Chapitre 3 : Les habilleurs de Bangalkor

Notes de l’auteur : Je suis toujours preneuse de vos retours critiques pour améliorer mon texte !

Myriam rêvait doucement, allongée sur la confortable paillasse que lui avait mise à disposition Freyja. L’air était chaud, moite, propice à la sieste peu reposante dont on se réveille encore moins frais qu’en s’endormant. Les épais tapis de la pièce étaient confortables, les couleurs chaudes de la pièce la rendaient chaleureuse. Mais le flou dans lequel l’absence de souvenirs de Myriam la laissaient, ainsi que le décalage considérable entre les cultures bangalkiennes et ambrisiennes, plongeaient la jeune fille dans un désarroi profond chaque fois qu’elle y réfléchissait. Et elle avait un peu trop le temps d’y réfléchir : elle n’osait pas s’aventurer au dehors sans but précis et sa convalescence l’avait forcée au repos pendant de longues journées. Elle aspirait dorénavant à découvrir réellement Bangalkor, s’intégrer autant que possible dans cette nouvelle communauté lui semblait être la solution idéale à la perte de ses papiers légaux. Si elle était engagée dans sa nouvelle vie, personne ne viendrait lui chercher des noises, en tout cas c’était comme ça qu’elle voyait les choses pour le moment et il fallait bien se raccrocher à quelque chose.

              Freyja débarqua d’un coup dans le couloir. Elle apparut dans un faisceau de lumière entre les deux rideaux tendus dans cet espace réduit qui hébergeait la jeune fille.

        « Comment te sens-tu ? » dit-elle de son accent rocailleux.

        « Je me sens mieux. Beaucoup mieux. Milles merci pour votre accueil ! ».

Freyja souris doucement.

        « C’est bien. Je suis heureuse de cela. Je voulais te parler de quelque chose d’important. »

Myriam était toute ouïe. Elle avait l’impression de dépendre entièrement de Freyja depuis son arrivée à Bangalkor. Elle espérait pouvoir trouver un moyen de s’insérer dans la vie de la ville pour poursuivre son voyage et ses découvertes.

        « J’ai une proposition à te faire. Je crois comprendre que tu as envie de te trouver une activité et de voler de tes propres ailes. »

La jeune femme acquiesça, se demandant intérieurement si Freyja n’avait pas, en plus de toute sa droiture, le pouvoir de lire dans les consciences tant les moindres de ses paroles tombaient juste.

        « Mais pour cela il va falloir que tu viennes avec moi, visiter un boutique de tissu. Veux-tu me suivre ? »

        « J’arrive tout de suite Freyja », obtempéra Myriam en souriant doucement. Cette bangalkienne avait décidément une manière bien à elle de faire durer les mystères.

Elle attendait maintenant, campée de toute sa hauteur dans son couloir, ses deux enfants jouant à ses pieds. Miro et Issa étaient plutôt calme pour des enfants bangalkiens, pour le moment en tout cas. Ils jouaient tranquillement dans le giron de leur mère à s’envoyer des billes de terre colorées.

Myriam se leva doucement de son matelas posé sur le sol et enfila la tunique de lin brut rouge que Freyja lui avait prêtée, par-dessus ses fines cotonnades qu’elle portait en intérieur. Elle usait de toute la politesse ambrisienne avec Freyja et son époux Icto, ses généreux bienfaiteurs qui l’avaient accueillie chez eux. Jamais un mot plus haut que l’autre, elle rendait des services dans la gestion de la maison autant que sa condition physique le lui permettait. Parfois tout de même, elle osait une petite question sans en avoir l’air, quitte à risquer de se montrer curieuse.

              « Je serai bien curieuse de savoir où l’on se rend ce matin. » Pas trop direct quand même. Telle était la règle en Ambrisie. Mais bon, en même temps, elle n’était plus en Ambrisie.

Il faut bien dire que les silences de Freyja étaient parfois les plus longs du monde. Elle prenait toujours son temps pour répondre. Quitte à laisser Myriam imaginer les pires scénarios possibles et même inimaginables : l’avait-elle brusquée ? Sa question était-elle tellement détournée qu’elle n’en était pas audible par des oreilles non ambrisiennes ? Freyja s’était déjà retournée, elle engageait le mouvement vers la sortie, et indiquait d’un geste souple à ses enfants qu’ils restaient dans la maison avec leur père. Elle attendait prêt de la porte, droite et solide, que Myriam soit prête.

             « Tu peux poser tes questions comme tu le sens, tu sais Myriam. » Elle finissait toujours par répondre. « Aujourd’hui, je te propose d’aller rencontrer quelqu’un qui devrait t’intéresser. Tu me disais bien hier que tu souhaitais t’intégrer à la vie bangalkienne ? Eh bien, j’ai une idée pour cela. »

              Myriam avait confiance en cette femme qui l’avait accueillie chez elle et nourrie pendant bientôt une semaine. Elle était très directe et parlait sans fioriture. Un peu froide parfois quand même. Mais c’était toujours plus rassurant pour Myriam que la folie qui l’attendait toujours dès qu’elle passait le pas de la porte : la course incroyable des marchands et des passants qui allaient et venaient dans un joyeux brouhaha.

              Elles dévalaient maintenant les rues de Fleuridis à une allure qui était loin d’être celle d’une convalescente, aussi Myriam, qui soufflait comme un bœuf au labour, sentit un voile humide se poser sur son front. Elles allaient très vite, les rues défilaient, les ruelles entrevues étaient innombrables, les étals regorgeaient de marchandises allant des croissants au beurre d’ail aux plus fines pâtisseries praliné-piment qui existaient dans la région. Les odeurs enflammaient les narines peu habituées de Myriam.

              Freyja fini par s’arrêter devant une porte entrouverte, plutôt plus sombre que toutes les autres. Le quartier en lui-même était bien plus sombre et peut-être même moins chaleureux que Fleuridis ou que les rues qui jouxtaient la maison de Freyja.  Myriam avait cru déceler un léger changement de tonalité dans les ambiances des quartiers en descendant ainsi dans la ville. En réalité elles n’avaient pas franchement descendu. Elles avaient plutôt traversé de longues esplanades lumineuses après Fleuridis, puis par de multiples passages se réduisant petit à petit elles étaient parvenues à cette rue visiblement plus ou moins consacrée à l’habillement.

              La porte dont Freyja se rapprochait était surmontée d’une petite statue vêtue d’habits loufoques. Elle s’avança, Myriam sur les talons et elles passèrent le seuil de la porte.

              « Jorj ? Tu es là ? C’est moi. » lança-t-elle d’une voix ferme et discrète.

              Un petit homme rougeaud sorti d’un coin de la pièce encombrée de vases, de récipients divers. Il émergea au milieu d’une multitude de tissus et de tentures disparates qui s’amoncelaient tout autour d’eux. En forçant son regard, Myriam aperçut des ciseaux de toutes les tailles imaginables accrochés à un mur sans qu’aucun ordre n’ai semblé avoir été mis dans leur agencement.

              « Freyja ! Ah ben j’suis bien content de te voir dis ! Qu’est-ce que tu veux donc ? »

Il avait quasiment hurlé. En tout cas c’est comme ça que Myriam l’avait perçu. Jovial mais bruyant le patriarche. Les pensées de Myriam commençaient sacrément à prendre leurs distances avec la bonne éducation ambrisienne.

              « Très belle robe hein dis donc, on a bien travaillé sur celle-là » admira-t-il en posant un regard professionnel sur la tenue arborée par Freyja. Celle-ci avait un port de reine qui aurait sublimé n’importe quelle guenille mais la magnifique simplicité de sa tunique mordorée était particulièrement seyante.

           « Mais c’est bien pour cela que je ne m’habille que chez toi Jorj » répondis Freyja en faisant preuve d’une étonnante amabilité envers l’habilleur, comme si l’affabilité exubérante du bedonnant monsieur avait fait fondre une partie de sa froideur. « En réalité j’ai une proposition qui va t’intéresser ! »

              Elle fit signe à Myriam d’approcher.

           « Cette jeune fille que tu vois là, est arrivée à Bangalkor par la mer il y a quelques jours. Sa situation est quelque peu délicate en terme de papiers légaux sur le motif de voyage. La mer ne les lui as pas rendu. Je sais que ce genre de situation ne te fais pas peur. Et je sais aussi que tu as besoin de quelqu’un pour t’aider avec les livraisons et la boutique : Myriam sera ravie de pouvoir t’épauler. ».

              Elle avait parlé, d’une voix ferme et posée mais toujours aussi discrète. La présence d’une voyageuse sans papiers justificatifs officiels n’avait rien de sécurisant. Les autorités n’étaient pas très fines avec de telles situations. Mais Jorj répondit rapidement, avec sa jovialité sans pareil mais en plus discret lui aussi.

              « Je vois. C’est une proposition tout à fait intéressante ! Avec l’été qui arrive j’ai de plus en plus de commande et besoin de renforts. Je te la prends à l’essai ! Mais attention, les livraisons c’st du sérieux, il va falloir te montrer à la hauteur de la tâche … »

              « Myriam, monsieur. Bien sûr, je sais m’adapter et je saurais me montrer à la hauteur de la tâche. »

              « Eh beh, diplomatique la petite que tu m’amène là, dis donc ! J’espère que tu sais aussi te montrer ferme en négociation ma petite, la politesse ambrisienne ne fais pas toujours bon ménage avec les affaires par ici. »

              « Dans ce cas j’apprendrais ! » répondis Myriam en se redressant.

Le rouge lui était monté aux joues. Mais elle ne savait pas bien si c’était d’avoir été découverte aussi facilement comme recrue d’Ambrisie, elle qui se targuait de pouvoir se fondre dans une population discrètement. Ou bien si c’était ce « ma petite » qui avait fait naître chez elle un sentiment qu’elle ne parvenait pas vraiment à reconnaître. Toujours est-il qu’elle s’était redressée et qu’elle se tenait droite face à l’habilleur et à Freyja qui la regardait avec une lueur d’amusement dans les yeux.

              « Bien, mes amis, je vais retourner par chez moi, j’ai à faire avec le collectif de notre quartier. Myriam je te laisse entre de bonnes mains ne t’en fais pas. Jorj, je compte sur toi pour lui faire découvrir Bangalkor comme il se doit. A ce soir Myriam. »

Sur ces quelques mots, Freyja ressortit de la boutique d’un pas souple et élancé, laissant derrière elle une Myriam un peu déboussolée mais bien décidée à profiter pleinement de cette opportunité de découvrir la cité de l’intérieur. Elle le faisait pour elle-même, autant que pour sa grand-tante Alcime, qui avait semé en elle tous les désirs de voyage, à son corps défendant bien sûr, mais les récits d’aventures à travers les mondes avait bercé Myriam depuis sa plus tendre enfance. Et elle n’allait certainement pas continuer de se morfondre dans la pièce aux couvertures brun doré à compter les mouches qui se poseraient sur son front. Elle était prête à reprendre son voyage en main, même sans les papiers des Roches, Freyja lui fournissait une occasion de se débrouiller, elle allait la saisir pleinement.

              Jorj lui fit visiter rapidement son atelier, le stock de tissus donc les couleurs chamarrées firent tourner la tête de Myriam qui ne savait plus où poser les yeux. Il la mena ensuite dans la pièce de confection des modèles, un grand espace vitré, aux murs peints en blanc, chose rarissime dans la rouge Bangalkor. C’était là que les modèles étaient ajustés à leur acquéreur en fonction de ses humeurs du moment. Les vitres de la pièce laissaient transparaître la lumière et les fenêtres donnaient directement sur la rue. Jorj, continuait ses explications grandiloquentes sur son atelier, « le meilleur de tout Bangalkor », et il s’attardait un peu plus loin sur son dernier modèle en cours, une sublime tunique d’un rouge sombre magnifique. Myriam, elle, se sentit attirée irrésistiblement par ces grandes fen^tres et la vue qu’elle avait d’en haut, en recul sur le brouhaha qui prenait vie à ses pieds. Les gens se pressaient les uns contre les autres, en criant, en chantant dans une cacophonie à laquelle ils semblaient tous pleinement habitués.

              Elle allait tourner la tête de nouveau quand soudain, elle aperçut un mouvement qui l’intrigua. Une silhouette qu’elle reconnaissait. Que le flou de ses souvenirs acceptait de reconnaître avec certitude : le bonnet noir du matelot naviguait dans la foule devant elle.

              Il disparut aussi furtivement qu’elle l’avait aperçu. Comme si elle l’avait imaginé. Mais s’il y avait bien une chose que son amnésie partielle avait appris à Myriam, c’est que l’on ne peut se fier uniquement à ses ressentis. Son cœur lui disait que ce fugace apparition était bien celle du matelot qui l’avait prise par la main dans la tempête ce soir-là. Elle le sentait.

            « Bon je vois bien que les fenêtres te fascinent, mais ne crois pas que je vais te payer à jouer avec la lumière toute la journée ! »

Jorj s’était rapproché et il lui lançait un regard malicieux. Il donnait ainsi à Myriam le temps de reprendre ses esprits et de revenir à sa réalité du moment.

            « Oui pardon, je me suis laissée absorbée, cette pièce est très impressionnante. »

            « Je sais bien, c’est pour cela que j’aime y travailler ! annonça-t-il de sa voix toujours aussi grandiloquente, « Et y concevoir les vêtements que tu vas aller livrer ma jolie ! »

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Aliam JCR
Posté le 25/12/2021
Bonjour 😊

Un autre chapitre que j'ai lu avec beaucoup de plaisir !!!

Je n'ai pas réellement de conseils à te donner, je trouve que tu écris très bien ! 😊 J'ai hâte de lire la suite de ton récit !
Confetti
Posté le 28/12/2021
Merci beaucoup pour ta lecture et pour tes retours très encourageants et agréables ! C'est un plaisir 😊
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