Le visage crispé, Leïla fixait le soleil couchant, tenaillée par un douloureux sentiment d’abandon. Elle qui appréciait tant ce moment ! Tout était gâché à présent !
— Leïla…
Owen posa une main sur l’épaule de l’adolescente, mais elle se dégagea prestement.
— Allez, Leïla ! intervint Milo qui sentait croître la colère de leur amie. Owen n’est pour rien dans la décision de Krabb !
Mais la réaction de Milo ne fit qu’augmenter la rancœur de la blondinette qui lança au visage du jeune sourcier :
— Pourquoi tu nous as jamais parlé du don ?
— Parce que t’étais pas au courant ! railla Milo. Tu nous prends vraiment pour des truffes !
— Toi, je t’ai pas sonné !
— Du calme ! réclama Owen. Vous n’allez pas vous embrouiller pour si peu.
— Pour si peu ! s’exclama Leïla, indignée. Tu nous caches la vérité pendant des années et du jour au lendemain, tu nous plantes pour aller chercher une source !
— Je m’en serais bien passé, tu sais ! Et puis, Milo a raison, arrête ta comédie ! Tu l’avais deviné, bien avant que je te l’annonce ! répliqua l’adolescent, d’un ton amer, avant de se murer dans le silence, le regard pointé vers l’horizon.
Un doux parfum de résine sauvage enveloppait la corniche surplombant les pentes dénudées de la montagne où, chaque soir, ils venaient admirer le coucher du soleil. Malgré l’interdit, le trio n’hésitait pas à grimper jusqu’au sommet pour assister, avec enchantement, à la naissance des premières étoiles. Leur échappée ne durait jamais longtemps à cause de la température qui chutait très vite, mais jamais ils n’auraient renoncé à ces quelques minutes d’ivresse, loin de la caverne et de ses contraintes !
Tandis que Leïla et Owen se taisaient obstinément, Milo, assis en retrait, s’amusait à décoder les micro-expressions qu’il décelait sur leur visage. À son air faussement détaché, il savait que Leïla cherchait un moyen de s’excuser sans perdre la face. Quant à Owen, il regrettait déjà son emportement ; il le devinait à la nervure quasi invisible qui plissait son front ! Il les connaissait tellement, ces deux-là ! Ensemble, ils avaient usé leurs couches sur les mêmes balançoires et échangé leurs tétines dégoulinantes de bave, rabâché les tables de multiplication et massacré les dictées, partagé des rêves d’aventure et des envies de voyage. Mais ce qui les unissait par-dessus tout, c’était leur inavouable désir de fuir la caverne, cette sombre tanière qui les protégeait autant qu’elle les étouffait. Et voilà qu’Owen allait réaliser leur vœu !
— Ça fait un bail qu’on est pote, nous trois ! affirma-t-il soudain, fixant ses compagnons d’un air grave.
Owen et Leïla acquiescèrent en silence, intrigués par le ton très inhabituel de leur camarade, d’ordinaire enjoué et gentiment railleur. Devant leurs regards étonnés, celui-ci fourragea dans son épaisse chevelure afin de se donner une contenance.
— Ce serait dommage de se quitter comme ça, non ? continua-t-il, sur le même mode.
— Si, admit Owen, navré de s’être fâché.
— Ce serait dommage de se quitter tout court ! renchérit Leïla, adressant un clin d’œil complice au garçon à la tignasse en bataille.
— Qu’est-ce que ça signifie ? interrogea le sourcier, incrédule, regardant tour à tour Leïla et Milo.
— Ça veut dire qu’on vient avec toi ! intervint ce dernier, recouvrant instantanément sa bonne humeur.
— Nulle, ton entrée en matière ! lança l’adolescente à Milo qui lui répondit par une irrésistible grimace.
— Vous m’expliquez ? demanda Owen, abasourdi.
— Ben, rien ! On a eu la même idée, avec Leïla.
— On part aussi, affirma la jeune fille, d’un ton catégorique.
— Attendez ! On ne parle pas d’une virée au sommet d’Entias, les gars ! Krabb lui-même ne sait pas où nous conduira la mission. Elle peut durer des mois ! Vous êtes sûrs de vouloir me suivre ?
— Sérieux ! Tu nous fais de la peine ! protesta Milo d’une voix faussement outrée. On est ta famille, oui ou non ?
Owen, ému, ne répondit pas. D’un mouvement de la main, il invita ses deux meilleurs copains à se rapprocher et les serra longuement dans ses bras. L’idée de partager avec eux l’ingrate mission qu’on lui avait confiée le réconfortait au point qu’il accepta leur offre sans présenter plus d’objections.
Il n’en fut pas de même pour Krabb et leurs parents. Si la mère d’Owen avait toujours eu l’intuition du destin qui menaçait son fils, les autres ne purent se résoudre à abandonner leur progéniture avec la même abnégation. Sous la houlette du chancelier, une âpre discussion s’engagea entre les différentes parties, convoquées pour l’occasion, dans la salle du conseil. Fortement opposés au projet de leurs rejetons, les adultes rappelèrent, avec véhémence, les nombreux dangers qui les attendaient au-dehors : températures extrêmes, pluies acides, tempêtes de sable et vents brûlants…
— Sans compter les bêtes sauvages qui rôdent un peu partout ! déclara la mère de Milo, avec angoisse.
— Entièrement d’accord avec toi, chérie ! affirma son mari. Cette idée est absurde !
— Tant que je serai là, tu ne quitteras pas cette grotte ! décréta, à son tour, le père de Leïla.
— Tu vois pas que le refuge est fini, papa ! répliqua sèchement l’adolescente. Dans deux ans, il n’y aura plus une goutte d’eau. Tu veux mourir ici ou quoi ?
La lucidité avec laquelle s’était exprimée la jeune fille impressionna l’assistance qui, embarrassée, n’osa plus manifester ses doutes. Le chancelier profita de l’accalmie pour intervenir :
— Mes amis, sans confiance, aucun espoir n’est possible. Souvenez-vous, il y a cent ans ! Des hommes et des femmes ont construit ce refuge afin que nous puissions y vivre. Et pendant quatre générations, vous et vos ancêtres avez travaillé dur et accepté maintes privations pour qu’Entias subsiste. Cependant, Leïla a raison ; cette époque est révolue. Aucun autre sacrifice ne pourra sauver notre colonie, à part celui, peut-être, de laisser partir nos enfants…
Quelques protestations d’inquiétude s’élevèrent dans l’assemblée, mais le chancelier les fit taire d’un geste doucement impérieux :
— Chers parents, soyez certains que je partage vos appréhensions ! Accepter la requête de ces courageux jeunes gens est une lourde décision que je ne puis prendre seul. Je vais immédiatement réunir les sages et dès demain, nous annoncerons nos conclusions.
L’instant d’après, Krabb incitait, fort courtoisement, ses interlocuteurs à regagner leurs appartements, où, jusque tard dans la nuit, retentit le son parfois houleux de leurs conversations.
Au petit matin, on conduisit Leïla, Milo et Owen qui n’avaient pas beaucoup dormi à la salle du conseil. Krabb s’y tenait seul, plongé dans la contemplation d’un tableau représentant un pont au-dessus d’un bassin parsemé de nénuphars éclatants. Owen toussa poliment pour signaler leur présence ; le vieil homme se retourna et, d’un geste, invita les adolescents à le rejoindre.
— Regardez ! N’est-ce pas émouvant ? Ce n’est pourtant qu’une pâle copie, mais je le chéris de toute mon âme.
Le chancelier éprouvait, en effet, une joie désenchantée chaque fois qu’il observait la toile dont les nuances irisées déclinaient, avec subtilité, la palette d’un frais matin de printemps. Le sage dodelina de la tête, un triste sourire aux lèvres. « Pauvre fou ! » se dit-il « Te voilà nostalgique d’un monde que tu n’as jamais connu ! ». Lentement, il se détourna du tableau et se dirigea vers la table, engageant le trio à le suivre.
— Mes chers enfants, il est l’heure de vous annoncer ce que nous attendons de vous.
Très bon chapitre, encore une fois ! (Pourquoi ça changerait ?) J'aime beaucoup la complicité entre Owen, Leïla et Milo, tu la décrit très bien.
J'adore la façon dont Milo étudie les expressions faciales de ses amis, il les connait vraiment trop bien x)
Attention, par contre, à faire en sorte que l'on sache toujours qui parle dans les dialogues (enfin, c'est mon avis), parce que je me suis un peu perdue à quelques passages du chapitre... Après, c'est peut-être juste moi.
Aucune autre remarque à faire, tout est très bien. Les descriptions, les interactions entre les personnages... Bref, j'adore ton histoire ! Je suis vraiment plongée dans l'intrigue, et c'est avec joie que je files vers les chapitres suivants !
Merci beaucoup ! Je suis ravie de voir que cela te plaît ;-)
J'ai l'impression que certaines scènes sont alourdies par un surplus de dialogues. C'est pas trop gênant, mais je pense que tu maitrises suffisamment bien les descriptions pour éviter de devoir écrire explicitement certaines conversations.
Aussi, j'étais étonné que Krabb ne mentionne pas la brigade du commandant Charcot pour rassurer les parents (comme il le fait dans le chapitre 2 pour rassurer Owen).
Enfin, il faudra remettre les chapitres dans le bon ordre sur la page principale de l'histoire :)
C’est vrai, les dialogues, c’est mon péché mignon ! Je trouve qu’ils apportent du souffle au récit, qu’ils le rendent vivant ; mais je vais réfléchir à ta suggestion.
Concernant le premier chapitre, je t’ai écouté. J’ai supprimé le paragraphe sur Paul, l’aïeul et je l’ai intégré sous un autre format au 2e chapitre.
À bientôt !
C'est très bien comme ça :)