Chapitre 28 Le palais de la déesse

Notes de l’auteur : Vocabulaire antique :

*Panathénées : Festivités religieuses et sociales de la cité d'Athènes en l'honneur de la déesse Athéna.
**colonnes ioniques : se caractérise notamment par son chapiteau à volutes, par son fût orné de cannelures et par sa base moulurée.
***naos : partie centrale du temple

Agrippée au quadrige, je me concentre pour ne pas régurgiter pitoyablement sur mes sandales pendant qu'Hermès conduit l'attelage dans les tunnels du monde souterrain. Il ne cesse de raconter toute sorte d'histoires, mais je réponds à peine. Je l'ai évité le plus possible ces derniers jours. Avant de partir, il m'a rendu notre anneau. Il semblait si heureux d'avoir pu le récupérer auprès d'Hadès. Ce bijou qui m'avait sauvé de ma mère, qui avait servi de monnaie d'échange pour l'âme d'un innocent, qui m'avait trahi aux yeux du Roi des Enfers, mais surtout qui symbolisait le rêve d'Hermès de me voir devenir sa femme. Si naguère, le porter me réconfortait, à présent il me brulerait presque la peau. Je n'ai pourtant pas eu le courage de lui parler.

Devant nous, Hadès ouvre la marche. Fier et droit sur son cheval Nýchta, une jument aux ailes majestueuses et dont la crinière a des reflets corbeaux. Il ne prête aucune attention aux paroles du dieu du voyage.

J'ai tant souhaité vivre ce moment, qu'à cet instant je ne sais si je rêve ou non. Nous allons enfin libérer Médusa. Cela fait exactement cent vingt-six jours qu'elle a disparu et que le moindre de mes souffles lui a été consacré. Mon ventre se serre à l'idée de ne pas être à la hauteur.

En attendant le retour d'Hermès aux Enfers, je me suis entraînée avec le célèbre Patrocle. Un valeureux guerrier, tombé sur le champ de bataille de Troy. Cependant au royaume des morts, il était l'homme le plus heureux, m'a-t-il confié entre deux parades. Il est en paix et séjourne avec son amant, le légendaire Achille. Ensemble, ils perfectionnent leurs techniques de combat avec leur ancien ennemi Hector. Tous les trois sont des compagnons d'entraînement d'Hadès et participent même aux excursions dans les contrées infernales lorsque des créatures cauchemardesques s'approchent trop des habitations. S'il avait pu, il m'aurait accompagné, a-t-il dit. Je secoue la tête, et me gronde intérieurement.

Ressaisis-toi Persée ! Je dois rester concentrée sur nos objectifs.

Tout d'abord entrer dans la demeure de la déesse de la stratégie militaire, attendre qu'elle quitte les lieux, neutraliser ses gardiennes, trouver Médusa et fuir le plus loin possible. Je ferme les yeux afin de visualiser les lignes de plans apprises par cœur. Tout ira bien, tant que je ne cède pas à la panique. J'ai affronté une créature légendaire qui détruisait toute une cité, je peux réussir à sauver mon amie sans avoir à déverser de sang !

Je vérifie mon armement. Deux xiphos accrochés dans mon dos, une dague à la ceinture et un baluchon contenant une aide précieuse. Même si je suis déçue de ses propos, je suis admirative du génie d'Hermès. Il a convaincu Zeus de convoquer sa fille sans que cela éveille le moindre doute. Puis il s'est servi de ma façon de fuir ma maisonnée pour piéger les amazones en demandant à Hypnos des potions de sommeil. Je serre le paquetage contre moi. Hadès trouve cela puéril, mais cela n'en reste pas moins astucieux. En endormant les gardiennes, je peux éviter tout combat inutile ou dangereux.

Soudain, la terre au-dessus de nous s'ouvre et laisse entrer les derniers rayons du jour. Je suis obligée de plisser des yeux pour m'accoutumer à la lumière. Je m'attendais à pouvoir sentir la fraicheur du vent, mais à mon grand regret il n'en est rien. L'air est sec, presque irrespirable. La chaleur est telle que j'en viendrais à préférer rester aux Enfers.

Nous nous retrouvons sous les arbres d'une belle forêt. Les ramures dissimulent un ciel violacé parsemé de nuages aux teintes d'orange et rose. Ressentir toute cette étendue au-dessus de nous me donne presque le vertige. Mon regard se perd dans la beauté du crépuscule. Autour de nous chantent encore quelques oiseaux. Du coin de l'œil, le roi des Enfers m'observe en silence. Je me détourne, presque honteuse, qu'il ait pu me voir m'extasier ainsi sur la nature environnante. Il rabat le drapé noir de son himation afin de dissimuler son visage.

Nous finissons par nous arrêter un instant à la lisière du bois. Pendant qu'Hermès nourrit les chevaux, je descends du char et m'éloigne afin d'admirer le paysage sensationnel qui s'offre à moi. La cité d'Athènes s'étend à perte de vue. Je ne pensais pas qu'il existait de lieu plus impressionnant encore qu'Adulis. Si la ville d'Éthiopie épousait parfaitement les hauteurs et les récifs du bord de mer, ici les maisons gravitent autour d'une seule et même chose : l'imposante Acropole. Cela dépasse de loin tout ce que j'ai pu imaginer dans les récits d'Hermès !

Surplombant la ville, le temple d'Athéna, bâti sur ce plateau rocheux, domine par sa splendeur et écrase ses habitants de son ombre. Le marbre luisant rend l'édifice grandiose et lui confère une aura divine. Symbole de pouvoir et de richesse, je sais que les mortels sont fiers d'avoir construit ce lieu de culte. Véritable joyau cosmopolite, il s'agit du cœur même de la Grèce.

Je rêvais tant de découvrir cet endroit. Ma mère était conviée à assister aux Panathénées* alors que je devais rester chez nous. Hermès me racontait comment les hommes avaient réussi l'exploit d'ériger tous ces temples et statues à la gloire d'Athéna. Elle était pour moi d'une inspiration exemplaire jusqu'à notre fameuse rencontre. Ma fascination se laisse submerger par le dégout.

Hadès tend le bras et nous désigne le chemin à emprunter avec le quadrige. Une large route serpente en contrebas, traverse la ville pour remonter le plateau et atteindre l'Acropole. Des centaines de mortels circulent soit pour accéder au lieu divin soit pour repartir.

Le visage fermé, il descend de son cheval et fouille dans le paquetage accroché à la selle. Ses mains tiennent sa légendaire kunée argentée. Ses yeux vont de l'objet sacré à moi, comme s'il hésitait encore puis soupire.

— Je n'aime pas prêter mes affaires, alors, tâche de revenir pour me le rendre et qu'on puisse tous reprendre le cours de nos existences, déclare-t-il.

— Je ferai de mon mieux, je réponds, d'un air malicieux.

Il secoue la tête et tente de dissimuler, il me semble, un sourire sous sa barbe.

Durant une fraction de seconde, j'en oublie toute la gravité de la situation. Hadès est calme et détendu. Du moins, il le prétend et cela apaise ma nervosité. Nos mains se frôlent alors que je récupère l'objet sacré. Je peux lire au fond de ses yeux une certaine inquiétude. Aussitôt, la voix d'Hermès retentit :

— Il est temps d'y aller, ma chère !

Je frissonne et sens mes doigts se crisper sur le métal. Mon cœur bat plus fort. Le moment est arrivé, alors pourquoi je ne peux plus bouger ? Quelle humiliation. Je ne veux pas qu'ils s'en aperçoivent. Mais il est trop tard, Hadès lève les yeux au ciel et semble s'impatienter. Je baisse la tête et me mords la lèvre inférieure. Il se rapproche encore d'un pas et se penche à mon oreille.

— Il n'y a pas de honte à avoir peur, car c'est elle qui te maintiendra en vie Perséphone, chuchote-t-il, bien trop près de mon visage, fie-toi à ton instinct comme tu l'as toujours fait jusqu'à maintenant.

Nos regards se croisent. Ses yeux ont perdu de leur dureté habituelle. Puis il appuie ses mains sur les miennes. En faisant pression, Hadès m'oblige à suivre le mouvement, déposant le casque sur ma tête. Une étrange chaleur m'envahit et cela permet à mon corps de se détendre. La lourdeur familière de l'objet en viendrait presque à être rassurante. Je prends conscience que l'intérieur est rembourré et épouse plus facilement mes contours que lorsque je l'avais volé.

— Je ne te vois plus Persée ! Où es-tu ? s'exclame Hermès d'une voix faussement paniqué.

Je soupire et le rejoins sur le quadrige et m'agrippe à son épaule. Il sursaute en riant et donne l'ordre d'avancer à l'attelage. Hadès remonte sur sa monture. Il ne nous quitte pas du regard et semble incliner sa tête avant de disparaitre à l'ombre des arbres.

Guidés par le dieu du voyage, les chevaux trottent en direction de la ville. Notre véhicule n'a plus rien de somptueux, le roi des Enfers l'a transformé en l'illusion d'un char tout à fait banal que possèderait un mortel de bonne famille. Plus nous approchons et plus l'Acropole paraît colossale.

— N'aie crainte, Perséphone. Suis mon plan et tout se déroulera bien, dit Hermès d'une voix posée.

J'ai envie de le croire, mais l'expérience m'a prouvé que les choses ne se passent souvent pas comme on le souhaiterait. Seules les moires connaissent notre destin. Cependant, je m'interdis l'échec et je ferais tout pour libérer Médusa.

Les maisons en pierres d'Athènes défilent sous mes yeux, mais je n'en ai cure. La nuit va bientôt tomber. Déjà, on allume des braseros et des torches pour éclairer les ruelles. Les résidents rentrent chez eux. Des enfants jouent près d'une fontaine. Personne ne se doute que le dieu du commerce traverse actuellement leur cité. Plus nous prenons de l'altitude et moins il y a d'habitations.

Nous finissons enfin par nous arrêter dans un bosquet délimitant la ville des mortels et l'endroit sacré. Je déglutis en prenant conscience qu'il faudra réussir à arriver jusqu'ici avec Médusa pour fuir à toute allure. Nous sommes contraints à présent, de passer par le long escalier menant au plateau. Hermès réajuste sa chlamyde jaune et son pétase.

— Es-tu sûre de toi ? murmure Hermès.

J'observe le monument à la gloire d'Athéna et prends une grande respiration avant de lui répondre d'une voix déterminée :

— Plus que jamais !

À partir de maintenant, nous ne devons plus parler. En silence, nous rejoignons la foule d'adeptes gravissant les marches et les bras chargés d'offrandes. Certains prient déjà, d'autres discutent, et d'autres encore se lamentent. J'imagine qu'il y a beaucoup plus de monde en journée. J'essaye de faire abstraction de leurs émotions et continue de suivre Hermès fendant la population. Chaque pas me rapproche un peu plus de Médusa et fait croitre en moi une excitation plus forte que la peur.

Des oliviers sont disséminés tout le long du trajet ainsi que des parterres de fleurs colorées. Des prêtres allument des braseros pour éclairer le passage. Avec la tombée du jour, l'air est plus doux. Nous arrivons enfin au sommet. Les maisons athéniennes paraissent minuscules. Au loin, je peux apercevoir à ma grande surprise la mer ! C'est pour cela que Poséidon revendiquait cette cité. La vue est saisissante, mais je dois déjà me hâter, car Hermès continue son chemin.

L'endroit est immense et les murs de pierres sont décorés d'étendards brodés de fils d'or et d'argent. La plupart représentent une chouette blanche, l'emblème de la déesse de la sagesse. Le sol est jonché d'herbes séchées ou de pétales de fleurs. Des statues de guerriers du passé semblent surveiller les nouveaux venus. Prêtres et prêtresses vaquent à leurs occupations et accueillent les croyants. Nous traversons un édifice aux colonnes ioniques** supportant une voute bleutée où l'on a peint un ciel étoilé. J'entends un homme l'appeler Propylées. C'est donc l'entrée et la sortie du site sacré. Je me demande où vit véritablement la divinité.

Hermès sifflote en continuant son chemin. Cela se voit qu'il est déjà venu ici. Nous émergeons enfin, et à ma grande stupeur, une statue en bronze titanesque de la déesse de la stratégie militaire trône au centre de la place. Elle est si haute qu'il est possible que les marins puissent l'apercevoir de leurs navires ! Je me demande si ma mère a déjà eu un colosse si imposant la représentant. Les derniers rayons du soleil confèrent à la sculpture une aura divine et des gerbes de fleurs croulent à ses pieds.

Le hululement d'une chouette attire mon attention. Elle décrit de larges cercles dans le ciel. Serait-ce Sofia, l'animal de compagnie d'Athéna ?

Tout autour sont disposés plusieurs temples construits au fil des années. Il y en a même un à la gloire d'Artémis et c'est pour cela que les amazones protègent Athéna. Chaque génération de mortels a cherché à vénérer la déesse en montrant son dévouement par l'élaboration de monuments toujours plus beaux et spectaculaires. Si seulement ils savaient à quel point leurs idoles les méprisent.

Mais je n'ai pas le temps d'admirer les fresques de mosaïques, les fontaines rafraichissantes, les gravures représentant les exploits légendaires d'Athéna, car Hermès poursuit son chemin tout en discrétion. En effet, au vu de l'heure tardive, certains accès sont interdits aux croyants.

Le dieu des voleurs joue avec les ombres et se faufile aisément entre les bâtiments. Par moment il ne semble plus avoir le même visage, tantôt vieillard, tantôt adolescent. Je m'oblige à bien observer et conserver en mémoire tout ce que je vois. Je me demande néanmoins comment je vais pouvoir fuir avec mon amie. Peut-être en passant par les toits ? Ou alors par le chemin sacré des Panathénées ?

Hermès s'est arrêté devant l'édifice le plus grand de l'Acropole. Je sais qu'il s'agit du Parthénon, le temple le plus célèbre de toute la Grèce. Sur le fronton sont représentés les êtres que je hais le plus. Aujourd'hui, tout le monde connait l'histoire d'Athènes. La légende raconte que l'effroyable Poséidon et la terrible Athéna se soient disputé cette cité destinée à un brillant avenir. L'égocentrisme n'a aucune limite pour ces divinités. En leur offrant un olivier, la déesse de la stratégie militaire a promis aux mortels la paix au grand damne du roi des océans qui avait accordé un cheval aussi beau que fougueux symbole de force et de combativité. Quel prestige pour les hommes de savoir que deux divinités ont voulu être leurs protecteurs ! Pourtant je ne vois là que deux êtres cruels et cupides.

Je pose ma main sur l'épaule d'Hermès et murmure à son oreille :

— Allons délivrer Médusa.

Toujours agrippée à lui, nous pénétrons dans le temple plongé dans l'obscurité et vide. La lueur de quelques flambeaux fait danser l'ombre du dieu du voyage sur les frises. À ma grande surprise, la mienne n'apparait pas. Mon regard se perd sur les scènes où sont sculptées les divinités se battant durant la Gigantomachie. Je retiens mon souffle lorsque j'y aperçois ma propre mère. Ou bien Hermès en compagnie du Roi des Enfers renversant le pouvoir pour créer une nouvelle ère. Cependant, ce qui attire mon attention est évidemment la statue gigantesque faite d'or et ivoire de la déesse Athéna trônant au fond du naos***. Les reflets métalliques la rendent incandescente. Je la trouve terrifiante. Ses yeux noirs me fixent et l'idée que la sculpture prenne vie pour m'attaquer me semblerait presque plausible.

Hermès contourne calmement le bassin et le colosse pour se diriger dans une nouvelle salle. Je découvre à ma grande stupeur des monticules de richesses jonchant le sol. Des coffres en bois raffinés déversent leurs piécettes, se mêlant aux plateaux, aux amphores, aux bijoux, aux coupes, aux armes serties de pierreries et autres objets de valeur. Des tapisseries somptueuses, des peaux de bêtes et des fourrures pendent aux parois. La salle du trésor est le lieu où les mortels portent leurs offrandes à Athéna. C'est incroyable de voir tant de richesse dans un endroit sans surveillance. À dire vrai, qui oserait voler la puissante déesse sans avoir peur de son courroux ?

Hermès désigne discrètement du doigt un pan de mur magnifiquement sculpté. Il s'agit de grands oliviers et les fruits sont représentés par de grosses émeraudes luisantes. Des chouettes sont dissimulées dans les feuillages. Les branches de deux arbres s'entremêlent avec précisions et forment une arcade. La porte du palais d'Athéna ! Les mortels peuvent-ils imaginer que leur déesse vénérée se trouve si proche d'eux ?

Le dieu du voyage s'avance, pose sa main au centre et déclare d'une voix forte :

— Sa majesté Zeus, roi des dieux de l'Olympe, du ciel et de la foudre, m'envoie quérir sa fille favorite pour une entrevue de la plus haute importance. Qu'on me laisse entrer, je suis Hermès le messager des dieux, dieu du voyage et du commerce.

Alors, un grondement sourd retentit. La porte s'ouvre en deux et un rayon de lumière s'en échappe. Je retiens mon souffle en m'engouffrant avec Hermès. À mon grand étonnement, nous ne sommes pas à l'extérieur, mais toujours à l'intérieur.

— Vous oubliez, dieu du mensonge et des voleurs, tonne une voix suave.

Une amazone casquée et armée d'une lance apparait. Hermès sourit jusqu'aux oreilles.

— Marpésia ! Je te pensais à Smyrne !

— Je ne suis que de passage, je venais simplement déposer une escouade de jeunes novices. Vous savez que vous n'êtes pas le bienvenu.

— Je ne peux défier l'autorité de mon roi. Athéna est-elle ici ?

Je reconnais cette guerrière. Elle était au temple d'Henna, le jour où nos vies ont basculé. La familiarité entre ces deux individus est surprenante. Il faudra que je lui demande comment ils se sont connus.

Deux amazones en uniforme se tiennent au garde-à-vous et enjoignent à Hermès de les suivre tandis que Marpésia traverse la porte en sens inverse.

Je garde mes distances avec le cortège. Le palais de la déesse de la sagesse est comme on pouvait se l'imaginer en observant l'Acropole : immense. Cependant, la décoration y est beaucoup plus épurée. Il n'y a pas de dorure, de statue ou d'ornements précieux. Je vois surtout des armes et des fresques à la gloire des exploits guerriers d'Athéna.

Nous traversons une cour où est planté un olivier gigantesque. Une amazone est postée à ses côtés. Je sais qu'il s'agit du cœur même du palais, toutes les salles sont reliées à ce lieu. Le tronc est si large qu'il nous faut plusieurs minutes pour le contourner. Son écorce a la brillance de l'argent. Impossible de percevoir le ciel tant les branches s'étendent.

Tout à coup, une dizaine d'amazones descendent d'un escalier de marbre. En parfaite harmonie, elles se positionnent chacune sur une marche. Casquées et armées, elles sont toutefois plus jeunes que les autres guerrières. Alors j'aperçois au bout de ce cortège, la terrible déesse de la sagesse. Je recule aussitôt et malgré le pouvoir de la kunée, préfère me cacher derrière une colonne.

Athéna fixe de son regard persan le messager des dieux. Arborant un himation couleur ivoire des plus sophistiqué, ses cheveux sont savamment coiffés autour de son casque porté telle une couronne. Ses bras et son cou sont parés de bijoux en forme de volatiles. D'ailleurs, sur son épaule trône sa petite chouette chevêche. Son aura de guerrière lui confère un port de tête si majestueux. Pourtant, les seules pensées qui me viennent en la voyant, son dégout et peur.

La déesse de la stratégie militaire s'immobilise à quelques marches d'Hermès. Elle cherche uniquement à dominer par sa position.

— Sophia m'a prévenu de l'arrivée d'un trublion, dit-elle en caressant l'oiseau.

— On ne peut rien cacher à cet animal, répond Hermès sans prendre la peine de s'incliner.

— Rien qu'à l'odeur pestilentielle qui t'accompagne nous pouvions deviner ton emplacement ! Que me vaut cette visite, petit frère ?

— Notre père m'envoie te chercher. Il réclame ta venue pour une affaire de la plus haute importance.

Les lèvres pincées, Athéna toise le messager des dieux. Hermès est comme toujours rayonnant et chaleureux, tout le contraire de la déesse. J'oublie qu'ils possèdent le même père.

— Si c'est encore à propos d'une histoire de maîtresse...

— Je te rassure, la coupe-t-il, c'est plutôt d'une question de mariage.

Les ailes vermillon des chaussures d'Hermès s'actionnent et le voilà qui s'élève légèrement du sol.

— De mariage ? Je ne vois pas en quoi cela me concerne, Héra sera plus à même de le conseiller, rétorque Athéna d'un ton méprisant.

— Oh, mais je pense que tu seras intéressé par celui-ci, car il s'agit de trouver une épouse à son effroyable fils Arès.

Ses yeux pétillent de malice et un sourire énigmatique se dessine sur ses lèvres. Il volète un peu plus dans la salle. La manière dont Hermès a prononcé le nom du dieu de la guerre est intrigante. À quoi fait-il allusion ? La mâchoire d'Athéna se contracte. Les histoires racontent qu'ils se haïssent depuis toujours. En quoi l'union de ce frère détesté la concernerait ? Si la déstabiliser était le but et bien il a réussi, car la voilà qui s'approche de lui.

— Depuis quand Zeus porte-t-il de l'intérêt à Arès ?

— Depuis qu'il a provoqué Héphaïstos à un banquet pour récupérer son Aphrodite. Un autre superbe mariage que tu as su insuffler à notre roi, à présent la belle n'est plus que l'ombre d'elle-même.

Le ton d'Hermès est encore une fois plein de sous-entendus. L'union de la déesse de l'amour avec le dieu forgeron a toujours suscité ma curiosité. Si elle aimait tant Arès, comment avait-elle pu accepter d'être l'épouse d'Héphaïstos ? Était-ce une machination pour se venger d'Aphrodite ?

Athéna croise les bras sur sa poitrine, un rictus aux lèvres. De toute évidence, Hermès a réussi à allumer une étrange lueur dans ces yeux gris d'oiseau de proie.

— Prends garde à tes paroles. Tu sais que je hais les mensonges, déclare Athéna, presque menaçante.

— La frontière entre vérité et mensonge est toujours si mince. M'accompagnes-tu, chère sœur ? demande d'un ton faussement mielleux Hermès en lui tendant la main.

Athéna lève les yeux au ciel. Elle ignore le geste du dieu du voyage et donne l'ordre à l'une des amazones de faire atteler son cheval. À mon grand effroi, la déesse de la sagesse hume bruyamment l'air comme le ferait un animal. Son regard recherche quelque chose. D'abord, elle observe dans ma direction et je pivote derrière la colonne. Puis son attention revient sur Hermès.

— Cette puanteur est infernale, tu étais encore aux Enfers ? s'exclame Athéna.

— Accompagner les âmes des héros au royaume souterrain est l'une de mes attributions, en effet.

— Toujours prêt à satisfaire le moindre désir de nos rois. C'est d'un pathétique. Bâtard tu es et tu le resteras Hermès.

— Hadès est un bon roi. J'aime être à son service.

Elle est odieuse avec le messager des dieux. Néanmoins, il ne réagit pas à ses insultes.

— Peut-être pourras-tu m'éclairer sur un sujet, puisque tu es si proche du dieu des morts. Une étrange rumeur circule à propos justement d'un mariage prévu avec une nymphe des bois.

L'éclat du rire d'Hermès résonne dans toute la cour. Je constate que les commérages vont vite.

— Navré de te contredire, mais je pense qu'Hadès ne se mariera jamais !

— Je préfère cela. Son histoire avec Leucé a déjà failli nous couter très cher. Déméter n'a pas permis une telle union avec cet être sinistre à l'époque, cela m'étonnait qu'elle l'accepte aujourd'hui.

Je sens mon ventre se nouer en l'écoutant parler de ma mère. Je ne savais pas qu'elle avait eu une mésentente avec Hadès.

— Il faudrait être désespérée ou sotte pour se compromettre ainsi ! Et puis nous avons la fougueuse Menthé aux côtés du roi des Enfers, renchérit Hermès.

— Je n'ai que faire des mœurs légères du dieu des morts. Allons-y, ne faisons pas attendre notre père.

Comme ils se dirigent tous vers moi, mon réflexe est de contourner encore la colonne. Je retiens mon souffle en les entendant marcher. J'ai bien cru qu'elle ne partirait jamais !

Le moment de nous séparer est arrivé. J'observe Hermès s'éloigner dans la direction opposée sans un regard en arrière. Je me retrouve seule. Étrangement, je ne ressens plus tant la peur, car je sais ce que je dois faire. Médusa est là, quelque part, et je vais la délivrer. 

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Ella Miller
Posté le 01/04/2023
Quel joli clin-d'œil cette fraternité Patrocle Achille Hector. Le Walhalla existe alors ?!

Visiter Athènes est un rêve mais là nous y sommes à l'heure de sa splendeur vivante, nous visitons tout en odeurs, couleurs, grouillement, ferveur, magnificence. Quel privilège ! Merci J. J.

LE Grand Jour enfin ! Le Jour J !
Quelle angoisse ! Perséphone prend ici toute sa dimension d'Héroïne. Quel sang-froid... alors que le mien (heureuse lectrice) se glace rien qu'en réalisant ce qui l'attend.
Vite la suite !
dollykitten
Posté le 20/03/2023
Bravo pour cette superbe description du temple, on l'imagine parfaitement bien tant les détails sont précis! Athena inspire vraiment la peur et fait froid dans le dos!

NB: il me brulerait presque la peau --> brûlerait
Oh, mais je pense que tu seras intéressé par celui-ci--> intéressée
Son histoire avec Leucé a déjà failli nous couter très cher --> coûter
LorenzoBook
Posté le 20/03/2023
Comme d’habitude j’adore ! Cette façon poétique et douce dont tu écris est si belle. Les personnages toujours aussi bien écrit et d’écrus, c’est superbe Jiji ‘
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