Chapitre 26 : Ceux qui trouvent les réponses et ceux qui cherchent les questions

Cinq personnes se faisaient face autour de la table recouverte d'un drap blanc cassé, déteint par la poussière et le temps. Gina fixait le ciel lumineux qui illuminait la pièce d'un éclat doré surnaturel, tandis que Jeanne avait posé ses mains sur ses genoux, la yeux rivés sur le tissu blanc. Guillaume d'Arsénis observait alternativement chaque membre des Restaurateurs. Ses sourcils fins et noirs se fronçaient presque imperceptiblement lorsque son regard bleu se posait sur le Penseur Perrault, qui caressait un gros scarabée noir du bout de son index, un sourire rêveur accroché aux lèvres. Seule Madame Ren se tenait en retrait, immobile, appuyée contre le mur de pierre, engloutie dans l'ombre de l'alcôve.

Le sujet du jour brûlait toutes les lèvres, mais nul n'osait encore s'y aventurer. Jusqu'à ce que Guillaume prenne la parole, repoussant tous les doutes.

— Ren, commença-t-il d'une voix raide, je crois qu'il est temps de lever quelque peu les mystères. Nous vous écoutons.

La grande femme se détacha lentement de l'ombre et se dirigea vers le groupe. Elle ne marchait pas, mais elle semblait flotter sur le sol comme un serpent. Ses yeux noirs se rétrécirent en deux fentes félines lorsqu'ils croisèrent le regard azur de Guillaume. Ses lèvres s'ouvrirent dans un sourire blanc, béant.

— Est-il vraiment nécessaire de citer l'évidence, Monsieur le Premier Ministre ? susurra-t-elle, mielleuse. Vous l'avez tous compris.

— Mais nous aimerions l'entendre de votre bouche, intervint Jeanne, imperturbable.

Ren pencha la tête de côté d'un air curieux. Pendant quelques secondes, elle ressembla à une vieille poussée cassée.

— En effet, mes nombreux voyages avaient pour destination le Nihil. J'ai gardé quelques contacts avec le gouvernement de l'Impératrice Noire. Il me semblait que ces liens pourraient un jour être utiles à Indeya si le Nihil exprimait le souhait d'entrer en contact avec le Continent. Je crois que je ne me suis pas trompée.

Gina glissa un regard acéré vers Ren.

— Vous saviez que le Nihil avait prévu de débarquer à Irradya, cracha-t-elle.

Ren ferma les yeux un court instant.

— Non. Cela, je l'ignorais.

— Bien sûr, ironisa l'Ange des Sourires dans un rire dédaigneux. On va vous croire. Alors que vous passez votre temps à nous mentir. Et à disparaître sans raison.

— Parce que vous nous dites toute la vérité, Mademoiselle Gina ? rétorqua la Ministre. Même concernant vos… pensées sur la reine d'Indeya ?

Son sourire s'élargit encore, se faisant sinistre. Gina se leva d'un bond, sa chaise gémissant contre le parquet. Quand elle ouvrit la bouche, sa voix était remplie de poison, prêt à embraser quiconque se trouverait sur son chemin.

— Quoi ?

Elle apparut prête à sauter par-dessus la table, avant que la main apaisante de Jeanne ne l'en empêche.

— Gin', reste calme, s'il te plaît.

L'Ange des Sourires se rassit dans un grognement à peine contenu, avant de détourner à nouveau la tête vers le paysage.

— Madame Ren, l'interpella Guillaume, étrangement patient, l'heure n'est pas aux interrogations sur la reine Jade. Nous venons de recevoir la visite imprévue de l'Impératrice du Nihil, et vous nous avouez que vous avez été en correspondance avec elle pendant tous ces mois. Avouez que la coïncidence est pour le moins dérangeante. Aussi, je n'aurai qu'une question à vous poser.

Guillaume soutint le regard de ténèbres de Ren sans ciller.

— Êtes-vous à l'origine de la venue de l'Impératrice en Indeya ?

La Ministre des Affaires Clandestines demeura parfaitement figée, son sourire de fauve intact, lorsqu'elle répondit d'une voix venue d'outre-tombe.

— Non.

Guillaume poussa un long soupir avant de baisser la tête, comme vaincu.

— Bien. Nous choisissons de vous croire pour l'instant. Mais à l'avenir, si vous détenez la moindre information, même la plus insignifiante, vous avez le devoir de nous la transmettre. Nous avons formé ce groupe afin de faire front ensemble. Aucun de nous ne peut se permettre de faire cavalier seul.

— Eh oui ! Surtout pas après l'arrivée de tous ces souverains étrangers, ajouta Perrault de sa voix aiguë et enfantine.

Le Premier ministre se tourna lentement vers le Penseur, lui offrant un regard excédé qu'il peinait à dissimuler derrière son ton plat.

— En effet. Nous devons redoubler de vigilance. Les dangers sont multiples, et la barrière de la langue risque de rendre la communication difficile, malgré nos interprètes.

— Je croyais que vous compreniez la langue du Nihil, grommela Gina entre ses dents, les yeux toujours rivés sur le ciel doré.

— Je possède quelques connaissances qui me permettent de comprendre les bases du nihiis. Cependant, ce ne sera pas assez pour traduire des conversations aussi complexes que celles qui peuvent avoir lieu autour de la Table des Sept.

— Madame Ren peut traduire, fit remarquer Perrault d'un ton enthousiaste.

Guillaume suivit le regard de Perrault jusqu'à la femme vêtue de bleu foncé. Comme à regret, il hocha la tête avec lenteur.

— En effet, c'est la solution qui me parait la plus viable. Le problème étant que nul ne peut assister à la Table des Sept, exceptés les Parlants et les Attendants. Mais dans ce genres de circonstances, j'imagine que nous n'avons pas le choix…

Le Premier Ministre baissa le regard vers ses mains jointes sur le drap blanc, avant de reprendre d'un ton ferme qui ne laissait pas place à la contradiction. Ses yeux bleus s'ancrèrent sur Ren qui apparaissait toujours aussi indifférente.

— Nous allons devoir vérifier si par exception, une personne extérieure à la Table peut y assister notamment pour traduire son contenu. C'est la toute première fois que des nations étrangères au Continent participent à une telle réunion, alors je crains qu'il n'y ait pas de précédent. Nous devrons peut-être créer cette règle nous-même.

— Pourtant, à une époque, le peuple Vagrek des Royaumes des Andes, de Crystallide et de Percée cohabitait avec le peuple Silve des Ospales, d'Elesther et d'Indeya. Les langues étaient très différentes, il me semble, intervint Jeanne d'un air curieux. La Table des Sept a bien dû traiter cette difficulté.

— Non, la Table a été créée bien après l'abandon du vagrek et du silve anciens, objecta le Premier Ministre. Les deux langues ont toujours été assez proches et ont rapidement fusionné pour créer la langue commune. Tout ce qu'il reste des langues anciennes aujourd'hui sont des expressions locales et des accents.

L'Intendante du Palais ne parut nullement surprise de cette nouvelle, son regard était perdu loin dans le vague, elle paraissait presque ne pas avoir entendu l'explication de Guillaume d'Arsénis.

— Bien, reprit Guillaume, ses prunelles décidées accrochant les yeux insondables de la Ministre des Affaires Clandestines. Madame Ren, vous vous rendrez à la Table des Sept cet après-midi et proposerez vos services en tant qu'interprète. Si tous les souverains acceptent votre présence, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de procéder à un vote pour modifier les règles.

Les lèvres noires de Ren s'ouvrirent telle une plaie saillante, avant qu'elle ne s'incline dans une révérence exagérée.

— À vos ordres, Monsieur le Premier Ministre.

Ce dernier ignora le ton sardonique de Ren et préféra se tourner vers Jeanne, l'air grave.

— Intendante du Palais, vous êtes en charge de veiller sur le prisonnier des Ospales et son rétablissement. Qu'en est-il ?

Le regard noisette de Jeanne retrouva soudain sa force et sa concentration.

— Il n'est plus prisonnier, rétorqua-t-elle, en fronçant légèrement les sourcils. Quant à son rétablissement, je ne dirais pas qu'il est prompt, mais il est certain et déjà bien avancé. Néanmoins, il ne peut pas encore quitter son lit, et encore moins sa chambre.

— De toute façon, ce serait pas un bon plan, avec la reine Diane qui rôde, rappela Gina d'un ton morne.

— En effet, acquiesça Guillaume. Il faut à tout prix éviter que la reine des Ospales ne découvre l'emplacement de la chambre de ce jeune homme. Seule Hermine sait ce qu'elle pourrait lui faire subir.

— Elle le ferait tuer probablement, affirma Jeanne d'un ton anormalement austère. Mais nous nous sommes assurés que sa chambre était bien gardée. Seules Mademoiselle Gina, Madame Ren et moi-même sommes au fait de la localisation de sa chambre.

— Voilà, confirma Gina d'une voix sèche. Et comme je dors mal la nuit, je peux vous assurer que personne ne rôde dans le couloir à côté de la chambre d'Uriah.

— Oh, des troubles de sommeil, Mademoiselle Gina ? minauda Ren. Comment se fait-ce donc ?

La tête de l'Ange des Sourires virevolta en direction de la haute silhouette sombre.

— Ren, c'est…

— Madame Ren.

Un grondement sourd s'échappa de la gorge de Gina.

— Madame Ren, mon sommeil ne vous regarde pas.

— Mesdames, je vous prie, intervint Guillaume, sa voix quelque peu tendue, avant de reporter son attention sur l'Intendante du Palais. Jeanne, savez-vous ce qu'il en est des pouvoirs particuliers d'Uriah ? Parvient-il mieux à les contrôler ?

Les lèvres de Jeanne demeurèrent scellée, et à sa place, ce fut la voix suave de Ren qui retentit dans la grande pièce vide.

— C'est moi qui suis chargée de lui apprendre à contrôler ses pouvoirs d'Abyme. Je dois avouer que l'apprentissage n'est pas aisée avec une personne aussi faible.

Les yeux de Jeanne s'ouvrirent en grand.

— Uriah n'est pas faible, il est…

— Je suis profondément navrée de vous décevoir, Intendante du Palais, l'interrompit Ren de sa voix caressante. Mais à l'heure où nous en parlons, Uriah est très faible. Sa perception de l'environnement est encore altérée, il souffre de nombreuses hallucinations, ses sens sont déréglés. Il demeure persuadé que tout ce qui se produit depuis son arrivée au palais est l'œuvre d'une machination cruelle de la reine Diane.

Jeanne inclina la tête alors que ses yeux se recouvraient d'un voile brillant.

— À chaque fois que je vais le voir, dit-elle dans un murmure, je dois lui prendre la main pour qu'il réalise que je ne suis pas elle.

— Cela ne m'étonne guère, renchérit Ren, lugubre. Pendant toute la durée de mes visites, il m'est impossible de lui faire comprendre que ma présence est faite pour l'aider à gérer sa nouvelle nature. Il est persuadé que je suis une sous-fifre de la reine Diane envoyée pour le tourmenter.

— Faut dire que vous êtes pas non plus la personne la plus agréable, glissa Gina, acerbe.

— Gina, intima Guillaume, tandis que ses yeux étaient traversés d'un éclair fugace. Encore une fois, ce n'est pas le moment de se dresser les uns contre les autres. Pas maintenant, alors que les risques peuvent provenir de toute part. Nous devons tous faire front aux côtés du roi Christian.

L'Ange des Sourires ronchonna une réplique dédaigneuse qui resta inaudible de tous alors qu'elle grattait machinalement son coude. Guillaume parut satisfait de la trêve fragile car il reprit la parole d'un ton plus apaisé.

— Bien. Ren, continuez donc d'instruire Uriah afin qu'il ne se laisse pas dépasser par ses nouvelles capacités. Le roi a été fort prévoyant de vous assigner cette tâche. Vous nous ferez un compte rendu chaque semaine de vos avancées.

Le rictus de Ren étincela de cynisme lorsqu'elle se prosternera devant le Premier Ministre d'un air parodique, ses longs cheveux d'ébène encadrant son visage laiteux.

— À vos ordres, Monsieur le Premier Ministre. En revanche, je suis dans le regret de vous avouer que ce n'est pas le roi Christian qui m'a chargée d'instruire Uriah.

Les épaules de Guillaume se contractèrent, tandis que ses sourcils fins se tordaient sur son front.

— Alors qui vous l'a ordonné ?

— La reine Jade.

La révélation tomba comme un couperet. Le Premier Ministre eut comme un mouvement de recul sur son siège, ses yeux azur s'écarquillèrent un court instant avant qu'il ne se reprenne, mais ses lèvres demeurèrent serrées.

— Je vois, lâcha-t-il d'un ton vide.

— Vous pensez que ce n'était pas une bonne idée, peut-être ? ronronna Ren, ses yeux noirs pétillant de satisfaction.

Le Premier Ministre contracta la mâchoire, et le coin de sa bouche se coinça dans une grimace.

— Non, la reine… a eu raison.

Le sourire béat de Perrault reflétait l'exact opposé du rictus macabre de Ren. Gina avait pivoté la tête vers Guillaume si rapidement qu'un bruyant craquement avait déchiré sa nuque. Seule Jeanne observait le premier ministre en silence, sans une once de surprise ou de choc sur son visage pâle.

Puis, le bras droit du roi se redressa, évitant avec soin le regard sans fond de Ren, ainsi que les yeux brillants de Perrault. Il s'apprêtait à prendre la parole, quand le Penseur le devança.

— Et la Magicienne ?

Guillaume s'interrompit net dans son geste, une main en l'air au-dessus du dossier de la chaise poussiéreuse.

— La Magicienne Sans Cœur, vous voulez dire ? Quel est donc le problème ?

— Ah, je ne sais pas ! s'exclama Perrault, l'air hagard, son regard de rongeur allant de Gina vers Guillaume. Sa présence n'est pas un problème ?

L'Ange des Sourires était figée, tous ses muscles tendus à l'extrême, le dos prostré en avant, son visage dissimulé derrière sa tignasse sauvage. Elle semblait prisonnière d'une scène de guerre meurtrière qui prenait place uniquement dans son esprit.

Guillaume haussa les épaules d'un air indifférent, glissant une main dans sa longue queue de cheval noire d'un geste machinal.

— Tant qu'elle n'approche pas le roi, elle n'est pas une menace. De plus, elle semble plutôt fidèle à la reine Juliette. Alors…

— Pff.

Tous les regards convergèrent vers la forme recroquevillée de Gina, qui se tenait toujours courbée sur la table. Sa voix éraillée à l'accent guttural retentit durement dans le silence de l'assemblée.

— Vous êtes tellement naïfs. Vous croyez que Diane est dangereuse ? Vous considérez la reine Jade comme une menace pour le roi ? Mais c'est de la pacotille face à Saphira.

— Saphira ? répéta Guillaume, méfiant. Comment connaissez-vous son nom ?

Gina renifla d'un air méprisant.

— La reine Katherine le connaissait aussi. Peu importe. Elle a plus de pouvoirs que tous les souverains, toutes les sorcières et magiciennes réunies. C'est elle qui a provoqué la chute du royaume de Percée.

— Le chaos qui règne en Percée n'est-il pas dû au décès de son précédent roi ? s'enquit Jeanne, étonnée.

— La légende dit que c'est elle qui a provoqué la mort du roi Richard.

— Ah, oui, c'est le Dévoué Valmec qui a écrit ça, il me semble… commenta Perrault sans détacher son regard du gros scarabée qui courrait le long de son bras.

— Vous lisez les écrits des Dévoués maintenant, Mademoiselle Gina ? demanda Ren d'un ton dégoulinant de sarcasme. Je ne vous croyais pas si érudite.

Le Premier Ministre ouvrit la bouche comme pour la sermonner mais il sembla se raviser, et répondit d'un ton écartelé entre l'impatience et le flegme.

— Perrault a raison, c'est bien le Dévoué Valmec qui a écrit sur la Magicienne Sans Cœur, et vous feriez mieux de ne pas accorder trop de crédit à ses dires. Il est de notoriété publique que Valmec déteste tout ce qui a trait à la magie. Comme de nombreux Dévoués, d'ailleurs. C'est d'ailleurs là l'un des principaux points de friction qui oppose Penseurs et Dévoués. Vous nous confirmez cela, Perrault ?

Le Penseur hocha la tête frénétiquement alors qu'il posait le bout de son doigt sur son nez. Les yeux de Perrault convergèrent vers la tache noire du scarabée qui venait de se percher sur son nez.

— Oui, oui. La magie, ça implique de reconnaitre qu'il existe une force aussi puissante que les dieux sur terre. Un force inexplicable, incontrôlable, surtout. Et ça, ça plait pas aux Dévoués. Valmec s'est beaucoup disputé avec Cujas pour ça. Ça fait partie des nombreuses raisons qui ont mis fin à leur amitié.

— Cujas ? grinça Gina, relevant subitement la tête. C'est qui, Cujas ?

— Mon maître au Cloître des Penseurs. Et l'ancien ami de Valmec. Maintenant, ils sont plutôt ennemis. Enfin, je crois ? Ah ! s'écria-t-il soudain comme s'il venait d'être percuté par la foudre. Et c'était aussi le précepteur de la reine Jade ! Maintenant, il est conseiller du roi Léon, enfin je crois…

Gina passa une main lasse sur son visage.

— Évidemment, grommela-t-elle.

— Pourquoi cette opposition sur la magie, selon vous ? le questionna Guillaume, bras croisés sur sa poitrine.

Perrault stoppa son mouvement, sa main logée derrière son oreille, là où l'insecte avait disparu. Il posa un regard scintillant sur le premier ministre, et son sourire devint stellaire.

— Je crois que c'est parce que les Dévoués donnent des réponses. Nous, les Penseurs, on cherche juste des questions. Et c'est déjà beaucoup.

À défaut d'émettre une opinion, Guillaume hocha la tête en silence avant de se tourner vers Gina.

— Bien. Vous voyez, Gina, je ne pense pas que les paroles d'un Dévoué puissent être prises pour argent comptant. La Magicienne n'est sans doute pas aussi dangereuse que ces religieux la présentent.

Dans un geste violent, assourdissant, l'Ange des Sourires se propulsa sur ses pieds, envoyant valser sa chaise qui s'écrasa au sol dans un bruit déchirant. D'un pas acharné, elle quitta la table et se planta devant la porte close. Une main tremblante sur la poignée de bois, elle pencha la tête de côté et cracha par-dessus son épaule.

— Vous faites ce que vous voulez. Mais ne venez pas vous plaindre si le Palais des Lumières plonge dans l'obscurité. Je vous aurais prévenus.

Tout aussi brusquement, elle ouvrit la porte et la claqua derrière elle. Jeanne échangea un regard contrarié avec le premier ministre. Ren souriait toujours à pleines dents, tandis que Perrault semblait d'ores et déjà avoir oublié la conversation qui venait de se dérouler car il avait recommencé à promener son scarabée sur son épaule.

— Bien, conclut Guillaume d'un ton glacial. Je crois que nous pouvons clore cette réunion. Ren, n'oubliez pas de nous tenir informés. Jeanne, naturellement, si quoi que ce soit se produit dans le château…

L'Intendante du Palais se leva tout en s'inclinant docilement vers le premier ministre.

— Vous en serez le premier informé, naturellement.

— Bien, Ren ?

L'immense femme leur tourna le dos avant de se diriger vers l'alcôve où elle était auparavant dissimulée. Elle posa une main immense sur le mur de pierre.

— Vous pouvez me faire confiance, Monsieur le Premier Ministre, susurra-t-elle. Je m'acquitterai de ma tâche selon vos désirs.

Autour de sa main, une épaisse fumée noire, plus sombre que le Néant, se répandit et s'étala sur le mur jusqu'à ce que l'alcôve ne devienne plus qu'un puits de ténèbres. La voix profonde de Ren résonna à l'infini dans la pièce, qui était désormais plongée dans une obscurité irréelle.

— Mais je vous prierai de ne pas mentionner l'existence d'Uriah devant les souverains étrangers.

La fumée s'enroula lentement autour de la silhouette longiligne, comme la douce étreinte d'une tornade qui vit pour détruire. Et ses mots, silencieux, inexistants, semblèrent prendre corps seulement dans l'esprit de ses derniers témoins.

— L'Impératrice Noire réserve un sort tout particulier à ceux qui osent défier la Mort.

Madame Ren décrivit un pas avant, et elle se volatilisa. Peu à peu, la lumière revint et la fumée se dissipa, comme pour contredire tous ceux qui jureraient l'avoir un jour aperçue.

Perrault, Jeanne et Guillaume restèrent longtemps immobiles à fixer le recoin où s'était tenue la ministre quelques minutes auparavant. Puis, ils se détournèrent de cette vision, et sortirent d'un même mouvement de la salle secrète qui accueillait chaque semaine la réunion des Restaurateurs.