Chapitre 28

Notes de l’auteur : ! TW tentative de suicide !

Des voix. Il entendait des voix tout autour de lui. Familières pour certaines. Lointaine pour d’autres. La seule chose qu’il retint de ces mots furent ceux à son encontre. Des mots qu’il n’avait pas choisi d’entendre mais qui s’insinuérent en son âme, brisant un peu plus la jeune personne qu’il était.

 

Pauvre gamin.

 

Difficile d’envisager une vie avec un tel visage.

 

Aucune femme ne voudra de lui…

 

Tellement de peine…

 

Des mots difficiles à entendre pour un enfant de 12 ans se remettant à peine des séquelles laissées par son passé. Il était juste descendu boire un verre de Coca. Il n’avait pas demandé à entendre… Tout ça. Pourquoi parlaient-ils de lui ? Dans son dos… Dans leurs dos puisque ses parents n’étaient pas présents. Comment osaient-ils parler de lui ?

(...) de la chirurgie esthétique....

 

Il n’en voulait pas !

 

(...) ruiné sa vie…

 

Sa vie n’avait même pas encore commencé !

 

Difficile de faire comprendre aux enfants…

 

Qu’y avait-il à comprendre ?! Pourquoi parlaient-ils de lui ?!

 

Il fuit. L’adolescent courut de toutes ses forces pour oublier ces mots, ce moment. Il se réfugia dans la salle de bain afin de reprendre ses esprits. Il se couvrit les oreilles comme pour se protéger de ce qu’il venait d’entendre. Il n’en voulait pas… Il ne voulait pas de cette situation.

Quand tout redevint calme, il releva la tête. Des yeux bleus. Un visage d’adolescent boutonneux. Et une énorme cicatrice. Son attention resta ancrée sur ce morceau de peau déchiqueté quelques années plus tôt. Des années qu’il ne s’était plus regardé à travers un miroir. Cette vision lui rappela la douleur qu’il avait ressenti alors qu’une lame lui sectionnait la peau comme on l’aurait fait pour couper du saucisson.

Cette cicatrice allait ruiner sa vie.

Comment pouvait-il en être autrement ? Il déglutit puis s’approcha de cette version monstrueuse de lui-même. Il n’avait pas demandé à être comme ça. 

Par curiosité morbide, il porta l’une de ses mains à ses lèvres. Le couteau s’était arrêté juste en dessous. L’endroit était rugueux mais pas douloureux. Il n’osa remonter la ligne lui barrant le visage. Il baissa le bras et continua à s’observer en silence.

Il était vide d’émotions. Il cligna des yeux à plusieurs reprises : il espérait faire ainsi disparaître la marque qui le rendait si laid.

 

Aucune femme ne voudra de lui.

 

L’adolescent serra des poings. Encore cette voix. Que lui voulait-elle ? Ne voyait-elle pas qu’il souffrait ?! Il voulait juste qu’on le laisse tranquille !

Il se vit saisir une bouteille de déodorant. La fraîcheur du contenant ne parvint pas à calmer ses ardeurs, ou plutôt sa colère envers lui, envers le monde, envers sa famille… Le miroir se brisa au premier coup porté. Etrangement, il ne ressentit aucune satisfaction à voir son reflet disséminé en petits morceaux. Il pouvait toujours la voir. Sa cicatrice. Elle restait ancrée sur son visage.

 

- Gabriel ? Tout va bien là-dedans ?

 

Sa mère. Elle était là.

 

- Le miroir est brisé.

 

Il ouvrit la porte pour qu’elle constate les dégâts. La soudaine luminosité le fit plisser des yeux. Elle était inquiète. Il pouvait le voir dans son regard. Mais pourquoi l’était-elle ? Il était là, devant elle. 

D’ailleurs, il l’aida à ramasser les morceaux. Il s’en serait voulu de la laisser nettoyer ce qu’il avait lui-même cassé. En croisant son regard dans l’un des fragments, il serra des dents et glissa distraitement ce dernier dans sa poche.

 

- Laisse-moi faire, tu vas te blesser.

 

Il se releva tel un automate et quitta la pièce sous les regards curieux de sa famille. Il baissa la tête, n’osant affronter leurs yeux remplis de pitié. Au loin, il entendit ses parents s’excuser auprès de sa tante. Il continua de marcher. Il s’en voulait mais pas assez pour s’arrêter. Il voulait juste partir.

Gabriel ferma un instant les paupières. Il souffla un bon coup et plongea sa main dans la poche de son pantalon. Au contact du miroir, il gémit de douleur. Il fixa alors sa paume ensanglantée : une petite entaille, rien de bien méchant. Il suivit l'acheminement d’une larme écarlate et fut surpris de voir cette dernière descendre jusqu’à son frêle poignet. Le brun grimaça : la plaie s’agrandissait. Une profonde entaille le fit gémir de douleur. Son poignet était couvert de sang. A la vue de tout ce rouge, il sentit la panique affluait. Il ne voulait pas aller aussi loin !

 

Pauvre gamin.

 

Gabriel cligna des yeux et rouvrit les paupières sur un univers rassurant : sa chambre. Le souffle court, il alluma sa lampe et vérifia son bras. De fines lignes blanches lui marquaient toujours le poignet. Il se rallongea après avoir éteint la lumière. Il laissa son bras retomber sur sa tête et essaya de calmer les battements effrénés de son cœur. Il n’était vraiment pas passé loin cette fois-ci.

Il ferma les yeux et tenta de penser à autre chose. Il devait tout d’abord se calmer. Ce cauchemar s’était déroulé des années plus tôt. Il n’y avait plus aucune raison d’y penser. Ce souvenir n’avait plus de raison d’être : il n’avait jamais réessayé. C’était bien la seule et unique fois. L’adolescent ne voulait plus ressentir pareille douleur.

Il fixa le plafond légèrement éclairé par une veilleuse. Cette dernière le rassurait la nuit, surtout quand il se réveillait de cette manière. Il pouvait ainsi voir la pièce dans laquelle il se trouvait aux premiers battements de cils. Ridicule qu’un objet pour enfant puisse le protéger mais il n’avait jamais cherché à l’enlever. C’était un peu comme avoir une présence chaleureuse à ses côtés.

Gabriel se coucha sur le côté pour observer les lumières de la ville à travers sa fenêtre. Le verre était si épais qu’il empêcherait quiconque de s’introduire dans sa chambre. Il s’en était lui-même assuré. En ce qui concerne le rideau, il avait été retiré de ses fonctions des années plus tôt.

Puis, son regard glissa jusqu’à son téléphone portable qu’il déverrouilla en apercevant une notification : invitation à une soirée Halloween. Il se souvenait d’une conversation qu’il avait eue avec Charlotte il y a quelque temps. Mais il ne pensait pas qu’elle allait réellement l’inviter ! Il rapprocha l’écran de son visage pour mieux lire le contenu de cette invitation.

 

“Rendez-vous le 27 octobre chez moi, dès 20H. Et n’oubliez pas le déguisement !”

 

Une bonne dizaine de personnes avait déjà répondu positivement à l’invitation. Son frère avait été lui aussi invité. Il sera toujours à la maison le 27 ? pensa l’adolescent avec dépit. Plus ils passaient de temps ensemble et plus ils s’aboyaient dessus. Même Gloria commençait à en avoir assez de leur relation chien et chat.

Gabriel choisit de ne pas répondre dans l’immédiat. On venait tout juste d’entamer le mois d’octobre, il avait encore le temps d’y réfléchir, ou de trouver une excuse. Bien qu’il fréquente “régulièrement”  l’école désormais, il avait toujours des problèmes de sociabilité, mais rien de bien étonnant dans son cas.

Il reposa son téléphone et s’efforça de dormir. Le lycéen avait cours dans quelques heures et il ne voulait pas arriver avec une tête de déterré en plus d’une tête de balafré. Il avait déjà suffisamment d'arguments pour faire peur tel qu’il était, inutile d’en rajouter plus. Mais le sommeil le fuyait. Il gesticula dans tous les sens afin de trouver une position appropriée mais rien n’y faisait. Il était condamné à rester éveillé.

Le jeune homme posa donc ses lunettes sur son nez et décida de suivre les dernières actualités sur les réseaux sociaux. Il tomba malencontreusement sur la vidéo de Clara. Elle était devenue source de blague entre les internautes. On l’utilisait comme un meme. Finalement, ces quelques minutes d’image avaient multiplié son nombre d’abonnés. Les spéculations allaient de bon train quant à la personne qu’elle avait défendu. Et Gabriel ne pouvait s’empêcher de rougir d’embarras quand on l’associait au statut de “copain” de la célébrité montante. S’ils pouvaient placer un visage à côté de celui de Clara, ça ne serait certainement pas le sien. Un visage comme le sien n’avait pas lieu d’être à côté de celui de cette dernière ou d’aucune autre femme.

 

Aucune femme ne voudra de lui…

 

Au moins, étaient-ils d’accord sur ce point.

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