Chapitre 27 - Les ingénus

À Mÿrre,

 

Sonfà et Sophya avaient pris leurs décisions avec l'accord de Bénédit, elles combattraient les miliciens. Personne ne se cacherait plus.

 

Ingénieuses, les deux filles choisirent de combattre de manière douce.

_ On se rappelle du plan les filles ? demanda Bénédit au réveil de ses protégées.

_ Nous enfermerons les miliciens dans leur propre caserne ! s’enthousiasma Sonfà en préparant sa tenue de militante.

 

Des bottes de cuir noir qui protégeraient ses mollets, un pantalon en coton noir pour qu’elle puisse tout de même être à l’aise, un débardeur de la même couleur et un gilet sans manche.

 

_ Nous ferons également appel aux pouvoirs de toute la tribu afin de bloquer les issus de  l’immeuble, ajouta Sophya en se tressant les cheveux.

_ Bien, je me charge de prévenir et de convaincre d’autres Physés. Pendant ce temps, préparez des vivres. Une fois les miliciens encerclés, ils ne doivent manquer de rien.

_ On donne juste une bonne leçon aux ministres, acquiesça Sonfà.

 

Bénédit n’eut besoin que d’une matinée pour convaincre ses amis de participer à cette prise d’otage pacifique. Après les arrestations injustes de la veille, tout le monde était prêt à en découdre. L’après-midi leur servit à répéter le plan pour se coordonner le soir venu, à définir les rôles de chacun et à regrouper assez d’eau et de collation pour tenir le siège sans s’affamer ou nuire aux miliciens.  À vingt et une heures passées, Bénédit dirigea sa cinquantaine de Siréliens vers le siège de la milice. Ils avaient fait de la gare leur QG et les Physés n’appréciaient pas de voir leurs déplacements être limités. Les miliciens, pour la plupart ivres, étaient des proies faciles pour les hommes de Bénédit. Ils s’étaient regroupés dans la salle des guichets et ne prêtaient aucune attention à ce qui pouvait se passer dehors à cette heure. Les quelques miliciens encore de garde aux quatre coins de la ville étaient de simples bleus qui ne sauraient pas comment venir en aide à leurs collègues. Ça, Bénédit en était pleinement conscient quand il fit mine à Sophya d’envelopper la gare d’un brouillard épais. La température chuta alors de quelques degrés sans que les militaires ne s’en aperçoivent.

 

_ Un jeu d’enfant, commenta Sonfà dans le telsman de son oncle.

 

Les Physés sachant manipuler les végétaux se mirent alors à construire un amas de branches, de lianes et de plantes qui entourèrent la gare. Quand les miliciens s’en rendirent compte, il était trop tard. En quelques minutes, les fenêtres et les portes avaient toutes étaient barricadés sans violence. Abasourdis, ils mirent du temps à analyser leur situation. Ils ne pouvaient pas prévenir leurs collègues qui passaient la nuit dehors et de toute façon le plus gros de leur équipe était coincé à l’intérieur. Ils entendirent des craquements de branches tout autour d’eux, comme si le bâtiment aller s’écrouler, puis une porte s’ouvrit avant que la salle soit plongée dans un épais brouillard.

 

_ Qui est-là ? cria un des hommes piégés.

 

Les miliciens crurent percevoir des pas et des respirations autour d’eux puis le bâtiment se remit de nouveau à craquer. L’épais nuage cotonneux qui les entourait se dissipa d’un coup, permettant ainsi aux miliciens de retrouver la vue. Au tour d’eux, plusieurs vivres avaient été disposés et les câbles de téléphone coupés.

 

 

_ Bonsoir, nous vous avons laissé de l’eau, du pain et un peu de fromage pour ce soir, expliqua Sonfà à l’extérieur du bâtiment, sans se montrer. Nous vous voulons aucun mal, je m’assurerais qu’il ne vous manque rien pendant les prochains jours, mais vous allez devoir rester ici tant que nous n’aurons pas obtenu une annulation des nouvelles lois.

_ Pour qui vous prenez-vous ? pesta un des adjudants.

_ Et vous alors ? Pour qui vous prenez-vous à nous dicter nos amours et notre descendance, gronda-t-elle par haine, en se transformant en éclair.

_ Vous nous le payerez ! s’offusqua le milicien impuissant.

 

Entendant sa colère, Sophya se rapprocha d’elle pour la calmer. Elle comprenait sa frustration. Même si elles étaient encore très jeunes et avaient tout leur temps pour vivre leur amour naissant, elles voulaient être libres. Et rien ni personne ne pourrait les empêcher d’être ensemble.

 

Sophya, même si elle était plus discrète que Sonfà, était tout aussi déterminée à vivre comme bon lui semblait. Avec son frère, elle avait été élevée ainsi. Si Vikthor était parti pour sauver deux adolescentes et ainsi préserver leurs pouvoirs de l’exploitation humaine, elle se devait de protéger leur peuple et leurs droits. À son retour, il serait fier d’elles et de leurs combats quoiqu’il arrive.

 

Si elle avait songé à le voir rentrer en apprenant la mort de Manon, elle s’était souvenue de la dévotion de son frère pour sauver la veuve et l’orphelin. Vikthor serait un bon Élu, il avait toujours fait passer le bien des autres avant le sien. Si pour lui ramener les sœurs Agape était une priorité, la disparition de Manon n’allait pas essouffler son combat. Au fond, même s’ils avaient besoin de lui à Mÿrre, elle était fière de lui, car la nouvelle de cette rébellion secoua le Nouveau Monde.

 

Si Bénédit avait pensé à couper les liaisons téléphoniques au sein de la gare, il ne se préoccupa pas des jeunes miliciens laissés en factions aux quatre coins de la ville. Quand l’aube sonna la fin de leur service, personne ne remarqua leur présence insignifiante aux abords du centre-ville. Par manque d’expérience, ils restaient là sans rien dire, ne sachant quoi faire contre tant de Siréliens réunis. Ils restaient là à tourner autour de la gare bêtement, l’air complètement perdu à ne prendre aucune décision. Certains avaient l’air plus soucieux de trouver un endroit où dormir que de venir en aide à leur collègue. Il fallait dire qu’entre les jeunes recrues et le bataillon, il y avait peu de cohésion. Les brimades et le bizutage que les bleus avaient subis jusqu’ici ne leur donnaient pas particulièrement envie de prendre des risques pour eux. Toutefois, le plus jeune d’entre eux comprit qu’il fallait donner l’alerte. En espérant être promu pour ça, il fit le tour des hôtels pour prévenir la capitale et alerter les médias.

 

Le coup de téléphone désespéré du milicien au conseil ministériel fit trembler toute l’administration. Garnel ne s’était pas attendu à un tel acte de rébellion. Et celui-ci ne fut que le premier. La prise d’otage pacifique racontée par les journaux donna également des idées au peuple hylé.

 

Après avoir mis en sécurité Achot, l’Élu des oranges organisa lui aussi sa révolte. Mais sans le vouloir et dans la précipitation, Gaultier venait de laisser son amant dans les mains de l’ennemi. Avec ces nouvelles lois, si Hemma récoltait assez de confidence sur le couple, c’en était fini pour leur idylle. Cependant, la tête dans ses idées d’opposition, il ne pensa pas à la méfiance qu’il avait pour Hemma et s’en alla rejoindre ses frères d’armes.

 

_ Comme à Mÿrre, nous n’allons rien mettre en place de dangereux. Nous allons juste leur donner une bonne leçon. Nous allons limiter leur déplacement ou leur utilisation de matériel, déclara Gaultier à ses amis venus l’aider.

 

C’est ainsi qu’ils rendirent les voitures et les armes des miliciens inutilisables. Ce tour de passe-passe ne les amusa pas plus à Byan qu’à Mÿrre.

 

Seuls les Kalokas, toujours libres de leurs unions, ne se révoltèrent pas face à ces nouvelles lois. Ils ne se sentaient pas concernés et sous l’impulsion de Paskhal, ils se disaient prêts à faire des efforts pour l’avenir de leur foyer. Bien que Marie et Hestia ne partageaient pas ces valeurs, elles croyaient en leur Élu et se laissaient guider. Endza, devenue enfin la fille chérie de son père, le soutenait coute que coute sans se poser de questions. Ainsi elle avait l’impression de se rapprocher de l’esprit de Manon, en prenant sa place.

 

Paskhal, qui avait retrouvé de sa superbe depuis la mort de sa fille, se sentait galvanisé par ce nouvel élan politique. Il voulait retrouver sa place convoitée d’Élu respecté et de conciliateur-dynaste performant. Guider son peuple dans cette situation compliquée était donc l’occasion de rattraper ses erreurs passées. Il voulait que sa région reste prospère et pacifiste tel un exemple face aux autres peuples révoltés. C’est ainsi qu’il comptait se protéger, lui et sa famille, de l’administration gouvernementale. Car Paskhal n’était pas naïf. Contrairement à Gaultier ou Bénédit, il savait que ces révoltes n’allaient pas rester impunies. Pacifiste ou non, le ministre Asage ne laisserait jamais passer cela.

 

Personne ne pouvait s’amuser de ses miliciens sans craindre son courroux. Or, pour la première fois, la presse avait pris le parti de ses opposants. Les journalistes s’amusaient à dépeindre les miliciens bloqués dans leur caserne par des âmes héroïques qui ne se battaient que pour l’amour. Les articles étaient accompagnés de photos des preneurs d’otages, tous souriants et fiers. On y voyait également des enfants déguisés en miliciens impuissants tournant ainsi au ridicule les forces armées du conseil ministériel. À la lecture de ces articles, le ministre de la Protection des peuples et des Territoires rentra dans une colère noire. S’il avait pu tuer tous ses opposants sur le champ, il l’aurait fait. La tête sur les épaules, il s’appliqua toutefois à trouver une solution plus raisonnable. Ou du moins, plus politiquement correcte.

 

_ Envoyez d’autres miliciens ! Nous allons défendre ceux qu’ils s’amusent à narguer à Mÿrre ou à Byan ou n’importe où, ordonna Garnel Asage. Ces plaisantins en payeront de leur tête s’ils ne cessent pas au plus vite.

 

Les Yeghes, bien qu’on ne leur demandât pas leur avis, trouvaient ces revendications légitimes et ces actions plutôt drôles. Depuis qu’ils avaient subi, sans le savoir, la mort de la future Élue des Kalokas puis sa renaissance, les Yeghes donnaient l’impression de connaitre une nouvelle humanité. Toujours sages et libérés d’envies personnelles, ils se voyaient cependant toujours plus inquiets du sort des Siréliens. Ils semblaient avoir un avis sur ces lois et les dirigeants du Nouveau Monde.

 

Toutefois, toujours aussi droits et justes, ils ne s’opposaient pas vigoureusement au conseil. Tomas avait cependant donné l’ordre à tous ses confrères de surveiller au plus près les faits et gestes des ministres dès qu’ils rentraient dans leur cratère administratif. Cette nouvelle conscience éveillée allait donner du fil à retordre à Garnel Asage. Lui, qui voulait que Manon les rencontres pour les manipuler, allait devoir prendre ses précautions. Mais en attendant, il avait déjà assez à faire avec Gaultier et Bénédit. Le ministre aux mains gantées ne permettrait pas qu’on tourne au ridicule ses miliciens encore longtemps. La patience et la paix n’étaient pas ses points forts.

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