Chapitre 3

Par Jibdvx

Plus une trace. Clément, planté devant le fauteuil où gisait, à peine une heure plus tôt, le corps sans vie de MacRùn, ne pipait plus un mot.

 

— Un mort disparu… C’est là diablerie ! couina Baptiste en s’accrochant à la manche de l'évêque.

 

Se dégageant avec sans doute plus de violence qu’il ne l’aurait souhaité, Monseigneur Simon hocha gravement la tête en balayant la pièce d’un regard inquisiteur.

 

— Rien. Plus une marque sur le fauteuil, aucune trace…

 

Les pensées de Clément commençaient à le dépasser. Comment ? Comment un cadavre pouvait-il disparaître ? Le fauteuil de MacRùn était impeccable. Le coussin délicatement placé sur le dossier, le tissu épais sans la moindre marque ! Comme si personne n'y avait jamais été assis.

Pierre, le majordome, tournait et retournait son mouchoir de poche dans ses mains potelées, répétant inlassablement qu’il n’avait pas bougé, que c’était impossible. Les quelques cheveux blancs encore présents sur son crâne rond et luisant étaient dressés sur sa tête. Clément le savait bien que c'était impossible. Mais l’impossible avait décidément prévu de leur tenir compagnie pour la nuit !

 

— Là ! Regardez, sur le rebord de la fenêtre ! s’exclama Baptiste en pointant sa trouvaille du doigt.

 

C’était un couteau. 

 

Pas un grand couteau comme pour la chasse ou la cuisine, ni même un couteau fait pour la table. Plus comme un outil. Sa lame était très fine et son manche long et ouvragé de motif en bois laqué. Trop raffiné pour être un simple couteau de poche. Cependant, l’évêque Simon reconnut l’objet en le ramassant.

 

— C’était le sien. Le couteau de MacRùn, paix à son âme. Il s’en servait pour tailler ses cigares. Il ne le quittait jamais depuis…

 

L’évêque retint les mots au bord de ses lèvres pincées.

 

— Depuis ? insista Clément, qui sentait venir une nouvelle révélation sur le défunt.

 

L’évêque déglutit et se signa en murmurant quelques prières, visiblement très préoccupé. Une goutte de sueur perla sur son front, qu’il se hâta d’essuyer avec son propre mouchoir. Il lâcha alors :

 

— Depuis le Palais d’été. Il y a cinq ans. Monsieur MacRùn avait… trouvé ce couteau dans les cendres du palais et avait décidé de le garder.

 

Clément réprima un ricanement amer. Dire du mal des morts était certes une bien vilaine chose, mais cette pathétique tentative pour couvrir l’écossais était risible. MacRùn n’avait certainement pas “trouvé” ce couteau dans les cendres du Palais d’été. Il avait plutôt participé au saccage.

 

— Le fait est messieurs, grinça Clément, que ce couteau n’était pas là avant.

 

Les esprits de chacun s’activaient à l’unisson. Le boudoir, dont le feu mourait lentement blottit au fond de l'âtre dans un sifflement plaintif, fut plongé dans un brouillard de pensées bien sombres. Baptiste, qui regardait en tout sens, de plus en plus tendu, pointa un doigt accusateur vers Pierre.

 

— C’est forcément lui ! Personne ne pouvait entrer sans passer par lui !

 

Le pauvre majordome tomba le dos contre le chambranle de la porte. Un meurtre, c’était déjà trop pour son tempérament paisible et sa loyauté envers la famille Millaud, alors être accusé de la sorte… Heureusement, l’évêque Simon abaissa le bras de son sbire en le fusillant du regard, Clément n’eut même pas à faire taire le novice, Baptiste était d’ailleurs bien plus effrayé par le père Simon.

 

— Impertinent ! Pharisien ! tonna le prélat. N’as-tu donc pas honte d’accuser ainsi sans preuve ? Va-t-en donc laver cette vilaine bouche et te rafraîchir les idées. Monsieur Millaud et moi avons à parler...seuls.

 

Heureux d’enfin obtenir de l’évêque ce qu’il désirait, Clément congédia Pierre qui accompagna le novice à la salle de bain. Qu’une situation aussi dramatique que celle où ils se trouvaient eut-été nécessaire pour délier la langue de Simon avait malgré tout un goût amer…

Une fois le domestique et le novice partis, les épaules de l'évêque s'affaissèrent, il poussa un long soupir fatigué, puis ferma soigneusement la porte du boudoir. Clément attendait impatiemment, les bras croisés, ce que le prélat avait à lui dire. Le père Simon posa une main sur le fauteuil qu’avait occupé MacRùn et, les yeux perdus dans le feu mourant, déclara :

 

— Vous êtes un homme intelligent Clément. Je n’ai rien à révéler sur votre père que vous ne sachiez déjà. Quant à ses affaires avec notre regretté écossais…

 

— La contrebande d’opium ? Oui bien sûr, le coupa Clément. Presque toutes les riches familles de la Concession ont trempé dans ce trafic. Je pense plutôt que vous désirez me parler de la guerre ?

 

Le père Simon hocha la tête, résigné. Il avança jusqu’à la fenêtre et prit le couteau de MacRùn entre ses doigts.

 

— Ceci est un couteau que les locaux utilisent pour confectionner les jianzhi, expliqua l’évêque. Ces feuilles de papier découpées avec lesquelles les chinois décorent les portes et les fenêtres de leurs maisons.

 

Clément voyait tout à fait de quoi parlait le père Simon, mais ne comprenait pas vraiment le lien entre ces décorations d’intérieur locales et la mort de MacRùn. Il leva un sourcil circonspect. Simon continua.

 

— Vous savez sans doute que, lors de l’incendie du Palais d’été, quelques serviteurs encore présents sur les lieux ont…

 

— Les quotidiens parlaient en effet d’à peine une centaine de morts oui, mais encore mon père ? Le temps nous est précieux.

 

L’évêque s’éclaircit la gorge, de plus en plus mal à l’aise.

 

— Cette révélation, je la tiens de votre père, qui craignait pour le salut de l’âme de son ami. MacRùn lui aurait confié qu’une fois l’incendie éteint, après trois jours, il serait retourné sur les lieux pour récupérer ce que les soldats n’avaient pas eu le temps de piller. De l’or, tissus précieux et porcelaines, il ne trouva que ce couteau et quelques bibelots en bronze au milieu des cendres et… de squelettes. Avec le temps, MacRùn avait commencé à y repenser et en a parlé à votre regretté père.

 

Clément pinça ses lèvres. MacRùn était décidément pire qu’il ne l’imaginais, mais il ne voyait toujours pas le rapport. Ou peut-être…

 

— Vous pensez que le couteau a été placé là volontairement par l’assassin de MacRùn ? Ou la personne qui a déplacé son corps.

 

L’évêque s’approcha de Clément, son eau de Cologne envahit les narines du jeune homme.

 

— Je n’en sais rien, murmura-t-il. Mais si c’est le cas, j’espère que cette personne s’en est allée, ou nous sommes tous menacés.

 

Soucieux, Clément se frotta le menton en repensant aux autres qui les attendaient dans la salle à manger. À Anastasia, à sa mère… Il tourna son regard vers la fenêtre.

 

— Il faut fouiller le jardin. Si l’intrus s’y trouve encore, il ne pourra pas se cacher. Et s’il est parti et bien…

 

Clément ne put finir sa phrase. Un cri aigu de terreur retentit dans la maison, suivi d’un bruit de chute. Les yeux du père Simon s’agrandirent.

 

— Baptiste. Au Seigneur c’est Baptiste !

 

Les deux hommes se ruèrent hors de la pièce et coururent à toute jambe vers la salle de bain, un étage plus haut. Ils entendirent la voix étouffée de Leonid Degtiarev qui monta depuis la salle à manger, les autres n’allaient pas tarder à les rejoindre.

Lorsqu’ils arrivèrent dans le couloir menant à la salle de bain, Clément et le père Simon virent Baptiste se traînant hors de la pièce sous les yeux de Pierre, complètement dépassé. Le majordome se reprit cependant quand ils vit son maître et l’évêque. Il aida le novice à se relever, mais l’adolescent regardait, effrayé, le fond de la salle de bain.

 

— Le miroir ! bégaya-t-il. J’ai vu quelqu’un dans le miroir !

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