Chapitre 3

Par LauLCas
Notes de l’auteur : Musique conseillé : My Blood - Twenty One Pilots

Attention, gros TW dans ce chapitre...

-Rei ? Tu m'écoutes ?

Rei eut un petit sursaut et tourna vivement la tête vers Alex qui s'était adressé à lui. Encore un instant d’inattention. Il avait appris à différencier les jumeaux au fil des ans mais avait parfois des difficultés. Max et Alex étaient comme les doigts d’une même main et ils étaient rarement vus l’un sans l’autre. Rendant l’exercice encore plus compliqué.

-Non. Déclara-t-il un peu trop brusquement mais Alex ne se démonta pas et lâcha même un rire à son ton abrupte. Alex ouvrit la bouche pour répéter mais déjà Moïra le coupait :

-Tu arrêtes pas de parler Alex, même moi j'ai décroché...

-Je lui demandais juste ce qu'il avait pour déjeuner ! Il a rien sortit ! Se défendit-il. Soso t'a filé un truc non dans la voiture ? Continua-t-il en s’adressant à lui.

Rei ouvrit son sac d'une main molle sous le regard attentif de Victor en face de lui. C'était la première fois que Victor mangeait avec lui. Rei savait que ce dernier prenait sa pause déjeuné avec Remzi, Moïra ou d'autres personnes de son ancienne classe… A présent, la grande majorité des personnes que Victor fréquentait était à l'université, alors, presque naturellement, le blond l'avait suivit dans la cafétéria à midi après le cours d’Histoire. Pas les jumeaux ou Moïra, Victor l'avait suivit, lui, laissant aux autres le choix de venir avec eux ou non. Remzi avait préféré la compagnie de quelques mecs de l'équipe de football mais les autres s’étaient installer avec leur étrange duo à une des tables vides du réfectoire.

Rei eu un petit rire en voyant le tupperware que Soso lui avait donné. Il aurait dû se douter qu'elle lui ferait un coup à l'envers. Elle adorait lui faire des petites blagues quand elle lui préparait son déjeuner à emporter. Généralement il les faisait lui-même mais parfois Soso le surprenait le matin en lui donnant une poche en papier et en disant "déj pour toi". 

Le plus souvent, elle lui faisait des sandwiches au goûts improbables (banane bacon, mangue poulet, c’était étrangement bon !) ou lui refilait des snacks pour enfant. Rei se retrouvait à manger des chips et des gâteaux au forme enfantine. Mais il s'en foutait, ça le faisait plus rire qu'autre chose. 

Cependant, aujourd'hui Soso avait fait fort : elle lui avait acheté une boîte avec un logo "hello kitty". De couleur rose, très rose.

-Si Soso n'était pas prise, je la choperais bien... cette meuf est géniale... murmura Max en désignant la boîte hello kitty les yeux pétillants.

-Beurk, t'es dégueu frère... Marmonna Alex avec une grimace.

Moïra et Victor rigolèrent plus franchement :

-Cette Soso a de l'humour, j'adore ! Déclara Moïra.

Rei ouvrit la boîte, un peu inquiet de son contenu mais tout paraissait normal, il y avait les habituelles gâteaux en forme de pingouin :

-Oh des penguins minis ! S'exclama Victor en le voyant sortir le paquet. J'en ai pas mangé depuis mes 8 ans !

Pas de moquerie de la part de Victor, seulement de l’envie et Rei n'hésita pas, mentant un peu :

-Vas-y, c'est pour toi, j’aime pas trop...

Victor ouvrit la bouche, certainement pour refuser, les joues un peu rouge mais Moïra l'interrompit, ne lui laissant pas le choix mais d’accepter.

-Elle te fait toujours des surprises comme ça ta copine ? Demanda-t-elle curieuse en regardant la boîte.

Rei fronça les sourcils, surpris par la question :

-Ma copine ? Moi ?

Et il compris que Moïra avait l'ouverture qu'elle voulait. Elle lui demanda à voix basse l'air malicieux :

-Oh je vois, copain alors… ?

C'était une question, sans en être une, une petite taquinerie et Rei voulut dire quelque chose mais Max le coupa :

-Soso est la meuf de son père et elle est cool, très cool. Et très hot.

-Max, merde... elle pourrait être ta mère... renchérit Alex.

Rei était peut être gay mais il pouvait comprendre ce que voulait dire Max. Soso était une très belle femme, grande, avec de belles formes et des lèvres pulpeuses toujours peintes en rouge. 

Autant Taylor avait un style plus classique, fait de jeans et de pulls noirs, Soso à côté détonnait complètement. Elle affichait ses tatouages avec fierté, ses cheveux teint en noir lui donnaient une touche gothique et soulignaient encore plus ses lèvres rouges et sa peau pâle. Malgré ses 37 ans, elle en paraissait dix en de moins et se permettait des robes et jupes courtes et hauts moulant ou tshirts à l'effigie de groupe de métal. 

Look assumé, blagues de marins et relativement bruyante, elle et Taylor formaient un couple tellement différent qu'ils en devenaient assorti.

Le reste de la pause de midi, comme bien souvent, la conversation continua sans Rei, il préférait observer de loin, écouter sans rien dire. Il laissa Moïra et les jumeaux discuter et digresser, en mangeant son sandwich jambon salade sans grande envie, l'oeil attiré malgré lui vers Victor qui mangeait ses penguin minis avec un tel contentement qu'il avait aussi décroché de la conversation. Une étrange chaleur se propagea dans son ventre un peu à cette vision, Rei se força à détourner le regard.

OOO

-Tu aurais pu me dire que tu aime les mecs Rei, déclara Moïra sans détour alors qu'ils se dirigeaient tous les deux vers leur classe d'art qu'ils avaient en commun.

Rei, le coeur battant, voulut nier mais n'eut pas la force de réfuter. Et puis c'était ridicule de nier ce fait qu'il avait plus ou moins assumé... 

Si il faisait ça, Rei était sûr que sa psy allait le tuer, ils avaient fait tant de progrès sur ce sujet ces derniers mois (non sans beaucoup de difficulté et de crises de panique), ce n’était pas le moment de reculer. En plus, Moïra était lesbienne, elle n'allait pas mal réagir ou commencer à en parler à tout le monde.

-Et pourquoi ? Demanda-il en s'arrêtant brusquement pour la regarder.

Moïra lui lança un regard outré et surpris :

-Je croyais qu'on était amis, voilà tout... puis tu sais que j'aime les filles, on aurait pu en discuter... se soutenir, lâcha-t-elle après un silence.

Elle le regarda un instant, gênée par la confession et visiblement plus heurtée qu'il ne l'aurait pensé.  Voyant qu'il ne réagissait pas, elle se remit en marche sans un mot. 

"Amis". Le mot résonnait dans la tête de Rei. Moïra pensait qu'ils étaient amis. Il se sentit heureux. Moïra était la seule personne avec qui il avait créé des liens et la seule personne avec laquelle il se sentait proche dans la classe de l'année précédente.

-Ca n'a rien à voir Moïra, dit-il en la rattrapant. Ils traversaient la cours intérieure en direction du studio d'art. 

-Ce n'est pas un truc que je dis… continua-t-il en cherchant ses mots.

Moïra soupira en lui lançant un regard noir en continuant à marcher d’un pas vif, elle était vraiment blessée et Rei ajouta brusquement :

-Mais si tu veux parler de ça... le fait d'être.. homo, bon, je sais pas si je suis la meilleure personne à qui en parler, mais bon...

Moïra s'arrêta de nouveau et le regarda dans les yeux avant de lui lancer un sourire contrit. Rei la trouva étrangement vulnérable à cet instant.

-Merci Rei, parfois je me sens un peu seule dans le lycée, on dirait que je suis là seule à assumer… Enfin... ça fait du bien d’en parler avec quelqu’un d’autre qui comprend…

Rei lui adressa un sourire timide. Il voyait exactement ce que le jeune fille voulait dire. Elle avait l’air si forte tout le temps, n’hésitait pas à gueuler quand certaines personnes faisaient des commentaires sur sa sexualité mais au fond, elle était sensible et plus à fleur de peau qu’elle voulait le faire croire. 

-Je m'en doutais déjà un peu en faite… continua Moïra avec un petit sourire en coin. Vu comment tu regardes Victor.

Si elle voulait tirer une réaction de Rei, elle ne pouvait pas avoir mieux trouver. Rei sentit son corps se geler et son visage se décomposer.

-Que veux-tu dire ? Dit-il d'une voix blanche.

Moïra fronça les sourcils et laissa un groupe de seconde passer à côté d'eux avant de se pencher vers lui pour lui murmurer :

-Je ne dirais rien, ne t'en fais pas...

Rei, la gorge sèche, déclara :

-Il ne me plait pas.

Mensonge.

-Je veux pas de copain de toute façon, rajouta-t-il.

Ca c'était vrai mais sa réponse eut pour effet d'accentuer le froncement de sourcils de Moïra.

-Comment ça tu veux pas de copain ? Tu as déjà quelqu'un ? Demanda-t-elle, curieuse.

Rei s'en voulut d'en avoir trop dit et regarda autour de lui comme pour trouver un échappatoire.

-Non, personne mais... je veux personne c'est tout... arrête de me poser des questions... s'il te plait...

Le ton était presque une supplication et Rei eut envie de se cacher ou cogner sur quelque chose, un sentiment d'impuissance prenait forme dans son coeur. 

"Je n'aurais jamais de copain, jamais..." se répéta-t-il en silence comme pour essayer de se convaincre.

Il ne sut ce que Moïra lut dans son visage mais elle murmura :

-Excuse moi Rei, ok, excuse moi...

Ce fut en silence qu'ils se dirigèrent pour leur classe d'Art. Moïra essaya de lui parler quand ils pénétrèrent dans l’atelier, mais déjà Rei s'assit à côté de Kim, une des filles de sa classe pour éviter le regard et les questions de Moïra. 

Kim essaya de lui parler mais il n’était pas d'humeur à prétendre que tout allait bien alors il l'ignora. La jeune fille ne sembla pas se vexer et continua à babiller le long du cours sans qu’il écoute vraiment.

Rei ne prêtait pas trop attention au cours non plus, et avait l’horrible sensation que les secondes duraient mille ans. A peine le cours terminé, sans un regard pour sa voisine ni pour Moïra, il se dépêcha de plier ses affaires pour rentrer chez lui, séchant le cours de pratique d'art qu'il avait juste après. Tant pis. Il était vraiment pas d'humeur.

Plus tard, après avoir fait le chemin entre le lycée et chez lui dans un état second, Taylor qui travaillait de la maison ce jour là l'accueillit sans lui poser de question. Quand Rei séchait les cours, ce n'était jamais gratuitement et son père le laissa seul dans sa chambre. 

Il passa le reste de la journée à dessiner fébrilement, un coup sa mère, un coup Victor, parfois des bribes de souvenirs d'avant, des souvenirs qu'il préférait ne pas se rappeler. Le psy disait qu’il fallait qu’il laisse les souvenirs venir peu à peu à lui mais là, tout allait trop vite, Rei n’avait pas le temps de les traiter un à un et il avait l’impression de se noyer.

OOO

Rei faisait le même cauchemar en boucle. Le même presque toutes les nuits. Il revivait la mort de sa mère, encore et encore, inlassablement, avec une telle clarté que quand il se réveillait en sueur dans son lit, il ne savait plus où était la réalité. C’était comme si il y était toujours.

Le cauchemar commençait toujours pareil. Il pédalait sur son vélo, rapidement. Il avait 15 ans de nouveau et il était en retard pour le dîner. Il était 18h et sa mère lui avait donné comme couvre-feu 17h30. Rei savait qu’il allait se faire punir mais il était resté traîner avec un groupe de mecs du quartier avec qui il allait au collège. Rei n’avait pas vu le temps passer. Il freina brusquement devant l’immeuble et jeta rapidement son vélo dans le local à moto sans prendre la peine de le cadenasser, personne ici ne lui prendrait son vieux vélo pourri. 

Il monta les escaliers menant au dernier étage quatre à quatre, son sac sur une épaule. Devant la porte d’entrée, il remarqua avec surprise en poussant la clé dans la serrure que cette dernière était déjà ouverte… Jamais sa mère ne laissait la porte ouverte. Jamais.

Il rentra dans l’appartement :

-Maman ? Demanda-t-il incertain.

Il entendit sa voix comme dans un écho résonner dans le hall et avec soulagement, elle lui répondit :

-Rei !

Il y avait quelque chose d’alarmant dans sa voix, qui angoissa Rei.

Il s’avança dans le salon et à ce moment là seulement il remarqua l’autre personne dans la pièce, avec sa mère. Rei laissa tomber son sac de cours à terre de surprise. Jorik Toptani se tenait au centre du salon, un flingue pointait en direction de sa mère, cette dernière le regardait avec effroi :

-Rei, s’il te plait, part ! S’exclama sa mère en le regardant les larmes aux yeux, les mains en l’air.

-Maman, il se passe quoi ?

-Ta gueule petit pédé ! S’exclama Jorik.

Rei voulait partir, courir, crier mais il était tétanisé, incapable de bouger d’un seul millimètre, le regard allant de sa mère, paniquée et à Jorik, fou et dangereux.

-Tu restes là ! A cause de toi et ta maman chérie je suis dans la merde !

Rei sentit son souffle se couper, la pièce tourner autour de lui, son coeur allait exploser dans sa poitrine. Il avait peur, tellement peur. Jorik… l’affreux souvenir de son enfance qu’il croyait parti à jamais se tenait au milieu de son salon, avec un flingue et sa mère… Sa mère si sûre d’elle d’ordinaire avait l’air si appeuré que sa propre panique montant d’un cran.

-Hein petit pédé ? Tu es allé te plaindre et voilà où on en est maintenant !

Même si le flingue était toujours pointé sur sa mère, l’attention de Jorik était maintenant sur lui et l’homme fit un pas dans sa direction. Rei laissa échapper un gémissement de peur. Sa mère fit aussi un mouvement dans sa direction mais Jorik cria :

-Toi tu bouges pas la pute ! Tu bouge pas où je te tue et je le tue aussi !!

Jorik pointa son flingue dans sa direction et Rei échangea un regard avec sa mère. Ses larmes coulaient sur ses joues et Rei se demanda s'ils allaient mourir...

Jorik continua à avancer vers lui et quand il fut assez près, le prit par le col de la chemise, l’étranglant à moitié. Rei coupa sa respiration en sentant l’odeur de Jorik, un mélange d’eau de cologne citronné et un produit capillaire. Odeur qu’il détestait et qu’il lui rappelait les souvenirs les plus noirs de son enfance. Jorik le plaqua contre lui, dos à lui, face à sa mère et il sentit le flingue contre sa tempe, Rei ferma les yeux. Il voulait disparaître, il voulait que ça soit un cauchemar, ça devait être un mauvaise rêve non ? 

-Lâche le Jorik !! Je t’en supplis ! Cria sa mère d’un ton désespéré.

-Ah ? que je le lâche ? Mais ça a un prix Esterie ! Tu vas retirer ta putain de plainte contre moi ! Tu as compris ?? 

Sa mère se mit à pleurer et peina à dire :

-Oui, oui ce  que tu voudras… s’il te plait, lâche le… va-t-en…

La main de Jorik raffermit sa prise autour du cou de Rei et il sentit le corps de l’homme se coller à lui, son souffle lui caresser les oreilles, son flingue s’enfoncer dans sa tempe. Rei ne put s’empêcher de le repousser légèrement pour s’éloigner de lui… Il ne pouvait pas supporter son corps contre le sien si proche aussi longtemps. Ce geste malheureux déclencha un événement en cascade. 

Jorik, surpris, le poussa avec force et Rei trébucha, tombant au sol dans un petit cri. Quand il leva les yeux, le flingue était pointé sur lui. Il eut comme un silence, qui dura trois secondes et Jorik tira. 

Mais le coup ne l’atteignit jamais car sa mère leur avait foncé dessus et avait bousculer Jorik au même moment. La balle se nicha un peu plus loin sur sa gauche, dans le meuble à chaussure, dans un grand bruit, comme ceux que font les pétards mais en pire. Ca sentait la poudre et le brûlé. Jorik grogna, reprit son équilibre et tourna son flingue vers sa mère. Rei ouvrit la bouche, voulut crier. Sa mère regardait Jorik, surprise. Et l’homme tira. Deux coups. En plein dans la poitrine de sa mère. 

Rei se redressa comme un ressort en la voyant tomber face contre sol et donna un coup dans le bras de Jorik. L’arme lui échappa des mains et glissa sous le canapé à quelques mètres de là. Dans le mouvement Rei glissa et tomba proche de sa mère. Il la regarda sans savoir quoi faire, elle avait les yeux ouverts… immobiles.

La suite était vague, Jorik le redressa d’un mouvement brusque et lui balança un coup de poing en plein dans la tempe, puis un deuxième. Et un troisième.

-Regarde ce que tu m’as fait faire petit pédé ! Regarde !!! Regarde !! 

Il hurlait, hors de lui, Rei avait l’impression que Jorik était un démon, pris de folie. Rei, par miracle, parvint à se défaire de la poigne de l’homme. Il se jeta vers le canapé et d’un geste étrangement adroit se saisit du flingue. Jorik laissa échapper un grognement rogue, entre la peur et la haine en le regardant fixement. Rei se redressa et tendit l’arme droit devant lui. Le flingue pesait lourd dans sa main, plus lourd qu’il ne l’aurait imaginé. Son doigt trouva naturellement la gâchette.

Jorik qui était à peine un mètre de lui s’arrêta comme un enfant jouant à 1, 2, 3 soleil. Figé. Rei ne tremblait même pas. Il se sentait calme. Prêt à tout. Prêt à tuer, prêt à mourir.

-Tu vas pas le faire, pédé, tu en as pas les…

Le mot “couilles” ne sortit jamais de la bouche de l’homme. Rei venait de tirer. Jorik accusa le coup en reculant un peu puis après deux secondes de battement, hurla et se jeta sur lui, déclenchant un deuxième coup de feu. Rei n’entendait plus. Il tomba sous le poid de Jorik et resta un instant allongé par terre, écrasé par le corps immobile de l’homme au dessus de lui. 

Dans un dernier effort, Rei se dégagea, se tourna sur le côté, gémissant de douleur. Le haut de sa cuisse lui faisait mal. Il regarda son pantalon à ce niveau là et constata qu’il saignait. Mais heureusement, Jorik aussi. Rei voulut crier, appeller à l’aide, mais les cris restèrent bloqués dans sa gorge et il s’évanouit.

C’était à ce moment précis que Rei se réveillait en sueur dans son lit, avec le sensation de s’être fait casser la gueule et tirer dessus de nouveau. La voix de Jorik résonnait encore dans sa tête : “Regarde petit pédé ! Regarde ! Regarde !” Et les coups de feu, les coups de feu résonnaient dans son cerveau. Comme les derniers coups de minuits. Il pouvait encore sentir le poid de l’arme dans sa main et l’odeur âcre de la poudre dans l’air mêlé à celle du sang. Et surtout, Rei pouvait ressentir toute la haine et la volonté de tuer. Ca lui coupait la respiration et le faisait trembler de peur. Mais à qui toute cette haine appartenait ? A lui ? Il avait ça en lui ?

Jorik ne mourut pas de ses blessures ce jour là. Sa mère, elle, oui. Rei ne savait rien d’elle vraiment, il s’était plus ou moins douté en grandissant que sa mère avait pas eu une vie facile.

Elle lui parlait parfois de son enfance pauvre dans un petit village russe rongé par le chômage et les effets de la fin du communisme, notamment quand Rei se plaignait de leur maison trop petite et de ses fringues pas à la mode. Sa mère lui rappelait qu’il avait de la chance. Ou du moins, plus de chance qu'elle avait eu et que ses parents avant elle ou ses grands parents avant eux aussi, “ne sois pas ingrat mon fils, je te l’interdis”. Esterie Karnoff n’avait pas de photos de ses parents et de son frère, elle parlait peu d’eux et ils ne semblaient pas lui manquer. Parfois, au détour de ses leçons de morales répétitives, Rei apprenait sans le savoir (et ni même le vouloir) des bribes sur le passé de sa mère. 

Le reste, Rei l’avait appris après coup, lors de l’enquête. Si lui était bien trop apathique pour poser des questions, Taylor l’avait fait pour lui. Rei avait compris que Taylor avait besoin de comprendre Esterie, qu’il avait des questions restées sans réponses depuis plus de 15 ans. 

Rei avait appris que sa mère, Esterie, était jeune quand elle était arrivée la première fois à Londres, à peine 17 ans et avait passé la frontière avec une fausse carte d’identité et un âge vieillit de 2 ans. Jeune fille était plutôt jolie, assez grande et déjà formée comme une femme plus âgée, un peu de maquillage avait certainement empêché les questions trop poussés des douaniers. 

Rei ne sut jamais si sa mère était venue en sachant qu’elle allait devoir se prostituer. Elle ne lui en avait jamais parlé mais pourtant la police avait été formelle. Faisait-elle partie de ses pauvres gamines victimes de la mafia et exploitées sexuellement ? Violée, tabassée ? Personne ne le savait. Les enquêteurs essayaient vainement de faire a plus b et de trouver un lien entre Jorik et sa mère, pour celà ils avaient fouillé un peu. Peut être un peu trop. Et malgré lui, Rei avait appris beaucoup de chose.

L’enquête avait ensuite découvert que Esterie avait décroché son premier boulot réglo deux ans plus tard, dans un café et avait réussi à décrocher un visa de travail pour 5 ans. C’était à ce moment là qu’elle avait rencontré Taylor. Un an plus tard, enceinte et sans partenaire, Esterie était partie vivre sur Brighton, continuant les petits boulots dans les cafés et restaurants, les faisant vivre lui et elle grâce à quelques aides sociales en plus de son maigre salaire. Puis c’était le calme plat, jusqu’à qu’elle dépose plainte contre Jorik quelques semaines avant son meurtre. 

De son enfance, Rei ne se souvient pas vraiment d’hommes dans sa vie, vaguement un ou deux jeunes hommes, certainement beaucoup trop impressionnés par la présence d’un petit garçon. Puis Jorik était apparu. Il était plus âgé que Esterie, de 18 ans et Rei apprécia dans un premier temps cet homme qui venait souvent à la maison pour le dîner et restait les weekends. Rei avait 8 ans. Quelques mois plus tard, Jorik aménagea avec eux et l’atmosphère commença à changer progressivement, ce genre de changement si minime qu’on n’y fait pas attention. D’abord il eut l’alcool, Jorik buvait. Puis les disputes. Mais jamais de coups. Et ça Esterie lui répétait quand son jeune lui de 9 ans demandait timidement “il est méchant avec toi Jorik?” “Non chéri, il ne me tappe pas”. En y repensant maintenant, à presque 18 ans et après tout ce qu’il s’était passé, cette phrase que sa mère avait dite avec un grand sourire et en lui caressant la joue, était sinistre et en disait long sur le passé de sa mère. 

Puis Jorik avait commencé à se comporter différemment avec Rei. Ca avait commencé par des regards appuyés qui mettaient Rei mal à l’aise. Puis des gestes trop… tendres, trop… intrusifs. Jamais en présence de sa mère. Si il se plaignait, Jorik lui disait que c’était un jeu, que c’était pour rire. “Tu ne veux quand même pas inquiété ta mère pour rien Rei”. 

Il aurait dû. Quoique Rei n’était pas sûr que sa mère l’aurait cru. A ce moment là, rien vraiment ne se passait. Des gestes innocents, des regards… rien de quoi accuser un homme… Peut être assez pour que sa mère rompt avec lui.

Rei ne savait pas ce qu’était l’amour paternel et son jeune lui assuma donc que c’était certainement ça. 

Peu à peu, les “jeux” se firent plus réguliers et plus… plus. Rei se souvient parfaitement que son jeune lui s’inquiétait et commençait à avoir peur. Quand il refusait, la poigne de Jorik s’affermissait autour de son bras et les paroles culpabilisantes surgissaient : “Rei, c’est un jeu je t’ai dit, c’est comme ça qu’on s’aime entre nous, voilà tout, tu ne veux pas me montrer que tu m’aimes ?”. 

Quand Jorik buvait en sa présence, les demandes de “tendresse” étaient encore plus fréquentes. L’homme travaillait de nuit, il disait travailler dans la sécurité, maintenant Rei savait que Jorik travaillait dans la sécurité d’une bande de malfra et s’occupaient de récupérer de la drogue et autres marchandises illégales sur les bateaux dans les ports alentours. 

Estérie ne posait pas trop de questions ; bien trop occupée à travailler dans son café pour le faire vivre, Jorik s’occupait de venir le chercher à l’école et le garder jusqu’à que sa mère rentre, vers 19 heures, Rei arrivait parfois à éviter les moments de “tendresse” en faisant ses devoirs. Puis sa mère arrivait et Jorik partait par la suite pour ne revenir que tard dans la nuit, jamais à la même heure. Rei le savait, car Jorik venait le voir dans sa chambre régulièrement en revenant du boulot. 

Et à chaque fois, dans la chambre plongée dans le noir de Rei, le petit garçon regardait défiler les minutes sur son radio réveil aux chiffres lumineux rouges. Parfois Jorik prenait des photos et des videos en insistant sur “c’est un jeu Rei”. C’était court, dix minutes, parfois vingt puis Jorik le laissait seul de nouveau, sans un mot. 

Rei s'endormait, essayant de se convaincre que c’était un cauchemar, fruit de son imagination et il parvint à se persuader que ça n’était pas arrivé durant une grosse partie de son enfance. 

Et puis un jour, Jorik, la veille de ses 10 ans, disparut de la circulation. Sa mère pleura quelques jours quand elle était seule, malheureuse de la rupture. Elle avait eu l’air de vraiment aimer Jorik et ça dégoûtait Rei d’y penser. 

Depuis Jorik et après qu’il ait disparu, Rei avait radicalement changé d’attitude, il se battait, piquait des colères monstres, devenait taciturne et ne voulait parler à personne. Sa mère essayait de comprendre ce qu’il n’allait pas mais Rei ne savait pas. Pendant longtemps, il oublia ses moments avec Jorik, pensant que c’était que des cauchemars. Il se pensait fou d’imaginer ça. 

Et quelques années plus tard, les cauchemars prirent peu à peu sens, les souvenirs devenaient de plus en plus clairs dans son esprit. Rei réalisa ce qu’il lui était arrivé à 14 ans, et il eut l’impression de vouloir exploser ou alors tout faire exploser autour de lui. Il cru pendant de longs mois que c’était de sa faute, qu’il l’avait mérité. 

Mais ça le rongeait… sa mère semblait ne plus savoir quoi faire de lui, de ses humeurs, de sa violence et il l’entendait pleurer tous le soirs, pensant qu’il dormait. Mais Rei peinait à dormir. Son lui de 9 ans attendait encore avec terreur que Jorik rentre du boulot. 

Puis, ce fut trop, à 15 ans, il décida avec difficulté d’en parler à sa mère. Passé le choc, passé les pleures, Esterie, avec son accord, déposa immédiatement plainte au commissariat. L’enquête n’eut même pas le temps de commencer réellement que déjà Jorik était revenu comme un boomerang dans leur vie. Avec un flingue et sa colère. 

En portant plainte, sa mère avait attiré l’attention des flics sur Jorik et surtout sur le réseau mafieux dans lequel il sévissait. Pire, Rei découvrit plus tard que des photos et des vidéos de lui, à 9 ans, circulaient depuis un moment sur les réseaux pédophiles sans que la police arrive à retracer leurs origines. Photos et vidéos de lui parmis d'autres enfants. 

Taylor était au courant tout ça car Rei avait dû raconter les moindre détails, du moins ce qu’il se souvenait aux enquêteurs et à son avocat. Il était mineur et un parent devait être à ses côtés tout le long de l’enquête, Taylor avait pris son rôle de père très au sérieux. 

Si les flics, son avocat et les psychologues restaient stoïques à son histoire, les réactions de Taylor lui rappelaient que ce qu’il lui était arrivé de ses neuf ans à ses presques dix n’était pas normal. La première fois que Rei avait été interrogé avec son père, Taylor avait dû demandé à sortir de la salle d'interrogation. Il était revenu quelques minutes plus tard, pâle et les yeux rouges, en s’excusant auprès de lui. Puis Taylor lui avait pris la main pour la serrer fort. Rei avait accepté le contact mais c’était demandé si c’était pour le réconforter lui ou Taylor…

Plus tard, après le deuxième interrogatoir, assis dans la voiture de Taylor en face du commissariat, son père avait déclaré d’une voix blanche sans le regarder dans les yeux :

-Rei, tu sais que jamais je ne te ferai vivre ça ?

Rei ne savait pas quoi dire mais avait répondu “oui” quand même, la honte au creux de la gorge. Le jeune homme se sentait toujours étrangement sale et… coupable après ses entretiens.

-Rei. Je suis désolé, je suis si désolé… avait ajouté Taylor en serrant le volant entre ses mains.

Rei se tourna vers lui, surpris et croisa son regard :

-Mais de quoi ? Demanda-t-il d’une petite voix.

Avec stupeur, il vit que Taylor pleurait. Pas des petites larmes qui laissaient les yeux un peu rouge, de vrais grosses larmes qui soulevaient la poitrine.

-J’aurais dû la chercher, j’aurais dû rester avec toi, je suis si désolé… parvint-t-il à dire entre deux sanglots.

Rei ne savait pas comment réagir. Il n’avait encore jamais vu un adulte pleurer devant lui, à part dans les films que sa mère et lui regardaient parfois.

-Oh mon dieu, Rei, je suis si désolé… continua Taylor en se prenant la tête entre les mains.

Sur le tableau de bord, le téléphone portable de Taylor se mit à vibrer violemment, le nom de Soso apparut sur l’écran et Rei fut tenté de répondre pour la laisser s’occuper de Taylor elle-même. Mais ils ignorèrent l’appel. Alors, Rei se fit violence et déposa un main tremblante sur l’avant bras tatoué de son père. 

-Taylor, ce n’est pas de ta faute…

Car c’était de la sienne. Mais Rei ne termina pas sa phrase. Moins de deux secondes plus tard, Taylor l’entoura d’une étreinte d’ours, sans arrêter de pleurer, le nez dans ses cheveux, les bras autour de son cou.

-Jamais je ne laisserai quelques choses comme ça t’arriver, je préfère mourir…

Il y avait tant de rage et de conviction dans la voix tremblante de Taylor, tant de fermeté dans son étreinte et tant… d’amour… que Rei comprit enfin l’amour paternel que Taylor éprouvait pour lui malgré leur rencontre tardive. Et il comprit qu’un père, un vrai père, ne ferait jamais de mal à son enfant.

Depuis l’instant où Taylor était apparut dans sa vie, il ne l’avait pas lâché d’une semelle, ne l’avait jamais jugé et avait toujours essayé de le comprendre même quand Rei refusait de s’exprimer. 

Rei aurait voulu le rejeter, nier son existence mais le jeune homme était si faible, si apathique qu’il avait d’abord suivi le mouvement sans rien dire. Et plus le temps avait passé, plongé dans l’enquête, puis le procès, Taylor s’était avéré être la seule personne en qui Rei pouvait avoir confiance et s’appuyer quand les choses devenaient compliquées. 

Son père était certe jeune, beaucoup trop pour prendre soin d’un ado traumatisé comme lui, mais le jeune homme reconnaissait la chance qu’il avait. Une fois le procès passé, dans le cocon que Taylor et Soso le gardaient, Rei pouvait se détendre, réfléchir et commencer à guérir grâce l’aide des professionnels. Peu à peu, le brun s’ouvrait à ses psys sur tous les sujets y compris celui de l’homosexualité, qu’il avait toujours enfoui au fond de lui.

Rei avait longtemps pensé que c’était à cause de Jorik qu’il aimait les autres garçons un peu plus qu’il ne le devrait. Est-ce que cet homme avait brisé sa sexualité à jamais et l’avait rendu “anormal” ? 

Mais les différents psychologues cette dernière année avaient fait un sacré travail pour lui faire comprendre que son attirance pour les personnes de même sexe n’avait rien avoir avec les épisodes pédophiles qu’il avait été victime. L’homosexualité ne se choisissait pas et surtout n’apparaissait pas en cours de route, elle était bien présente dès la naissance. 

Ce qui était cependant difficile, avait dit les médecins, ça serait de dissocier ces événements pédophiles lors ses futurs rapports intimes. Rei avait décidé de régler le problème en choisissant de ne jamais avoir de rapport intimes. Radical. Efficace. Pas de risque de crise d’angoisse, de panique, pas de sentiment de culpabilité ou de il ne savait pas quoi. Rien. Pas de copain, pas de sexe. 

Mais même si il n’avait jamais été comme les autres ados de son âge, qui dés 13 ans avaient commencé à s’intéresser aux relations charnelles, ses hormones commencèrent doucement à se réveiller quand il arriva à Londres. Certainement le changement de décor. 

Rei se surprit à regarder les hommes, parfois ils avaient son âge, parfois étaient plus âgé. Il avait développé un goût pour les blonds sans le vouloir et les préférait plus petit que lui. Ce qui n’était pas difficile car il était assez grand, presque autant que Taylor. 

Rei se réveillait parfois avec une érection mais se forçait à ne pas se toucher. La plupart du temps, toucher son sexe le dégoûtait. Il se masturbait très peu et quand il le faisait, il sortait de l’expérience avec un goût amer au creux de la gorge et un fort sentiment de honte. 

Mais Rei avait dû se rendre à l’évidence, il était un être sexué. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait besoin d’être physiquement avec des garçons, non ? 

Il pouvait juste regarder de loin, se toucher parfois et voilà. Le professeur Smith, qui répondait à ses critères de beauté, lui donnait parfois des rêves un peu chauds mais ce n’était pas pour autant que Rei avait envie qu’ils deviennent réels ! 

Le fantasme lui allait très bien. 

Ce fut Victor qui changea sa conviction. Victor avait un petit je-ne-sais-quoi qui émoustillait Rei. Certainement les fameuses étincelles que décrivaient parfois Ambre quand elle était avec ses copines. 

Les fameuses étincelles que Rei observait chez Soso et son père ou Ruby et sa copine, des regards, des corps qui se cherchent innocemment… Ca avait l’air si pure… si beau… Et il avait envie de ça avec Victor, sans parvenir à trouver une raison rationnelle. Malgré ses convictions à ne jamais avoir de copains. Et cette année, il commençait à craquer.

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arno_01
Posté le 06/06/2020
Chapitre où l'on apprend beaucoup sur le passé de Rei. Si on pouvait précédemment se douter des certains passage difficile de sa vie, on a ici la confirmation de l'horreur de son passé. Tragédie sur tragédie.
Le passage sur la révélation semble bien nécessaire pour comprendre la fin du chapitre. Mais, à mon sens, cela fait une révélation un peu 'lourde' à lire
(cela fait grand flashback, et accumule beaucoup de révélation dramatique en une fois), d'autant que j'aime bien en général l'atmosphère de sous entendu des drames de tes premiers chapitres. Les révélations auraient peut-être pu être scindée en 2 pour alléger cet aspect. (ses viols, et le fait qu'il ait tué par exemple). Mais c'est juste un avis perso.

En tout cas, on comprend bien les fondements du caractère de Rei. et on le voit déjà un peu évoluer. Cela confirme mon intérêt pour cette histoire.

Dernière question, que j'ai oublié précédemment : où as tu trouvé l'idée de ton titre ? Il est génial, j'adore. Je suppose qu'on le comprendra dans la suite de l'histoire.
LauLCas
Posté le 07/06/2020
Hello !!

Merci pour ton commentaire, ça me fait réfléchir sur comment doser la "révélation"... je crois que ça sera un point important à revoir quand je ferai un relecture, en tout cas merci d'avoir soulever ce problème ! Je crois que j'avais aussi pas trop envie de faire perdurer le secret éternellement...

Effectivement, ce qui est arrivé à Rei par le passé a totalement formé son caractère et a toujours de l'impact sur ses décisions (et probablement toujours)...

Pour le titre, super contente que tu l'aime déjà. Je cherchais un synonyme du mot "rupture" "arrêt" et j'ai trouvé cette expression "La Solution de continuité" qui serre à dire le contraire de ce que la phrase sous entend... Ca sonnait bien, alors me voilà avec ce titre. J'aime beaucoup l’ambiguïté de l’expression. Honnêtement, avant de le savoir, j'aurais penser que ça voulait dire "les bons moyens pour avancer".

A très vite !!
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