Chapitre 27 : Une erreur de parcours

Notes de l’auteur : Rien à signaler sinon l'impression en relisant ce chapitre qu'il est long et inutile et ennuyeux xD Ne m'en voulez pas promis je ferai mieux en réécriture ^^

Bref bonne lecture quand même et à la semaine prochaine !

Trois jours passèrent, noyés de pluie, et Caraghon était déjà las des longues nuits sans lune qu’il affrontait dans le silence pesant de la tour. Alors qu’il tentait de se distraire en passant en revue ses différentes armes, il sentit que quelque chose n’allait pas. Sur l’édredon de son lit étaient jetés son sabre, le glaive incurvé qui l’accompagnait, ainsi que les cinq dagues, celles parmi ses préférées, qu’il avait emportées avec lui. Mais il en manquait une.

La dague que lui avait offerte Tyeltaran.

Un juron au bord des lèvres, il vérifia qu’il ne l’avait pas laissée suspendue à sa ceinture par inadvertance, inspecta les replis de sa cape, l’intérieur de ses bottes, le foyer de la cheminée, mais elle n’était nulle part.

Profondément contrarié, il essaya de se rappeler du dernier moment où il l’avait maniée. Où aurait-il pu l’égarer ? Il la portait systématiquement avec lui lorsqu’il montait dans la tour. Il était convaincu qu’il la portait la veille. Peut-être l’avait-il oubliée là-bas ? Ou alors dans la salle d’arme, où il avait passé une partie de la matinée ? A tout hasard, il décida d’aller s’en assurer.

La salle d’arme était quasiment déserte quand il y pénétra. Seule, au centre de la plus grande arène, une silhouette vêtue de mailles se mouvait avec vivacité. Ses deux épées fendaient l’air comme si elle affrontait un adversaire invisible. Le regard de Caraghon accrocha sa longue chevelure flamboyante qui tournoyait autour d’elle comme une bannière enflammée. Alors qu’il s’immobilisait, surpris par le spectacle qui s’offrait à lui, la guerrière pivota en braquant l’une de ses lames en sa direction.

Qu’est-ce que tu regardes comme ça, murkha ?

Caraghon ignorait la signification du dernier mot, mais il devinait qu’il ne s’agissait pas d’un compliment. Elle le dévisageait sans particulière amabilité, et son rictus avait même quelque chose d’hautain. Il reconnut la garde rousse qu’il avait vue quelques jours auparavant, dans l’ombre du duc d’Ustan.

Rien de particulier, répondit-il en espérant que son accent était bon.

Qu’il s’exprime en eälagan sembla la surprendre, car ses sourcils se soulevèrent.

Au moins tu as l’air plus civilisé que les autres blondasses.

Le dernier terme, c’était Axat qui le lui avait appris en évoquant les quolibets variés dont les Dejclans étaient affublés en Eälagon. Caraghon ne sut comment réagir, et encore moins comment s’adresser à elle ; la distinction entre tutoiement et vouvoiement lui était encore floue, et il ne souhaitait pas commettre d’impair.

Pas causant, on dirait, se moqua la soldate devant son mutisme. Tes brutes d’amis ne parlent pas un mot de ma langue, mais ça ne les empêche pas de bavasser. On ne croirait pas que tu es de la même race.

En se demandant à qui elle avait bien pu avoir affaire pour concevoir une telle opinion de ses frères d’armes, Caraghon se rappela d’une chose. Il avait déjà vu cette femme ici même, quelques temps auparavant ; c’était celle qui avait battu Pelion à plate couture le jour où il avait affronté Tyeltaran. Selon toute logique, c’était donc aussi la même qui avait décoré le visage de Laedion de charmantes ecchymoses après qu’il se soit un peu trop approché. Aussitôt, elle lui devint plus sympathique.

Il cherchait encore quelque chose à répondre, mais la femme semblait s’être désintéressée de lui et traçait des cercles dans le sable autour d’elle avec la pointe de ses armes.

Caraghon s’avança de quelques pas, balayant le sol du regard dans le vain espoir de voir sa dague échouée quelque part.

Tu cherches quelque chose, murkha ?

Il se promit de rapidement se renseigner sur la signification de ce mot.

Mon poignard, lâcha-t-il en songeant qu’elle l’avait peut-être vu.

Il y en a plein sur le râtelier.

Sans grand espoir, il se dirigea vers celui-ci. Mais au milieu du fatras de lames de toutes sortes et de toutes tailles, il n’en vit aucune qui portait l’étoile dejclane qu’il cherchait. Sérieusement agacé, il tâcha une nouvelle fois de se souvenir de l’endroit où il aurait pu la perdre.

Alors, tu ne trouves pas ?

La soldate se tenait juste derrière lui. Elle avait des yeux gris, très clairs, et leur éclat était semblable à celui d’un prédateur. Sans se démonter, il haussa les épaules.

Apparemment, non. Je chercherai ailleurs.

Il amorça un geste pour la contourner, mais elle le retint par le bras. Il fut surpris par la délicatesse inattendue de ce contact, comme si elle l’avait précisément calculé.

— Tu pars déjà ? Quel dommage.

L’acier de son regard semblait réchauffé par le feu de ses cheveux, mais n’en demeurait pas moins tranchant.

Tu ne m’as même pas dit ton nom, fit-elle remarquer, et il nota le soin qu’elle mettait à articuler. Je suis Tsunara.

Elle accompagna ces derniers mots d’un rapide battement de paupières.

— Caraghon, prononça-t-il comme si on lui arrachait son nom de sa bouche.

Elle inclina légèrement la tête, un sourire plissant le coin de ses lèvres.

Je dois partir, on m’attend, ajouta-t-il rapidement.

Je n’en doute pas, répliqua-t-elle avec un haussement de sourcil. Il y a beaucoup de gens qui veulent te voir les suivre comme un valet, pas vrai ?

Elle le lâcha, sans cependant s’éloigner.

— Bonne chance pour retrouver ton poignard, ce serait dommage que tu ne puisses plus t’en servir…

Son air ironique ne lui plut pas, ni l’impression que ses paroles sous-entendaient quelque chose qu’il ne parvenait pas à saisir.

Au fait, ajouta-t-elle en lui adressant un clin d’œil, on t’a déjà dit que tu ressemblais à une femme ?

Cette fois, Caraghon était si désabusé qu’il n’eut même pas la force de se sentir insulté. Il la gratifia d’un regard froid avant de se détourner. Tandis qu’il quittait la salle, il s’efforça de concentrer toutes ses pensées sur son poignard perdu, comme s’il n’existait rien d’autre de plus important. Mais malgré tout, le désagréable sourire de Tsunara perdura encore longtemps à la surface de son esprit.

D’abord Amaran de Calcède, puis le duc d’Ustan et cette femme. Il semblait qu’après tout ce temps, les Eälagoniens hostiles entraient enfin en scène. Et cela lui déplaisait au plus haut point.

 

Alors qu’il parvenait à l’arche menant aux Halles du roi, il découvrit Tyeltaran en compagnie d’Amaran et Idiane de Calcède, en grande conversation. Aussitôt que le jeune seigneur eälagonien remarqua son approche, une expression de déplaisir tordit son visage. Il glissa un bras sous celui de sa sœur, et après s’être brièvement inclinés devant le prince, les deux jeunes gens s’éloignèrent dans la direction opposée. Tyeltaran tourna la tête en direction de Caraghon, un sourire grandissant sur ses lèvres.

— Ai-je interrompu quelque chose ? s’enquit le jeune soldat, qui n’avait aucune intention de déranger qui que ce soit.

— Une conversation ennuyeuse, rien de plus, s’exclama Tyeltaran en le rejoignant. A vrai dire, j’espérais que le hasard nous replacerait sur le même chemin.

Le dévisageant de plus près, Caraghon remarqua l’air fatigué de ses traits.

— Vous ne semblez pas avoir plus dormi que moi, fit-il remarquer.

Un petit rire fit tressauter les épaules du prince.

— Voilà qui n’est pas faux, admit-t-il en baissant la voix, comme pour lui confier un secret. Pour tout vous dire, j’ai passé la nuit en fort charmante compagnie.

Sous le coup de la stupeur, Caraghon mit plusieurs secondes à comprendre le sens de ces paroles.

— En… commença-t-il avant de renoncer à prononcer quoi que ce soit.

Il eut la très nette sensation qu’un fauve furieux venait de s’éveiller dans sa poitrine, et tâchait de se libérer en le lacérant de ses griffes.

— Oui, confirma Tyeltaran avec un petit sourire. Vous n’imaginez pas comme une bouteille d’alcool fort peut être réconfortante pour passer une soirée solitaire. Même si, ajouta-t-il en se frottant les paupières, on en paye le prix le lendemain…

Caraghon le toisa, désabusé.

— Et quelle était la nécessité de vous enivrer ? interrogea-t-il en oubliant un instant la retenue qui convenait à leurs rangs respectifs.

Le prince le regarda d’un air perplexe, avant de hausser les épaules.

— A-t-on besoin de raisons pour cela ?

— Si vous n’en avez pas, alors vous êtes stupide.

A peine ces mots eurent-ils franchi ses lèvres qu’il les regretta.

— Caraghon, soupira Tyeltaran, je vous en prie, je ne veux pas me quereller avec vous aussi.

Il enfonçait ses ongles dans la chair de ses paumes, dans un mouvement dont il ne semblait même pas avoir conscience. Sans le regarder, il reprit :

— Je pensais, puisque le ciel nous laisse un répit, à sortir un peu. Peut-être voudrez-vous m’accompagner ? Qui sait quand se présentera la prochaine occasion.

Sa voix recelait un accent hésitant, comme s’il s’attendait à le voir décliner ; mais sans même réfléchir, Caraghon donna son accord d’un signe de tête.

Les traits de Tyeltaran s’illuminèrent d’un sourire qui l’empêcha de regretter sa décision. En vérité, la perspective de passer un moment en compagnie du prince le réjouissait plus qu’il n’aurait su le dire.

En effet, le ciel semblait avoir séché ses larmes pour un temps, et un duel s’était engagé entre les nuages et des parcelles bleutées qui gagnaient peu à peu du terrain. De violentes bourrasques les accueillirent tandis qu’ils traversaient la cour.

— Il y a peut-être un espoir que cette nuit-là soit claire, fit remarquer Tyeltaran, le nez en l’air. Un temps pareil annonce souvent une lune rouge.

— Une lune rouge ? répéta Caraghon avec surprise.

— Elles sont fréquentes lorsque vient l’hiver, et sujettes de nombreuses superstitions ridicules. On dit que les enfants nés lors de telles nuits sont malformés, qu’ils deviennent des criminels ou des fous.

Le jeune soldat ouvrit des yeux perplexes.

— Les Eälagoniens ne manquent pas décidément d’imagination quand il s’agit de l’astre de la nuit, fit-il remarquer.

— Il est vrai, admit Tyeltaran avec nonchalance. Ces histoires ont tendances à me faire rire, mais parfois, trop de crédulité peut mener vers des horizons dangereux. J’imagine que si Lün était né durant le cycle de Drogö, on ne l’aurait même pas laissé vivre.

Il ne leur fallut guère de temps pour rejoindre les écuries et faire préparer leurs montures. La jument de Caraghon accueillit son cavalier à vigoureux coups de naseaux, et il la caressa longuement en s’excusant à voix basse de l’avoir abandonnée si longtemps.

A ses côtés, Tyeltaran finissait d’ajuster les sangles de la selle de son puissant palefroi.

— Je vous attend à l’extérieur, le prévint le jeune soldat en guidant sa jument par la bride.

Ils sortirent dans la cour balayée d’une brise fraîche. Sans cesser de flatter l’encolure de sa monture, Caraghon scruta suspicieusement le ciel incertain, tâchant d’évaluer leurs chances de finir douchés comme lors de leur sortie à Uthilia. Puis il finit par conclure qu’il pouvait bien laisser au prince le bénéfice du doute.

Puis, par-dessus l’arçon, il aperçut Alàtar qui émergeait de l’arche de la cour ouest, et se dirigeait très clairement vers lui.

— Hîl Caraghon, l’interpela le prince avec l’ombre d’un sourire. Il est heureux que je vous croise si tôt ; je viens de quitter votre lieutenant, qui souhaitait vous trouver pour vous parler en privé.

— Réellement ? Mais…

Au même instant, Tyeltaran et son palefroi sortirent des écuries. Le visage d’Alàtar une expression à mi-chemin entre le soulagement et l’exaspération.

Ah, te voilà enfin ! Cela fait une heure que je te cherche.

Et tu me chercheras encore, répliqua son aîné en mettant le pied à l’étrier, car je ne comptes pas t’écouter. Cela peut-il attendre notre retour ?

Absolument pas.

Alàtar empoigna la bride du palefroi pour l’arrêter.

Un émissaire de Teharion vient d’arriver. La duchesse Ravennë ne sera pas présent au conseil ; d’après les dernières nouvelles, la situation de ses frontières est de plus en plus critique.

Le visage de Tyeltaran perdit toute sa bonne humeur.

C’est ce que je redoutais.

Ce que nous redoutions tous, renchérit Alàtar, les dents serrées. La première session du conseil vassalique se tiendra demain. En attendant, père te demande.

Maintenant ? s’écria Tyeltaran en ouvrant des yeux effarés.

Je te conseille de ne pas le faire plus attendre que nécessaire, répondit Alàtar avec indifférence avant de se détourner.

Ayant remis pied à terre, Tyeltaran leva les yeux au ciel en croisant les bras sur la poitrine.

— Il nous suffit de seulement penser à sortir du palais pour être aussitôt rattrapés par nos responsabilités… Voilà pourquoi j’ai envie de fuir à tout jamais.

Il saisit les rênes de son cheval pour le ramener à l’intérieur, et Caraghon l’imita à regret. Sa jument le fixait avec des yeux remplis de curiosité.

— Je me faisais déjà une joie de galoper au grand air, de déjeuner en votre compagnie et de conclure la journée par quelques parties de tàilgo, maugréait Tyeltaran en dessellant sa monture. A croire que le destin s’acharne à nous séparer.

Le jeune soldat ne put s’empêcher de sourire de sa mine affligée, quoiqu’il partageât profondément sa déception.

— Une autre occasion se présentera, tenta-t-il de le rassurer.

— Je crois que je ne vivrais plus que dans cet espoir, déclama théâtralement le prince. Par les Dieux, le conseil vassalique est une vraie torture.

Ils sortirent et s’immobilisèrent sous le préau balayé par le vent. Malgré le ciel clair, le froid était pinçant. Frissonnant sous sa cape, Caraghon dévisageait le prince du coin de l’œil ; celui-ci, se frottant la nuque avec une expression gênée, lui adressa un sourire :

— Dans une dizaine de jours se tient la Fête de Cyrmë. J’adore profiter des festivités qui ont lieu en ville ; me ferez-vous l’honneur de venir avec moi ?

Il ressemblait à un enfant ravi de partager ses secrets avec son camarade de jeu, et de le voir ainsi réchauffa le cœur du jeune soldat plus qu’il ne l’aurait pensé.

— Je serais flatté de découvrir cette fête à vos côtés, affirma-t-il avec un enjouement sincère.

Un immense sourire aux lèvres, Tyeltaran se fendit d’une profonde révérence.

— Au plaisir de voler un moment seul à seul avec vous.

Le jeune Dejclan resta seul sous le préau, pensif et le cœur empli d’une inexplicable peine à voir le prince s’éloigner. Puis il se rappela que son lieutenant l’avait demandé, et il se mit lui aussi en route.

 

Laeïos se tenait devant la grande table où s’étalaient une liasse de parchemins, qu’il déplaçait du bout des doigts au fur et à mesure qu’il les parcourait.

— Hîl Caraghon, prononça-t-il sans même lever la tête.

Le jeune soldat s’avança de quelques pas, se postant à l’autre bout de la table, là où les rayons de soleil émanant de la fenêtre jetaient au sol un carré de lumière. Pendant une longue minute encore, le lieutenant resta silencieux, immobile, absorbé par ses lectures au point qu’il semblait avoir oublié qu’il n’était pas seul. Puis il leva les yeux vers Caraghon, et un léger sourire fit frémir le coin de ses lèvres.

— Ma convocation doit vous avoir pris au dépourvu. Le fait est que je souhaitais discuter avec vous, de plusieurs choses.

— Je vous écoute, acquiesça le jeune soldat, intrigué malgré lui.

Laeïos délaissa tout à fait ses documents pour s’appuyer à deux mains au bord de la table, les épaules contractées.

— Nous ne nous attendions pas à ce que la route vers le succès soit plane et sans ornière. Mais je dois vous avouer que les petits désagréments que nous rencontrons me déplaisent au plus haut point.

Caraghon comprenait parfaitement cet état de fait, lui à qui le lieutenant avait transmis son horreur de l’instabilité et de l’imperfection.

— Parlez-vous de la réunion d’aujourd’hui ?

Laeïos hocha la tête en déclarant :

— Contrairement à Lancasia, je n’ai jamais été assez naïf pour penser que l’Eälagon s’est livrée à cette alliance unanime et de bon cœur. Mais comme l’a souligné le prince Alàtar, les deux principaux opposants sont également les deux ducs les plus puissants du royaume – sans oublier que l’un dispose des accès portuaires des côtes sud.

— En quoi est-ce véritablement un problème ? s’enquit Caraghon avec une certaine prudence. Qu’ils soient ou non majeurs, le roi les tient sous ses ordres.

— C’est ainsi que raisonne la hiérarchie Dejclane, répondit le lieutenant en secouant la tête. L’Eälagon est bâtie de manière différente.

Le jeune soldat se souvint de la tapisserie du Traité de l’Aigle à l’entrée de la galerie des temples :

— Une coalition de six ducs qui a élu un roi à sa tête.

— Très précisément, approuva Laeïos. Et au vu de la jeunesse de ce royaume, je suis prêt à parier que son ascendant n’est pas encore total sur sa fédération. Sans parler du conseil des magistrats qui, si j’ai bon souvenir, détient un pouvoir plus important que ceux qui entourent notre Révéré. Ce ne sont pas que de simples conseillers ; leur majorité défavorable peut renverser une décision royale.

Caraghon ouvrit de grands yeux. Il ne s’était jamais intéressé de près à la politique, de son pays ou d’un autre, mais il en connaissait les rouages. La sphère militaire, et plus que tout la garde Révérente, pesaient dans la balance de la société dejclane, mais la parole du Révéré demeurait incontestée.

— Aussi, reprit Laeïos avec un mécontentement de plus en plus visible, ces oppositions pourraient s’avérer critiques si elles sont trop ostensibles.

— Mais de notre côté, les réticents ne cherchent pas à se dissimuler, pas plus que les opportunistes, objecta Caraghon. Les opinions de la noblesse dejclane se partagent entre ceux qui voient l’Eälagon une puce prête à nous sucer le sang, et ceux qui au contraire souhaiteraient n’en faire qu’une bouchée.

Le lieutenant le dévisagea un instant, de son regard scrutateur qui mettait tant de gens mal à l’aise.

— Vous êtes très jeune, lâcha-t-il soudain, mais d’ici notre retour à Makeos, il est probable que vous obteniez le grade de sous-lieutenant. Et, aussitôt que le voudront les Dieux, vous me remplacerez à la tête de la garde Révérente.

Il marqua une pause avant de continuer d’un ton impérieux :

— C’est pour cela que je voulais vous introduire au plus tôt au cœur d’Eäran et auprès de la famille royale. Vous connaissez l’importance de la force militaire pour notre pays ; un jour, il vous faudra peut-être revenir en Eälagon en tant que lieutenant de la garde Révérente et garant de la sécurité des émissaires du roi Révéré. Et ce jour-là, vous aurez votre place sur la scène politique, une place plus grande que vous ne l’imaginez.

Les yeux baissés, Caraghon garda le silence. Il avait tendance à rester en retrait, à observer au lieu de prendre la parole, à attendre les ordres plutôt que d’agir de son propre chef, à chercher un compromis entre son entraînement rigide et sa curiosité naturelle. Or, ce n’était pas l’attitude qui convenait à ce que le lieutenant voulait faire de lui.

— Que votre comportement soit exemplaire est primordial, conclut celui-ci.

Le jeune soldat observa son expression grave en se demandant si ces mots portaient une signification particulière.

— Les écarts que se sont autorisés vos frères d’arme ne seront pas pardonnables venant de vous, ajouta Laeïos sans le lâcher du regard.

— Vous devez faire référence au dérapage de Laedion, soupira Caraghon. Lieutenant, je vous en prie, ne me faites pas l’offense de me comparer à lui.

Jamais il ne se serait permis une telle légèreté s’il n’avait pas connu Laeïos depuis si longtemps ; et encore maintenant, il éprouva une certaine appréhension à l’idée d’être rabroué.

— Sans aller jusque-là, il ne me semble pas inutile de vous mettre en garde. Même les meilleurs ne sont pas à l’abri d’une erreur de parcours…

Il le dévisageait avec une expression curieuse, qu’il ne parvenait pas réellement à définir, et qui le mis profondément mal à l’aise.

Il avait la certitude que Laeïos cherchait à lui faire dire quelque chose. Il ne lui poserait pas directement la question à laquelle il souhaitait une réponse ; mais il distillait des indices sous-jacents, l’aiguillait, progressait à pas prudents jusqu’à l’acculer. Sa manière de parler était semblable à celle de se battre, et Caraghon avait beaucoup appris en l’imitant.

— Et s’il n’y avait que Laedion, reprit le lieutenant avec un petit soupir. Car pour ce qui est d’Askaos et de son ardeur envers cette jeune veneresse…

— Ah, ça… fit le jeune homme en haussant les épaules. J’ai essayé de lui en parler, mais vous savez comment il est.
Laeïos opina du menton, l’air sinistre.

— Je ne peux pas me montrer complaisant si quoi que ce soit devait se produire.

A ces mots, Caraghon sentit l’inquiétude s’infiltrer dans ses veines.

— Askaos n’a rien fait de répréhensible, protesta-t-il.

Mais le bref regard que lui décocha Laeïos ne le rassura pas.

— Pas encore, du moins, ou pas à votre connaissance.

Il rassembla une volée de feuilles de parchemin pour en faire une pile impeccablement droite.

— J’ose néanmoins espérer avoir emmené avec moi des hommes capables de se maîtriser, et non pas un troupeau de boucs en rut. Il nous faudra probablement compter ne pas revoir Makeos avant le printemps prochain.

— Ce sera si long ? s’étonna Caraghon.

— Ce sont les premières bases d’une alliance que nous sommes chargés de bâtir, Caraghon, répondit le lieutenant avec l’air patient d’un professeur devant son élève perdu. Il est évident que nous devions être précautionneux. Prendre le temps de nouer les premiers liens est capital, et ce n’est pas quelque chose qui se fait en un mois ou deux. Et même après cela, quand nous serons revenus à Makeos, le travail sera encore long. Il se poursuivra sur la fin du règne d’Alàtar Ier et sûrement celui de son successeur.

A ces mots, qui auraient dû réjouir Caraghon, la seule chose à la laquelle il fut capable de penser fut la vision de Tyeltaran assis sur le trône, le front ceint de la couronne de son père. A ses côtés, la femme qu’il avait prise pour reine parmi la noblesse dejclane, et derrière le trône, comme Alàtar derrière son père le jour de l’arrivée de l’ambassade, se tenaient ses enfants, ses héritiers.

— Le projet de mariage se concrétise-t-il ? laissa-t-il échapper d’une voix blanche.

Le visage du lieutenant se teinta d’une expression ennuyée qui le surpris.

— Une suggestion jetée sur la table, pour l’heure, rien de plus. Mais peut-être auront nous l’occasion de la voir germer au fil du temps.

Sa bouche était pincée, l’un des rares signes trahissant sa contrariété. Caraghon allait l’interroger, quand il sembla lui-même se décider à s’expliquer :

— Il s’avère en vérité que le prince aîné, Tyeltaran, montrerait de sérieuses réticences à s’engager dans un mariage.

— Vraiment ?

En vérité, Caraghon n’était pas tellement surpris, pas plus que contrarié, alors qu’il aurait dû l’être.

— Cela vous étonne-t-il vraiment ? Vous passez suffisamment de temps à ses côtés pour commencer à le connaître.

Quand il releva les yeux, il croisa ceux de Laeïos posés sur lui, impérieux.

— Il est vrai, admit-il laconiquement.

Il se refusa à prononcer un mot de plus, de peur de ce qu’il pourrait avouer. Dire que c’était Laeïos lui-même qui l’avait poussé à accepter l’invitation à la chasse de Tyeltaran, sous prétexte que se lier d’amitié avec l’allié était toujours bénéfique…

Le silence perdura plusieurs longues secondes entre eux, avant que le lieutenant ne se redresse :

— Alors je crois que nous en avons fini, hîl Caraghon. Je vous remercie.

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ludivinecrtx
Posté le 21/04/2021
C'est encore moi :

"Bien qu’il ne soit pas d’un naturel violent, Caraghon ressentit la très forte envie de lui faire ravaler son sourire à coups de tête dans le mur." ,c'est peut être un peu fort comme récation non ?



"J’imagine que si Lün était né durant le cycle de Drogö, on ne l’aurait même pas laissé vivre." donc Lune est né lors d'une lune rouge ?


Je n'ai pas trouvé ce chapitre si long.

Mais j'ai du mal à comprendre pourquoi on on insiste autant sur la dague perdu puis qu'on abandonne cette idée en plus
UnePasseMiroir
Posté le 22/04/2021
Ouais peut-être ouais xD je m'en rappelais même plus de ça, je vais changer !

Alors non, justement ^^ il y avait un passage plus long sur ce truc mais je l'ai supprimé après coup, faudra peut-être que je le revoie... les lunes rouges arrivent seulement pendant la lune de Drogö. Lün est né lors d'un autre cycle, mais si ça n'avait pas été le cas on l'aurait sûrement tué à la naissance :)

Patienceeeeeuh on verra plus tard xD tu sais bien que je fais toujours trop traîner les choses...
Natsunokaze
Posté le 08/03/2021
Re !

Et.... ça commence mal ! La dague de Tyel a disparu et, à moins qu'il l'ait fait tomber quelque part ce dont je doute, je suppose qu'elle n'a pas disparu toute seule et qu'on ne la lui a pas volé avec les meilleurs intentions du monde. Soit quelqu'un cherche à le piéger, soit à piéger Tyel mais dans tous les cas, je le sens mal >,<

Lui a peut-être l'air plus civilisés que les autres membres de sa troupe mais elle, elle est loin d'être la plus poli de son royaume. Sérieux ! Quitte à te montrer dédaigneuse envers tout un peuple, assure-toi au moins d'être exempt de tout reproche =,=''

En gros, tant que tu bottes les fesses de Laedion, tu augmentes tes chances d'être ami avec Caraghon ! Ok, c'est bon à savoir xD
Toutefois, je ne suis pas certaine que Caraghon l'apprécie très longtemps vu comment elle ne cesse de le chercher. Perso, je ne l'aime pas ! Autant Kanska est pleine de fougue et ne s'en laisse pas compter, autant cette meuf est volontairement désagréable et insultante envers Caraghon qui, pourtant, ne lui a rien fait. Elle ne mérite pas qu'il s'attarde sur elle, par contre, mieux vaut s'en méfier !!

Entre une conversation ennuyeuse (comme le dit Tyel mais... n’essaie-t-il pas de lui cacher quelque chose ?) et toi, Caraghon... le choix est vite fait pour notre prince préféré xD Et forcément, il le taquine. A la place de Tyel, je ferai attention à ne pas trop jouer avec la jalousie de Caraghon, ses réactions peuvent être plus violente qu'il ne le pense xD
Je suis d'accord avec Caraghon ! Si tu n'as pas de raison de boire, ne te saoule pas pour rien. Déjà, à la base, ne se saoule pas tout court, même si tu as toutes les raisons du monde, c'est mauvais pour ta santé x)
Quant à mon pauvre Lune-chou, je suis contente qu'il ne soit pas né sous cette lune, sinon... on aurait pu dire adieu à ce personnage avant même de le connaître >,< Mais, et si ces croyances avaient un fond de vérité ? Et s'il se passait vraiment des choses pendant les lunes rouges ? Perso, je suis curieuse, hi hi !

Bon bah... le devoir vous appelle tous les deux finalement ! Et moi qui me réjouissais de cette petite sortie entre eux T.T Et les pauvres chevaux, qui y ont vraiment cru, eux aussi. La tristesse xD

En vrai, Caraghon n'a pas l'air fait pour le job de lieutenant. Il ne s'intéresse même pas à la politique de son propre pays alors va l'envoyer jouer avec ça dans un autre royaume... joie ! Quant à Laeios, j'ai l'impression qu'il essaie de mettre en garde Caraghon au sujet de sa relation avec Tyel, du style « Ne te tape pas le prince, ça t'est interdit » xD Franchement, je suis du même avis que Tyel, je pense que le destin cherche à les séparer par tous les moyens possibles et je suis absolument contreeeeeeeuh U,U

Franchement ? Il est bien ce chapitre. Certes, on sent qu'il est de transition mais il n'est pas lourd ni ennuyeux. Je suppose que tu retravailleras ces scènes dans la réécriture mais ne t'en fais pas, ce premier jet se lit tout seul et il saura nous contenter pour l'instant x)

Sur ce, je me jette sur la suite !
UnePasseMiroir
Posté le 09/03/2021
Mais noono enfin les armes qui disparaissent ça arrive tout le temps, c'est normal, faut pas s'inquiéter xD

Tsunara : "Mais qu'est-ce qu'elle est râleuse celle-ci ! C'est qui d'abord ? Pfff >.>"

"En gros, tant que tu bottes les fesses de Laedion, tu augmentes tes chances d'être ami avec Caraghon !"
Une psychologie pas du tout compliquée à comprendre xD Les ennemis de Laedion sont ses amis !
Enfin sauf quand ils sont aussi chiants qu'elle xD C'est curieeeeux comme personne l'aime... je me demande bien pourquoooi. (clairement à côté Kanska c'est un ange mdr)

Caraghon >>>>>> conversations chiantes et vie sociale en général
C'est clair que Caraghon a l'air tout calme et tout serein mais il peut t'avoir tué cinq fois dans sa tête xD jamais se fier aux apparences !
Tyel : "Tsss c'est pas parce que je t'aime bien que tu dois me faire la morale >< je me bourre quand je veux si je veux !"

Ahah désolée pour la fausse joie pour toi et les chevaux, les responsabilités reviennent xD

En vrai, s'il voulait, il pourrait, mais il est tellement convaincu qu'il en a pas la carrure qu'il se mets dans son coin et attends que ça se passe...

"Quant à Laeios, j'ai l'impression qu'il essaie de mettre en garde Caraghon au sujet de sa relation avec Tyel, du style « Ne te tape pas le prince, ça t'est interdit » xD"
Héhé, pt'êt', p'têt' pas xD (oui je suis la reine du suspens... >.<)

Eh bien si ça te va ça me va xD C'est moi qui me monte trop le chou sur mon propre texte, faudrait que je me calme !
Gwenifaere
Posté le 22/02/2021
Bon vu ton commentaire initial je m'attendais à bien pire, il se passe pas mal de trucs là en fait !
Certes, c'est plus de la mise en place. Une piste pour le deuxième jet à tout hasard : toutes ces scènes pourraient peut-être s'intercaler à d'autres moments, plus tôt, dans des chapitres où autre chose se passe de plus actif. Surtout la fin avec Laeïos en fait.
En tout cas, j'aime bien ce qui s'esquisse là, même si ça s'annonce MAL pour les deux tourtereaux. En tout cas c'était sympa de les retrouver ensemble, même si trop court ^^ (oh, et tout le petit échange sur la nuit en bonne compagnie de Tyeltaran m'a pliée en deux, entre cette blague un peu nulle et la réaction de Caraghon XD)
UnePasseMiroir
Posté le 22/02/2021
Alors ça doit être dans ma tête le problème xD Mais ouais je garde ton idée ! C'était ce que je vouais faire la base mais au final je me suis retrouvée avec des trucs que j'avais pas introduit assez tôt donc c'était un peu le chapitre fourre-tout pour remettre à niveau.
C'est un petit rigolo Tyeltaran en vrai xD et il en profite pour tâter le terrain au passage...
_HP_
Posté le 20/02/2021
Hello !

Wowowo, d'où tu te mets à le draguer (en l'insultant à moitié, en plus, si j'ai bien compris xD) ??
J'espère que c'est pas toi qui lui as volé le cadeau de son mari 😠
Hiii Caraghon qui est jaloux, et ensuite protecteeeuuuur ! 😍
Bien sûûûûûûr, que ça te réjouit de passer du temps avec Tyeltaran, espèce d'imbécile !
Une inexplicable peine, t'es sûr ? Non parce que moi je peux te l'expliquer, si tu veux...
T'inquiète pas, Laeïos, Caraghon ne reviendra pas en tant que lieutenant mais en tant que mari du roi 👀 Peut-être même que du coup il ne quittera pas souvent l'Eälagon... 😇
Askaos, kessketaféééééé ?? 👀🤦‍♀️🙄😠
J'adore le "vraiment ?" de Caraghon à propos de la réticence de Tyeltaran à se marier 🤣🤣🤣 Abruti, bien sûr qu'il ne veut pas s'engager dans un mariage ! Du moins, dans le mariage qu'ils lui proposent... 👀😏

La conversation à la fin était bizarre, on aurait vraiment dit que Laeïos cherche à lui dire quelque chose sans vraiment comprendre quoi (même si ça a un sans doute un rapport avec le prince) 🤔😄
En tout cas on en apprend un peu plus sur la politique des deux royaumes et ça c'est vraiment cool !
Ce chapitre n'était pas du tout long et inutile et ennuyeux (🙄🙄😡😡😡😡), au contraire ! Même s'il n'y a pas beaucoup d'action à proprement parler, les différentes discussions avec la jeune femme au début puis avec Laeïos sont intéressantes, et très intrigantes ! Et je ne parlerais pas de la sortie annulée et de l'invitation de Tyeltaran... 😇


• "Caraghon, prononça-t-il comme si on lui arrachait son nom de ma bouche" → "sa bouche", non ? :p
• "Les Eälagoniens ne manquent pas décidément d’imagination quand il s’agit l’astre de la nuit, fit-il remarquer" → "s'agit de l'astre", non ? ^^
• "Laeïos se tenait devant la grande table où s’étalaient une liasse parchemins, qu’il déplaçait du bout des doigts" → "une liasse de parchemins", je suppose 😄
UnePasseMiroir
Posté le 20/02/2021
"Wowowo, d'où tu te mets à le draguer (en l'insultant à moitié, en plus, si j'ai bien compris xD) ??"
Ouais t'as bien compris xD Ravie que ce nouveau personne t'inspire autant de sympathie mdr

"Une inexplicable peine, t'es sûr ? Non parce que moi je peux te l'expliquer, si tu veux..."
"Ouais je veux bien parce que je suis perdu là 🥺"

Aaaaah jpp comme tu les as déjà mariés xDDD Ne va pas raconter ça à tout le monde mdr tu vas causer beaucoup d'AVC dans les deux royaumes...

"Mas oui t'as vu il essayait de me faire dire un truc et j'ai pas compris quoi T_T trop subtil pour moi ce lieutenant... j'espère que c'était pas en rapport avec le fait que je colle régulièrement le train de Tyeltaran..."

D'accord d'accord si tu le trouves pas long et inutile et ennuyeux ça va T_T il faut que j'arrive à m'auto-convaincre que depuis le temps, vous êtes au courant que cette histoire ne comporte pas des masses d'actions trépidantes...

"Et je ne parlerais pas de la sortie annulée et de l'invitation de Tyeltaran... 😇" Justement je m'étonnais que tu n'en parles pas 🤣🤣👀

Merci pour les coquilles ! ça me gonfle ces petits pots qui sautent sans que je m'en rende compte xD
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