Chapitre 3

Tristan quitta la pièce et tous le suivirent. Cassie tâcha de ne pas se laisser distancer, mais ce n’était pas très grand. Elle arriva devant des escaliers en colimaçons qui montaient sur un seul étage, mais qui descendaient très profondément. C’est vers le bas qu’on la guida. Au début, elle commença à compter les marches, mais à force, elle se mélangea dans les nombres et dut renoncer. Ça semblait ne jamais avoir de fin.

 

— Ça fait des plombes que je me dis qu’on se ferait moins chier avec un ascenseur, commenta Mia. Mais à chaque fois, j’ai plein d’autres trucs à faire et Sirius est en vadrouille kekpart.

— De toute façon, ce n’est pas notre projet prioritaire.

 

Ils débouchèrent devant de grandes portes coulissantes et elle découvrit alors ce qu’ils voulaient lui montrer.

 

— C’est notre fusée ! On l’a appelée le Bifröst. Elle est belle, non ?

 

Ça n’avait pas l’air d’une fusée, plutôt d’un train. C’était long et horizontal, posé sur des rails qui s’enfonçaient dans un tunnel. D’ailleurs, une lumière bougeait là-bas au fond. Sirius en sortit, une lampe frontale sur la tête et le visage maculé de boue. Il revenait dans leur direction, curieux. Elle reporta son attention sur le Bifröst.

 

— On a hésité avec UTS, mais Bifröst a remporté le plus de votes, commenta Mia. Moi j’aurai préféré UTS. Mais bon…

— Viens visiter, l’incita Sharon.

 

Le premier wagon comportait tout ce qui était nécessaire au pilotage, avec la console, les écrans, l’ordinateur de bord et plein de choses qu’elle ne comprenait pas. Dans un coin, un siège particulièrement confortable était muni de compartiments pour loger les pieds et les mains de celui qui s’assiérait.

 

— Ça, c’est ma place, expliqua Tristan avec fierté. Il y a dans les cavités les capteurs par lesquels je distribuerai l’énergie. Je vais devoir rester là chaque fois que nous utiliserons les propulseurs et ça risque d’être long.

— C’est moi qui piloterai, ajouta Nathan comme pour voler la vedette. Je suis le responsable de l’ordinateur de bord.

— Et moi je ne foutrai rien du tout, ricana Mia. Mon job, c’est de réparer et de construire et de s’assurer que tout marche bien, alors on me fait pas chier tant qu’y a pas un truc qui nécessite mon intervention immédiate.

— Ça, c’est ma place, annonça Sharon en s’y glissant avec grâce.

 

Elle montrait la ligne de fauteuils à l’arrière, celle qui semblait dédiée aux passagers. Tout était fait pour qu’ils soient bien installés et surtout bien harnachés.

 

— Je serai entre Sixtine et Mia. La rangée là c’est pour les garçons. Par contre, il va falloir envisager d’aménager un nouveau siège pour Cassidie.

— Je m’en occupe, assura Sirius en dévisageant Cassidie comme pour la mesurer du regard. J’ai encore quelques matières premières, mais pas assez, Mia avait commandé juste.

— Je ferai une autre commande, rétorqua Mia. Mais commence avec c’que t’as, y faut pas qu’ça traine.

— Oui, cheffe ! 

— Euh…

 

Tout le monde se tourna vers Cassidie.

 

— Vous allez faire quoi avec ça ?

— On va aller dans l’espace, répondit Tristan les yeux brillants. Venez, nous serons mieux à côté pour en discuter.

 

Le deuxième wagon avait été aménagé en lieu de vie, organisé au millimètre près comme une Tiny house futuriste. Ils s’installèrent tous à différents endroits, Sharon sur une banquette avec Nathan, Tristan sur le bar d’une petite cuisine fonctionnelle, Mia dans un renfoncement douillet entouré de livres, et Sirius resta debout à mettre ses mains partout.

 

— Nous en avons marre de fuir, expliqua Tristan. C’est la première fois que tu es confrontée à Gérald, mais moi ou Nathan, ça fait des années qu’on tente de construire des abris et qu’il les réduit tous à néant. Personne ne peut nous aider, personne n’est de notre côté. Depuis que la loi « Deuxième chance » est passée, nous sommes traqués et notre unique option est de finir dans un de ces instituts.

— Mais ces instituts, ce sont des endroits où l’on est censé avoir une deuxième chance, non ? insista Cassidie d’une voix timide. C’est pour les enfants qui sont orphelins, qui sont à la rue, qui sont abandonnés ! C’est dans le but de s’occuper d’eux et leur permettre de trouver une meilleure place dans la société.

— Si c’était vrai, pourquoi n’y es-tu pas allée ? demanda Sharon avec douceur.

 

Cassidie resta silencieuse. Elle n’y était pas allée parce qu’elle avait peur, parce qu’elle avait pensé se débrouiller seule et parce qu’elle y arrivait même si a treize ans elle s’était déjà abimé les mains à faire la vaisselle dans une cuisine graisseuse pour trois fois rien avec des produits corrosifs et des gants bien trop grands.

 

— La loi Deuxième Chance est un mensonge, continua Tristan. Si elle avait été vraiment écrite pour notre bien, alors il aurait été fait mention des enfants comme toi et moi qui ont un don. C’est une information qu’ils connaissent et dont ils n’ont pas parlé. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent garder ça pour eux et nous utiliser, et c’est ça la mission de l’institut. Je ne sais pas si leur but est l’étude, ou se servir de nous purement et simplement, mais ils ne jouent pas franc jeu avec nous.

 

— L’autre raison qui nous fait douter, c’est Gérald, poursuivit Nathan.

 

Sirius était arrivé près d’un évier qu’il observait avec attention. Ses mains couraient sur la vasque dont il diminuait sensiblement la profondeur pour la rendre plus harmonieuse.

 

— As-tu jamais vu une voiture de police embarquer des gamins comme nous ? continua Tristan. De l’armée ? Rien. Pas même la fourrière… c’est Gérald qu’on nous envoie. C’est quoi Gérald ? C’est un mercenaire ou je ne sais quel… truc bizarre. Mais c’est pas quelqu’un qu’on mandate officiellement.

— Pour te dire à quel point il est louche, reprit Mia les yeux brillants, il n’existe pas ! Il est nulle part ! Pas d’adresse, pas de nom, rien ! Il a pas de vie connue sur Terre. C’est un fantôme !

— C’est ça, approuva Nathan. Tout le monde est fiché, au moins dans ce pays, mais c’est le cas pour à peu près partout. Il y a des données sur chaque personne, une trace sur le réseau, quelque chose ! Gérald n’a rien. Sa photo ne colle avec aucune image répertoriée. C’est un véritable fantôme.

 

Cassidie grimaça.

 

— Du coup, vous voulez partir ? Mais dans l’espace… il n’y a rien, vous serez tout seul !

— On ne sera jamais seuls parce qu’on sera tous ensemble, répondit Sirius avec un sourire fier.

— Nos plus grands défis concernent l’eau et la nourriture, reprit Tristan. On a plusieurs solutions, mais à long terme, c’est la nourriture qui semble la plus complexe à gérer. Si tu embarquais avec nous, le problème serait réglé. On pourrait même envisager de coloniser une nouvelle planète, rien que pour nous.

— Oui, mais je n’ai pas très envie de venir avec vous, répondit-elle.

 

Elle regarda le plafond avec ses lignes lumineuses. Cet endroit était confortable, mais il lui faisait peur. Elle observait les grandes fenêtres tout autour d’elle et redoutait d’y voir des étoiles et un vide infini.

 

— C’est ton choix, assura Tristan. Tu fais comme tu veux. Si tu ne souhaites pas venir, nous avons d’autres solutions, à commencer par la serre qui est dans le troisième wagon.

 

Il leur fit signe de le suivre et entra dans un petit local sombre et bas de plafond, beaucoup moins large.

 

— Sur les côtés, il y a nos lits, expliqua-t-il. Dormir est essentiel, c’est pourquoi nous ne pouvons pas nous contenter des fauteuils de la salle de commande. Il y a tout le nécessaire à l’hygiène là-bas, dit-il en montrant le fond. Mais nous avons aussi partagé l’espace avec…

 

Il monta quelques marches qui débouchaient sur une nouvelle pièce encore plus impressionnante que les autres. En guise de plafond et de murs, Sirius avait façonné une magnifique baie vitrée. D’ailleurs, aussitôt entré, il posa ses mains sur le verre pour continuer d’y sculpter des motifs floraux.

 

— Une serre.

 

En dessous, des lampes surmontaient des bacs remplis de terreau.

 

— C’est peu, mais selon nos calculs et avec le reste des vivres que nous avons réussi à caser un peu partout ailleurs, ça devrait le faire. Et si nous tombons à court, ce n’est pas grave parce que rien ne nous empêche de retourner sur Terre et de nous ravitailler de temps en temps. Qui sait, à l’avenir peut-être que nous obtiendrons de meilleures conditions de vie.

— Et alors, compléta Sharon, peut-être que ce jour-là, c’est toi qui nous rejoindras pour aller faire un petit tour dans l’espace juste pour le plaisir.

 

Cassidie secoua la tête.

 

— Je n’aurai jamais envie d’aller dans l’espace parce que j’ai peur du noir. Et j’ai aussi le vertige.

— Ah c’est pour ça ! rit Nathan. C’est vrai que ça ne facilite pas les choses. Mais bon, tu as encore le temps de changer d’avis, parce que pour le moment, le départ n’est pas prêt. Nous avons un peu de marge, Gérald n’a toujours pas pu percer nos défenses. Mais dès qu’il le fera, dès que les alarmes se mettront en route et que nous le verrons approcher sur nos écrans, alors…

— Nous quitterons la Terre, conclut Tristan. Mais en attendant, sache que tu es la bienvenue ici, Cassie. Notre base est un lieu de vie confortable et tu peux aller et venir comme tu veux.

— Je crois que je vais devoir partir, remarqua-t-elle. J’ai un travail.

— Euh… alors ça, petiote, ça va poser soucis, grimaça Mia. Tu pourras pas y retourner, déso. Gérald sait où c’est, hein ? Pareil chez toi. Si tu te pointes là-bas, t’es bonne pour la cage. Nan… faut que tu trouves autre chose. On peut te filer un coup de main pour aller chercher tes affaires si t’en as, mais tu pourras pas faire comme avant.

 

Cassidie sembla rapetisser de plusieurs centimètres.

 

— Je… vais y réfléchir, dit-elle toute piteuse.

— Ne t’en fais pas, on t’aidera, assura Tristan.

 

Cassidie se sentait mal à l’aise, décalée par rapport à leur projet. Elle ne connaissait pas ces gens et ils lui proposaient d’embarquer avec elle pour aller coloniser l’espace. C’était trop et trop vite. Et puis elle était sûre qu’elle serait terrifiée et elle n’arrivait pas à croire qu’ils allaient réussir. Peut-être qu’ils avaient des dons fabuleux, peut-être qu’ils avaient un génie, mais c’était trop fou pour être vrai.

 

Elle remonta avec eux jusqu’à leur salle de vie, cet endroit avec un clic-clac défoncé et beaucoup de bazars, mais surtout avec le sac de victuailles à qui ils firent un sort.

 

Elle passa plusieurs jours à ne rien faire, ne rien fait du tout et aucun d’entre eux ne lui en tint rigueur. Elle s’endormait sur le canapé, se réveillait dans un lit à l’étage supérieur, bordée et au chaud, descendait et trouvait toujours quelqu’un qui avait apporté à manger. Puis elle les regardait évoluer, déambuler çà et là. Parfois, Sharon allumait la musique et se mettait à danser. Elle était capable de lever sa jambe si haut qu’elle pouvait toucher son nez avec son tibia. Elle était une véritable ballerine et quand elle partait, c’était pour ses cours au conservatoire. Dans ces cas-là, Nathan était toujours là et faisait mine de s’occuper en lisant un livre, en tournant les pages à l’envers, ou bien a affûter un couteau ou jouer avec son téléphone. Sirius était monté la voir à un moment et lui avait donné des vêtements. Il lui avait expliqué qu’il les avait taillés lui-même et qu’il espérait que ça lui plairait. Tristan passait de temps en temps vérifier que tout allait bien. Quant à Mia, elle furetait partout, oubliait ses outils, revenait les chercher, traversait la pièce en hurlant comme un démon des mots qui devaient être absolument scandaleux et réapparaissait tout sucre te miel en disant, « oubliez ça, je l’ai retrouvé ! ».

 

Et puis un jour, Sixtine est arrivée. C’était une jolie brune avec des habits soignés et des cheveux noirs retenus par une broche. Elle avait l’air d’être une fille riche d’une quinzaine d’années.

 

— Alors c’est toi la petite nouvelle ? dit-elle. Enchantée, je suis Sixtine.

 

Elle s’approcha et la dévisagea.

 

— Et toi tu es dans un triste état, petite puce. Donne-moi ta main.

 

Cassidie qui n’avait quasiment rien fait depuis des jours lui obéit sans un mot, fatiguée.

 

— Tristan dit que tu n’as plus parlé depuis ton arrivée, que tu es comme un fantôme. Une si petite puce, un fantôme. Tu es si jolie ! J’adore tes tresses. Tu les fais toute seule ?

 

Elle hocha la tête. Il se passait quelque chose d’étrange. Alors qu’elle était engluée dans une profonde apathie l’instant d’auparavant, il lui semblait que les doigts de Sixtine lui transmettaient de la chaleur qui emplissait tout son corps. Tout à coup, elle voyait, elle sentait et elle respirait, comme si elle avait été jusque là recouverte de draps lourds et étouffants.

 

— Ça va déjà mieux, non ? lui sourit Sixtine. C’était un vilain petit désordre chimique, rien de grave. Mais promets-moi que la prochaine fois que tu as un problème, tu viendras me le dire. Et si je ne suis pas là, demande à Tristan de m’appeler.

 

Et sans chichi, elle la serra dans ses bras et Cassidie se sentit fondre.

 

— Oh, c’est mimi ! railla Mia. Dis, Sixtine, j’ai des ampoules sur les pieds.

— Dégoutant, commenta Sixtine en relâchant Cassidie. Montre.

 

Et comme Cassie n’avait aucune envie de voir les ampoules sur les pieds de Mia, elle se réfugia dans une autre pièce. Elle trouva Tristan près de la fusée, il était assis dans son siège et regardait devant lui d’un air rêveur.

 

— Pressé de partir ? demanda-t-elle.

— Oh ! Cassie ! Quelle bonne surprise ! Je suis content, tu sembles en meilleure forme.

 

Elle lui sourit et acquiesça.

 

— Je peux faire quelque chose pour toi ?

— Est-ce que je pourrais rentrer jusqu’à ma cachette pour aller chercher mes affaires.

— Tu pourrais y aller avec Sharon ? Elle est douée pour échapper à Gérald.

 

Elle hocha la tête. Ensemble, ils attendirent Sharon qui revenait d’un cours de danse et Tristan lui expliqua ce que voulait Cassidie.

 

— Pas de soucis, nous serons prudentes.

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Maud_
Posté le 10/10/2023
Bonjour Solamades ! J’ai beaucoup aimé le début de cette histoire. On est très rapidement entraînés dans ton monde, un peu perdus à la manière de l’héroïne, tu nous jette dans l’action, et ça marche !

Cet univers est vraiment intrigant, ça donne envie d’en savoir plus à son sujet. Dans quelle époque (même si on en a une idée), quel lieu ce passe l’histoire ? Qui est l’énigmatique Gérald dont tout le monde parle mais dont on ne sait rien ? Qu’est-ce que c’est que ce monde où l’idée d’aller dans l’espace en train ne pose pas plus de problèmes que ça ? C’est une ambiance quasi onirique, j’adore l’idée du train, et comment tous les éléments de l’histoire s’enchaînent sans qu’il soit gênant de ne pas répondre à ces questions justement. Des images viennent rapidement, on a le loisir de s’imaginer l’institut comme on veut, et le train est vraiment le genre de terrain de jeu dont j’aurais rêvé enfant.

J’avoue que j’ai eu un peu peur de toutes les informations dont tu nous bombarde au début (la cage puis le sauvetage, les super pouvoirs… tout va très vite), mais on s’y fait, et finalement, je crois que ça participe au charme et au rythme de l’histoire. Je pensais aussi que je n’allais jamais me souvenir de tous ces personnages, mais surprise, en fait c’est allé, on s’attaché très vite à cette petite bande soudée. (Mia est trop chouette et sa petite tirade sur Nathan le macho m’a fait sourire ^^)

Et… il y aurait sans doute beaucoup d’autres compliments à faire mais je m’arrêterai là, merci d’avoir publié cette histoire, que je continuerai à lire avec plaisir !
Solamades
Posté le 11/10/2023
Bonjour Maud !

Oh lala ! C’est tellement gentil ! 

Il se trouve que tu envoies le tout premier commentaire donc avec d’autant plus d’émotion.

Cette histoire sera très courte, c’est une nouvelle, les prochains chapitres arriveront sous peu.

Alors… mon plus gros problème en écriture… c’est que je vais trop vite. Toujours beaucoup trop vite. Pour cette histoire, j’ai fait de gros efforts… mais c’est encore très rapide. Donc si à un moment je dépasse les bornes, n’hésite pas à me prévenir.
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