chapitre 3 : changement de monde

3/ Changement de monde

Le vent du changement arrive encore une fois sans prévenir. Cette fois la porte s’ouvre : on vient me chercher ! On ne m’a pas oublié ! Un immense soulagement détend ma poitrine. Je vais être libérée ! Enfin la vie peut reprendre son cours. Un régulateur entre et me dépose des vêtements. Voici le moment de m’habiller de ma nouvelle vie … Je n’ai pas de miroir mais cette tenue ressemble à celle que je portais jadis en plus… vert indubitablement. Une nouvelle détermination monte en moi au fur et à mesure de mon changement de vêtement. J’enfile ma combinaison verte et je rassemble mes forces pour ce qui m’attend chez les Nourrisseurs. J’ajuste mes gants chlorophylle et me rappelle de tout ce que j’ai déjà traversé par le passé. Même parmi les Recycleurs il a fallu que je me fasse une place et j’y suis arrivée ! Il a fallu du temps pour trouver quoi faire de toute cette imagination débordante. On me reprochait enfant d’être sans arrêt dans les nuages, de ne pas faire partie du groupe, de rester seule dans mon coin. Mais cette enfant timide et rêveuse a grandi et dorénavant je suis une dessinatrice ingénieur. Oui j’ai déjà prouvé ce dont je suis capable et je vais recommencer. J’attache mes cheveux et ajuste mon masque sur mon visage. Il est vert constellé de petites feuilles dentées. Je suis prête. Devant moi cette porte va s’ouvrir d’un instant à l’autre et dehors une nouvelle étape de la vie m’attend. La mission que m’a confiée le Grand Ordinateur. Ma vie chez les Nourrisseurs.

Mon regard descend vers le tas orange que forme mon vêtement de Recycleur. Voici ce qui reste de celle que j’étais. Un petit tas informe laissé par terre. Je serre les poings pour ne pas pleurer, ne pas penser à cette ancienne vie que je quitte.

La porte s’ouvre d’un coup et le régulateur entre. Il me regarde de haut en bas avec un sourire narquois dans les yeux. Les miens sont humides et me brulent mais les larmes resteront enfouies à me bruler la poitrine. M’a-t-il observé pendant que je me changeais ? La colère tente une percée mais elle est bien vite diluée dans ma hâte de sortir d’ici.  Je prends une grande respiration et lève les yeux vers lui : je suis prête. Il fait un léger signe d’assentiment de la tête et s’efface pour me laisser sortir.

Sans un mot je suis escortée jusqu’au sas des Nourrisseurs.

 

Me voici devant une immense porte de métal cerclée du vert émeraude des Nourrisseurs. Au centre le sigle de la bulle avec le quartier vert qui pulse d’une douce lumière. Je Passeur déverrouille le sas avec sa carte d’accès et me fais signe d’entrer. Je lève bien les pieds pour entrer dans le sas. Je jette un dernier regard derrière moi avant que les portes ne se referment complétement. Le Passeur me fait un signe discret d’au revoir.

« Bienvenue chez vous Agnès ». Ce sera les seules paroles de mon geôlier : cynique ou sincère ? Je n’ai pas le temps de m’interroger plus avant, je me retrouve dans le noir.

 Puis la porte devant moi s’ouvre. Le voyant est passé au vert. Je suis d’abord éblouie. Quelle lumière ! Je m’avance la main sur les yeux, le regard fixé sur mes pieds afin de ne pas encore louper la marche.

Une silhouette s’avance vers moi. Je m’arrête et tente de voir qui est cet homme qui me rejoint. Il est grand, svelte et se déplace avec grâce, on dirait qu’il marche sans effort. Une fois devant moi je dois lever la tête pour croiser son regard. Il incline le buste en avant et me salue :

- Bonjour Agnès, je me nomme Tadi.

- Hum, Bonjour.

Ma voix me semble minuscule et enrouée de n’avoir pas servie.

- Je te souhaite la bienvenue au nom de tous les Nourrisseurs.

Il me regarde intensément et je fini par balbutier un remerciement et un léger salut pour la forme.  Satisfait il se redresse un peu et plisse le coin de ses yeux. Puis, sans me lâcher du regard il ajoute :

- Je serais ton partenaire de mariage et ton guide ici chez nous pour t’aider à trouver ta place au sein de la caste.

Ma caste… Mon partenaire... Voici donc l’homme qui m’est destiné. Je n’ose pas trop le dévisager mais quand je jette à nouveau un coup d’œil vers lui je sens une chaleur me saisir les joues. Je suis plutôt agréablement surprise : il a un air doux et confiant. Et oui bon, il est carrément beau ! Il a les traits fins, des yeux verts en amande, la peau mate comme dorée et de longs cheveux noirs tressés qui se balancent dans son dos. Je ne savais pas à quoi m’attendre mais là c’est vraiment une sacrée chance ! Toute ma colère, ma peur, mes doutes sont ici soufflés par son apparition. Je me retrouve timide et gauche comme la petite fille que j’étais jadis.

J’ai dû me perdre un peu dans mes pensées car je le vois maintenant qui me fixe semblant attendre une réponse.

- Euh pardon ? 

- Veux-tu bien m’accompagner dans tes quartiers ?

- Oui merci, bien sûr.

Quelle idiote je fais. Concentre-toi, concentre-toi !

Nous traversons la grande salle commune. Je peux voir le ciel à travers la vaste verrière verdoyante. Il se reflète sur le blanc immaculé de la pièce lui donnant des teintes mordorées. C’est la fin de l’après-midi et le soleil se pare de ses plus belles couleurs cramoisies. Je lève mon visage à la douce chaleur qui baigne la pièce. Revoir le soleil, sentir sa chaleur sur ma peau, je réalise avec étonnement à quel point cela m’avait manqué.

Tadi, pris dans ses explications ne m’a pas attendu et je dois courir un peu pour le rattraper. Il tient à me faire faire le tour entier. Je le suis pour la visite et rapidement je me rends compte que ça ressemble presque trait pour trait à chez moi. Il y a les parties communes avec la zone de restauration, le centre de débat, la salle d’exercice et de soin et la serre de détente. Cette dernière seulement détonne par rapport à ce que je connais et de beaucoup. C’est une vaste jungle plantée dans de la … terre. Je refuse le plus poliment possible d’aller y faire une promenade. Heureusement Tadi n’insiste pas et nous continuons vers la zone de travail. Nous passons devant les portes d’accès et il me décrit les différents lieux de travail. J’écoute les explications de Tadi d’une oreille distraite en me concentrant sur le balancement de sa natte dans son dos. Sont-ils vraiment comme on le dit ces Nourrisseurs ? Cette caste est issue d’un peuple appelé « amérindien » au monde d’avant. Ils sont passé maitre pour s’occuper des productions alimentaires dans nos conditions atypiques de vase clos. Certains chuchotent qu’ils mangent les plantes et même des animaux alors qu’il n’y en a plus sous la Bulle. Il se raconte qu’ils communiquent avec tous les êtres et même la Terre.  Bien sûr je sais que ce sont des commérages. Notre dégout pour la matière organique, et le mien en particulier, est sujet de beaucoup de plaisanteries douteuses.  Je ne peux m’empêcher d’avoir une pointe d’appréhension pour la suite de la visite.

En chemin, on nous salue d’un signe de tête, je me sens dévisagée et je garde les yeux baissés pour ne pas montrer mon malaise. Et je dois dire, à mon grand dam, que regarder Tadi dans les yeux me fait systématiquement rougir comme une enfant.  

 Nous finissons par la zone des cellules d’habitation où chacun à sa pièce personnelle. Je retrouve une cellule similaire à la mienne, simple et confortable. Ouf pas de fantaisie organique ! Ici se termine la visite avec Tadi. Il me souhaite de me reposer et me quitte d’un bref salut.  Seule à présent j’ai tout le loisir pour prendre possession de mon petit coin personnel. Il est tard et on me laisse tranquille pour la soirée.  Je suis finalement rassurée par ma première journée. Je m’installe sur mon lit et regarde autour de moi. Cette pièce spartiate est une réplique de mon ancienne cellule. Il y manque cependant mes innombrables dessins qui recouvraient presque chacun des murs. J’ai le droit à mon repas, seule dans ma cellule. Un cachet de nuit et dodo ! Demain nous irons voir la zone de travail et commencera alors ma vie parmi ma nouvelle « famille ». Ne pas penser encore. Refouler mes larmes. Je m’allonge sur mon lit et le sommeil vient me libérer de ma tristesse. Le visage de Gérald devient flou.

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