Chapitre 26 - Leçon de lecture

— Mais maman ! s’emporta Max dépité.

— Soyez déjà bien content que je vous laisse coller ces affiches dans le quartier, insista sa mère. Et il est hors de question que vous en mettiez une à ma fenêtre.

— C’est n’importe quoi !

— Ne le prends pas sur ce ton avec moi, menaça-t-elle.

— Max ! cria Noémie qui arrivait devant chez eux, Jeanne accrochée à son bras.

— Bonjour, jeune homme ! Bonjour, chère madame ! chantonna la vieille dame.

Elle soufflait, épuisée par ces quelques mètres de marche. Mais elle conservait son éternel sourire.

— Salut, fit Max.

— Bonjour, Madame Jeanne, corrigea sa mère sur un ton fort peu accueillant.

— Merci pour votre invitation, fit celle-ci. Je suis bien seule quand les enfants ne peuvent pas me rendre visite.

Max aida leur voisine à monter les trois marches de l’entrée. Noémie prit dans ses mains les affiches et le matériel pour annoncer la fête-réunion.

— Votre fils est doué pour le dessin, ajouta Jeanne à l’attention d’Éléonore. Les enfants, gardez-en une pour ma maison. Je veux absolument une de ces œuvres à ma fenêtre.

— Rentrez donc, conclut la mère contrariée. Il fait meilleur à l’intérieur.

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Aube vous attend, enchaîna-t-elle.

Elle s’effaça pour laisser le passage à la vieille dame.

— Bonjour Jeanne, dit son père en dévalant les escaliers, des papiers à la main. Voilà ! J’ai imprimé une centaine d’invitations. On devrait en avoir assez pour toutes les boîtes aux lettres du quartier.

— Soyez sages, les enfants, rappela la mère.

— OK m’man !

— Et ne traînez pas. Chéri, je compte sur toi.

— À tout à l’heure !

Le père précéda Max et Noémie trop heureux de partir ensemble courir dans le quartier. Jeanne rejoignit Aube dans le fauteuil du salon qui donnait sur le jardin.

— Je vous laisse, j’ai du travail, prévint Éléonore. Appelez-moi si vous avez besoin.

Mistigri fut obligée de céder sa place pour que la vieille dame et la fillette puissent s’asseoir côte à côte.

« Qu’est-ce que tu fais ici, toi ? » lui demanda Jeanne. « Tu n’es pas dehors avec tes petits camarades ? Ils ont l’air fort occupés ces derniers temps. »

« À saboter des wi-fi et des mobiles ? La belle histoire ! »

« Et ils ne sont pas les seuls » précisa Jeanne.

« C’est ridicule. On s’habitue à ces ondes. Elles ne m’ont jamais empêché de faire la sieste ! » rétorqua Mistigri.

« Quelle égoïste ! » pensa Aube.

Vexée, la petite chatte s’enfuit vers la cuisine où elle savait trouver des croquettes pour se remonter le moral.

— Tu ne devrais pas lui parler comme ça, conseilla Jeanne.

— Je n’ai rien dit, se moqua l’enfant.

— Peut-être a-t-elle raison, cet endroit est parfait pour un petit somme.

La vieille dame ferma les yeux et tendit les jambes pour profiter des derniers rayons de soleil de l’arrière-saison.

— Jeanne ?

— Oui ?

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Ah oui ! dit-elle en se redressant. Suis-je bête ! J’étais venue pour te lire une histoire. C’est incroyable comme je perds la tête !

— Mais non ! Tu sais bien...

— Qu’est-ce que tu dis ? coupa-t-elle avec un clin d’œil à la fillette pas dupe. Montre-moi donc ton livre ! Comment s’appelle-t-il encore ?

— « Histoires et légendes oubliées des terres anciennes », récita Aube en déposant la couverture cartonnée entre leurs genoux.

— Vas-y ! Lis-moi le titre de la première histoire, l’encouragea Jeanne.

— « La... belle... » déchiffra-t-elle.

— C’est joli, mais ce n’est pas ça. Cherche un animal dont le nom pourrait ressembler à ce que tu viens de lire. C’est facile. Il y a une foule d’indices sur la page.

« Une foule d’insectes » rit-elle en elle-même.

— « L’abeille » ! trouva Aube.

— C’est bien ! Continue !

— « L’abeille... et... la... ruche » ! compléta l’enfant.

— « L’abeille et la ruche », approuva la vieille dame. Est-ce que cela te plairait que je te la lise ?

— D’accord.

Elles s’installèrent confortablement.

— « Une jeune abeille, née la veille, se préparait à vivre sa première journée de butineuse pour la colonie. Sous un ciel lourd, chargé d’un nombre impressionnant de ses congénères, elle commença par tenter de déchiffrer les signaux des éclaireuses, leur danse porteuse de messages et de mystères. Par où commencer ? Par quels pistils ? Pourtant, au lieu de choisir sa destination, comme ses sœurs, entre un cerisier en fleurs ou une glycine en grappes, son attention fut accaparée par des signaux d’alarme. Le premier disait : « Un bûcheron approche qui compte lever sa hache contre le tronc qui abrite notre ruche. » Plusieurs soldates étaient déjà parties à l’attaque. La jeune abeille les suivit, persuadée que la menace trop grave nécessitait séance tenante de cesser toute autre activité. Hélas ! Elle remarqua vite que peu l’avaient rejointe pour mettre l’homme en déroute. Scandalisée, elle revint en arrière, prête à chercher du renfort, quand elle perçut un deuxième message d’alerte qui annonçait : « Un ours arrive, attiré par l’odeur de notre miel dont il espère se goinfrer. » En effet, l’imposant animal fut prompt à surgir et ses grognements mirent le bûcheron en fuite. Il menaça rapidement d’escalader l’arbre jusqu’aux rayons sucrés, à peine dérangé par les piqûres de leurs gardiennes. La jeune abeille se joignit à elles, vite découragée par la taille de la bête. Elles n’étaient pas assez nombreuses pour espérer l’arrêter. Que faire ? Peut-être s’enfuir et mettre à l’abri leurs précieuses réserves. Comment personne n’y avait-il pensé ? Quels étaient les gestes nécessaires pour transmettre la consigne ? C’est alors qu’elle saisit le troisième signal d’alarme : « La foudre vient de s’abattre tout près et a déclenché un début d’incendie. » Ni une ni deux, la jeune abeille fonça à la rivière chercher une goutte d’eau. À ses camarades qui revenaient chargées de nectar et de pollen, elle aurait voulu crier : « Laissez tout tomber ! Venez m’aider ! Allez chercher de quoi éteindre le feu, sans quoi fleurs et ruche partiront bientôt en fumée ! » Hélas, personne n’écoute une jeune abeille qui crie et gesticule. Elle peina seule à porter sa maigre contribution qui s’évapora sans régler le problème. Si elle en avait été capable, elle en aurait pleuré. Les flammes s’élevèrent vers le ciel chassant l’ours qui tenait peu à voir sa peau roussir. C’est alors que ruissela le long de ses yeux la première goutte de pluie. L’orage avait éclaté en une averse violente et étouffait les flammes. La jeune abeille, les ailes lourdes et mouillées, rentra à la ruche où ses sœurs s’étonnèrent : « Ma pauvre, te voilà exténuée ! Et tu n’as rien trouvé à manger ! » Elles la réconfortèrent en partageant leur nectar. La jeune abeille voulut alors savoir : « N’avez-vous donc pas vu le bûcheron, puis l’ours et le feu dans la forêt ? Toute la journée, nous étions en danger ! »

« En danger, dis-tu ? Mais si ce soir, nous sommes en sécurité, c’est que nous pouvons avoir confiance en nos sœurs. Elles ont bien travaillé. Demain, elles auront encore besoin de nous pour trouver à manger à leur retour. Cette fois, viendras-tu avec nous ? »

Jeanne marqua une pause.

— Et la suite ? s’impatienta Aube.

— Oh, ma princesse ! Les histoires me font toujours cet effet, elles m’endorment. Tu veux bien être gentille et continuer la lecture afin que je puisse me reposer un peu ?

— Mais je ne sais pas...

« Essaie » l’encouragea-t-elle en silence. « Tu reconnais déjà des mots. Lis-les les uns à la suite des autres et ils formeront des phrases. »

Aube prit alors le livre devant elle et se pencha pour mieux se plonger dans l’histoire.

— « Demain », commença-t-elle en hésitant. « Demain... dit la... jeune abeille... je... saurais... »

— « Je saurai », corrigea Jeanne.

— « Où et... »

— « Où est... »

— « Demain, je saurai où est... ma place ! Je... serais, non, je serai ! Je serai... soldate ! » déclama-t-elle fièrement en tournant la page. Mais ? C’est fini ! Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ah ! répondit la grand-mère. Lire est une chose, donner du sens à une histoire en est une autre. C’est un livre bien précieux que ton papa t’a offert. Il t’a transmis un trésor ancien. Les premiers hommes qui ont raconté ces légendes ne savaient pas écrire. Dans notre monde, on écoute si peu. C’est une chance d’avoir pu les conserver.

— Mais ça n’explique pas la fin de l’histoire.

Jeanne s’appuya affectueusement contre elle.

— Et toi, Aube ? Que feras-tu demain ?

— Demain ? Je sortirai sauver la colline !

— Tu vois, dit-elle en souriant. Tu as déjà compris le plus important de l’histoire.

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Baladine
Posté le 26/01/2023
Bonjour Michael,

Oh j'adore Mistigri qui pense surtout croquettes et sieste !

Nous voilà à la deuxième histoire dans l'histoire, et c'est un plaisir, ces petits contes enchâssés. Pour la mise en page, je l'aurais aimé séparé du reste par des marges plus grandes à droite et à gauche, les dialogues remis à la ligne, les alinéas, les paragraphes, pour faciliter la lecture, mais tu fais comme tu l'entends.

Cette histoire m'a fait penser au conte du colibri, au moment de l'incendie.

Je salue l'espièglerie de Jeanne qui s'arrête juste avant la fin pour donner envie à Aube de continuer la lecture par elle-même.

[Rare exemplaire de coquillette de la part de Michael Lambert, suivez-moi, je vous prie....]
-Soyez déjà bien content que je vous laisse coller ces affiches dans le quartier, insista sa mère => contents

En tout cas, c'est toujours un plaisir de te lire !
A bientôt,
MichaelLambert
Posté le 26/01/2023
Bonjour Claire !

Merci pour ton commentaire et les suggestions de mise en page du conte dans le conte (j'y avais même pas réfléchi ;-)) !

Et merci pour la coquillette ! (A trop tirer sur la coquillette, la bobinette cherra !!!)

A bientôt et vive l'espièglerie !
Elly Rose
Posté le 23/11/2022
Bonsoir Michael,
L'histoire dans l'histoire qui sert de moral, de soutien pour Aube et tous les lecteurs potentiels, je trouve ça fantastique!
J'ai beaucoup aimé la façon dont ça a été emmené, la réaction de la fillette déçue de ne pas avoir de véritable fin mais qui parvient à en trouver une avec les bons conseils!
Encore un excellent chapitre et je dois admettre que je ne m'en lasse pas.
MichaelLambert
Posté le 24/11/2022
Bonjour Elly Rose !
Retrouver chaque matin ton commentaire du jour, c'est un magnifique soutien pour garder mon rythme d'un chapitre relu, corrigé et publié par jour ! La suite arrive ! Mille mercis à toi !
Elly Rose
Posté le 24/11/2022
Dès le premier chapitre j'ai vraiment accroché à cette histoire, aux personnages qui sont tous plus intéressants les uns que les autres et c'est devenu, comme un petit rituel le soir, lire le dernier chapitre avant de me mettre à écrire.
Belle journée et bonne écriture à toi!
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