aînés avec autant d'aplomb. Malheureusement, Joey n’était pas plus populaire auprès de ses camarades. Le contraste de ses cheveux roux avec les briques grisâtres des murs était un rayon de soleil dans ce lieu terni par le temps. Cette lumière, tout comme le vent de liberté qui accompagnait la fillette partout où elle passait, incommodait la plupart des autres écolières. Tirées à quatre épingles, ces dernières la comparaient à une mauvaise herbe et la considéraient avec dédain. Il est vrai que Joey poussait hors des sentiers battus. Comme sa mèche rebelle, elle était libre et sauvage. Elle souhaitait plus que tout marcher sur les traces des grands explorateurs qui berçaient son imaginaire. Son oncle Edward était l’un d’entre eux. Nul doute que pour Calûm, garant des bonnes manières, Joey était une erreur de distribution dans cette académie réputée. On tolérait malgré tout sa présence, eu égard à la grande générosité du Dr Huntley qui, chaque année, invitait gracieusement les classes de tout l’Institut à des visites guidées du Muséum d’histoire naturelle.

Siméon, de son côté, était la cible privilégiée des autres élèves qui voyaient en lui un binoclard suffisamment craintif pour endosser le rôle du bouc émissaire. Ce n’était pas tant son allure de grande marionnette affamée qui forçait le garçon à accepter les moqueries de ses camarades. Après tout, les roquets sont souvent les plus hargneux ! Non, il devait sa lâcheté à une angoisse maladive de se blesser dans une partie de castagne. Siméon avait toujours été très anxieux à l’idée de se casser quelque chose ou de contracter toutes sortes de maladies. Son hypocondrie était malheureusement nourrie par sa passion pour l’informatique. Chacun sait que l’on trouve sur Internet des réponses aux questions que l’on ne s’était pas encore posées ! Siméon était en effet un élève brillant qui passait le plus clair de son temps libre à coder des pages incompréhensibles sur son ordinateur, ce qui laissait Joey des plus admiratives.

Les enfants s’éloignèrent de Calûm d’un pas pressé et s’engouffrèrent dans l’allée damée de la galerie qui longeait le cloître. Leurs mocassins claquaient sur les pavés dans un écho lugubre qui se répercutait contre les ogives du plafond. Du lierre grimpant s’enroulait autour des piliers en pierre et semblait dévorer la façade cendrée. Non, décidément, l’Institut Saint-Georges n’était pas un lieu très accueillant.

— Je ne m’y ferai jamais. Il est trop effrayant.

Siméon jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier que Calûm ne les suivait pas. Il trouva finalement plus effrayant encore de constater que le superviseur avait déjà disparu.

— Où tu vas maintenant ? questionna-t-il.

— J’ai un cours de biologie... avec monsieur Cornebuse. 

Le silence qui avait entrecoupé la phrase de Joey ne laissait pas de place au doute : elle appréhendait de se rendre à sa première leçon de la journée. Si Calûm ne l’effrayait pas le moins du monde, Cornebuse lui glaçait le sang. 

— Ah..., observa Siméon, contrit. Admettons qu’il y ait un jour plus favorable qu’un autre pour arriver en retard, tu as mal négocié ton coup ce matin.

Igor Cornebuse était en effet un professeur de biologie tout ce qu’il y a de plus rigide. Le retard de Joey ne ferait qu’accentuer le mépris qu’il ressentait pour son élève et cette dernière n’échapperait pas à l’une de ses nombreuses remarques acerbes. Mais déjà une étincelle s’était rallumée dans le regard de la fillette : elle savait que dans quelques heure, elle pourrait enfin lire la lettre de son oncle.

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Kamo Azmar
Posté le 02/11/2022
Bon, eh bien en vérité, je ne trouve pas que ce soit aussi cliché que ce à quoi je m'attendais, pour l'instant. Je trouve en revanche que le paragraphe sur à quel point Joey est un esprit libre et marginal est un peu too much... Après, j'ai tendance à trouver antipathiques les personnages quand on accentue trop leurs qualités ou leurs défauts.
Et je ne suis pas sûre d'avoir compris le lien entre l'hypocondrie de Siméon et sa passion du codage... On dirait qu'il en vient à hacker le système des laboratoires de recherche !
Et aussi, Calûm me fait irrésistiblement penser à Gru sans vraiment de raison, ça me fait beaucoup rire !
Jane_Version97
Posté le 21/03/2020
Hello !

J'apprécie la richesse de ton vocabulaire, je trouve que les termes choisis restent accessibles et j'ai l'impression que ton histoire pourrait convenir à un public assez jeune. Je retrouve la fluidité de ta plume avec grand plaisir vu que je te lisais sur une autre plateforme avant :)

Je trouve tes personnages très attachants et leur introduction dans l'histoire est bien menée. Par contre tu donnes beaucoup de détails sur eux (personnalité et physique), je trouve que ça manque un peu de cohérence avec le fait que tes personnages se connaissent déjà. Je pense que les intégrer de manière plus subtile servirait ton récit : le passage où siméon se cache derrière joey m'a plu pour cela, car il donnait une raison particulière de parler de sa grande taille.

C'est tout pour moi ! ;)
peneplop
Posté le 29/03/2020
C'est bien vu. C'est un des rares passages qui n'a pas été récrit en vérité. Peut-être qu'il mériterait de l'être en effet ! Merci ;)
SalynaCushing-P
Posté le 15/02/2020
J'aime vraiment Joey et je peux totalement comprendre pour avoir été plusieurs années dans un établissement avec uniforme. Etre différente dans un monde rigide n'est jamais agréable. Aurais tu été traumatisé par une professeur de biologie ?
peneplop
Posté le 18/02/2020
Coucou ! Oui, en quelque-sorte ! :D Merci de ta lecture ;)
MrIous
Posté le 01/01/2020
Eh, j'ai lu les commentaires déjà postés, et je ne vais pas répéter ce qui a déjà était dit, parce que je suis relativement d'accord avec eux.

Il y a un détail qui me rend chafouin. Si je n'ai pas tout mélangé et oublié, il me semble qu'on parle de paléontologie dans ton histoire, du coup, le fait quu tu dises que le tyrannosaure a une mauvaise vu, c'est pour rester dans le mythe ou c'est parce que on ne t'a jamais dit que ce n'était fortement pas le cas ? C'est du tatillonnage, mais bon x)
peneplop
Posté le 01/01/2020
Hey ! Tu as raison de "tatillonner" ! J'avoue que sur le coup, c'était la seule chose qui pouvait justifier l'attitude bizarre de Siméon... J'ai tergiversé un moment et je me suis dit que j'y reviendrai plus tard... et je n'y suis jamais revenue ! Mais tu as absolument raison ! Je pourrais juste faire dire à Joey qu'il se gourre... Je vais voir comment arranger ça. Si tu t'y connais, rdv dans quelques chapitres pour une belle aberration ! ^^ Mais assumé, celle-là ;) Merci de ton commentaire !
Renarde
Posté le 22/12/2019
Coucou peneplop,

"Joey dénotait dans cet environnement" est-ce que tu voulais dire "détonait" ?

Je me demandais si Joey était populaire. On a la réponse.

Je suis partagée sur les deux chapitres où tu décris les deux enfants. D'un côté ils sont très bien écrits et cela permet de poser les deux personnages, de l'autre, cela gagnerait à être disséminés dans le récit plutôt que d'être posé en bloc explicatif.
Par exemple, je pense que tu peux faire ressortir l’hypocondrie de Siméon dans les dialogues plutôt que de dire qu'il l'est, je ne sais pas si je suis claire (le fameux "show don't tell" que je ne maîtrise pas plus que ça...).

Dans tous les cas, je suis fan de tous tes persos ! Tu les croques particulièrement bien je trouve, et chaque nouvelle arrivant à sa personnalité (Calûm, Cornebuse), ce qui fait qu'on rentre très facilement dans ton histoire.
On a à la fois envie d'en savoir plus sur le mystère que l'on sent en toile de fond, et simplement passer un peu de temps à l'école à découvrir l'environnement de Joey et Siméon.
peneplop
Posté le 22/12/2019
Salut Renarde ! Je suis d'accord avec toi. Moi aussi je me suis posée la question. C'est un chapitre que j'ai peu retouché. Les descriptions mériteraient d'être plus habiles. Je me le note. Merci !
Arabella
Posté le 09/05/2019
Coucou Pénéplop ! Lecture de 2 chapitres d'affilée parce que je voulais savoir la suite! 
Tu ménages d'ailleurs super bien tes fins de chapitres: on a envie de cliquer sur le bouton "suivant" ! 
Je ne peux pas m'empêcher de penser que le gardien de l'école et le prof de biologie ressemblent beaucoup à Hagrid et Rogue (avec des différences). L'histoire avance bien, on suite le rythme, les indices tout en pursuivant l'histoire au rythme de jeunes héros ce qui est très bien fait ! J'aime toujours autant ton univers. Tu es une bonne conteuse ! S'il y avait juste parfois un petit élément (sur lequel je suis pas bonne je trouve ça super difficile) c'est les dialogues: peut etre que parfois ceux des enfants font un peu trop "adultes". Après je sais qu'on a toujours la volonté de faire en sorte que dans les livres, les enfants s'expriment avec élégance puisque ceux sont des héros (des exemples) mais voilà, peut etre qu'ils pourraient plus se couper, se chamailler, être moins 'parfaits". Je ne sais pas si tu connais, mes les 1ers chapitres des Royaumes du Nord de Pullman est excellente la dessus ! Bise Pénéplop, merci pour cette lecture ! 
peneplop
Posté le 09/05/2019
Salut Arabella ! Merci de continuer de me lire !
Je suis d'accord avec toi : les dialogues manquent de réalismes à cause de la manière dont les enfants s'expriment. C'est tout à fait juste. C'est quelque-chose à revoir. Lorsque j'essaie d'enlever la particule de la négation, je trouve tout de suite que le rendu est très vulgaire. C'est pas si évident en fait (je le croyais à tord !).
Dans leurs fonctions respectives, oui tu as raison le gardien des clés et le prof font penser à Rogue et Hagrid. C'est marrant d'ailleurs parce que je n'y avais pas pensé (de l'importance de faire des fiches personnages........). Ce qui me fait dire que l'influence des livres que l'on a lu est plus subtile que l'on ne pense... Je vais y réfléchir !
Merci pour tes retours très aidants ! 
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