Chapitre 26 - Blaine

Depuis la fête du Nouvel An, j'avais de nouveau discuté avec Kate et d'une manière bien différente. Désormais, je la comprenais mieux et nos douleurs nous avaient réunis. En quelques messages, nous avions appris à nous connaître bien plus qu'en plusieurs années.

Alors, pour une fois, j'avais accepté avec plaisir de me rendre chez elle. Je savais d'ores et maintenant à quoi m'attendre. Il n'y avait plus la moindre ambiguïté entre nous et c'était bien mieux ainsi. Un petit sentiment de gêne allait probablement s'installer pendant quelques instants au début, mais nous allons rapidement surmonter ça.

En arrivant chez elle, elle m'accueillit avec un grand sourire et me proposa de nous installer dans le salon, puisque sa famille n'était pas dans les parages.

— J'ai proposé à Charlie de venir aussi, elle ne devrait pas tarder à arriver.

— Et aucune de vous deux ne m'a prévenu ? m'étonnai-je, assez déstabilisé par cette nouvelle.

— C'était plus marrant que ce soit une surprise. Elle non plus ne saura pas que tu es là.

— Si tu veux devenir fan numéro un de notre couple, tu vas devoir te battre avec ma sœur. Et je peux t'assurer qu'elle griffe quand elle n'est pas contente !

Elle laissa échapper un bref rire puis croisa ses bras.

— Je laisse volontiers cette place à ta sœur. C'est juste que je pense que c'est avec vous deux avec qui je me sens le plus en sécurité... et avec qui je peux être moi-même.

— Je comprends...

J'aurais préféré partager autre chose avec Kate que nos drames familiaux. On arrivait désormais à en tirer du bon, parce que ça nous avait permis de nous rapprocher. Mais on aurait préféré faire sans. Peut-être nous n'aurions pas perdu autant d'années à nous tourner autour de la mauvaise manière.

Son regard se posa alors sur le carnet dans ma main. Depuis quelque temps, je me baladais constamment avec pour crayonner tout ce que je pouvais voir. J'étais encore frustré par mon niveau en dessin, mais j'appréciais de plus en plus cet entraînement constant.

— Tu t'es remis à dessiner ? me demanda-t-elle en arquant un sourcil.

— Un peu... Ça me change un peu d'air en ce moment. Même si je sais que ça plaira pas à mon père... Mais, maintenant, je crois que j'accepterai mieux qu'il m'envoie chier pour ça.

— C'est dommage, tu as un réel talent.

— L'art n'a rien de talentueux pour lui tant qu'on ne peut pas le compter, rétorquai-je d'un ton à la limite du murmure.

Son visage se crispa un instant et elle soupira brièvement par compassion.

— Est-ce que je peux regarder ou c'est personnel ?

Je lui tendis le carnet et elle le prit timidement, en souriant. Elle commença à le feuilleter silencieusement. Parfois, je voyais son sourire s'agrandir à certaines pages.

Je savais exactement ce qu'il y avait. Des dessins datant de quelques années déjà, d'autres plus récents. Il y avait également quelques esquisses de compositions florales pour quand j'en aurais le temps ou l'occasion. Des tas d'idées écrites dans tous les sens. Et puis il y avait quelques portraits, dont le sien.

D'ailleurs, peut-être que je devrais retenter de crayonner les traits de son visage, parce que désormais, je les voyais d'une tout autre manière. J'y voyais enfin quelque chose de sincère et quelque chose qui me donnait envie de lui faire confiance. Maintenant, elle n'avait plus le même air fantomatique qu'elle endossait à chaque fois et je voyais outre le fardeau qu'elle avait porté jusqu'alors.

Puis elle s'arrêta sur le dessin de Charlie que je venais tout juste de finir. Dès que j'avais eu envie d'esquisser ses doux traits, je l'avais imaginé souriante, pleine de joie et riant à gorge déployée. Ensuite, j'avais ajouté quelques éléments de décors pour l'accompagner, des roses en fond et quelques feuilles d'orties. Ce mélange m'était venu naturellement et, aussi étrange qu'il puisse paraître, il m'avait inspiré.

— Ca se voit que tu l'aimes beaucoup, lâcha-t-elle d'une faible voix. Mais je peux totalement le comprendre... Je n'ai pas eu un crush sur elle que parce que je savais qu'elle était bi et qu'on pouvait se comprendre. Je l'ai toujours vue comme quelqu'un d'extrêmement compréhensif, quelqu'un qui mettait en confiance... Parfois, ça me perturbait un peu. C'était peut-être un peu trop pour moi.

Je ne pouvais qu'acquiescer en silence. Et pourtant, j'avais probablement eu bien moins de temps qu'elle pour m'en rendre compte, parce que ce n'était que tardivement que je m'étais rapproché de Charlie, que j'avais commencé à la découvrir.

Elle ferma le carnet avec une longue inspiration. Je me doutais que quelques éléments douloureux de son vécu venaient de se réveiller, alors, je repris mon cahier sans insister davantage sur cette conversation.

Ses yeux s'étaient légèrement humidifiés et un sourire tenta de masquer ses réelles émotions. Ce sourire dont elle abusait régulièrement et que, malheureusement, je ne connaissais que trop bien.

— Kate, n'aie pas honte de ce que tu ressens... T'as pas à faire semblant avec moi. Plus maintenant.

— J'essaie... Mais j'ai pas forcément envie de perdre ces repères, parce que mes parents ne comprendraient pas.

— J'ai le même problème... Et c'est vrai que j'ai pris des risques ainsi.

J'aurais très bien pu agir selon les dires de mon père et renier une grande partie de mon identité et de mes nouvelles convictions. Mais j'avais refusé et j'avais découvert un autre visage de mon père depuis. Alors qu'avant, il était prêt à me mettre sur un piédestal et à m'ériger en fils modèle, j'étais celui qu'il fallait maintenant cacher.

Cette époque révolue me rendit un brin nostalgique. Parfois, j'avais du mal à me rappeler que mon père avait été autre chose que ce monstre que je connaissais actuellement.

Avant, il était un père extrêmement adorable et attentionné. Je me disais chanceux de l'avoir dans ces moments, parce qu'il m'aurait défendu même si j'avais été en tort, même si j'avais tué des dizaines de personnes. J'étais ce fils qu'il préférait, ce fils qui le suivait partout. Cette époque où il était le meilleur des pères me manquait.

Malheureusement, je préférais oublier cette période pour ne pas faillir face à ses sautes d'humeur désormais. Parce que c'était bien plus simple de garder une image entièrement noire de lui plutôt que d'y voir les nuances d'un passé qu'on devait enterrer.

Notre discussion n'était pas terminée, même s'il y avait désormais un lourd silence entre nous. Ce n'était pas un silence gênant, au contraire. C'était un silence assez respectueux pour laisser le temps à chacun d'encaisser et ne pas aller trop vite.

Ce fut l'arrivée de Charlie qui mit définitivement fin à cette conversation. Kate vint lui ouvrir. Comme toujours, elle avait un sourire si doux sur son visage. Ses yeux s'illuminèrent en croisant mon regard. Je percevais déjà qu'elle mourrait d'envie de poser ses lèvres sur les miennes. Et c'était totalement réciproque. Je ne pouvais vraiment pas nier tous les désirs qu'elle réveillait en moi. Jamais je n'avais été aussi attiré par une femme et parfois, c'en était très perturbant.

Kate lui proposa rapidement quelque chose à boire, mais Charlie refusa et son regard se posa aussitôt sur le carnet que je tenais encore dans mes mains. Un timide sourire vint se dessiner sur son visage et j'avais l'impression qu'elle faisait comme si elle ne l'avait pas vu pendant un instant.

Kate demanda quelques nouvelles à ma copine, mais elle fut interrompue par un appel et décida de s'éloigner pour y répondre.

De nouveau, Charlie regarda mon carnet et mordit sa lèvre inférieure.

— J'ai à peine eu le temps de dessiner dernièrement... Si j'avais su, peut-être que j'aurais ramené mon cahier.

— Ce n'est pas grave, prends tout ton temps.

D'une petite voix, elle finit par me demander si elle pouvait le feuilleter. Elle avait déjà vu nombreux de mes carnets, mais celui-ci, il était encore tout nouveau à ses yeux. J'acceptai tout en sachant qu'elle finirait par tomber sur son portrait. Après tout, il était fini et il fallait bien qu'elle tombe dessus un jour.

Elle tourna silencieusement les pages, toujours souriante. Elle appréciait chacun de mes dessins, même si, pour beaucoup d'entre eux, j'étais encore terriblement insatisfait.

Puis elle tomba sur la fameuse page et un rire lui échappa. Ses yeux s'humidifièrent rapidement.

— Tu peux le prendre si tu veux, lui proposai-je.

— C'est magnifique... et adorable. Et c'est ma tenue du Nouvel An ?

— En effet... Je sais plus si je te l'ai dit, mais tu étais super belle ce soir-là.

Elle renifla un instant et lâcha de nouveau un rire à la fois adorable et nerveux.

— Est-ce que je peux t'embrasser ? s'enquit-elle d'une faible voix.

— Tu es encore plus adorable quand tu me le demandes.

Elle se rapprocha de moi pour passer ses bras derrière mon cou et posa délicatement ses lèvres sur les miennes. Mes mains se posèrent sur sa taille pour coller mon corps au sien. Ce fut assez bref et, néanmoins, très intense.

Kate revint à nos côtés, l'air à la fois furieux et perturbé.

— J'ai une assez mauvaise nouvelle qui va nous concerner tous les deux, annonça-t-elle en se tournant vers moi.

Je me tus un instant pour la laisser s'exprimer et aussi parce que je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait m'annoncer.

— Mes parents envisagent l'idée de me trouver un mari qui leur conviendrait. Et ils risquent de s'orienter vers toi et d'en parler à tes parents.

— Pardon ? Mais il en est hors de question !

— Évidemment qu'il en est hors de question ! affirma-t-elle, apeurée.

Charlie faisait des allers-retours avec son regard entre nous deux.

— Quoi ? Vos parents pourraient vous marier de force ? s'étonna-t-elle, complètement horrifiée de découvrir cette réalité.

— Ouais... Mes parents n'ont pas arrêté de considérer Blaine comme un bon parti... Et c'est pour ça que j'ai espéré que ça puisse marcher un jour.

— Et mes parents te considèrent aussi comme un bon parti. Mais pour l'instant, je n'ai rien entendu de mon côté. Peut-être que ça ne restera qu'une idée.

— Et si ce n'est pas le cas ? osa demander Charlie. Vous allez faire quoi ?

— J'en sais rien... Je crois que j'ai pas envie d'y penser tant que rien n'est sûr.

Kate croisa ses bras et prit un instant pour réfléchir.

— Pour le moment, on attend de voir si c'est sérieux ou pas leur délire, décida-t-elle. Puis, ensuite, on avisera si c'est vraiment la merde. Et je dois dire que j'ai pas vraiment d'idées non plus. À moins de fuir.

— Fuir ma famille ne me paraît pas être trop dramatique...

Kate fronça ses sourcils. Elle ne m'avait jamais entendu dénigrer ma famille aussi facilement et en ces termes. Elle avait encore, comme beaucoup de personnes, l'image d'une famille soudée, forte et puissante. Mais ce n'étaient que des apparences...

— Ça fait des mois que je subis les choix de mon père... Et j'ai pas envie de céder à celui-là. Ça nous rendrait tous les deux atrocement malheureux. Quand bien même on entretiendrait un mariage blanc. Ils vont forcément nous forcer à ce que ce soit toujours plus... Ils nous surveilleront pour ne pas qu'on aille chercher ailleurs. Et on se fera démolir quand ma famille apprendra pour Charlie et toi que tu préfères les femmes.

Charlie était extrêmement mal à l'aise entre nous deux. Par pure empathie, elle cherchait désespérément une solution et ça se voyait qu'elle était partie en pleine réflexion, oubliant un instant son environnement.

— Je ne pourrais pas me permettre de refuser ça à mes parents, lâcha Kate, d'une voix à peine audible.

— Et je ne t'en voudrais pas, répliqua aussitôt Blaine.

— J'ai peut-être une solution ! annonça Charlie, reprenant ses esprits.

Tous les regards se tournèrent vers elle. Extrêmement curieux de ce qu'elle pourrait nous sortir.

— Si Blaine et moi, on se marie. Kate, tu seras libre. Tes parents ne pourront pas te forcer à te marier avec quelqu'un qui l'est déjà...

— Mais vous allez vous faire tuer tous les deux ! riposta-t-elle aussitôt.

— Comme déjà dit, ma famille me déteste déjà, affirma Blaine, considérant sérieusement mon option. À la limite, ce qui me dérange, c'est ta famille, Charlie. Tu te feras exclure toi aussi et on n'a pas les moyens de fuir et de se mettre nos deux familles à deux maintenant.

Elle fronça ses sourcils un instant. Sa solution était extrêmement délicate, mais pas improbable.

— Je peux essayer de tâter le terrain tant que rien n'est sûr pour ce mariage forcé... Mais au pire, si ça passe mal, peut-être qu'il vaut mieux qu'on se débarrasse de cette pression le plus rapidement possible.

Elle n'avait pas tort sur ce point. Nous n'étions pas libres. Nous pouvions l'être tout en aidant Kate, ou du moins, repousser son problème jusqu'à bien plus tard. Je craignais que ses parents lui trouvent un nouveau partenaire pour me remplacer, mais je n'avais jamais été une personne quelconque à leurs yeux.

— Ok... Essaie d'avoir le maximum d'informations, lançai-je à Charlie. Mais tant qu'on est sûr de rien... On ne fait rien.

À ce moment, nous avions conclu une certaine forme d'alliance, une alliance qui nous lierait bien plus longtemps qu'on le croirait, que cela implique un mariage ou non...

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