Chapitre 3 : Lema Sabachtani?

Lema Sabachtani?

(Camille, Henry)

 

 

 

   Le ciel s’était assombri. Après le beau temps: la pluie. Quelques petits jours de soleil et voilà que les nuages arrivaient au galop pour une période certainement plus longue, plus lourde. Il y avait eu un peu de lumière, histoire de donner au monde un aspect illusoire.

   Longtemps, Camille avait marché tête baissée dans les rues aux immeubles gris interrompus par quelques arbres naissants enfermés dans des cages. Elle poursuivait sa route, le regard grave, fixé vers l’horizon, elle avait l’air d’une enfant comme les autres. Cela faisait 16 ans qu’elle était née et 16 ans qu’elle saignait sans perdre une goutte. Elle se mourait autant qu’elle vivait mais cela, elle ne le savait pas encore.

   Le nez collé sur la vitre d’une boutique de lingerie féminine, elle observait une jeune femme qui habillait un mannequin. Camille sentait ses intestins se retourner. Paralysée, elle resta inerte.  

   Elle ne prêta aucune attention à l’orage qui se préparait. Son intérêt ne parvenait pas à se détacher de la jeune femme. Elle aurait tant aimé lui ressembler et être aussi jolie. Ce n’est pas que Camille était « laide » mais elle se disait juste être de celles et ceux que personne ne regarde. Quelque chose libéra son esprit, elle poussa un profond soupir et se décida enfin à s’en aller.

   Elle heurta un poteau dans sa lancée et se sentit plus agacée que jamais.  La pluie s’abattit avec acharnement, c’était arrivé d’un coup. Elle était fouettée et frigorifiée par l’eau glacée qui ruisselait de sa nuque jusqu’au bas du dos.     

   Très vite, ses vêtements s’étaient accrochés à sa peau, ses pieds se noyaient dans ses chaussures. Une tempête se déchaîna, l’orage se faisait particulièrement violent, les éclairs déchiraient le ciel, on entendait les grondements du tonnerre se rapprocher. Sur son visage, une grimace prit forme, elle ressemblait à un sourire discret mâtiné d’affliction. Camille aperçut un arbre sauvage non loin d’elle. Elle se mit à courir pour se réfugier sous son feuillage épais. Elle trébucha sur le sol rocailleux.

   Couverte de boue, elle émit un petit cri aigu et, d’un geste coléreux, elle gifla la flaque d’eau dans laquelle elle se serait bien noyée. Elle se redressa avec difficulté et dans un effort calculé, elle tenta en vain de reprendre sa course, s’écroulant à nouveau après quelques pas.

   Camille se plaignit, se révolta. Les poings serrés, elle leva le menton et fixa son but d’un air déterminé.    

   Enfin debout, elle se dirigea précautionneusement vers l’arbre. Ca y était ! Elle s’agrippa à une branche et se balança d’avant en arrière pour se donner de l’élan. Elle projeta ses pieds dans les airs et enroula la branche de ses jambes. A ce moment, elle se relâcha.

   Les bras ballants, la tête à l’envers, Camille s’imaginait être une chauve-souris. Elle avait l’impression de tenir cette position depuis un bon moment. Ses joues avaient pris une couleur pourpre. Elle fronça les sourcils. Ses longs cheveux ruisselants balayaient les hautes herbes. Le monde à l’envers, tout lui paraissait différent.

   A part quelques personnes qui se précipitaient à l’intérieur de l’église, elle était isolée sur cette petite planète. Cette pensée la fit sourire. Camille se dit que tout ceci lui appartenait un instant.  

   Le tonnerre retentit à nouveau. La pluie tomba dru, le vent hurla dans une longue lamentation. Heureusement, la foudre ne tomba pas.

   Ce tableau apocalyptique se désagrégea presque aussi rapidement qu’il s’était dessiné et tout reprit son cours. Les gens sortaient de leurs refuges et poursuivaient leur route tandis que les façades des magasins retrouvaient les lambeaux dorés du soleil.

   Un sifflement strident chatouilla sa curiosité. Elle crut entendre une voix dans son dos. Elle se remit lentement en position assise et la branche céda sous son poids. L’abondance de l’herbe amortit sa chute et elle se releva d’un bond pour faire volte-face. Devant elle, il n’y avait qu’une pelouse gorgée d’eau. Stupéfaite, elle se gratta le crâne. Elle réfléchit un peu, le front et les yeux plissés. Sans doute était-ce une farce de son imagination. Ou bien c’était Henry, son voisin du numéro 13 avec qui elle avait récemment fait connaissance au milieu d’un songe.

   Camille consulta sa montre: 19 heures. 19 heures ! Cela faisait plus d’une heure qu’elle aurait dû être chez elle.

   Son mal de ventre réapparut. Sa gorge se noua et devint sèche. Elle avançait droit devant, l’air d’ignorer sa peine et marchait de plus en plus vite pour finir par courir à en perdre haleine sans se soucier de la vieille dame qu’elle faillit renverser. La dame brandit sa canne en maudissant cette jeunesse désinvolte.

   Camille n’entendait rien, rien d’autre que cette voix enfouie à l’extrémité de son intimité. Elle ne s’était même pas rendu compte de sa précipitation jusqu’à ce qu’elle manque de souffle.

   Henry. Et s’il était là à proximité ? Henry. Elle ne l’avait vu qu’une fois parmi ses nombreux rêves. Les images oniriques de leur rencontre s’étaient dessinées au coin de sa rue. Il était dehors en train d’arroser ses fleurs à 2h du matin, conformément à la réalité. Une salopette vert kaki, un béret rouge et son petit arrosoir en main, il avait fait tomber son cigare quand il l’avait aperçue.

   Peu importait qu’elle ait les cheveux blonds, châtain ou roux, la peau blanche ou brune, des lèvres rouges ou pâles, il aurait eu le même éclat dans son regard. Parce que Camille marchait dans la nuit, parce qu’elle avançait vite, parce qu’elle ne l’avait pas ignoré, elle fut une bénédiction.

   Il a laissé son arrosoir. Elle lui a souri. Camille était un ange surgi de nulle part. Il s’est approché comme pour ne pas l’effrayer. C’était une fille de la nuit dénudée du voile mensonger que peut porter le jour. C’est à ce moment que les lèvres se délient plus facilement pour exprimer ce qu’elles n’osent pas. 

   Henry faisait partie de ces gens qui n’ont rien à perdre parce qu’ils ne se sont rien apporté.

Quand il a commencé à parler, les sons étaient presque imperceptibles et se présentaient sous la forme de bulles de savon pour devenir enfin claires. Le ton d’Henry donnait l’impression qu’il avait attendu cet instant, qu’il pressentait sa venue et qu’il s’était préparé à lui dire:

   ––  Salut ! Je m’appelle Henry et plus rien ne me satisfait, plus rien ne me fait rire, plus le  goût de rien ! Je me sens de trop partout où je vais. C’est pour ça que je ne vais plus nulle part.  Je reste ici et j’attends… Tout ce que je voulais, c’était un peu de tendresse, même pas de l’amour, c’est trop en demander. Il m’est interdit d’avoir envie, d’éprouver des sentiments alors à quoi bon continuer ? Je m’enfonce non-stop, je ne trouve aucune sortie. Tout devient un obstacle, c’est à devenir dingue ! Je suis tellement pris par mes pensées à la con que je n’arrive plus à rien comprendre. Tout me paraît nul et insensé. J’ai les tripes déchiquetées, le cœur qui fait mal à en crever, j’ai la gueule qui va exploser !  Prisonnier de ma mémoire, enchaîné à ma peine, incarcéré dans cette enveloppe charnelle de merde, je purge ma peine à perpète. Camille ! Aide-moi ! Je vis l’enfer !

   A ce moment, Camille lui demanda de lui montrer mais il continua son monologue. 

   ––  Je suis né, il y a 45 ans. Ma mère faisait les marchés, elle vendait des fruits frais. Elle se faisait les marchands aussi et leur vendait sa chair fraîche. Mon père, quant à lui, je n’en ai jamais entendu parler. Quand j’étais enfant, je me disais, pour me rassurer, que Dieu avait mis ma mère enceinte et cela expliquait pourquoi je n’avais pas de père. J’étais une sorte de petit Jésus, tu comprends ? Puis, les années ont passé et, avec l’âge, certains rêves meurent pour laisser la place à d’autres. J’ai donc compris que ma mère n’était pas la sainte Vierge et que, par conséquent, je n’étais pas le petit Jésus. Enfin, passons! J’ai, pour la première fois, rencontré quelqu’un. Je me baladais et je l’ai aperçue. Elle m’est apparue un peu comme toi: belle et mystérieuse. Elle ne me voyait pas. Comme les autres. Mais j’ai su attirer son attention et je la vois parfois mais elle ne pourra jamais m’aimer. J’ai envie de crever. A 45 piges, je suis à la moitié de ma vie. Il ne peut plus rien arriver…

   ––  Au contraire… Tout !

   ––  Pffff… tu es gentille mais je n’y crois pas, non. J’observe souvent les gens dans leur quotidien. A défaut d’avoir une vie, j’espionne celle des autres. Il m’arrive de rester des heures avec mes jumelles, assis sur une branche d’arbre ou un mur, à scruter une famille en train de dîner, des enfants jouer, un couple qui se déchire, un autre qui se câline, le chien étendu devant la cheminée les soirs de Noël et les ombres sur les murs. Parfois, je rêve même d’être une de ces ombres sur le sol. Être autre chose quoi. Mais on ne brûle pas d’une autre flamme, on est consommé par sa propre  nature. Tout comme on ressent avec sa peau, on vit avec son cœur, on vit avec soi-même seul… même à côté de quelqu’un d’autre. J’aurai au moins appris ça. Je suis qu’un pauvre type qui sait pas où il va et ça me donne encore plus envie d’exister, en fait. Elle ne me comprend pas. Y a que les plantes qui me comprennent. Elle est trop belle et si  douce qu’elle ne peut que me faire mal.

   Camille ne savait pas trop quoi répondre, cela ne se passait pas de cette façon,  d’habitude…    

   Il reprit:

   ––  J’arrive pas à causer à une femme. Ici, là, avec toi, je ne sais pas pourquoi mais c’est différent. Je sens que je peux tout te dire et que tu vas tout écouter et tout comprendre. Ma vie bascule tout le temps. J’ai peur de m’endormir parce qu’il y a le réveil ! Ce putain de réveil, toujours cette souffrance à apprivoiser chaque matin. Toujours un peu plus forte à croire qu’il s’agit d’une autre mais non ! C’est toujours cette même salope ! Il  n’y a que quand je suis avec elle que j’oublie tout ça.

   ––  Henry ? Que se passe-t-il ? Henry ne partez pas ! Attrapez ma main !

   Henry fut projeté dans l’atmosphère et aspiré par la voûte céleste. Camille s’était réveillée.

   Oui, c’était peut-être Henry mais cela aurait pu être quelqu’un d’autre car nombreuses pouvaient être les personnes qui partageaient ses nuits. Une foule dont le mal était tellement monotone qu’il en serait devenu presque banal.

      

   19h30… Camille n’avait qu’une hâte: aller se coucher. De plus, elle devait rentrer chez elle.   

   Sans qu’elle s’y attende, une forte vibration la traversa et son esprit lui envoya une pluie de mots en éclairs: Daedalus Anima, Daedalus Anima… Elle ne savait pas exactement de quoi il s’agissait mais cela devait être très important. La tête lui tournait, son cœur palpitait et des voix venaient de partout pour la prévenir. Tout s’expliquait, maintenant, elle était là la raison de son mal de ventre, de son inquiétude. Le livre avait été touché. Il était temps de rentrer.

   Elle tournait l’angle de sa rue quand elle se retrouva nez à nez avec un homme. La mine aigre, le teint pâle, un nez aquilin, des grands yeux ronds ouverts sur le monde lui valant le surnom de « M.Chouette », dans son voisinage. D’aucun était intrigué par cet homme isolé qui s’occupait de ses fleurs en pleine nuit.

   Il se déplaçait le dos courbé. Henry. Leurs regards se croisèrent brièvement. Henry fronça les sourcils en clignotant des cils et tourna la tête. Camille, quant à elle, ne lui en tenait pas rigueur. Elle se demandait, néanmoins, si leur conversation reprendrait là où ils l’avaient laissée.

   Devant chez elle, sur la voiture du voisin, trônait un réveil matin. C’était celui de son frère. Elle le ramassa et leva le menton vers la fenêtre de sa  chambre. Tout cela semblait louche. Elle n’eut pas besoin de pousser la porte, sa mère sur le seuil, l’attendait, furieuse.

   ––  Où étais-tu ? Et que fais-tu couverte de boue ?

   ––  Il est 19h52.

   ––  Ca ne répond pas à ma question.

   ––  Je n’ai pas envie d’y répondre.

   ––  Camille, tu n’as que 16 ans et tant que tu vivras …

   –– Sous ton toit, je devrai faire ce que tu me dis et patati et patata ! Merci, je connais le refrain! Comme si j’avais envie de vivre ici, marmonna-t-elle.

   ––  Alors qu’est-ce que tu fais là ?

   ––  Tu viens de le dire, je n’ai que 16 ans et puis y a mon frère aussi…

   ––  Ton frère qui est aussi bizarre que toi.

   ––  Toi, dès que tu ne comprends pas un truc, c’est bizarre ! C’est bizarre non ? Ajouta Camille un petit sourire aux lèvres. Tu ne vois aucun inconvénient à ce que j’entre et  monte dans ma chambre ou bien je dors dans le garage ?

   Sa mère n’avait rien à lui répondre et elle se tut en lui cédant le passage.

   ––  Merci beaucoup MADAME, en insistant avec une triste fermeté sur cet appellatif.

   Accroupi au-dessus des escaliers, les joues coincées entre deux barreaux, Armel observait sa sœur. Elle le prit dans ses bras, sur son passage, et ils marchèrent tous deux vers le monde de Camille.

   Elle constata quelques dégâts, des petites taches de sang sur les murs et l’ardente amertume de son petit frère. Il s’en alla et revint avec une boîte à chaussures qu’il lui tendit.

   De sa gorge gonflée de sanglots montait le sifflement aigu d’un cri qui se voulait sourd.   

   Camille y découvrit le cadavre d’un moineau, emballé dans une taie d’oreiller. Elle ne posa aucune question. Elle se contenta d’étreindre la personne qu’elle chérissait le plus et lui dit: « Tu me raconteras peut-être tout à l’heure ».

   A ce moment, il lui glissa un mot dans la main: « Maman me dit que je suis bizarre ». Sa petite bouille se décomposa en une amère expression.

   ––  Mon frère, Baudelaire ne disait-il pas que le beau est toujours bizarre ?

   Elle lui lança un clin d’oeil au-dessus d’un large sourire. Il sourit à son tour, son visage aussitôt teinté de lumière. Sa soeur avait toujours raison, bien évidemment.

   Il s’empressa d’enfiler son pyjama et après une longue séance de câlins péremptoires, il s’endormit les lèvres en quartier de lune, le cœur reposé.

   Après avoir remonté la couverture sur son corps endormi, Camille retourna dans ses quartiers et appela son livre sacré. Il se déploya ainsi que les ailes d’un oiseau et les pages se mirent à tourner en projetant un vif éclat doré. Une page blanche apparut et la date s’inscrit comme par magie.

   L’esprit de Camille écrivit:

   « J’ai passé la nuit à libérer mes pouvoirs, bouger les choses, les esprits. J’ai, une fois de plus, repoussé les frontières et élargi un univers. J’ai perdu cette puissance, ce matin au réveil.  

   J’étais comme un roi jeté de son trône, comme un dieu terrestre qui ne sait plus où est son  monde. Il m’arrive encore d’avoir peur de tout ceci que je ne parviens pas toujours à comprendre ni surtout à maîtriser.

   J’ai peur de la peur et de moi-même. Je ne sais jamais où cela va me mener, je ne sais jamais où je vais conduire leurs âmes.

   J’ai bien conscience de n’avoir que 16 ans et j’ai peur de tout perdre quand je me suis décidée à tout gagner. Je ne sais même pas si je viens de naître ou si je suis déchue. Je dois rejoindre mon paradis. Mon paradis perdu. Mais pas tout de suite, il y a tant à faire…

   Cette fois, quelqu’un veut de l’aide et ne me révèle pas son identité. Mine de rien, ça m’a tenu la jambe jusqu’à 6 heures du matin.

   Je faisais les cent pas dans mon for intérieur. Il tournait dans mon esprit des idées inavouables quand je me suis retrouvée dehors avec un trousseau de clés en main. J’ai sillonné les rues à la recherche de l’inconnu.

   J’étais, à nouveau, prête à tout donner, à marcher vers le néant pour y faire jaillir la lumière. Et pour cela, j’étais capable de tout inventer y compris l’inimaginable. Je suis passée devant la boulangerie « Du chacrin », en face du bois, la friterie du Coin, le libraire, quelques boutiques de vêtements, la bijouterie Jewels et je ne sais quoi encore. L’obscurité s’élevait au rythme de mes pas et finit par me recouvrir des pieds à la tête.

   Je ne savais plus où j’étais ni pourquoi j’y étais. J’ai tenté de rebrousser chemin mais c’était  peine perdue. J’ai étouffé un cri de fureur dès que j’aperçus une ombre se dresser devant moi. C’était le camion des poubelles. Je ne savais pas qu’il faisait sa tournée à cette heure-là.

   Je me suis sentie tressaillir mais je ne pouvais que m’en prendre à moi-même. Après tout, personne ne m’avait obligée à sortir de chez moi.

   J’étais dans une panique telle que je suis tombée dans un trou.

   Ma chute était longue et semblait interminable. Je voyais passer des étoiles par milliers. Elles tombaient sur moi sans me toucher.

   Ce sont continuellement les mêmes sensations qui reviennent. Ca recommence encore et encore. Je suis dans une espèce de champ magnétique, à l’intérieur d’un couloir sans bornes. Je plane, je lévite, c’est un peu comme si je volais mais sans rien contrôler. Et cette porte qui apparaît inopinément, je suis aspirée et le voyage ne fait que commencer.

   Ce sont de véritables odyssées au cours desquelles les secrets s’offrent à moi. En fait, c’est un échange: nous nous offrons l’un à l’autre.

   Cette fois, cependant, c’était différent. Je n’ai vu personne et pourtant il y avait bien quelqu’un. Cette aventure m’a occupée toute la nuit et je n’ai pas pu découvrir qui m’appelait.

   Quand je me suis réveillée après ma perte de connaissance, j’étais sur le trottoir devant une petite porte. J’ai frappé pour qu’on me vienne en aide mais sans retour. Je suis entrée, malgré tout pour me fondre dans un temple immense et le mot est faible.

   Il était rempli de statues d’or. Elles représentaient des êtres humains aux bustes ou aux têtes animales. Un énorme buffle se tenait sur un trône au bout du temple. Il portait une balance entre ses bras.

   J’étais si petite que je ne pouvais atteindre la clé sur le bord de la bibliothèque. Je me suis concentrée pour m’élever. La clé en ma possession, il me restait à trouver la serrure.

   Ce fut une longue et pénible exploration car tout était sens dessus-dessous.

   Masquée par un gigantesque tronc d’arbre, la serrure a fini par se dévoiler à moi. Je m’attendais à voir un trou mais il s’agissait de la forme d’une clé. Je pensais faire preuve de logique en y plaçant celle que je venais de trouver mais ce n’était pas celle-là. J’ai, du coup, essayé toutes les clés de mon trousseau avant d’enfin y parvenir.

   Des dizaines de portes sont apparues ainsi qu’un sablier. Ce qui était étrange c’est qu’au lieu de couler du haut vers le bas, le sable grimpait en un tourbillon.

   Des boules de cristal roulaient en tout sens pour rejoindre un emplacement destiné à chacune d’entre elles. Je compris que le temps m’était compté et qu’il me fallait agir au plus vite pour retrouver l’âme perdue.

   Il m’est déjà arrivé de penser: « Et si je ne tentais rien ? Si j’attendais les bras croisés ? ». Mais cela m’est impossible. Je ne peux les laisser se perdre. Je suis donc partie en quête de cette âme qui m’invoquait. Les yeux du buffle se sont ouverts et le sable s’est déversé dans la balance.  

   Qu’allait-il se passer si elle ne supportait plus de poids ? Je ne savais quelle porte emprunter.   

   J’ai jeté un coup d’œil un peu partout. Trop de choix se posaient à moi et cela n’en fut que plus difficile.

   Je me suis décidée à filer droit devant en oubliant les escaliers, les puits, les souterrains. J’ai pris le chemin le plus simple parce qu’on s’imagine souvent, à tort, qu’il faut prendre des détours, opter pour la difficulté comme s’il fallait remplir un quota de douleur pour avoir plus de valeur. 

   Dans la salle adjacente, je découvris une végétation étrangère, des tas de coffres remplis de rubis et de diamants, des chutes d’eau sans source, des puits sans fond, des fleurs dans le sable, de l’or bleu, de l’eau jaune … Et encore des petites portes sur les murs, sous mes pieds, dans les coins, au fond de l’eau...

   Une petite statue représentant un ange blanc gardait une entrée. Je me tins devant elle sans dire un mot. La pierre frémit et l’ange leva la tête vers moi. Elle prit mon visage entre ses mains, me déposa un baiser sur les lèvres, me traversa et la porte s’ouvrit.

   Par je ne sais quelle folie, envoûtée par la passion, j’ai failli y rester, oublier mon devoir, rejoindre l’ange gardien.

   Mais, que ce destin me convienne ou non, je me dois de l’accomplir sans faille. La tentation est bannie de mon vocabulaire.

   Le passage franchi, un miroir est apparu, me barrant la route. Je croyais y voir mon reflet mais ce n’était que mon ombre. Elle courait de l’autre côté l’air de vouloir m’indiquer la voie. Je la suivis. Je suis passée à travers le miroir et, à ma grande surprise, j’ai atterri sur un chemin banal.

   J’ai marché, marché durant des heures ou c’était peut-être quelques secondes, que puis-je en dire ? Il faisait nuit, le vent soufflait comme une brute, des écritures sillonnaient le ciel et venaient se graver dans l’atmosphère. Les lettres étaient dorées et flottaient comme des bulles de savon. 

   Je ne cessais de penser au temps qu’il me restait. Je ne savais pas où chercher, je ne savais vraiment pas quoi faire car je ne voyais personne. Qui devais-je secourir ? Cette question se transformait en énigme au fur et à mesure de mon escapade.

   La magie disparut: plus d’inscriptions dorées, plus de statue, plus rien. Tout était trop calme. Des maisons, des voitures, des arbres, quelques réverbères par-ci par-là, je ne savais pas ce que je faisais là.

   Soudain, j’ai entendu quelqu’un crier. J’ai fait demi-tour et là: stupeur ! La ville avait été tourmentée. Les trottoirs, les pavés, les voitures en stationnement, les arbres, les réverbères, le ciel et la terre disparaissaient à chacun de mes pas. On criait de plus en plus fort.

   Au début, j’ai cru à un concert de voix mais plus je courais vers l’issue aperçue au loin, mieux je percevais les sons qui m’atteignaient. Il n’y avait qu’une voix. Je ne parvenais pas à déceler ce qu’elle me disait même si je comprenais qu’elle répétait sans cesse les mêmes mots.

   La porte se trouvait au bout de mes doigts et enfin je compris. J’ai suivi le chemin du retour, je suis repassée devant la boulangerie du « Chacrin », la friterie du Coin, le libraire, quelques boutiques de vêtements, la bijouterie Jewel’s et je ne sais quoi encore. De retour dans ma chambre, je me suis jetée sur le lit, vidée. La voix retentissait en échos dans mon esprit et, à présent je distinguais clairement ce qu’elle clamait: « Lema sabachtani ?! » ».

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Etienne Ycart
Posté le 08/03/2022
Quel texte, j'ai lu d'une traite
d'abord le début...cette gamine qui a l'air gamine normale
on comprend pas pourquoi elle à mal au ventre
on croit comprendre non,
l'arbre, oh l'arbre, c'est poétique
et juste au moment ou je pense à la foudre tu en parle!
puis je me suis un peu perdu
j'ai enfin compris au milieu que c'était la soeur de l'enfant bizarre au moineau
ensuite la scéne du rêve, je n'ai pas tout compris
je dois être trop terre à terre
celà ne fait rien !
j'ai adoré comme c'est écrit
on sent le travail
du coup ça met la préssion quand tu arrive sur un de mes texte
Car tu écris pas, tu fais de la dentelle
La porte se trouvait au bout de mes doigts
je fesait les cent pas dans mon fors intérieur
c'est musical....
vraiment un beau texte
Ella Palace
Posté le 08/03/2022
Re,

D'abord merci de me suivre, ça fait très plaisir! Et merci pour ce commentaire qui fait aussi plaisir lol
Pas de pression, nous n'écrivons pas les mêmes choses, etc.
Camille raconte d'abord le rêve qu'elle a fait avec un certain Henry. Puis un autre où elle est censée rencontrer qqn mais ne voit personne, sauf ces mots : lema....
Après le chapitre 4, généralement on comprend ce qu'elle fait: sa mission.

A très bientôt 🙂
Etienne Ycart
Posté le 08/03/2022
Du vieux grec il me semble....non t'emballe pas ! j'ai triché , j'ai posé la question à WIK !
Edouard PArle
Posté le 28/08/2021
Hey !
Ca reste très bon, le style est maîtrisé et les pensées de ton personnage le rendent vraiment vivant.
Quelques remarques :
"Il y avait eu un peu de lumière, histoire de donner au monde un aspect illusoire." -> j'enlèverai le histoire de : un peu de lumière qui donnait au monde
D'habitude je n'aime pas trop les chiffres écrites en toute lettre (19 heures, numéro 13) mais vu que c'est uniformisé j'imagine que c'est un choix donc je n'insiste pas, ca reste un détail mineur.
"J’observe souvent les gens dans leur quotidien. " J'enlèverai "dans leur quotidien" pour rendre la phrase plus courte / percutante.
Sans qu’elle s’y attende, une forte vibration la traversa et son esprit lui envoya "une pluie de mots en éclairs: Daedalus Anima" Le titre du livre ... tiens, tiens XD
"Mais cela m’est impossible." Pareil, je raccourcirai pour rendre la phrase plus percutante : mais c'est impossible
J'attaque tout de suite ... bah la suite justement
Ella Palace
Posté le 29/08/2021
Merci Edouard pour ta lecture et ton commentaire.

Daedalus Anima est également ce qui est inscrit sur la porte qu'elle passe quand elle entre dans un rêve... d'où le nom de ce livre et du mien lol
J'observe souvent les gens ou dans leur quotidien, ce n'est pas pareil. Il les observe dans leur quotidien, pas ailleurs.
Mais cela m'est impossible et c'est impossible, ce n'est pas pareil non plus. C'est possible mais elle fait ce choix... C'est impossible pour elle mais pas en soi...
On me propose parfois de changer des phrases mais quand ça change leur sens, je ne change pas...

Encore merci!
M. KERNEVADEC
Posté le 17/08/2021
Wahou, ça dépote la fin, c'est de l'onirisme magique, du surréalisme Fantasy biblique (on dirait les visions de St Jean). Le frère et la soeur ont des relations normales ? Je n'ai pas eu de soeur... Moi, je crois en la vierge, comme les bâtisseurs de cathédrales, et je pense que la vierge (je dis la mais il y en a plusieurs rien que dans mon immeuble) peut avoir ce genre de rapports avec ses voisins dans les rêves de la nuit et même en pleine journée (je suis comme Socrate j'entends des voix), ce sont les enfants qui font les réputations des adultes et au printemps les bonnes fées donnent les bons et les mauvais points... Il y a une qualité d'écriture que je n'ai pas : un ton ? un style ? une maîtrise du langage ! Bravo

Bien à toi

Matthieu
Ella Palace
Posté le 17/08/2021
Re!

S'ils ont des relations normales? Spontanément, je dirais que oui. Elles sont pures c'est certain! Maintenant, c'est quoi être normal?
Je ne suis pas certaine de comprendre tout ce que tu dis mais j'adore! ça me fait sourire et j'aime ce "délire".
Heureuse que tu apprécies!
Quand tu dis: une qualité d'écriture que je n'ai pas. Et si on se disait que tu ne l'as pas encore ou que tu l'as sans t'en rendre compte? ;-) A toi de le découvrir: lance toi à corps perdu dans les bas fonds de ton âme et laisse-la tout écrire...

Ella
Lohiel
Posté le 14/08/2021
Coucou... 🦋

Bon, compliqué, ce coup-ci, on comprend peu à peu que l'on est pas dans le monde réel... ou du moins pas tout le temps, apparemment. Mais ce genre de mélange est techniquement difficile à gérer, même avec la plus belle des plumes... parce que son essence est la confusion. Or comme dit Yves Meynard (Québec) : "Un bon style est (...) clair: il permet de bien saisir la pensée de l’auteur."
(source : https://www.revue-solaris.com/pour-les-ecrivains/dossier-special-comment-ne-pas-ecrire-des-histoires/)

Bref, deux impératifs techniques de narration qui entrent en collision frontale (j'ai connu ça, c'est assez courant)... tout l'enjeu est donc que le lecteur comprenne que *toi*, l'auteur, tu sais où tu en es, et où tu l'emmènes, ce qui lui permet de te suivre en acceptant de jouer le jeu.

Pire : il est clair que ce genre de passage un peu déroutant apparaîtrait inopinément dans le livre publié d'un auteur avec trente ans d'expérience, l'effet ne serait plus le même, la confiance étant déjà établie. Mais au démarrage, on ne te fait aucun crédit.

Lorsqu'elle rencontre Henry, on a pas eu encore de signal évident de cette position mi-rêve mi-réalité, du coup, ces confidences très intimes peuvent passer pour un traitement psychologique maladroit... jusqu'au moment où on lit : "Camille ne savait pas trop quoi répondre, cela ne se passait pas de cette façon, d’habitude…" puis "Henry fut projeté dans l’atmosphère et aspiré par la voûte céleste. Camille s’était réveillée" qui arrivent donc un peu tard pour rassurer le lecteur sur le fait que toi tu mènes ta barque. Je pense que tu devrais réorganiser la progression. Et laisser quand même quelques petits cailloux blancs au long du cheminement, des signaux subtils pour guider le lecteur. J'adore citer cette phrase, je t'ai sans doute déjà fait le coup, mais c'est tellement vrai : "la rétention d'information n'est pas un procédé littéraire".

Quelques remarques :

Elle se mourrait ▶️ se mourait

La ville avait été tourmentée ▶️ chamboulée, chambardée, bouleversée ? Bizarrement, "la ville avait été torturée" (qui est proche de tourmenter), je trouverais plus adapté, puisque cela marque une empreinte physique, alors que tourmenter (psychologique), ça sonne bizarre, à mon sens.

Elle se remit lentement debout et la branche céda sous son poids. Camille eut juste le temps d’empoigner quelques brindilles pour amortir sa chute.▶️ vu sa position tête en bas, je n'ai pas pigé la manip... de minuscules branches ?Des brindilles, ça traîne au sol plutôt.

Bisous 🐞
Ella Palace
Posté le 15/08/2021
Bonjour Lohiel,

merci beaucoup pour ta lecture et tes conseils! Je me fais justement la réflexion concernant la structure de certains chapitres qui pourraient "perdre" le lecteur car pas assez "clairs".
J'ai donc apporté quelques changements, dans l'espoir qu'ils suffiront.

Bien à toi
Lohiel
Posté le 18/08/2021
Coucou... oui, je pense que c'est mieux, la notation qui signale qu'il s'agissait d'un rêve, du coup le monologue bizarre d'Henry est recadré, et on ne se demande plus si c'est un "dérapage de la vraisemblance psychologique" 🙂
Ella Palace
Posté le 18/08/2021
Coucou,

Cool, tant mieux 😊
Merci
Oriane
Posté le 30/07/2021
Bonjour Ella,

Enfin nous rencontrons Camille et je dois dire qu'elle intrigue toujours autant. Qu'est-elle réellement ? Et ses pouvoirs ? Beaucoup de questions et d'interrogation me viennent en quelques lignes.
Le mélange entre réalité et onirisme est frappant, à tel point que parfois, on ne sait plus trop si c'est sa réalité ou la notre. J'en sors avec une sensation étrange, celle de ne pas avoir réussi à cerner totalement le personnage tout en le comprenant (j'ai un peu de mal à expliquer la chose pour le coup). Et finalement, ça colle fort bien avec ce qu'elle vit, je trouve.
La suite me semble promettre encore quelques mystères. En tout cas, plus je m'enfonce dans l'histoire, plus j'ai envie d'en savoir.
Ella Palace
Posté le 30/07/2021
Bonjour Oriane,

merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire! Je suis ravie que l'effet voulu soit l'effet créé car oui je tente de parfois provoquer cette perdition.
Je tente de faire éprouver au lecteur ce qu'éprouve le personnage, en fait... Pas facile mais j'essaye.

Encore merci merci!!!

Ella
Hortense
Posté le 17/06/2021
Bonjour Ella,
Camille nous entraîne dans un maëlstrom de sensations, d'impressions, d'images et de pensées où la réalité refait parfois surface, fugacement, si bien que le lecteur hésite entre rêve et réalité sans toujours parvenir à se situer. C'est assez déroutant mais j'imagine que c'est volontairement que tu nous égares et c'est assez réussi.
Camille est une jeune fille qui détient un pouvoir extraordinaire, elle est en mission mais ne risque-t-elle pas elle-même d'y perdre son âme et peut-être la vie ?
La suite nous le dira !

Quelques remarques et suggestions diverses, comme d'hab, tu feras le tri.

Je me suis interrogée à plusieurs reprises sur des questions de concordance des temps, à vérifier.
-"l’histoire" : histoire sans le l' ?
-"quand il l’a aperçue" : quand il l'avait aperçue.
-"il l’aurait eu" : il aurait eu.
-" Elle faisait les marchands aussi... " : elle se faisait ?
- "en une amer expression" : une amère expression.
-"les clés de mon trousseau pour enfin y parvenir..." avant d'enfin y parvenir.
- " La pierre frémit et elle leva la tête vers moi" et l'ange leva la tête. Ici la répétition me semble nécessaire.
Ella Palace
Posté le 17/06/2021
Bonjour Hortense,

mille mercis pour tes remarques! j'ai fait tous les changements :-)

En effet, je tente de dérouter le lecture. En vrai, je tente de faire éprouver au lecteur, quelques émotions vécues par mes personnages.
La question que tu poses au sujet de la perdition de Camille est très juste et je suis ravie qu'elle te soit venue.

Les réponses arrivent après le chapitre 10 ...

Au plaisir
Vous lisez