Chapitre 28 - L'appel de la corde

Dans les Lendemains Sans Peur,

 

           

 

Pour la première fois, l’alarme qui invitait les prisonniers à se rassemblait ne retentit pas à l’heure prévue. Toutes les cabanes étaient prêtes pourtant, mais personne n’osait sortir sans ce gong. Dehors, ils entendaient les miliciens s’affairer, trainer des charges dans la neige, taper sur des bouts de bois, faire actionner des poulies. De temps en temps un cri retentissait, il était toujours suivi de supplications puis d’un grand silence. La cabane A se figeait à chaque fois. À plusieurs reprises, des miliciens lui tournèrent autour sans jamais rentrer. Les autres cabanes n’eurent pas cette chance. Et à chaque fois, les portes de bois se refermaient escortant ses habitants à rester à l’intérieur tant que l’alarme n’avait pas sonné.

 

Personne n’avait jamais été autant pressé de sortir voir ce qu’il se tramait dehors. Avant, ils priaient pour ne pas avoir à se lever et rejoindre la place centrale dès le son des premières cloches. Aujourd’hui, ils auraient sonné la cloche eux-mêmes pour arrêter cette attente. Quand enfin, ils entendirent les premiers tintements, ils se précipitèrent dehors. Ce jour-là, le blizzard grondait sur les terres australes, pourtant il n’était pas assez épais pour cacher les horreurs que la nuit avait créées. Malgré l’alarme qui sommait tout le monde d’avancer, les prisonniers eurent bien du mal à mettre un pied devant l’autre. Autour d’eux des dizaines de corps pendus flottaient dans le ciel. Plus la cabane A avançait, plus elle en découvrait.

 

_Miséricorde, souffla Achot blanc comme un linge.

 

Vikthor arriva au même moment et se précipita sur le professeur à la demande de Gaultier. Sans se soucier des morts qui les entouraient, Vikthor soigna son ami bien vivant. Discrètement, il le prit dans ses bras, le temps d’effacer ses côtes cassées. Il prit le soin de lui laisser quelques contusions pour faire illusion auprès de leur geôlier.

 

Au bout de cinq minutes, l’alarme s’arrêta comme à son habitude pour que l’appel puisse commencer. La plupart des prisonniers étaient alors rassemblés sur la place centrale face à l’estrade où trônait fièrement la cheffe de camp. Comme ses amis, Manon regarda la scène horrifiée. D’autres corps sans vie, tous suspendus par le cou, s’agitaient le long de la place. D’après la neige et le gel qui les recouvraient, certains y avaient passé la nuit, mais d’autres étaient encore chauds. À chaque fois que Manon les regardait, elle avait l’impression de prendre un coup de couteau en plein cœur. Quand la cheffe de camp prit enfin la parole, elle se sentit défaillir. Alors que ses jambes semblaient ne plus lui répondre et sa tête partir en arrière, Vikthor l’attrapa juste à temps par les hanches. Comme si c’était ce dont elle avait besoin, sa tête se reposa machinalement sur le torse de son ami posté derrière elle. Le jeune Élu resserra alors son étreinte.

 

_Je suis là… lui souffla-t-il à l’oreille.

 

Manon croisa ses mains sur les siennes, encerclées ainsi, elle se sentit de nouveau protégée. Elle en avait bien besoin pour assimiler ce qu’il se passait en face d’eux. Pour avaler ce goût de sang qui lui remplissait la bouche.

 

_Comme vous pouvez le voir, cette nuit nous avons fait le ménage ! s’exclama la cheffe de camp en attrapant fermement le pied de son micro installé au milieu de l’estrade. Hier, nous avons remarqué des manquements à nos habitudes. Nous avons dû y remédier, continua Laiea sous les applaudissements de ses miliciens. À présent, toutes personnes déclarées absentes lors de l’appel seront pendues le jour même. Qu’il soit déjà mort, malade ou juste en retard sans raison, son corps sera hissé à ces mâts ! À présent, durant vos journées de travail, si un milicien trouve que vous n’êtes pas assez rentables, il pourra vous déclarer absent pour la liste du soir. Si vous n’êtes pas appelé un soir, c’est que vous ne nous servez plus. Je serais la seule juge de cette liste. Elle s’actualisera donc selon mes ordres, on ne rayera pas un nom sans que je ne l’aie autorisée. Éviter donc ne me mettre en colère, termina-t-elle dans un clin d’œil qu’elle adressa à Achot.

 

Celui-ci n’attendit pas une minute de plus pour vomir sa bile. Sa culpabilité l’étouffait presque malgré le soutien de Gaultier. Puis, l’appel commença enfin nous indiquant les noms non cités comme mort. À chaque prénom, la voix des prisonniers se montrait insistante. Comme s’ils avaient peur de ne pas être entendus, ils voulaient être sûrs qu’on ne les manque pas. Même Achot les imita quand vint son tour. Il se sentit même soulager d’entendre son nom, il n’était pas certain que la cheffe de camp tienne parole. Mais apparemment, elle tenait ses promesses, aussi amères soient-elles.

 

_Tu vas bien ? demanda Vikthor toujours derrière elle.

_J’ai passé une mauvaise nuit, avoua-t-elle en reposant son corps courbaturé dans les bras de l’Élu.

_Tes cheveux… les coupa Gaultier en attrapant une mèche à Manon qui passait du brun au bleu nuit sous leurs yeux.

_Une pour chacun d’eux, répondit Manon fébrile en désignant les pendus du bout du menton.

 

Un ange passa après cette remarque douloureuse puis Gaultier se ressaisit avant la fin de l’appel.

 

_Nous ne pourrons plus nous rassembler le soir comme avant, affirma l’Hylé. Je pense que nous devrions mettre en place des binômes différents qui échangeront chaque soir et qui utiliseront la radio si besoin. Manon, transmets à notre groupe que la réunion de ce soir est annulée. Je leur indiquerais dans la journée qui ira au point de rendez-vous à la place. On en discute à la pause repas, ajouta-t-il avant de partir pour la forge.

 

Manon acquiesça et diffusa son message par la pensée à tous les membres de leur groupe avant de rejoindre les miliciens qui l’attendaient comme chaque matin. Une haine la rongea alors de l’intérieur. Si elle avait pu les tuer pour effacer leur sourire mesquin de leurs visages, elle l’aurait fait. Sans réfléchir. Au lieu de ça, elle les écouta se moquer d’elle tout en gardant bonne distance. Elle n’avait qu’une hâte, que la pause déjeuner arrive pour qu’elle puisse échanger de nouveau avec Gaultier. Ils ne pouvaient plus mettre en danger quelqu’un de leur bande, même pour contacter la résistance.  Manon exécuta ses tâches péniblement, sa vue se heurtant inlassablement à des corps sans vie pendus dans tout le camp. Cette fois, elle ne put de rejoindre Vikthor en fin de matinée. Ses miliciens la gardaient sous bonne garde aujourd’hui. Après cette nuit, ils avaient tout le monde à l’œil.

 

Heureusement, quand la cloche sonna pour la deuxième fois de la journée, ils lui permirent de déjeuner à la forge comme à son habitude. Comme elle devrait y passer une bonne partie de l’après-midi après, il n’était pas illogique qu’elle y arrive plutôt. Arrivée, sur place, elle laissa ses miliciens qui la retrouveraient après leur repas. Bien sûr, ceux qui surveillaient la forge l’attendaient, mais ils étaient plus laxistes et surtout ils avaient tendance à garder leur distance avec Gaultier. Bêtes comme leurs pieds, ils ne comprenaient pas pourquoi cet humain avait le respect de tous les Hylés qui y travaillaient. Les miliciens s’employaient juste à garder la bonne humeur de Gaultier pour que l’usine marche le mieux possible.

 

_Tiens, j’ai réussi à voler une pomme et du fromage en plus du pain qu’ils vont vous servir, chuchota discrètement Manon en lui tendant son mouchoir.

_Tu es bien bonne, la taquina Gaultier en partageant en deux ce qu’elle avait apporté.

 

D’un coup sec, il sépara la pomme et tendit la moitié à Manon qui y croqua à pleine dent. Gaultier lui essuya alors la bouche comme s’il s’agissait de son propre enfant. Dans un sourire gêné, Manon s’excusa les yeux presque rieurs.

 

_Tu as réfléchi à comment on ferait à partir de maintenant ? reprit-elle la bouche pleine.

_Des binômes seront envoyés chaque soir à 19h à notre endroit habituel, chacun d’eux devra être sur la place un peu avant 20 h pour l’appel. Plus de manquement possible. Dans l’idéal, j’ai pensé à des personnes qui ne partagent pas forcément la même cabane, ainsi on échangera nos idées malgré tout et on se donnera des nouvelles surtout, expliqua Gautlier tout en mastiquant un bout de fromage.

_C’est une bonne idée ! approuva Manon soucieuse. Et s’il y a des disputes ou que certains se cachent certaines choses…

_Nous allons faire des roulements, précisa-t-il en se postant face à elle. Chacun aura deux binômes, chaque soir un duo différent et tous devront rendre des comptes à leur cabane la nuit venue. S’il y a besoin d’échanger plus, on avisera lors de l’appel du matin, mais on se servira de toi pour faire passer les messages. Heureusement, pour le moment notre groupe est réparti quand deux cabanes et la majorité partagent la nôtre.

_Quel binôme ? le questionna Manon en effaçant une miette imaginaire sur le pyjama blanc de Gaultier.

_Toi et Vikthor, bien sûr la nargua l’Élu avant de reprendre son sérieux malgré les joues rosées de Manon. Pour le reste dis-moi ce que tu en penses, toi et Bernard, Vikthor et Tania reprit-il en mimant le compte sur ses doigts. Tania et Krÿ, lui et Zorina, puis Zorina et moi. Hum… j’ai pensé que je ferais également un bon binôme avec Solaïne.

_Oui, c’est bien qu’on puisse garder nos liens d’amitié, le coupa Manon. Continues.

_Bien, alors que penses-tu de Solaïne et Arthur ? La famille doit compter également.

 

Manon acquiesça silencieusement sans le couper pour qu’il ne perde pas le fil.

 

_Arthur et Achot et enfin peut-être Achot avec Bernard.

_Et le père de Vikthor ? s’enquit Manon les sourcils froncés.

_Lombard fera le lien entre notre repère et la place centrale. Il se mettra à proximité des deux et préviendra si besoin le binôme en place. Qu’en penses-tu ?

_Proposons-leur. Je fais passer le message ? demanda Manon en finissant son pain ranci.

_Oui et pour le premier soir… j’ai pensé à toi et Vikthor. Je pense que vous avez des choses à vous dire après cette nuit, proposa Gaultier en remettant une mèche de cheveux derrière l’oreille de son amie. Puis, il fera passer la nouvelle à sa sœur.

 

La télépathe acquiesça touchée du geste. Le retour de ses miliciens l’empêcha de partager une accolade, mais le sourire qu’elle donna à Gaultier suffit à lui montrer sa reconnaissance. L’après-midi passa ensuite plus lentement que les autres. Surement parce qu’elle était trop pressée que la cloche sonne la fin des corvées. Les mesures proposées par Gaultier avaient été bien accueillies par le reste du groupe. Tous comprenaient le besoin de faire plus attention, même Krÿ qui n’aimait pas l’autorité, acquiescèrent. Assimilé à la forge lui aussi dès son arrivée, il vivait parfois mal d’être aux ordres de Gaultier nuit et jour, mais l’Élu le lui rendait bien en le ménageant. Pour le moment, malgré les nombreuses différences, le groupe s’entendait plutôt bien. Manon espérait que les binômes créés renforceraient leurs liens. Pour les siens, elle n’avait pas de doute en tout cas. Et quand la sonnerie retentit dans tout le camp, elle se pressa de quitter ses surveillants pour rejoindre son rendez-vous.

 

_Bien travaillé ? s’enquit Manon à l’instant même où Vikthor passa la porte des latrines abandonnées.

_Comme d’habitude ils m’épuisent et toi ?

_Comme d’habitude, ils m’ont à l’œil, lui répondit Manon dans un large sourire.

_Que souhaite Gaultier ? demanda Vikthor en se rapprochant timidement de la femme qu’il aimait.

_Il veut que tu partages ses décisions avec Sophya… répondit Manon en s’agitant sur le poste pour l’allumer. Et que je te raconte notre nuit, ajouta-t-elle moins sereine.

_Brandissez votre poing comme nous l’avons fait avant vous et résistez, déclara Vikthor au premier grésillement du poste sans relever la dernière phrase de Manon.

_Nous résistons, répondit alors le poste. Ne bougez pas, je vais chercher les autres, ajouta alors une voix qui ressemblait à celle de Tomàs.

 

Main dans la main, les deux adolescents attendirent que les haut-parleurs crachotent encore.

 

_Vikthor, c’est bien toi ? demanda alors Sophya d’une voix enfantine.

_Ma sœur, acquiesça alors l’Élu en posant ses mains sur la radio comme si ça le rapprochait d’elle.

_Qui-y a-t-il ? s’enquit-elle inquiète. Nous vous écoutons.

_Hier, Achot est arrivé en retard à l’appel, expliqua Vikthor fébrile. Ça aurait pu très mal finir pour lui…  ‘Fin, ça aurait dû mal finir pour lui… mais la cheffe de camp, après avoir torturé Achot, a préféré le punir autrement. A la place, elle a sélectionné des dizaines et des dizaines de personnes dans le camp pour les pendre…à la vue de tous.

_Par la Déesse… souffla Bénédit ému.

_Aucun de nous n’a été touché, mais cela doit nous servir de leçon ! reprit Vikthor avec une voix plus ferme. Nous ne pouvons plus rater l’appel. Chaque soir, nous viendrions deux par deux ici même. Vous parlez et vous écoutez si besoin. Nous laisserons les grands regroupements pour des décisions plus importantes. Et vous, quelque chose à nous dire ?

 

Dehors, son père faisait les cent pas discrètement entre eux et la place centrale. Il faisait le guet, l’œil grand ouvert sur les miliciens autour.

 

_Il vous faut être prudent ! le sermonna paternellement Bénédit. Nous ne pouvons pas te perdre. Je laisse ta sœur te faire la liste de ce que nous avons appris.

_So’, nous t’écoutons.

 

Vikthor se rapprocha alors du poste comme si être plus près des haut-parleurs allait l’aider à tout mémoriser. Ou alors il souhaitait entendre la voix de sa sœur au plus près de la source.

 

_Alors, nous avons repéré plusieurs petits groupes d’hommes dans le désert. Ils nous recherchent activement, mais la tempête de sable semble les garder à bonne distance. Remercie Achot pour cette idée, reprit Sophya d’une voix presque robotique. Nous avons également trouvé leur camp, mais l’armée n’était pas encore arrivée sur place. Nous allons repartir en repérage bientôt, Paskhal devrait être arrivé à présent.

_Faites attention, mon père est redoutable au jeu du chat et de la souris, intervenu Manon inquiète pour ses amis.

_Je sais, rétorqua sèchement Sophya avant de reprendre un ton plus amical. Merci. J’ai prévu d’y retourner avec Andzrev, il brouillera notre présence. D’autres informations à nous transmettre.

_Qui fait partie du convoi ? demanda Vikthor, méthodique.

 

Accroupi devant le poste, Manon derrière lui, les mains posées sur ses épaules, ils n’avaient pas l’air de fomenter une rébellion. Et pourtant, ils avaient toutes les cartes en main pour s’opposer au futur des frères Agape.

 

_D’après Andzrev, Paskhal et sa fille, Nazar et son père, Loris et deux ministres. C’est les infos récoltées en volant les pensées des miliciens du moins, précisa Sophya.

_Vous comptez les combattre au moment choisi sur leur campement ?

_Oui, après avoir pris le plus d’informations pour savoir où, quand, comment et qui attaquer, lui répondit Bénédit avec détermination.

_Alors, écoutez-moi, intervenu Manon en se collant au micro de la radio. Mon père et Loris sont deux hommes extrêmement cruels et impulsifs. Mais c’est peut-être ça leur point faible. On peut vite les pousser à bout, mais n’oubliez pas qu’ils sont capables des pires choses.

_On en avait bien conscience, la coupa Sophya. C’est tout ?

_Non. L’armée kalokas est surement très forte, mais pas aussi soudée que vous. Il n’y a que mon père et son bras droit qui puisse les contrôler. Si vous coupez la tête de cette armée…

_Vous contrôlerez sa force, reprit Vikthor pour la soutenir.

_Oui. Si mon père est en danger, s’il est au centre de vos attaques, ma sœur fera tout pour le protéger. Si vous arrivez à le mettre hors course, Endza suivra pour lui venir en aide et avec elle surement Nazar. Il ne restera plus qu’à dérouter Zeroual. Il est capable de diriger l’armée seul, c’est le plus grand ami de Paskhal. Il sera fidèle à ses projets.

_J’admire ton sang-froid, ta neutralité… complimenta Sophya surprise.

_Il a souhaité ma mort. Je le lui rends bien, se défendit Manon sur la défensive. Pour Loris… Andzrev devrait pouvoir t’aider. Il le connait bien et saura peut-être en venir à bout. Si vous voulez mettre le chaos, j’ajouterais que vous devriez vous en prendre aux ministres. Les miliciens sont aussi présents pour les protéger. Si tous les dirigeants sont en déroute, ils seront obligés de cesser le combat. Du moins, je l’espère, termina Manon comme si elle avait étudié sa leçon depuis longtemps.

_Merci… cela nous sera d’une grande aide, avoua Sophya. Je dois partir en repérage à présent et nous ne pouvons pas monopoliser les ondes radio.

_Tenez-nous au courant, demain même heure. Deux autres personnes, proposa Vikthor.

_Parfait. Et, Vikthor ? Nous sommes fières de toi, ajouta la Physée avant d’éteindre le poste sur ses derniers mots.

 

Souriant et touché, Vikthor coupa la radio à son tour avant de reporter son attention sur Manon. Tête baissée, les yeux rivés sur le sol boueux, elle avait grise mine après cet échange. Elle avait beau se montrer forte, elle aidait à déclarer la guerre à son propre père. Même si c’était un monstre, c’était son père. En aidant la résistance, elle tuait une partie de son passé. Vikthor en était conscient.

 

_Merci Manon. Je ne peux pas te le promettre, mais j’espère que tout se passera bien pour ta sœur, se risqua-t-il.

_Oui… Elle ne mérite pas de mourir au combat. Mon père a toujours fait d’elle ce qu’il voulait.

 

Doucement, il invita Manon à se rapprocher. Hésitante, elle se blottit tout de même dans ses bras. Le contraste de température la saisit, contrairement à elle, Vikthor avait toujours chaud. Son don de guérison régulait naturellement sa température pour le bonheur de Manon qui prit plaisir à en profiter.

 

_Alors cette nuit ? demanda Vikthor en caressant la tête de son amie.

_Quand ils ont emmené Achot pour l’interroger, Gaultier m’a supplié d’intervenir. Mais j’étais impuissante. Contrôler autant de miliciens à distance ? se défendit Manon. Sans qu’ils s’en rendent compte…

_Alors comment l’as-tu aidé ?

_En demandant de l’aide à elle…à…Namon, hésita la future Élue. Je l’ai suppliée et le triangle de Sélénite est venu en réponse, ajouta Manon en tapotant son front.

 

Vikthor l’examina minutieusement, comme si la pierre allait sortir d’un moment à l’autre. Soucieux de son bienêtre, il utilisa son don pour la détendre. Très vite, les muscles de Manon répondirent à cet appel de sérotonine en se décontractant d’un coup. La jeune femme se laissa faire, consciente qu’elle en avait besoin pour reprendre des forces.

 

_J’ai alors pris le contrôle d’Achot. Il ne sentait plus les coups… moi oui, reprit-elle.

_Manon… souffla Vikthor inquiet en la serrant plus fort comme s’il pouvait la guérir de tous ses maux.

_Puis alors qu’il recevait un coup, trou noir. Plus rien. J’étais comme endormie. Je me suis réveillée quelques minutes plus tard, étourdie. Achot est alors rentré dans la cabane. Libre, une ombre dans le regard.

_Et ils ont puni les autres absents à sa place, comprit Vikthor.

_Tu crois qu’elle y est pour quelque chose ? Comment aurait-elle pu faire ça ? s’insurgea Manon en tapant son poing sur le torse de l’Élu.

_Et pourquoi ? ajouta-t-il simplement en lissant entre ses doigts une de ses mèches bleu nuit.

 

Ils restèrent longtemps ainsi, les yeux dans les yeux, l’un contre l’autre. Ils n’avaient pas besoin d’ajouter quoi que ce soit pour se comprendre. Plus maintenant. La main contre son rein, Vikthor contemplait Manon parce qu’il ne savait pas quand il pourrait à nouveau le faire. Manon lui rendait un sourire, son regard ténébreux soignait sa tristesse. Grâce à lui, elle avait l’impression qu’elle pouvait tout affronter. Qu’ensemble, ils pouvaient lutter et se lever contre leurs bourreaux. Dans ses yeux, elle voyait de l’espoir et dans les siens, on pouvait y lire la fougue.

 

_N’entends-tu pas la voix des morts qui nous entoure ? murmura Manon les larmes aux yeux.

_La mémoire de ceux qui sont tombés cette nuit se rappelle à nous, acquiesça Vikthor.

_Personne ne mérite d’être ici, personne ne mérite de vivre ainsi ni de mourir pour ça…

_Alors, luttons, approuva Vikthor en passant timidement sa main sur la joue de la télépathe. Faisons en sorte de sortir d’ici et d’emmener avec nous tous ces innocents.

 

Épaule contre épaule, les deux amis se firent alors la promesse de s’élever contre ce système. Un mois et demi avait passé depuis leur arrivée au camp, ils ne pouvaient pas rester indéfiniment sans se battre. Ils réveilleraient les morts s’il le fallait, mais ils avaient l’espoir de sortir d’ici bien vivant.

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