Chapitre 3 : Coquard

Par Nosir

Coquard suce son roudoudou au poivre et au céleri. Cette nouvelle saveur n’est pas encore tout à fait au poil, mais elle est tout de même plus supportable que les petits fours sucrés et les bonbons caramélisés généralement servis dans les aéroflecx. Toutes ces sucreries, ces soi-disant douceurs, ces petits trucs édulcorés, miellés, confits ou pralinés proposés en masse à tous les coins de rue lui soulèvent le cœur.

À l’horizon, la capitale se rapproche rapidement. Elle dresse, avec une irritante fierté, sa ribambelle de dômes blancs de toutes tailles, telle une vaste culture de champignons. Traversée de part en part par un entrelacs de routes suspendues, en apparence chaotique mais en réalité parfaitement structuré, elle est coiffée d’un immense arc-en-ciel projeté au-dessus d’elle par holographie. Absolument ridicule. Coquard ne s’y habituera jamais.

À l’entrée de la métropole, la voiture s’engage sur le boulevard principal, bordé de majestueux acacias. Les branches finement ondulées ploient sous les grappes de fleurs jaunes, et Coquard, comme toujours, doit se pincer le nez à cause de leur parfum envahissant. La ville fourmille de véhicules en tous genres : aéroflecx confortables à deux, trois ou quatre places, trottinecx assis ou debout pour les plus pressés, scooters à couchette pour la détente… Plus ça va, plus il y en a, de toutes les sortes et de toutes les formes. Le bourdonnement frénétique de tous ces appareils automatiques rappelle celui d’un essaim d’abeilles. On pourrait penser qu’ils vont tous se tamponner d’un instant à l’autre, mais non. Ces petites machines légères et rapides comme des insectes zigzaguent sans heurt les unes parmi les autres, dans un flux continu, souple et parfaitement organisé. C’est parce que les ordinateurs de bord, tous interconnectés, régulent automatiquement la circulation, il est vrai que c’est pratique. Un rollflecx arrive en face ? Il est aussitôt dévié sur le côté. Mais cette régulation qui régule tout partout et tout le temps, ce n’est pas un peu s…, f… , m… ? Coquard ne trouve pas de mot pour exprimer ce sentiment, cette drôle de pression qui l’empêche de respirer librement, là, dans sa poitrine.

Un double ding ! argentin retentit et tire Coquard de ses pensées : deux appels vidéolographiques viennent d’être enregistrés simultanément à son attention. Curieux, il demande à l’ordinateur d’ouvrir sa messagerie, et l’image de ses parents apparaît alors grandeur nature, cadrés à la taille et flottant mollement dans l’air, sous l’habitacle de l’aéroflecx. Son père et sa mère lui sourient, hochant la tête et lui souhaitant le bonjour. Ils espèrent que leur fils viendra à la fête organisée par leurs vieux amis Péril et Cécité, car leur fille…, hé, hé…, sera présente également. Ils ajoutent cette dernière information babillant, en clignant de l’œil et en battant des ailes du nez. Allons donc ! Ils recommencent leur cinéma…

— Message suivant, ordonne Coquard d’un ton sec.

Sur quoi l’image des deux parents se rétracte, aspirée dans un tourbillon de paillettes et de confettis virtuels, jusqu’à ne devenir qu’un petit point noir qui disparaît illico. Ils sont agaçants à la fin ! Ils voudraient le marier afin qu’il « s’ennuie moins », convaincus que la fille de leurs amis serait pour lui la compagne idéale. Comment se prénomme-t-elle, déjà ? Guillotine ? C’est ça, Guillotine, un assez joli prénom, certes. Il l’a déjà croisée deux ou trois fois, cette Guillotine : une Flambocx plutôt mignonne, des yeux argentés, piquetés de cobalt, des cheveux qui semblent doux comme le duvet d’un lapin, une taille fine et souple de gazelle… Elle est gentille et de bonne compagnie, amusante et spirituelle, médaillée d’or en danse acrobatique sur glace, championne de pâtisserie en quatre dimensions et docteur honoris causa ès rhétorique ancienne. Elle ne semble pas du tout s’ennuyer, mais c’est parce qu’elle est encore jeune et naïve !

Quand il était enfant, Coquard non plus ne s’ennuyait pas. Il trouvait toujours quelque chose à faire, à découvrir, à étudier, à bricoler. Le monde lui semblait truffé de surprises merveilleuses. Il ne lui fallait d’ailleurs pas grand-chose pour être content : un arbre à escalader, un ballon, un simple yo-yo suffisaient à l’amuser pendant des horecx. Son automatocx-éducateur personnel se tenait toujours à sa disposition, lui apportant tout ce qu’il désirait et répondant à toutes ses questions d’enfant curieux. Il ne se rendait pas compte à quel point ses parents, ainsi que tous les autres adultes, s’ennuyaient. Il les entendait bien soupirer et gémir mais ne comprenait pas pourquoi. Les adultes disaient souvent qu’ils « s’embêtaient comme des poux sur la tête d’un chauve », car il paraît qu’un petit insecte, il y a bien longtemps, colonisait le crâne des gens, d’où l’expression quelque peu désuète. Le jeune Coquard ne saisissait pas bien ce que cela signifiait, mais à présent, une centaine d’artiflecx plus tard, il comprend. Ah, oui ! Comme il les comprend. Plus on grandit, plus on a besoin d’amusements diversifiés. À partir d’un certain âge, on devient exigeant, et une fois qu’on a découvert tout ce qu’il y a à découvrir, qu’on a profité des bonnes choses à bouche que veux-tu, qu’on a eu des plaisirs à la pelle, qu’on a consommé de tout jusqu’à plus soif, il ne reste rien. Rien du tout, mon bonhomme !

Cependant, de là à se marier avec Guillotine, il ne faut pas pousser. Coquard ne la trouve pas intéressante, point final. De plus, il n’a pas envie de se marier, ni aucun désir de faire des enfants. À quoi cela servirait-il ? S’ennuyer tout seul, ce n’est déjà pas de la tarte, mais à deux, c’est sûrement bien pire. Il faudrait toujours trouver quelque chose à se raconter. Et les gosses, de toute façon, finiraient à leur tour par s’ennuyer comme des poils de nez au fond d’un tiroir. (Contrairement à la précédente expression, l’origine de celle-ci est incertaine. Toutefois – Coquard s’est intéressé, fût un temps, à la linguistique, car cela lui permettait de trouver le temps moins long – il semblerait que cette expression tire son origine d’une drôle d’habitude prise par certaines personnes à l’époque lugubre et lointaine où tout un chacun était encore affecté à une tâche extrêmement ennuyeuse, qu’on appelait le travail, et qui, par bonheur, n’a aujourd’hui plus cours. Coquard trouve que l’expression convient très bien à la situation actuelle, situation qui, paradoxalement, n’a pas changé d’un poil malgré que plus personne ne travaille. On s’embête toujours autant. À croire que le peuple flambocx est voué à l’ennui éternel !) Donc des gosses, non, définitivement non.

L’ordinateur de bord ouvre le deuxième message vidéolographique, et un visage tout neuf apparaît en face de Coquard : un gugusse de type masculin, aux oreilles anormalement longues, qui lui donnent un air insolite, et au nez si gonflé et tordu qu’il rappelle la forme d’un robinet à vin. Drôle d’oiseau…

— Ceci est un message urgentissime à l’attention des gens de…, prononce l’inconnu, le nez collé à un bout de papier.

— …, Flambocxia. Quel nom idiot ! Bref, qui que vous soyez, je vous prie instamment de m’écout…

— Fin de la transmission, commande Coquard froidement.

Et en un clin d’œil, l’image du robinet à vin se contracte et tourbillone avant de se volatiliser. L’envoyeur a dû se tromper de destinataire, chose qui arrive de plus en plus fréquemment en ces temps troublés. Les gens deviennent distraits et négligents. Et ce vocabulaire étrange : urgenti-quelque chose… Insta-truc… Ça n’a pas de sens. Ce Flambocx a perdu la raison, preuve que la situation ne s’améliore pas. Les gens deviennent vraiment malades. Encore un nouveau mot, que ce mot : malade. Coquard ne l’entendait jamais lorsqu’il était enfant.

Malade, prononce-t-il pensivement, goûtant aux sonorités de ce mot étonnant.

— Pardon ? demande l’ordinateur de bord.

— Rien, marmonne Coquard.

L’aéroflecx pénètre à présent dans le centre-ville, et au tournant d’une large avenue surgit l’un des monuments les plus stupéfiants de la capitale : la statue des Trois querelleurs, un vaste ouvrage presque aussi haut que les dômes environnants et construit en souvenir du dernier conflit de l’histoire de Flambocxia. C’est l’une des rares choses que Coquard peut encore considérer sans ennui, et même à chaque fois avec un intérêt renouvelé. Trois individus figés dans le roc : l’un d’eux saisit son voisin par le col de la veste, sous les yeux d’un troisième type qui, lui, demeure en retrait, les mains dans les poches. Les deux premiers se seraient disputés pour savoir lequel deviendrait le meilleur ami du troisième. Cette statue aux dimensions colossales est un mémorial. Car, de nos jours, plus personne ne se dispute. Tout le monde est ami avec tout le monde. À chaque coin de rue, des zozos se saluent cordialement, se font la bise et la causette, même s’ils ne se sont encore jamais vus. Pour Coquard, toutes ces amitiés sans allure qu’on voit partout, c’est comme les roudoudous au sucre et au miel : elles lui soulèvent le cœur. Il faut faire quelque chose, nom de nom ! Qu’on se dispute à nouveau ! Qu’on se saisisse par le col de la robe de chambre ! Cela nous changerait des bisous. Heureusement, depuis le début des maladies, il y a de l’évolution dans l’air.

Le véhicule poursuit sa route, laissant derrière lui la célèbre statue, que Coquard observe encore un instant dans le rétroviseur. À n’en pas douter, ce monument témoigne d’une époque qui devait être beaucoup plus amusante. Les visages des trois types le prouvent : les muscles sont contractés, et de bouillantes passions, enfouies et mystérieuses, semblent les animer de l’intérieur. Coquard se plaît quelquefois à imaginer les multiples cas de figure qui devaient exister à l’époque des conflits, il y a de cela plus de mille artiflecx. On se fâchait sans doute pour les pages cornées d’un livre ? Pour un matelas trop court ? Pour un baba trop mou ? Un voisin qui ronfle ? Un pot de fleurs posé au mauvais endroit ? On peut d’ailleurs admirer des centaines d’exemples de conflits divers et variés au Musée de la Dissension et de la Chicane. Il paraît même qu’à une certaine époque il existait des conflits infiniment plus dramatiques. De quel genre ? Coquard n’en a aucune idée. Les automatocx n’en soufflent mot pour ne pas choquer. Pourtant, un choc, nom de nom ! C’est peut-être ce dont le peuple flambocx a le plus besoin !

L’aéroflecx bifurque au tournant d’un dôme immaculé et s’engage sur une bretelle reliant le boulevard à la route suspendue.

— Tu ne prends pas le bon chemin, dit Coquard à l’ordinateur de bord.

— C’est tout à fait exact, répond celui-ci. Mais il semble que le Centre balnéo soit victime de son succès. Sa nouveauté suscite un afflux important de visiteurs. Je vais donc faire un petit détour, si tu veux bien.

Le véhicule s’élève au-dessus des boulevards et, à présent, navigue à mi-hauteur des dômes, lesquels laissent entrevoir, par intermittence, les vertes prairies alentour. Coquard, les paupières à demi closes, incline la tête sur son épaule. Il sait, par habitude, sans avoir à les regarder, quels bâtiments défilent en ce moment à sa droite et à sa gauche : la résidence marrainale, un peu aplatie et surmontée d’une longue aiguille argentée ; la fière coupole du théâtre de variétés, avec ses affiches colorées et clignotantes ; le très grassouillet palais des sports et loisirs, composé de plusieurs dômes accolés et, bien sûr, le pavillon multiexpos, pompeusement coiffé d’une calotte dorée sur laquelle trône un gigantesque ours en peluche.

Pourtant, quelque chose d’inhabituel attire l’attention de Coquard à la périphérie ouest de la ville, l’incitant à rouvrir les paupières. Une volute brun-rougeâtre s’élève en serpentant, brisant et déchirant l’uniformité rose du ciel. Jamais une telle irrégularité dans le firmament ne s’était offerte aux yeux de Coquard.

— Qu’est-ce que c’est que ça ! s’exclame-t-il avec irritation.

Il sait qu’il devrait plutôt se réjouir d’un spectacle aussi inédit, mais toute atteinte non désirée à son train-train le met en rogne. Il n’y peut rien. Les habitudes sont tenaces.

— Un attentat vient d’être commis dans le quartier résidentiel, répond la machine de sa voix flûtée habituelle.

Coquard secoue la tête.

— Un n’attend quoi ? Ne peux-tu donc utiliser de mots clairs ?

— Attentat : acte contraire aux bonnes règles de la vie en communauté. Souhaites-tu écouter le journal d’information instantanée ?

Coquard hausse les épaules.

— Ben, oui.

— Bienvenue au bulletin d’information de Flambocxia ! Un attentat vient d’être commis en plein cœur du quartier résidentiel. Les habitants sont actuellement évacués dans le calme. Les premiers éléments d’enquête indiquent qu’un ami masculinocx, sans doute par ennui, a tenté d’abîmer un bâtiment. À cette fin, il aurait fait éclater plusieurs dizaines de sacs de cacao… Nous n’en dirons pas plus sur la méthode employée, retenter l’expérience étant fortement déconseillé. Il va sans dire que l’ami en question a été conduit au Centre de soins intensifs pour les personnes souffrant d’ennui. Le passé est-il de retour ? Je vous dis à tout bientôt sur nos ondes.

Coquard demeure quelques instants pensif. Ces volutes brunes dans le ciel seraient donc composées de poudre de cacao… Intéressant ! C’est très intéressant, non seulement sur le plan visuel mais aussi d’un point de vue conceptuel. Ainsi, nous serions face à un conflit survenant non pas entre trois personnages, comme sur la statue des Trois querelleurs, mais entre soi et soi ou entre soi et le monde. Fascinant !

À ce moment, le véhicule s’arrête au bord de la route. Arrivé à destination, Coquard pose nonchalamment ses pantoufles sur le pavé. L’immense dôme du Centre balnéo se dresse devant lui, dont le portail automatique avale de manière ininterrompue un flot de visiteurs. Il se fraie un chemin dans la foule et pénètre à son tour dans l’édifice, tout en se disant qu’il serait bon de voir éclater, de temps en temps, de bons vieux conflits à Flambocxia.

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itchane
Posté le 12/02/2023
Hello Nosir !

Il est très réussi ce chapitre, le rapport au "conflit" est très intéressant, et aussi le fait que certains mots soient manquants au vocabulaire, c'est une très bonne idée. Je reste toujours aussi curieuse de l'histoire de tous ces prénoms, mais je prends mon mal en patience puisque tu m'as promis une réponse ^^

Au début je me demandais pourquoi Coquard était différent, pourquoi son esprit critique se réveillait et pas celui des autres, mais finalement, il n'est pas seul du tout ! Il est en train de rejoindre la liste des "malades" de l'ennui d'une certaine façon.
Je me suis aussi posée la même question que Loutre, est-ce que je m'ennuierais si je n'avais pas de travail ? Dans un monde comme Flambocxia où la culture semble omni-présente, je pense que je pourrais y trouver mon compte, sauf si cette culture est produite par d'autres personnes que les habitants, auquel cas, être seulement spectatrice et sans le droit d'être autrice m'ennuierait sans doute beaucoup ^^
Et puis aussi, sauf si je suis immortelle, là il est possible que l'ennui finisse par poindre tout de même... du coup je me demande si les habitants sont immortels ou non ? ^^

En tout cas le rapport au vocabulaire et l'arrivée du "conflit" dans cette société est vraiment très intéressant, j'ai hâte de découvrir la suite ! : D
Nosir
Posté le 16/02/2023
Merci beaucoup pour ton commentaire, Itchane! Ravie que cela te plaise. Effectivement, des réponses seront apportées bientôt concernant l'âge des habitants et la nature de leurs divertissements, leur culture...
À bientôt!
Loutre
Posté le 22/01/2023
Hello !
C'était une plaisir de découvrir la suite de ton histoire ! L'ensemble est toujours aussi bien écrit, entre humour, sérieux et descriptions élégantes. Il y a peut-être juste quelques fins de paragraphes qui m'ont un peu dérangé ; disons que parfois, tu nous fais sentir la perspective et les pensées d'un personnage, on le comprend, mais tu les explicites juste ensuite. Ça crée un côté redondant quand, personnellement, j'ai un préférence pour la subtilité. Après, c'est tout à fait personnel. Les passages auxquels je pense sont les suivants :
"Coquard ne trouve pas de mot pour exprimer ce sentiment, cette drôle de pression qui l’empêche de respirer librement, là, dans sa poitrine."
ou "Allons donc, ils recommencent leur cinéma".

Quant à ton univers j'en découvre les nuances avec plaisir. Ce monde utopique où plus personne ne travaille, où le conflit n'est qu'une relique de musée (j'ai bien aimé le petit détail de l'attentat... Enfin le fait que Coquard ne connaisse pas ce mot. Pareil par les informations qui persistent à appeler le responsable de l'attentat un ''ami''.)... Ça me fait penser aux vieux discours du XVIème et XVIIème, quand on était persuadé que la science nous permettrait de nous libérer de l'asservissement du travail, comme si une fois cette contrainte levée, on se réaliserait pleinement en tant qu'Homme (ou plutôt en tant que créature rationnelle et intelligente). Fors est de constater que chez toi, ça ne marche pas pour tout le monde... On sent bien l'ennui qui grignote la vie de tes personnages qui d'ailleurs, comparé à ce monde pseudo merveilleux, ont des noms bien sinistres. Mention spéciale à Péril et Cécité.

Un point que je trouve intéressant, c'est celui du conflit. Je trouve, personnellement, qu'une vie sans travail et constituée uniquement de temps libre, ce serait le paradis (tous les livres qu'on pourrait lire ou écrire, toutes les choses qu'on aurait le temps d'apprendre...) ; de fait, je suis moins sensible à l'ennui de Coquard (je crois que tu cherches davantage à parler d'une société de divertissement qui conduit tout le monde à l'ennui, mais dans le fond, je pense qu'on a pas besoin d'une société utopique aseptisée pour risquer de se retrouver embarqué dans une spirale ennuyeuse de divertissements). Par contre, cette idée selon laquelle le consensus est à double tranchant, je trouve ça vraiment intéressant. Ce sont des thématiques qui me font penser à Fahrenheit 451. Dans cette société aussi, les individus se font envahir par une mélancolie sinistre qui les pousse à des tentatives de suicide dont ils ne gardent pas le souvenir ; ils vivent dans un divertissement à grande échelle, tout ça... Mais y a un passage intéressant sur le comment la société est devenue comme ça, et une des causes, c'est justement le consensus. Dans Fahrenheit, c'est justifié par une économie de marché : pour vendre un produit à quelqu'un, il ne faut pas vexer la personne, donc tout ce qui était susceptible de blesser est devenu tabou, et à terme, en enlevant la possibilité de débattre, on en est venu à enlever la possibilité de penser tout court. Je ne sais pas si le conflit est véritablement une dialectique... Mais c'est une réflexion intéressante, et j'ai hâte de voir comment ton texte va la traiter !

Je me rends compte que j'écris beaucoup... Désolé pour ce long pavé.

A très vite !
Nosir
Posté le 22/01/2023
Merci beaucoup, Loutre, pour ce nouveau commentaire ! Je suis super contente que tu aies eu envie de continuer la lecture et de commenter. Tes remarques me font beaucoup réfléchir, notamment sur l’aspect de l’ennui dans une société de divertissement et ton parallèle avec Fahrenheit 451. Je vais réfléchir aussi à mes fins de paragraphe, merci de me l’avoir signalé.
Je n’ai pas trop bien compris ce que tu entends par « consensus à double tranchant»... Tu veux dire le fait que la population tente de se rebeller contre la société de divertissement?
Tu m’apprends aussi quelque chose ! Je ne savais pas qu’au 16e siècle on pensait que la science permettrait de libérer l’homme du travail... c’est intéressant, je vais me renseigner à ce sujet.
Et il ne faut pas t’excuser d’écrire beaucoup, c’est très agréable, bien au contraire ! :D À bientôt !
Loutre
Posté le 22/01/2023
Tant mieux si mes longs commentaires ne t'ennuient pas ! ;)
Ce que je voulais dire par consensus à double-tranchant, c'est que à première vue, on devrait se réjouir de se trouver dans un monde sans conflit, où tout le monde serait d'accord. Pour autant, l'absence de désaccord conduit aussi à une absence de débat, sans compter qu'il faut tout de même se demander pourquoi tout d'un coup, tout le monde serait sur la même longueur d'onde - est-ce par un soudain élan de sagesse ou au contraire par étroitesse d'esprit ? Par manque de réflexion ou par envie de ne choquer personne... Bref, l'absence de conflit conduit à une réflexion que je trouve vraiment intéressante. D'autant plus quand on voit la nature de l'attentat, dans ton histoire, qui reste dans la lignée de cette utopie rose bonbon - puisqu'on a seulement une montagne de cacao en poudre, si j'ai bien compris, qui flotte dans les airs. On reste de fait dans un désaccord assez pacifiste, pour le moment, et ça me semble tout à fait sain, d'exprimer sa position et d'engendrer un conflit raisonné.
Et par rapport à la science, je ne veux pas trop m'avancer (faut pas faire de généralités, y a quand même la religion qui peut poser problème) mais globalement on a une belle confiance en la science jusqu'au XIXème. Je pensais à Descartes, dans mon commentaire, qui envisage la science comme une manière d'asservir la nature et de libérer les hommes de l'esclavage que leur impose leur condition physique (besoin de manger, et donc de travailler la terre, etc). Il imagine un monde de machine où tout serait fait à la place des hommes, et il se dit que ce sera un monde formidable où on aura enfin le temps de s'occuper de notre épanouissement spirituel (c'est son côté dualiste, en fait).
Nosir
Posté le 22/01/2023
Merci pour ta réponse, Loutre! Je comprends mieux. Oui, le désaccord reste pacifiste parce que les Flambocx n’ont aucune idée de ce à quoi peut ressembler un véritable conflit, comme j’ai tenté de l’exprimer au moyen de la statue.
Ce que tu dis sur Descartes me fait penser à la "spirale dynamique", que je trouve fascinante pour décrire l’évolution de la conscience humaine. Descartes n’en était pas loin, en principe !

À bientôt !
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