Chapitre 3

Par Feydra

Système P4556 – étoile de type G – Planète : Dryd

           Niché au cœur de la vallée, au pied des hauts monts enneigés qui sombraient dans l’obscurité, le monastère s’illuminait pour se préparer à la nuit. Le vent sifflait entre les arbres et les rochers. La neige dansait autour des pics et des hautes tours de la majestueuse citadelle dont les imposantes portes noires se fermaient lentement, enfermant la lumière chaude à l’intérieur. Aucun être vivant n’était visible sous les rafales de neige qui tournoyaient. Dans ce refuge vivaient et s’entrainaient des Frères du Cristal.

           A l’intérieur, les épais murs étaient recouverts de tissus chatoyants et de nombreux globes flottaient dans les airs près du plafond, répandant une lumière vaporeuse sur les meubles et les gens silencieux qui s’affairaient dans les différentes pièces. La grande salle centrale, autour de laquelle les couloirs et les autres pièces s’organisaient, était emplie de murmures doux et joyeux.

Au centre, des jeunes gens en kimonos aux couleurs vives et au tissu léger s’entraînaient avec grâce. Parmi eux une jeune fille aux longs cheveux tressés virevoltait. D’autres moines plus âgés étaient disséminés dans la pièce, certains observaient les mouvements des danseurs d’un œil critique, d’autres parlaient. Ils étaient vêtus de toges de différentes couleurs et de différentes textures et semblaient sereins : pas un éclat de voix, pas un propos hostile ; seulement quelques éclats de rire et des conversations paisibles. D’autres encore transportait de la nourriture et des boissons sur les différentes tables prévues à cet effet. Les voix ne dépassaient jamais le stade du murmure et les mouvements des jeunes combattants étaient presque silencieux, comme la montagne autour du monastère était silencieuse sous le manteau de neige qui la recouvrait.

Au fond de la salle, une tapisserie montrait le paysage d’une nature diaphane et immaculée au plus profond de l’hiver : tantôt apparaissait un lac gelé sur lequel le ciel et les nuages se réfléchissaient, tantôt une forêt endormie sous l’étreinte de la glace, sa beauté figée et miroitante, tantôt des montagnes argentées sous la neige flottante.  Au pied de cette tapisserie, trônait trois sièges simples de bois foncé.

Après une dernière gracieuse pirouette, la jeune femme remercia ses compagnons d’un hochement de tête et d’un sourire chaleureux. Puis elle se dirigea vers la table la plus proche, laissant ses compagnons continuer leur infatigable danse. Elle se choisit une boisson, un nectar qu’elle appréciait particulièrement, et se retourna pour observer les autres.

Une main légère sur son bras détourna son attention. Elle tourna la tête et esquissa immédiatement une révérence lorsqu’elle découvrit l’Ancien près d’elle. Il la remercia d’un sourire et l’attira légèrement à l’écart.

           - Pia, ma fille, tu es légère comme une plume, comme d’habitude.

La jeune femme ne put s’empêcher d’éprouver une grande fierté à ces paroles.

           - Merci, maître.

           - As-tu vu ton père ? continua-t-il, en parcourant la salle du regard.

           - Non, maître, il n’est pas encore arrivé. Il doit être encore en train de méditer. Ce matin, il était…inquiet.

Le maître haussa un sourcil à cette remarque et toute son attention revint vers sa jeune élève.  Pia se racla la gorge.

           - Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas éprouvé le besoin de s’isoler et de méditer aussi souvent. Plusieurs fois lors des leçons, je l’ai vu s’interrompre et se concentrer comme s’il entendait quelque chose de lointain. J’aimerais qu’il se confie à moi…

L’autre posa une main réconfortante sur son bras.

           - Il viendra à toi, ma fille. Il va avoir besoin de toi.

Pia hocha la tête et baissa les yeux, sentant une tristesse intense l’envahir, un vide qui ne la quittait jamais s’ouvrir grand en elle. Elle ne vit pas les yeux de son maître se poser sur une haute silhouette qui s’approchait lentement d’eux, ni son sourire. Une voix grave retentit soudain tout près d’elle.

           - Viens, ma fille. Nous avons à parler.

Pia sentit soudain en elle une chaleur immense et douce, comme à chaque fois que son père se trouvait près d’elle. Elle leva la tête et croisa ses yeux verts. Il avait un visage aux traits fins, buriné par les ans, à l’expression empreinte de calme et de sagesse. Sa haute silhouette était en partie cachée par ses grandes robes de cérémonie mais on sentait sa force et sa souplesse. Ses longs cheveux blanc étaient réunis en une tresse.

           - Mais, Père, la cérémonie…

           - J’ai peur qu’il n’y ait pas de célébration pour nous cette année, en tout cas pas celle de l’hiver…mais si tu tiens vraiment à accomplir les rites de l’hiver, je peux accomplir cette tâche seul.

A cet instant, Pia vit l’épreuve qui se cachait sous les mots de son père. Il avait gardé son expression tendre et elle savait que son amour pour elle n’aurait jamais de limite, mais à cette seconde précise, elle voyait se dessiner devant elle un choix qui changerait sa vie de manière définitive, un choix qu’elle avait déjà fait depuis longtemps.

           - Non, père, il y aura d’autres célébrations. Je veux être avec vous, fit-elle en lui prenant la main.

Son père sourit puis se pencha pour lui déposer un baiser sur le front. Il se retourna ensuite vers l’Ancien qui attendait, les mains unies devant lui. Il s’inclina.

           - Maître…

L’autre leva la main et son élève s’interrompit.

           - Je sais, Ipsos, tes visions te mènent loin de nous, tu as une tâche à accomplir. J’espère seulement qu’il n’est pas perdu.

           - Il s’agit de mon fils, mon maître.

Son ton ferme et sans appel étonna Pia qui ne l’avait jamais vu lever la voix contre son mentor. Elle fut horrifiée mais l’Ancien ne s’en offusqua pas. Il sourit plutôt.

           - Oui. Nos pensées vous accompagneront où que vous soyez.

Ipsos hocha la tête puis prenant la main de sa fille, l’entraîna avec lui vers leurs appartements. L’Ancien les suivit du regard puis rejoignit ses frères, tâchant d’éloigner l’ombre qui commençait à lui enserrer le cœur. Demain, ils perdraient peut-être Ipsos et Pia pour toujours. Ou bien ils retrouveraient un esprit clair et magnifique, murmura une petite voix au fond de lui.

 

           Une souffrance immense, voilà ce que j’ai ressenti ce matin-là. La douleur, la haine, le meurtre, tout cela se déchirant sous les pleurs d’une âme en détresse. Tu voulais me retrouver, mon fils, et ton désir si puissant a réussi ce que ton corps et ta volonté n’ont pas encore décidé. Les images que je vois depuis toutes ces années, depuis que tu as commencé ta carrière de mort, se sont précisées et amplifiées. Tu ne m’as jamais perdu, mon fils, je n’ai jamais honni ton nom, ta présence n’a jamais quitté mon cœur. Je te retrouverai et je te sauverai !

 

 

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