CHAPITRE 3 - ILIDIA

Notes de l’auteur : Si vous avez des retours ou des critiques sur mon histoire, n'hésitez pas, je suis preneuse ! Bonne lecture :)

La voix inconnue me fait sursauter si fort que je me cogne contre ce foutu chariot. En me tournant dans sa direction, je reconnais l’adolescent que j'ai vu remonter la rue, la nuit dernière. Par politesse, je garde l’information pour moi.

- Je suis pas contre un coup de main.

Le garçon se fend d'un sourire, s'accroupit devant le caddie.

- Ce truc déconne souvent, y en a plein qui commencent à devenir vieux, explique-t-il en triturant la chaînette.

- T'habites ici ?

Hochement de tête.

- Je suis un habitué.

Il se relève, saisit les poignées et, miracle, le chariot se décroche.

- Et vous, vous êtes en vacances ?

Hochement de tête, de ma part cette fois-ci. L'inconnu me tend la main :

- Ambroise, enchanté. Le village est petit, on risque de se recroiser.

Sans réfléchir, je fais claquer ma paume contre la sienne avant de refermer mon poing, qu'il cogne doucement, un peu surpris.

- Ilidia. Désolée, je ne sais que checker comme au collège.

Il se marre en secouant la tête.

- Merci pour le caddie, au fait.

- Et pour avoir évité qu'elle fasse une crise, ajoute ma sœur. J'avais peur pour l'abri.

Je lève les yeux au ciel. Notre petit numéro a au moins le mérite d'amuser notre interlocuteur.

- Ambroise ! s'écrie alors une voix masculine.

- Bon, faut que j'y aille. C'était un plaisir. À plus !

Nous le suivons du regard tandis qu'il rejoint une voiture.

Entourant les poignées de mes mains, je pousse le chariot sur le goudron rugueux, relâche ma prise lorsque les roues rencontrent le sol lisse du supermarché.

- Il a l'air sympa, commente Lu, marchant à mes côtés.

- Mhh-mhh.

- Je pensais que tu refuserais son aide. Après tous les bouquins féministes que t'as lus, le prince charmant qui vient te tirer d'affaire, ça paraît dépassé.

- C'est toi qui m'a filé ces bouquins. Et puis sans lui, on y serait encore, vu que madame ne veut pas se bouger pour m'aider.

- Touché. N'empêche qu'il reste charmant.

J'esquive de justesse une dame pressée en faisant un écart avec mon chariot. Si avec ces compétences, j'ai pas mon permis l'année prochaine…

- Cherche pas, t'es trop vieille pour lui.

- Je ne parlais pas pour moi, se défend-elle. T'as pas envie de rencontrer quelqu'un ?

- Pitié, garde ce genre de reproche pour mes vingt-cinq ans.

Dans ma tête, une voix de présentateur s'écrie : Victoire par K.O d'Ilidia, qui vient d'anéantir sa sœur célibataire de vingt-quatre ans en plein milieu de l'allée centrale !

Défaite qui ne l'empêche pas de me relancer au rayon des surgelés.

Quelle tête de mule, je vous jure.

- Sérieusement, il ne te plaît pas ? C'est parce que c'est un garçon ?

- Je vais pas t'expliquer la définition de pansexuelle vingt fois. Son genre, je m'en tape. J'ai pas envie de sortir avec quelqu'un en ce moment, c'est tout. Surtout pour trois semaines. Je veux juste… un ami. Une vraie amitié d'été.

Ludovica m'observe, appuyée contre un des gigantesques réfrigérateurs.

- Je comprends, sourit-elle. Les amours d'été, c'est survendu, de toute façon.

D'un mouvement gracieux, elle ouvre la porte sur laquelle elle s'était adossée. Une vague de froid s'en émane.

- Pizza ?

- Il va falloir qu'on s'impose un régime équilibré.

*

Le sable fin a chauffé tout l’après-midi, brûlant la plante de mes pieds dès que je retire mes tongs. Un vent frais agite le drapeau vert, perché près du poste de secourisme. Je plisse les yeux face aux bouffées d'iode que je me prends en pleine figure.

- Allons là-bas, on sera loin des enfants, m'ordonne Lu.

Ma sœur, cette fine stratège.

Nous traversons le théâtre bruyant des familles nombreuses et des bandes d’amis pour atteindre un coin peu occupé. Nous déposons nos paillasses. Le temps que je pose mes affaires, Ludovica est déjà en maillot de bain.

- Tu me rejoins !

Épuisée par son énergie, je fais passer mon débardeur par-dessus ma tête et retire mon short. Tout au long du processus, je garde mes yeux rivés sur le sol. Je m'élance ensuite pour retrouver ma sœur, mais mes foulées rapides sont stoppées net quand mes orteils rencontrent l'eau glacée.

- Ah oui mais là va pas être possible, laissé-je échapper.

Lu, ses jambes englouties jusqu'aux genoux, éclate d'un rire aussi léger que les gerbes d'écume.

- Elle est froide au début mais on s'habitue, promis !

Je m’avance avec la démarche d’un pingouin. Une vague éclate sur mes cuisses, m'arrachant un cri de surprise. Ludovica, de l'eau jusqu'à la taille, m'assure :

- Elle est super bonne !

- Pourquoi tu t'obstines à mentir ?

Au fil des minutes, il est vrai que la température devient plus supportable. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est « super bonne » non plus. Poussée par un élan de motivation, j'avance à grandes enjambées, jusqu'à recouvrir mon torse. J'éclabousse mes bras, mes épaules, mon visage et ma poitrine (non sans grimacer). Puis je m'immerge complètement. Le choc thermique hérisse les poils de mes bras et me coupe le souffle. En retrouvant l'air libre, je prends une grande inspiration et passe une main sur mon visage :

- C'est gelé !

- Nage, tu vas te réchauffer !

En quelques mouvements de brasse, je rattrape ma sœur et nous entamons une traversée de la largeur du bassin. Mes bras envoient de larges ondes sur sa surface claire. Désormais habituée au climat, j'ai le loisir d'admirer la clarté de l'eau, où scintillent les reflets du soleil. Le décor n'a rien à envier à la côte d'Azur, si ce n'est quelques degrés. Le temps s'écoule sans que je puisse prendre conscience de sa valeur. Quand mes bras deviennent trop engourdis et ma nuque trop douloureuse, j'informe ma sœur que je pars me sécher.

J'esquive des ficelles de cerf-volant, des bambins lancés à pleine vitesse, contourne une colonie de vacances. Recroquevillée sur ma paillasse, le tissu rêche de ma serviette autour de mes épaules grelottantes, j'inspecte la plage. J'aime voir les vies des autres s’entrechoquer. Il suffit d’un ballon envoyé trop loin ou d'un enfant pris d'un élan d'indépendance. Vous avez remarqué, d'ailleurs, à quel point ces créatures sont sans-gêne ? Certains vont même se planter devant vous pour vous fixer de leur air moralisateur.

Oui, j'ai du mal avec les enfants. Ça se voit tant que ça ?

Mes frissons ont tout juste cessé lorsqu'une silhouette familière s'approche.

- Quand tu disais « on va se recroiser », je ne pensais pas que ce serait si tôt.

- J’avais peur que tu m'oublies, réplique Ambroise. Comment vas-tu depuis quelques heures ?

- Le caddie s'est rangé sans trop d'encombres, donc plutôt bien.

Il glisse les mains dans les poches de son short.

- On joue au foot avec des potes, tu veux venir ?

- Carrément !

J'enfile mon short et lui emboîte le pas. Ses potes se disputent un ballon corner entre deux buts, délimités par des pelles plantées dans le sable. Mon sauveur de caddie me les présente, j'oublie aussitôt leurs noms. Seule Solenn retient mon attention. Je me souviens qu’il s’agit de la fille qui accompagnait Ambroise, hier soir.

Nous formons les équipes. Emportée par l'esprit de compétition, je shoote dans la balle avec une énergie fulgurante, jusqu'à envoyer les autres joueurs dans le sable. Je suis tellement concentrée sur le jeu que je ne remarque pas ma sœur, qui patiente avec son sac de plage sur l'épaule.

- Ah, t'es là ! m'étonné-je enfin.

- Merci de m'avoir prévenue que tu partais plus loin, autrement je me serais inquiétée pour rien.

Elle laisse passer un silence avant de se moquer de nous.

- Ça va, je déconne ! Je viens juste te dire que je remonte, ajoute-t-elle en se tournant vers moi. Voilà tes tongs et ton portable, pense à m'envoyer un message.

Lorsque Lu est suffisamment loin, Solenn s’approche :

- Ta sœur a de super beaux cheveux !

Ils se sont mis d’accord pour détruire mon égo, cet été ?

*

Derrière la ligne d'horizon rougeoie un soleil de feu. L'afflux de touristes a déserté la plage, les vagues se retirent de la scène. L'un des amis d'Ambroise propose une dernière baignade. Ce dernier décline, prétextant la fatigue. Une tension presque imperceptible se fait sentir, et je ne parviens pas à comprendre son origine. Comme je n'ai plus ma serviette, j'annonce que je vais rentrer.

- Je t'accompagne.

Solenn se lève, me tend sa main. Pour détendre l’atmosphère, je lance :

- C'est juste pour voir ma sœur, je parie.

À ma grande surprise, elle entre immédiatement dans mon jeu :

- Moi qui me croyais discrète…

- Allez, ça me fait plaisir. Tu pourras lui demander sa marque de shampoing.

Nous saluons le groupe et remontons la route jusqu'à ma location. Notre conversation débute sur des sujets classiques : le lycée, son club de natation, ma courte expérience de joueuse de handball. Parfaits pour meubler le silence.

Mon esprit n’arrive pas à oublier la baignade qu'Ambroise a refusé. Contrairement à moi, il avait ses affaires de bain. A-t-il peur de l'eau ? Mais son amie m'a dit qu’ils nageaient ensemble. Mes interrogations picotent ma langue, démangent mes lèvres. N'y tenant plus, je confie mes doutes à Solenn.

Si nous avions réussi à créer une ambiance agréable, elle se refroidit aussitôt.

- Bon. Je t'ai dit qu'on est dans le même club, mais ça fait plus d'un an qu'il n'est pas retourné dans l'eau. Que ce soit la piscine ou la mer.

- Oh. Il s'est passé quelque chose ? risqué-je.

Un rire d'enfant s'élève au loin, porté par la brise. Mon interlocutrice ouvre la bouche, la referme. Semble chercher ses mots.

- Tu répètes pas ce que je vais te dire, d'accord ? Ambroise avait un ami, Sohrab. Ils étaient très proches. Un peu avant l'été dernier, ils sont partis nager près des rochers, au bout de la plage. Tu vois où c'est ?

Je visualise la masse rocailleuse avant d’acquiescer.

- Il n'en parle pas vraiment, donc on sait pas grand-chose. Le vent s'est levé, Ambroise a réussi à atteindre le rivage. Pas Sohrab.

Elle baisse les yeux vers ses chaussures.

- On n'a jamais retrouvé son corps.

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Aspen_Virgo
Posté le 04/07/2023
Pendant ma lecture, je commençai à réfléchir à mon commentaire, tout content de replonger (sans mauvais jeu de mots) dans ton histoire. Deux mots "oh wouaw". Déjà, et surtout pendant les 90% de ce chapitre, parce que j'aime beaucoup ton écriture. L'économie de mots, je pense aux dialogues, est touchante, je dirais même poétique. Les personnages sont hyper attachants, ce qui m'a amené au second "Oh wouaw" : les derniers mots. Dis-donc, tu as l'art de maitriser les cliffhangers ! Chapeau bas !

A très vite ^^
Lou Santos
Posté le 15/09/2023
je réponds très en retard mais merci, je suis flattée !!
AurélieC
Posté le 26/05/2023
C'est un vrai plaisir de retrouver Ilidia et sa soeur, j'aime bien leurs petites piques entre elles. Sur la forme, il y a pas mal de fautes d'inattention, dont des mots "en trop" ou qui manquent comme dans "Ah oui mais là va pas être possible".
Mon autre remarque, ça serait sur la théorie d'Ilidia à propos d'Ambroise qui refuse d'aller se baigner. C'est quand même assez courant quelqu'un qui décline une invitation pour aller sa baigner, surtout que là il prétexte la fatigue, ce qui est plausible. Il peut aussi trouver que la mer est trop froide, etc. Et même le fait de dire qu'elle sent de la tension dans le groupe d'amis, je trouve que ce n'est pas suffisant pour direct aller vers "est-ce qu'il a peur de l'eau ?" Je comprends bien que cela sert à avancer dans le récit et à amener la révélation de Solenn, mais c'est un peu "maladroit".
Tu pourrais peut-être insister sur la tension dans le groupe, des regards agacés ou qui se détournent, puis t'arranger pour que Solenn soit tellement énervée ou triste de voir son ami comme ça, qu'elle se confie naturellement à Ilidia. On dit souvent que c'est plus simple de se confier à une inconnue :)
C'est ce que j'avais en tête en tout cas. Hâte de lire la suite.
Lou Santos
Posté le 31/05/2023
hello, merci encore pour ton retour :) désolée pour les fautes, je compte les reprendre après avoir laissé reposer le texte (tu sais qu'à force de lire ton propre travail en boucle tu ne les vois plus haha). Et bonne idée pour le refus de baignade, je m'étais mis une contrainte de temps pour écrire l'histoire donc je voulais aller à l'essentiel, mais c'est vrai qu'après coup, ça fait précipité. Je note pour améliorer cette scène !
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