Chapitre 3 — Blaine

En ouvrant les yeux, je pris quelques secondes pour me rappeler des évènements de la veille, puis pour réaliser que j'étais dans la chambre de Charlie. C'était même la première fois que je découvrais cette pièce aux tons vert pomme. Je l'avais parfois entraperçu lorsqu'on avait échangé quelques photos, mais rien de plus.

C'était aussi la première fois que j'étais à ce point plongé dans son intimité. Une bien drôle de sensation.

Elle était à mes côtés, encore en plein sommeil. Son souffle était calme et j'avais l'impression qu'elle en avait encore pour de longues heures avant de se réveiller. En même temps, nos dernières journées avaient été assez épuisantes. Mais de mon côté, ça coupait court à mon sommeil.

Je jetai un bref coup d'œil à mon téléphone, posé sur la table de chevet. Tout juste neuf heures.

Maintenant, je me rappelai n'avoir eu qu'une brève discussion avec les parents de Charlie, peut-être qu'il était temps d'arranger ça. De toute manière, il valait mieux régler ça et me débarrasser de ce stress — probablement inutile —, le plus vite possible.

J'avais encore mes vêtements de la veille, j'hésitais à les changer, mais peut-être devrais-je plutôt attendre de prendre une douche.

Alors, mon téléphone en main, je quittai la chambre de Charlie et descendis les escaliers pour rejoindre la cuisine, là d'où provenaient quelques bruits et paroles.

En franchissant le seuil de la pièce, le regard des pères de Charlie se tourna vers moi et un sourire bienveillant se dessina aussitôt sur leur visage. Je me figeai un instant, incapable de prononcer le moindre mot, et attendis qu'ils fassent le premier pas.

— On a du café de prêt, annonça Ryan. Sinon il y a toujours du thé ou du chocolat chaud.

— Euh... Je prendrais juste un café, finis-je par dire à demi-voix.

Il m'invita à m'asseoir et je m'exécutai, légèrement tremblant. Ryan me servit aussitôt une tasse de café et je me sentais presque gêné d'être dans cette situation.

— Je vais essayer de trouver un logement assez rapidement... Je ne voudrais pas m'imposer.

— On ne va pas te forcer à quitter la maison le plus rapidement possible. Prends le temps qu'il te faut.

Sa voix me semblait si sincère et pourtant, j'avais du mal à y croire. Je m'attendais à ce qu'il rajoute une remarque passive agressive pour me faire fuir. Mais rien, juste un sourire. Toujours le même sourire bienveillant. Le même sourire qui se dessinait régulièrement sur le visage de Charlie.

— Je ne comprends vraiment pas, lâchai-je d'une voix toujours aussi faible. Je pourrais être un espion ou quelqu'un qui abuse de Charlie pour des histoires de famille. Vous auriez toutes les raisons de me rejeter. Mais vous le faites pas... Je ne comprends pas. N'importe qui se serait méfié...

L'expression sur le visage ne changeait pas. Toujours les mêmes sourires et les mêmes rides qui se creusaient aux coins des yeux.

— C'est vrai qu'on aurait pu faire ça et probablement ce qu'on aurait dû faire... Mais l'amour, c'est quelque chose qu'il est dur à simuler. Même dans les meilleurs plans machiavéliques, ça ne passe pas.

Frank opina de la tête aux propos de son mari. Tous deux croyaient sincèrement à notre relation à Charlie et moi. Je n'avais même pas eu besoin de m'étaler dessus. Ils me croyaient... contrairement à mon père, avec qui j'avais été explicite.

Frank passa derrière moi et un sursaut me prit. Des sueurs froides parcoururent mon corps et mon cœur s'emballa, quand bien même je constatai qu'il cherchait juste une cuillère dans un tiroir. Mon souffle devint saccadé. Tous deux me regardaient, l'air perdu, sans oser dire un mot.

Puis j'éclatai en sanglots en prenant mon visage entre mes mains. Je m'attendais à exploser dans une situation bien plus délicate que maintenant, pas quand on me comprenait.

Pourquoi ?

J'avais tenu bon jusqu'à maintenant. J'avais fait face à mon père, j'avais pris position. Jamais je ne m'étais autant affirmé de ma vie... Mais peut-être que ça m'avait bien plus coûté que je ne le pensais.

Frank s'assit à côté de moi, posa sa tasse un instant pour me tendre un mouchoir. En le prenant, j'aperçus son regard plein de compassion et j'essuyai aussitôt mes larmes qui n'étaient pas près de s'arrêter de couler.

Je pris une longue inspiration alors que les pères de Charlie me fixaient toujours, l'air inquiet. Ils aimeraient bien comprendre cette situation. Mais à vrai dire, je n'étais même pas sûr de la comprendre entièrement. Le peu d'équilibre que j'avais n'existait plus et j'avais plongé dans le vide avec Charlie. Certes, j'étais accompagné, sauf que le vide, il y avait de quoi en avoir le vertige.

Mon esprit se calma alors après que mon regard examina les alentours. En réalité, il n'y avait aucun danger ici. Mais mon instinct avait pris le dessus, tellement habitué à jouer les funambules.

Je reprenais petit à petit un souffle un peu plus posé lorsque Charlie entra dans la pièce. Je sentis son cœur se serrer dès que son regard croisa le mien. Elle s'approcha immédiatement de moi pour me prendre dans ses bras sans faire attention au regard qu'on porterait sur cette marque d'attention.

Je renforçai son étreinte, n'ayant aucune envie de la laisser partir. Ses mains s'agrippèrent à mes omoplates et je sentis les larmes monter à ses yeux. J'ignorais si c'était la pression qui lâchait de son côté ou si c'était son empathie extrême qui avait pris le dessus encore une fois.

Quand elle me relâcha, elle se sentit assez honteuse devant ses parents et je baissai mon regard, le posant dans le fond de ma tasse. En jetant un bref regard vers eux, ils ne semblaient pas mal le prendre. Au contraire, ils étaient toujours aussi souriants. Leur bienveillance et leur joie étaient si perturbantes...

— On va vous laisser prendre votre petit-déjeuner tranquillement, on va préparer l'ouverture de la boutique, annonça Frank.

Ils quittèrent la pièce et Charlie s'assit à côté de moi pour me prendre la main.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Pas grand-chose... C'est juste déstabilisant comme situation. Tes pères sont si...

— Compréhensifs ? Je dois avouer que j'en suis moi aussi étonnée... Mais pas tant que ça non plus. La pomme n'est jamais tombée bien loin de l'arbre.

Elle laissa échapper un petit rire, assez nerveux. Puis elle mordit sa lèvre inférieure, plutôt gênée. Son regard se posa sur mes lèvres, regard qu'elle détourna rapidement. Je rapprochai lentement mon visage du sien et elle osa enfin coller ses lèvres aux miennes. Un simple baiser, assez chaste, juste au cas où on se ferait surprendre. Il était évident que toute sa famille n'était pas naïve et se doutait qu'on avait déjà couché ensemble, mais autant y aller en douceur sur ce terrain.

— Je vais peut-être emprunter la salle de bains pour prendre une douche...

— Je vais t'y conduire.

 

*

 

En sortant de la salle de bains, j'avais enfilé des vêtements propres, les rares que j'avais ramenés ici. Mes cheveux étaient encore bien mouillés et c'était probablement le seul inconvénient des cheveux longs qui me dérangeaient. Parfois, j'en étais même venu à emprunter le sèche-cheveux de Kayla, ce qui l'avait fait éclater de rire à chaque fois.

Cette simple pensée me fit sourire un instant, pour finalement être remplacé par cette énorme pression à la poitrine.

Ma sœur me manquait déjà terriblement. Je l'avais aussi abandonnée et dans le pire environnement possible. Cette pensée était suffisante pour me faire regretter mon choix. Certes, elle devait se débrouiller sans moi, parce que je ne serais pas toujours là pour elle, mais j'avais la sensation qu'il était encore trop tôt.

Je tentai de m'extirper de mes pensées en explorant les couloirs et grandes pièces de la maison. Je finis par atterrir dans le salon où se trouvait Clint, le cousin de Charlie, en pleine lecture d'un livre. En me voyant franchir le seuil de la pièce, il leva son regard vers moi, l'air placide.

— Tu cherches quelque chose ?

Sa demande avait beau être assez neutre, je ne pouvais m'empêcher de rester méfiant.

— Hum... Pas vraiment en fait.

Il ferma son livre et je pris une longue inspiration.

— Je sais que tu me détestes et je comprendrais que tu veuilles m'éviter. Je vais retourner dans la chambre de Charlie pour la retrouver...

— Non, attends ! m'interpella-t-il alors que j'allais faire demi-tour. À vrai dire, je ne te déteste pas tant que ça.

Il se leva et quand bien même ses paroles paraissaient sincères, je me figeai un instant et détournai mon regard.

— Dire que je te fais entièrement confiance serait un mensonge, évidemment. Nos familles ont une histoire. Mais je dois aussi reconnaître que tu faisais partie des moins pires, alors si Charlie te fait confiance, je peux essayer.

— De toute manière, je ne t'en voudrais pas si tu me détestes... Après tout, mon propre père me déteste, alors n'importe qui pourrait en faire de même.

Mon ton était un peu trop défaitiste. Mais en même temps, c'était tout ce que je pouvais en tirer pour le moment. J'avais toujours envie de voir le bon chez mon père, sauf maintenant, parce que c'était trop dur. Je savais qu'il n'était pas juste ce monstre que j'avais découvert petit à petit. Enfin, j'y verrais plus clair prochainement.

— En même temps, ta famille n'a pas toujours été un peu trop dans les extrêmes ?

— C'est une manière de voir les choses, je suppose. Soit j'allais dans son sens en me comportant comme le pire des connards et j'étais l'enfant modèle. Soit je prenais mon indépendance, je prenais du recul sur la situation, et je devenais le pire des parias... D'une certaine manière, ce sont des extrêmes.

Je soupirai longuement après ses paroles. Je n'avais même pas assez d'énergie pour y mettre une réelle intention. Clint le remarqua et afficha un sourire à la fois complaisant et compatissant.

— Ici, t'es dans tout le contraire des extrêmes... On nuance tout ici, peut-être un peu trop.

— En tout cas, ça ne m'a jamais semblé de trop chez Charlie.

On échangea un timide sourire, peut-être notre interaction la plus sincère jusqu'à maintenant.

— Bon, c'est pas tout, mais j'ai un entretien ! annonça-t-il en penchant la tête.

— Entretien d'embauche ? Tu cherches un travail ? Tu ne bosses pas dans la boutique ?

— Je pourrais... Mais j'ai envie de travailler un peu de moi-même. Sauf que tous mes entretiens sont un échec.

— Peut-être que tu devrais te laisser pousser les cheveux, lui suggérai-je.

— Je ne veux pas avoir le même look que toi.

Ma remarque ne semblait pas vraiment lui plaire et en comprenant ce bref quiproquo, je ne pus m'empêcher d'en rire légèrement.

— Rien à voir... Mais certains vérifient si t'as des antécédents de drogue grâce aux mèches de cheveux et les cheveux à ras, c'est rapidement suspect dans ce genre de situation.

— D'où tu sais ce genre de trucs ?

— Disons que je me suis rendu compte que la société n'est pas très clémente avec d'anciens toxicos.

Il arqua un sourcil et ne releva pas davantage. Tant mieux, je n'avais pas envie de m'étendre sur ce sujet. Ce pourrait rapidement devenir douloureux d'en parler entre ma sœur et Tyler.

— Bon, il faut vraiment que j'y aille... On pourra se reparler une autre fois, histoire d'essayer de se rapprocher.

J'acquiesçai timidement puisqu'il partit assez rapidement. Il enfila un manteau dans le hall et quitta la maison.

Mon regard se perdit un instant dans ce grand salon jusqu'à ce que j'ai le réflexe de jeter un coup d'œil à mon téléphone.

Un message de Kayla. Assez court et avec peu d'informations, et pourtant, extrêmement alarmant.

« Maman m'a parlé d'un truc. Faut qu'on se voie assez rapidement et qu'on en parle ! »

Et voilà que je commençais à craindre le pire. Dans quel merdier l'avais-je laissée tomber ?

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