Chapitre 28 : Yaël

Par Maric

Le lendemain dans la maison d’Enora

Je regarde la haie du jardin. Enora a suivi mon regard et fronce les sourcils interrogateurs en constatant que celle-ci a repris sa forme initiale, comme si rien n’y avait été enterré.

Enora a tenu à revoir sa maison avant notre départ et je sais que son cauchemar de cette nuit en est la raison. Son cri a jailli dans nos psychés. Je me suis précipité dans sa chambre pour la réveiller. Elle avait encore les yeux hagards et ne cessait de murmurer « la maison… la… la maison ». Mais lorsque je l’ai interrogé, elle n’avait plus que des impressions glaçantes et le besoin de venir ici. Un peu rassuré, Roland est retourné se coucher et elle a calmé les loups d’une caresse mentale. Je me suis allongé près d’elle pour la rassurer. Elle s’est rendormie alors que longtemps après, je m’inquiétais encore de ce cauchemar qui sonne pour moi comme un avertissement.

Officiellement, elle veut ramener le reste des affaires de Laure mais naturellement revenir ici ravive les souvenirs de cette nuit d’horreur.

  • Ils ont été dissous par la nature, me dit-elle d’une voix éteinte.

Je la serre contre moi. Que répondre ? on ne pouvait pas faire autrement de toute façon. J’ai une pensée pour les familles qui ne sauront jamais ce qui est arrivé ; comme nous, ne connaîtrons jamais leur identité.

  • On aurait pu se renseigner sur les disparitions à la gendarmerie.

Je comprends la remarque d’Enora, mais je hoche négativement la tête. Nous y étions déjà allés pour la première victime, le poste est suffisamment petit pour qu’un des gendarmes se souviennent de nous. Trop dangereux ! Enora a suivi mon raisonnement et n’insiste pas.

Je la suis vers la maison. Elle prend sa clé et soudain, nous nous figeons… tous les deux. Je pressens une présence. C’est très diffus mais indiscutable. Voilà ! son cauchemar était bien un avertissement.

Je passe devant la jeune femme en lui prenant les clés des mains, ouvre la porte doucement, sur mes gardes et avance en silence. La lumière qui filtre par les volets fait des stries sur le plancher éclairant faiblement l’intérieur. Une forte odeur d’urine et d’excréments agressent immédiatement nos narines.

Enora maîtrise un haut le cœur derrière moi. Je relève mon tee-shirt sur mon nez, elle en fait autant avec le sien. J’avance à pas de loups vers une fenêtre que j’ouvre avec précaution en évitant les bris de verre qui luisent dans la pénombre. L’huisserie ne grince pas, à mon grand soulagement, et permet à l’air d’évacuer un peu de cette odeur fétide, ce qui nous permet de respirer un peu mieux. Enora est statufiée en regardant autour d’elle.

Le frigo ouvert est griffé en profondeur, les fauteuils et le canapé sont éventrés, la télé a été projetée contre la table et a explosée, les revues sont déchiquetées. Rien n’a été épargné, c’est un vrai saccage. Je vois dans le couloir un tapis de plumes qui vient probablement d’une couette. « Pourquoi ? » je sens la douleur dans la pensée que m’adresse mon Anam Cara et je serre les poings de colère face à sa détresse. Je passe une main dans ses cheveux en étudiant l’environnement.

Un bruit étouffé nous parvient, un cliquettement sourd qui résonne dans le silence sépulcral de la maison. Je me concentre sur ce que je perçois. Comme devant la porte, des pensées incohérentes me percutent par à-coups. « L’intrus est sous le toit, il y a un grenier ? ». Nous sommes sur notre canal privé, nos barrières psychiques sont relevées au maximum. Enora hoche la tête qu’elle a levé vers le plafond.

Nous nous dirigeons vers l’escalier en évitant tout bruit qui pourrait manifester notre présence. Un grondement sinistre retentit dans le silence ouaté de la maison. Notre odeur ! je pense que nous sommes démasqués. Il ne s’agit pas d’un homme, et au vu des dégâts, je m’en doutais déjà.

Comment une créature de Tyl Aran a-t-elle pu atterrir ici ? C’est normalement impossible. Même le Maître Enchanteur ne peut ouvrir de portail entre les deux Mondes. Enora me fixe choquée. Elle tremble, cependant ce n’est de peur. Une colère enfle en elle que je dois juguler pour l’instant. Je lui envoie une vague d’énergie apaisante et serre sa main dans la mienne.

Je fais signe à Enora de rester sur place. ‘Pas question ! ». Je lève les yeux au ciel, ça m’aurait étonné qu’elle obéisse. Je la fusille du regard « Tu restes, ce n’est pas négociable » et sans attendre, je monte les marches en longeant le mur. Je tourne une dernière fois la tête vers la jeune femme, satisfait de la voir au pied de l’escalier, le visage fermé sur sa colère. Je reçois son mot doux « Connard ! ». Je souris intérieurement « je sais ! », et me reconcentre sur ma montée.

L’étage est dans le même état désastreux. Ils doivent être plusieurs à s’être acharné sur les meubles et chaque chose qui pouvait être détruite.

Une autre odeur flotte dans l’air maintenant que je me rapproche. Le sang, les chairs putréfiées, avec l’urine et les excréments, ce mélange de senteurs nauséabondes, me provoque des remontées acides. Je les maîtrise en prenant de petites inspirations et en me concentrant uniquement sur ma mission, la sauvegarde d’Enora.

« Ma Dame, j’ai besoin d’une lame au cas où ils auraient une armure ». Je montre à Enora l’épée dont j’ai besoin, en acier recouvert d’argent dont les tranchants effilés doivent couper comme des rasoirs.

J’attends patiemment qu’Enora trouve la formule, seule ou avec l’aide de Zark.

Au bout d’un moment qui me semble interminable, ma paume droite s’alourdit, je baisse les yeux avec un sourire au bord des lèvres, l’épée se dessine, d’abord translucide, elle se solidifie peu à peu. Je serre immédiatement ma main pour ne pas qu’elle m’échappe. La lame en argent est gravée de runes qui scintillent dès que je la bouge. La garde argentée également est finement ouvragée tandis que le pommeau que je tiens fermement en main est légèrement cranté afin de m’assurer une meilleure prise. Elle est magnifique. « Cette épée lie les avantages de la taille tranchante et de l’estoc qui te permettra de pourfendre, les runes te sont dédiées et n’obéissent qu’à toi. Elle t’appartient désormais ». Enora me fait un cadeau royal qui, je l’espère, me permettra de vaincre ce qui m’attend. Je suis subjuguée par la grâce de cette pourvoyeuse de mort. Je la soupèse afin de m’habituer à son poids, ni trop léger, ni trop lourd, avant de monter les dernières marches jusqu’au grenier.

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