Chapitre 25 - Une note longue et grave

Notes de l’auteur : Bonjour :D Un chapitre un peu particulier aujourd'hui, avec trop de points de vue pour tous les mettre dans le titre, j'ai dû faire autrement. J'hésite même à l'appeler "chapitre" et que ce soit le suivant juste après le second fragment qui soit le chapitre 25... Bref, tout ça pour dire que c'est un bon gros chapitre avec de la matière ! Bonne lecture :D

PS : j’avais prévu d’aborder pour la première fois des soucis de mémoire de Nodia ici, mais en écrivant ce chapitre, je me suis rendu compte que ça aurait été mieux si ça avait été évoqué explicitement plus tôt… donc faites semblant que c’est le cas x) Ou non ! Si c’est plus intéressant tel quel, hésitez pas à me le dire aussi ^^ (les aléas du premier jet, hein)

NODIA

Le costume était trop court, et l’enchantement trop étroit.

Lorsqu’elle s’était regardée, dans le reflet du mur vitré de la réserve, c’était son visage qu’elle avait vu, couvert d’un chapeau jaune à large bord particulièrement hideux. Le short rouge, le débardeur à rayures roses, et la cape en dentelle que Jin lui avait fait mettre n’étaient pas plus regardables, mais avaient au moins l’avantage d’être plus légers que l’armure de Lo. Parce qu’ils avaient été tissés spécialement pour des sortilèges d’illusion typiques du théâtre maegis, c’était aussi le médium idéal pour masquer la peau de Nodia sous une couche d’enchantements qui la protégerait de la lumière, et lui donnerait l’air d’une maegis plutôt que d’une valeni.

L’habit et le sortilège n’étaient pas les seules choses qui la comprimaient, cependant. Lorsqu’elle avait revêtu le costume, un flot de souvenirs étaient revenus. Des vieux souvenirs, de son enfance avant qu’elle ait rejoint l’école des Soldats de la Nuit, lorsqu’elle était encore à Pied-de-Troll et qu’elle n’avait pas encore compris qu’elle était une Valeni et que les autres n’étaient pas faits de la même magie qu’elle. Elle repensa à la naine Maro et à ses soupes et ses caresses, à l’hybride Pacome qui préférait ressembler à un animal qu’aux autres enfants, au gnome Chaussette avec ses blagues absurdes et ses grimaces grotesques qui la faisaient toujours rire.

Son coeur se serra, parce qu’elle ne savait même pas si eux, ils étaient en sécurité. Est-ce que Pacome avait réussi à rejoindre sans encombre son village ? Peut-être que non. Peut-être que son loup, celui qui l’avait toujours réconfortée lorsqu’elle était petite, qui l’avait toujours protégée, était ici, prisonnier lui aussi.

Nodia s’en voulait, parce qu’elle n’avait pensé qu’aux Valeni. Pas à lui - pas à eux. Sa mémoire n’était pas parfaite, et lorsqu’elle était concentrée sur quelque chose, elle savait que le reste du monde pouvait disparaître complètement. Elle le savait, et elle savait aussi que ce n’était pas sa faute. 

Mais quand elle se vit dans le miroir, dans un ridicule costume maegis, elle ne pouvait s’empêcher de croire que si, c’était de sa faute. Elle repensa à toutes les fois où Pacome, Chaussette et elle s’étaient déguisés en pirates avec des tissus hideux pour jouer dans la boue - comment était-il seulement possible qu’elle les ait oublié ? Elle les trouverait, mais plus tard, lorsqu’elle aurait de nouveau le pouvoir de le faire

Nodia détourna son regard de son reflet, au risque de les voir disparaître de nouveau de son esprit, et fit face à Jin et Anastasia.

Le corbeau la fixait d’un regard désapprobateur, mais la laissa prendre les devants dans le couloir. L’Oranimus avait manqué de sonner l’alerte, lorsqu’elle était arrivée quelques minutes à peine après Nodia dans la réserve, mais avait obéit à Jin sans broncher lorsque cette dernière lui avait exposé la situation.

La situation, ce n’était pas que Nodia la tenait en otage. Elles avaient toutes les trois parfaitement conscience que la maegis pouvait sans effort prendre le dessus. 

La situation, c’était que Jin avait décidé de l’aider. 

Nodia ne savait pas vraiment pourquoi. Le remord, sans doute.

Et puisqu’elle pouvait marcher sans douleur et sans se faire remarquer, au milieu des maegis qui la recherchaient encore dans les couloirs lumineux du château, elle ne pouvait pas nier que l’aide de Jin était terriblement efficace. Maintenant qu’elle n’avait plus besoin de maintenir le sortilège improvisé qui retenait son armure végétale et celle de Lo autour d’elle, Nodia se sentait plus légère, moins désespérée. 

Toujours furieuse.

Elle observa Jin, qui ouvrait la marche devant elle, le pas nerveux et ses courts cheveux blanc nuage recouverts du même chapeau hideux que celui de Nodia, pour garder le sortilège actif. Son entretien constant la fatiguait, si Nodia en croyait la tension de ses épaules et le frémissement de ses mains. C’était peut-être autre chose, qui la faisait trembler ainsi, cependant. Elle était en larmes lorsque la valeni l’avait trouvée, après tout. 

Mais Nodia n’avait pas envie d’avoir de la compassion pour elle. Pas pour la maegis qui avait blessé Lo. Pas pour la fille de celle qui contrôlait les combattants maegis, et avait certainement lancé les chasseurs à leurs trousses et ordonné l’attaque contre le Manoir aux Cerises.

Tant mieux, si Jin souffrait. C’était la moindre des choses.

Cette dernière s’arrêta devant une grande porte décorée de feuillages multicolores, et se tourna vers Nodia.

— C’est juste là. Je vais négocier avec les soignants pour qu’ils nous laissent lea voir… ce ne devrait pas être trop difficile.

Jin lui adressa une maigre tentative de sourire, auquel Nodia répondit par l’expression la plus froide qu’elle pouvait conjurer. L’illusion qui la masquait avait dû correctement la retransmettre, car la maegis détourna aussitôt le regard, et ouvrit la porte sans un mot.

L’hôpital était tout aussi lumineux et coloré que le reste, mais bien plus calme et silencieux. Slalomer entre tous les habitants de la Toile n’était pas de tout repos, et Nodia profita quelques instants du maigre répit offert par la zone d’accueil pour reprendre sa respiration, et essayer de détendre ses muscles tendus par la peur et l’étroitesse du sortilège de protection. 

— Lo ? Oh, lea faune qui vient d’arriver… Je… Oui, tu peux lea voir, mais iel n’est pas… enfin, tu sais. 

Le garçon avec une veste à rayures, derrière le comptoir, fit un vague geste de la main, et referma son registre avant de les guider dans l’un des couloirs derrière lui. Il ouvrit une porte peinte en vert, et les laissa entrer toutes les trois dans la petite pièce.

Lo était là. Toujours vide, mais iel était là.

Nodia avança la première vers iel, et Jin referma la porte. Lo était allongé, mais pas endormi. Son regard n’était fixé sur rien, et iel ne réagit pas lorsqu’elle attrapa du bout des doigts une de ses boucles noires pour la chasser de son visage.

— On dirait qu’ils n’ont pas encore commencé les sortilèges de restauration, constata Jin.

Nodia la pointa, et signa une question. Tu sais les faire ?

— En théorie, oui… En pratique, je… je n’ai jamais vu quelqu’un les faire, et je n’avais jamais fait le sortilège d’extraction avant non plus…

Nodia serra la mâchoire, et ses prochains signes furent plus secs. Un ordre. Soigne Lo.

— Ce n’est pas facile, et puis ça prendrait du temps. Et je ne peux pas faire ça et te cacher à la fois… 

Nodia la regarda avec colère et agacement - mais elle savait que Jin ne lui mentait pas. Faire le sortilège de restauration tout de suite, pour fuir avec Lo, ce serait impossible. Et il restait encore la question des autres valeni diminués et des nombreux prisonniers que les maegis avaient pris. Et si Pacome en faisait partie ? Elle s’en voulait de ne pas savoir s’il était en sécurité ou non. Comment Nodia pouvait tous les sauver ? Est-ce que c’était seulement possible ?

— Rin pourrait aider ? supposa Anastasia.

Jin croisa le regard de Nodia, qui haussa les épaules. La maegis acquiesça, alors le corbeau sauta sur ses pieds, et se dirigea vers la sortie.

— Je vais chercher Rin.

Même si Nodia avait peur que ce soit un piège, elle laissa Anastasia partir. Il n’y avait aucune raison de croire que Jin la tromperait maintenant. Et bien que son instinct lui criait de fuir, elle n’avait nulle part où aller sans l’aide de la maegis. Elle doutait franchement qu’Erin se sente aussi coupable que sa soeur et leur prête main-forte…

Nodia fit claquer ses doigts pour attirer l’attention de Jin, et signa une autre question. Les autres Valeni ?

— Ils ont été diminués. Ils sont dans -

La fin de sa phrase disparut, dans une note longue et grave qui fit trembler les murs. La porte de la chambre d’hôpital s’ouvrit toute seule, et Nodia tenta de demander une explication, mais Jin l’ignora - ou ne vit aucun de ses gestes - et se précipita vers le couloir. Elle attrapa à la volée le garçon avec une veste à rayures de l’accueil par le bras, qui la fixa les larmes aux yeux.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-elle.

— Oh, miss Jin ! Le chateau est attaqué, il faut évacuer les patients !

Ils s’écartèrent pour laisser passer un lit volant qui portait une hybride aux ailes cassées, presque aussitôt suivie d’autres brancards avec une paire de gnomes identiques. L’alarme sonnait toujours, et les chambres se vidaient de leurs patients une à une - des patients de toutes les races, maegis compris, mais pas un seul valeni.

— On s’occupe de Lo. Dis-moi quoi faire d’autre.

— Suivez la ligne d’évacuation au sol. Si vous voyez quelqu’un qui a un problème, ne vous arrêtez pas pour l’aider, nous sommes là pour ça et cela ralentirait tout le monde. En route, miss Jin !

Le garçon s’éloigna au pas de course, et Jin se retourna vers Nodia, lèvres pincées et regard déterminé.

— C’est l’occasion ou jamais de partir sans que personne ne nous remarque. Tu es prête ?

Nodia fit demi-tour pour saisir le lit flottant de Lo, et le détacha du mur. Elle regarda une dernière fois lea faune, toujours éteint, puis fixa ses yeux dans les iris sans pupilles de la maegis. 

— Alors allons-y, conclut Jin.
 

***

ERIN

— Par le Grand Maître Mage !

— Moins fort, Barty.

Erin referma l’archive qu’elle avait parcouruz d’un coup d’oeil, et la copia dans une pierre de mémoire avant de la remettre à sa place. Ils ne devaient pas se faire repérer - fille de Fenara ou non, elle n’avait rien à faire ici. Et c’était précisément pour cela qu’elle s’y trouvait.

Toutes les réponses étaient là, pour qui savait chercher.

Bien sûr, si elle n’avait pas su qu’il y avait quelque chose à trouver, elle n’aurait rien vu. Et elle n’avait pas encore eu le temps de tout lire, de tout éplucher, de tout décortiquer dans les moindres détails. Elle copiait ce qu’elle pouvait, et s’y pencherait plus tard. Elle devrait tout étudier, pour déterminer depuis quand exactement le maître des temps était mort, et grâce à quelles stratégies sa mère et l’autre personne qu’ils avaient entendue l’avaient fait disparaître sans que personne ne s’en rende compte. Parmi tous les Nahara, Naveri et Nidré qui étaient apparus dans les prédictions, et qui avaient croisés la route de sa mère, il y avait un nom qui revenait souvent, celui d’une valeni morte depuis presque quatorze ans, une guerrière exceptionnelle dont la gloire avait été brusquement tue après sa mort, au lieu d’être célébrée. Il y avait aussi le nom de la Dame, et de son premier fils - le seul Nahara qui n’avait pas encore été tué par les ordres récents de sa mère. 

Le seul qui n’avait pas sa place parmi les valenis, si elle croyait tout ce qu’elle avait sous les yeux.

Erin comptait bien comprendre tout dans les moindres détails, et lorsqu’elle serait prête…

Elle s’arrêta en plein geste, la main sur une nouvelle archive.

Une note, longue et grave, brisa le silence des archives, et elle échangea un regard surpris avec Barty.

Erin aimait les surprises - mais elle en avait déjà eu beaucoup en une seule journée, et celle-ci était particulièrement mauvaise.

— Prends tout ce que tu peux. Si cette alarme est ce que je pense, et que les archives sont détruites ou perdues, nous n’aurons plus aucunes preuves.

Barty obéit sans broncher, et il jeta toutes les archives qui lui tombaient sous le bec dans sa sacoche. Erin faisait de même d’une main, et en copiait dans sa pierre de l’autre, jusqu’à ce que la lumière ne diminue brusquement, et qu’elle entende un crissement sourd assez fort pour couvrir l’alarme.

— Merde. Ils barricadent les verrières. 

Erin jeta encore quelques documents dans la sacoche de Barty, puis courut à pas léger jusqu’au bout du rayonnage. Elle attendit un moment d’inattention des autres maegis présents, occupés à descendre les barricades, pour détourner leur regard le plus possible de la porte avec un sortilège qui fit s’effondrer une des bibliothèques, et courut vers la sortie sans se faire remarquer.

Dans le couloir, ils tombèrent presque nez à nez avec Anastasia, toute seule et en panique, qui sautilla nerveusement lorsqu’elle les vit enfin.

— Rin ! Jiny a besoin d’aide !

— Jin ? Où ça ? 

— Elle était à l’hôpital quand ça a sonné… 

L’hôpital. Erin n’attendit pas davantage, et courut dans sa direction. 

Qu’est-ce que sa soeur faisait là-bas ? Est-ce qu’elle allait plus mal qu’elle n’en avait eu l’air, tout à l’heure ?

Si quelque chose arrivait à sa soeur alors qu’ils étaient attaqués… Elle aurait dû rester à ses côtés, ne pas la laisser seule.

Le château bouillonnait de panique, les couloirs obscurcis par les barricades et désormais seulement éclairés par des sortilèges de maintenance. Pour l’instant, le flot des habitants qui évacuaient coulait dans la même direction qu’eux, alors ils n’eurent qu’à se glisser dans la foule et dépasser personne après personne pour avancer plus vite. Mais lorsqu’ils arrivèrent au hall sud, juste avant de devoir se séparer du groupe pour continuer vers l’est, Barty et Sia s’arrêtèrent brusquement, yeux écarquillés et plumes hérissées. 

— Il faut avancer ! Qu’est-ce que vous faites ?

Elle les observa, perplexe. Les deux oiseaux clignèrent des yeux, avant de répondre d’une même voix frêle, à peine audible dans le vacarme de l’alarme.

— Elle est de retour. 

 

***

DEL

Del n’avait jamais rien eu contre le orange, avant. Mais voir le monde constamment teinté par une unique couleur n’aidait pas à s’en faire une bonne opinion.

Surtout avec comme fond sonore une alarme qui lui déchirait les tympans, sa note longue et grave entrecoupée des coups de canons et des déflagrations de sortilèges offensifs.

Il ne savait pas encore comment il tenait debout, à force de maintenir ses propres enchantements pour les défendre - et lorsque Sehar s’élança dans le vide, il crut pendant un instant, bien trop long, qu’il aurait eu une raison tout à fait légitime de s’effondrer sur le sol et de laisser les douleurs prendre le dessus. La respiration coupée et les muscles si tendus que son bouclier se resserra autour de lui, il regarda la silhouette du lézard fendre les airs...

Et se rétamer sans aucune grâce sur le quai. Del poussa un cri de joie et de soulagement - Sehar n’était pas tombé dans le vide ! L’hybride se redressa aussitôt, et tendit les bras pour récupérer la corde d’ancrage que Suzette lui lança. Il tira le bateau jusqu’à lui, et dès qu’il fut assez près, Suzette sauta pour l’aider à attacher le bateau à un poteau d’amarrage. Del enjamba le rebord et s’accrocha aussitôt au bras de Sehar pour ne pas tomber. A présent qu’il avait relâché son bouclier, toute la fatigue repoussée le frappait en vague.

Mais il devait tenir. Pour Lo. Pour Nodia aussi, mais surtout pour Lo.

— Comment on les retrouve ? demanda-t-il

— Ah ! J’ai des contacts à l’intérieur. Ils sauront.

Elle siffla, si bas qu’il l’entendit à peine, mais Del frissonna lorsqu’il sentit le sortilège glisser à côté de lui jusqu’à l’intérieur du château volant.

— Par là !

Suzette ouvrit une porte moins ornée que les autres, et ils s’engouffrèrent dans un couloir étroit, sombre, et étrangement silencieux. Après quelques pas maladroits, Sehar hissa Del sur son dos pour aller plus vite, et le maegis s’accrocha sans protester. Il n’était plus en état de faire aucun sortilège pour améliorer son endurance ou sa vitesse. Pas longtemps, en tout cas… s’il pouvait garder le peu de forces qu’il avait pour le pire, ce ne serait probablement pas une mauvaise idée.

Mais quoique le pire pouvait être, dans cette situation catastrophique, il semblerait que cela n’arriverait pas dans ce couloir dérobé. Suzette connaissait l’endroit comme sa poche, et les menait d’embranchement en embranchement sans hésiter une seule seconde, sans qu’ils ne croisent personne. Pour un peu, il aurait pu croire qu’il avait imaginé la bataille qu’ils avaient laissés au-dehors, si ce n’était pour les occasionnels chocs qui faisaient trembler toutes les parois autour d’eux.

— Là ! 

Suzette ouvrit une porte, et ils déboulèrent dans une réserve remplie d’objets que Del aurait eu peine à identifier, et d’où ils entendaient de nouveau l’alarme et les clameurs des combats au-dehors. L’oiseau entrouvrit la porte, y passa la tête, et siffla une seconde fois.

Del ne pouvait pas voir ce qu’il se passait de l’autre côté, mais il entendit plusieurs cris surpris qui appelaient le nom de Suzette, et une maegis avec un joli chapeau à large bord déboula à l’intérieur de leur cachette pour faire un câlin à l’oiseau. Elle s’écarta aussitôt, pour faire place à une autre maegis avec le même chapeau, et un regard meurtrier étrangement familier - mais Del ne chercha pas davantage où il avait déjà pu croiser ces yeux avant, cependant. Ce qu’elle poussait devant elle happa toute son attention.

— Lo ! Hey, qu’est-ce qu’il t’es arrivé ?

Il descendit du dos de Sehar pour se précipiter vers le lit flottant, mais eut beau secouer son ami, iel ne réagit pas. Ses yeux étaient vides, comme s’il n’y avait plus personne pour voir au travers, et Del était au bord de la nausée. 

C’était cela, qu’il avait vu dans son rêve.

C’était cela, mais bien pire, parce que c’était Lo qui n’était plus rien.

— Suzie, tu as un moyen de sortie ? demanda une troisième maegis au visage identique à la première, si ce n’était qu’elle paraissait bien plus calme.

— La barque qu’on a pris pour venir sera limite, il faudra la renforcer. Hey, Barty. Hey, Sia. En route !

Deux autres corbeaux entrèrent dans la réserve déjà bondée, et frottèrent la tête sur Suzette en guise de bonjour, avant qu’elle ne fasse demi-tour.

— Pourquoi Lo est comme ça ? couina Del, sans bouger d’un seul millimètre.

— Pas le temps d’expliquer, trancha la dernière maegis. Il faut partir. 

— Mais, et Nodia ? demanda Sehar.

La maegis aux yeux familiers, qui tenait toujours le lit flottant, leva une main et se pointa, à la grande confusion de Del. 

— Un déguisement, ajouta la première maegis. Je suis désolée, Del, mais il faut y aller maintenant.

Elle les poussa en avant, sans lui laisser le temps de comprendre comment elle connaissait son nom, et encore moins pourquoi elle le regardait avec l’air de savoir qui il était, et d’avoir quelque chose à se reprocher. Sehar posa une main sur son épaule, et Del le laissa le ramener sur son dos pour suivre le reste de leur troupe agrandie dans le couloir secret.
Le lit flottant semblait difficile à manoeuvrer entre les panneaux étroits, mais ils réussirent à rebrousser chemin au pas de course, jusqu’à ce que Suzette s’arrête et ouvre leur porte de sortie.

— On a réussi à accoster de l’autre côté des canons, expliqua-t-elle aux nouveaux arrivants. On devrait pouvoir partir sans trop de -

Elle ne termina pas sa phrase - soufflée en arrière, Suzette cogna contre le mur du couloir, et les deux maegis au visage identique se précipitèrent à l’extérieur, boucliers et sortilèges offensifs au bout des doigts, et les deux autres oiseaux sur les talons.

— Tu vas bien, Suzette ? demanda Sehar.

Elle se redressa avec un croassement indigné, et Del se pencha juste assez pour voir par la porte ouverte que, pendant leur brève escapade, les bateaux de l’armada avaient changé d’angle d’attaque, et canonnaient désormais ce côté-ci du château.

— Il n’y a plus de bateau amarré ici ! annonça l’une des maegis. Il faut en trouver un autre !

— Le port sept ? proposa la seconde.

Sehar recula d’un pas lorsqu’un canon tomba non loin de la porte du couloir, et Del resserra sa prise autour de ses épaules, le coeur battant. 

Malgré tout le bruit, Lo ne bougeait toujours pas.

— Mais on peut rejoindre Zaza, non ? couina Sehar.

Les bateaux approchaient, et l’idée ne paraissait pas si absurde. Del n’était pas certain qu’ils seraient plus en sécurité là-bas qu’ici, cependant, avec tous les sortilèges qui percutaient la coque des navires, en retour des coups de canons qui brisaient les parois en verre non protégés par les barricades.

— Non. On ne peut pas lui faire confiance, trancha la maegis sans chapeau. 

— Moi je lui fais confiance, assura Suzette. Alors il faudra faire avec !

— C’est pas lui, là ? interrompit un des plus petits oiseaux.

Del suivit son regard. En effet, la silhouette en scaphandre du prince avait sauté sur un des quais, et faisait face à une maegis en armure aussi blanche que les nuages, veinée de motifs aux couleurs changeantes. Même dans le chaos des sortilèges qui embrouillaient ses sens, Del pouvait sentir que sa magie dépassait celle de tous les êtres qu’il avait croisé dans sa vie, dans des proportions qui lui glacèrent le sang.

— Fenie… ? murmura Suzette.

La maegis sans chapeau se retourna pour leur faire face, le visage sévère.

— Personne ne peut faire confiance à Zakaria Nahara. Pas plus qu’à Fenara. Leurs mensonges ont causé tout ça, et si nous voulons sauver l’Abradja, il faut partir loin d’eux. Maintenant. Avant qu’il ne soit trop tard pour faire demi-tour.

 

***
ZAKARIA

La vengeance - sa vengeance - avait presque un côté risible.

Il l’avait planifiée pendant des années et des années, méticuleusement. Il s’était entouré d’alliés, avait juré avec sincérité de se battre pour eux comme eux s’étaient battus pour lui. Même lorsqu’elle lui avait donné d’autres raisons de haïr, d’autres raisons de se venger, il avait gardé sa place, consolidé sa force. Et lorsque le bon moment s’était présenté, il était devenu évident que la moindre de ses préparations s’enliserait dans la merde.

Parce que la vengeance, elle venait du coeur. 

Et le coeur était une saloperie qui ne faisait jamais rien dans la dentelle.

Zakaria sauta du pont, et posa le pied sur le château qu’il avait toujours rêvé de voir s’écrouler dans le vide. 

Face à la maegis qu’il avait toujours voulu détruire, aussi loin que ses souvenirs remontaient. 

Elle le regardait avec froideur, une lueur de dégoût dans le regard, et il ne trouva qu’un sourire moqueur à renvoyer à ce visage qui le rejetait, encore et encore. Pour la dernière fois.

De la lumière, il tira son arme. Une lance, aussi claire que la peau de celle qu’elle transpercerait. Il rabattit son scaphandre, et planta ses yeux dans ceux de Fenara.

— Salut, maman, murmura-t-il.

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Nanouchka
Posté le 28/02/2022
Salut Anatole,

Costaud, ce chapitre, en effet, et bien joué !
Les points de vue marchent.
L'action avance.
On apprend à connaître le monde en même temps.
Au top.

Je t'ai mis les notes au fil de la lecture pour que ce soit plus facile.

NODIA
- L'intro me semble trop longue. Les problèmes de mémoire top, mais ensuite ça s'attarde encore sur le corbeau, les intentions de Jin, etc. J'irais plus au but, je pense.
- Difficile à avaler que Nodia laisse si facilement Anatasia chercher Erin. Nodia a été méfiante tout du long, tendance à vouloir tout faire toute seule. Je l'imagine plus essayer quelque chose, que ça rate, et seulement en désespoir de cause accepter l'aide d'Erin.
- Très chouette leur fin de partie.

ERIN
- Chouette entrée en matière.
- Ça fait bizarre qu'Anastasia soit sur leur chemin mais pas à leur rencontre, tu vois ce que je veux dire ? Ça ferait plus de sens qu'elle leur fonce dessus. Parce que sinon ça donne l'impression d'une coïncidence assez énorme dans un chateau de cette taille.
- "Elle les observa, perplexe." je mettrais Erin à la place de "elle", parce que j'ai dû relire. Pour autant, je ne sais pas ce que veulent dire les oiseaux, mais je suppose que c'est normal.

DEL
- Donc il se trouve que Suzette est amie avec Jin et Erin ? Ça fait coïncidence, alors que je pense que ça pourrait passer pour truc légitime avec deux/trois retouches.
- Pas compris la fin de nouveau. Qui est la maegis sans chapeau qui nous parle ?
- Hyper contente de l'arrivée de Fenara, qui a l'air formidable.

ZAKARIA
- Yes, juste ce qu'il faut de suspense pour finir et nous en mettre plein la vue, on aime !
AnatoleJ
Posté le 02/03/2022
J’allais répondre point par point mais c’était finalement une répétition de « bien vu, je me note tout ça pour le retravailler plus tard » formulé différemment, donc je vais seulement te dire merci pour avoir soulevé tout ces points :D

Je réagis juste à ces deux là :
« Donc il se trouve que Suzette est amie avec Jin et Erin ? Ça fait coïncidence, alors que je pense que ça pourrait passer pour truc légitime avec deux/trois retouches. »
En fonction des lecteurs la connexion entre Suzette et les jumelles est soit très (parfois trop) prévisible, soit très mystérieuse, du coup je suis toujours très perplexe sur ce sujet x) Je suis tenté de laisser la situation telle quelle, leur lien sera explicité par la suite en tout cas !

« Pas compris la fin de nouveau. Qui est la maegis sans chapeau qui nous parle ? » :
Arf oui, c’est parce que j’essaie de ne donner dans chaque point de vue que les informations que chaque personnage connait : Del n’a aucun moyen d’identifier Erin et Jin, donc je ne pouvais pas les différencier par leurs noms. La seule chose qui les différencie à ce moment-là, c’est que Jin porte un chapeau pour le sortilège qui servait à masquer Nodia, donc la « maegis sans chapeau » est Erin ^^ (je me note de trouver quelque chose de plus simple pour les désigner, voire d’aller plus loin dans le chaos, sur un malentendu ça pourrait marcher)

Merci encore pour ton commentaire, je le dis presque à chaque fois mais c’est sincèrement toujours aussi apprécié donc tant pis, je me répète :D
A bientôt !
Nanouchka
Posté le 04/03/2022
Ce qu'ils font parfois dans les films d'action, c'est que, tu sais, plein chaos, explosions, des personnages se rencontrent, et ils disent tous leur prénom l'un après l'autre, "Mark", "Jennifer", "Tom", et après il y en a un qui dit, "Bon, c'est pas tout ça, mais on doit sauver le monde". L'idée n'est PAS de faire ça au mot à mot, mais je me dis que Jin et Erin pourraient donner leur prénom vite fait, ça nous permettrait d'éviter toute confusion, parce que la fin de chapitre est très forte et ne marche que si elle est limpide.

Morte de rire que des gens se soient méga attendus à Suzette/Jin/Erin, alors que moi j'étais bouche bée.
AnatoleJ
Posté le 09/03/2022
J’ai essayé de retourner la scène dans ma tête mais ça ne finit que dans la confusion x) Même indiqué le plus explicitement possible, Del aurait tendance à mélanger les prénoms des jumelles, dans l’urgence (ce qui pourrait être drôle mais ça casse aussi le ton)
Mais effectivement je vais réfléchir à une version de ces présentations qui leur ressemble plus, ça mérite que ce soit clair !
Mathilde Blue
Posté le 08/09/2021
Coucou :D

Je trouve ça plus cohérent que tu conserves l’appellation chapitre pour ce chapitre, même s’il y a de nombreux points de vue, on reste quand même bien dans un chapitre (conséquent en plus) ^^

Alors présentés comme tu l’as fait, les problèmes de mémoire de Nodia ne me choquent pas (enfin je ne me dis pas « mais comment ça on en entend parler que maintenant ? »). Le fait que tu associes avec le costume qu’elle enfile me semblait assez naturel, à la rigueur il y a peut-être le passage où elle se dit que sa mémoire n’est pas parfaite qui arrive un peu comme un cheveux sur la soupe, mais je ne suis pas sûre que j’aurais vraiment tilté si tu n’en avais pas fait la remarque !

Juste une question, pour être sûre d’avoir bien comprise, donc les costumes qui permettent d’entretenir l’illusion, on ne les voit pas du coup ? Parce que je me suis dit que si on les voyait c’était étrange que personne ne trouve ça bizarre, donc j’en ai déduit que le sort camouflait aussi les costumes x)

Bon après j’ai fait de très longues notes donc je risque de me répéter un peu ! Les changements de point de vue étaient toujours bien pensés, donc de ce côté-là, c’était nickel, comme le rythme du chapitre, c’était parfait ! Je voyais bien venir une alliance élargie, donc je me demande jusqu’où ils vont aller avant de s’étriper ^^ Et puis par contre Lo qui est toujours entre la vie et la mort, je proteste T_T Et vraiment la fin du chapitre est top, j’ai adoré et j’ai hâte de lire la suite ! Le fait que Zaza soit en réalité un manipulateur un peu beaucoup égoïste le rend vraiment très intéressant comme personnage, et bien construit, j’adhère à 100% !

Mes (très) longues notes :

« Elle le savait, et elle savait aussi que ce n’était pas sa faute. »
Je trouve que le formulation « et elles savait aussi » alourdit la phrase, je me demande si ce ne serait pas fluide avec une formulation comme « tout comme elle savait que ».

« Tant mieux, si Jin souffrait. C’était la moindre des choses. »
Nodia est très rancunière (mais en vrai je comprends carrément, je suis rancunière aussi)

« Est-ce que c’était seulement possible ? »
C’est très subjectif, mais à l’écrit je trouve que « Était-ce seulement possible ? » serait plus naturel :)

« Erin referma l’archive qu’elle avait parcouruz d’un coup d’œil »
*parcouruE

« Il y avait aussi le nom de la Dame, et de son premier fils - le seul Nahara qui n’avait pas encore été tué par les ordres récents de sa mère. »
Je suppose que le Nahara en question est Zaza, en revanche pour la Dame aucune idée, peut-être Fenara ? Mais je m’emballe un peu sur les suppositions x) Et la valeni morte serait peut-être la mère de Nodia et Sehar ?

« Une note, longue et grave, brisa le silence des archives, et elle échangea un regard surpris avec Barty. »
Il y a une répétition d’archive avec la phrase précédente, et en vrai je pense que dire « brisa le silence » suffit !

« Elle attendit un moment d’inattention des autres maegis présents, occupés à descendre les barricades, pour détourner leur regard le plus possible de la porte avec un sortilège qui fit s’effondrer une des bibliothèques, et courut vers la sortie sans se faire remarquer. »
Cette phrase est un chouïa longue je trouve ^^

« — Elle est de retour. »
Mais qui ? T_T

« Mais voir le monde constamment teinté par une unique couleur n’aidait pas à s’en faire une bonne opinion. »
Tu m’étonnes xD

« Et se rétamer sans aucune grâce sur le quai. »
Je suis morte xD

« Mais quoique le pire pouvait être »
Il y a un espace entre « quoi » et « que » je crois ^^

« J’ai des contacts à l’intérieur. »
Ce serait pas les deux loulous des jumelles par hasard ? (UPDATE : c’est confirmé, et avec les jumelles en plus)

« Ses yeux étaient vides, comme s’il n’y avait plus personne pour voir au travers, et Del était au bord de la nausée. »
Position je me roule en boule activée T_T

« — Fenie… ? murmura Suzette. »
Je pense pouvoir affirmer à plus ou moins 99% que mon hypothèse sur Suzette et Fenara était juste.

« — Personne ne peut faire confiance à Zakaria Nahara. Pas plus qu’à Fenara. »
Moi je l’aime bien Zakaria pourtant T_T

« — Salut, maman, murmura-t-il. »
Ohlala, bon du coup mon hypothèse évoquée précédemnt était juste (j’y croyais moyen pourtant), mais je pensais pas que ce serait la merde à ce point T_T Mais du coup ce face-à-face est plein de tension, je suis contre le fait de finir ton chapitre comme ça ;( Je veux savoir ce qu’il va se passer moi !

Voilà pour ce chapitre, j’arrive bientôt sur les suivants, ce soir ou demain je pense :D
AnatoleJ
Posté le 14/09/2021
Coucou :D

« Je trouve ça plus cohérent que tu conserves l’appellation chapitre pour ce chapitre, même s’il y a de nombreux points de vue, on reste quand même bien dans un chapitre (conséquent en plus) ^^ »
C’est ce que je me suis dis aussi ! J’hésite quand même un peu à le distinguer parce qu’il y en aura un autre plus loin du même genre, qui a pour l’instant un nom entre parenthèses pour titre, je fais de la structure expérimentale dans ce roman x)

Ca me rassure si les problèmes de mémoire de Nodia ne choquent pas à cet endroit là ! J’avais hésité justement à mettre le passage où c’est indiqué explicitement, je vais probablement le changer ^^

« Juste une question, pour être sûre d’avoir bien comprise, donc les costumes qui permettent d’entretenir l’illusion, on ne les voit pas du coup ? »
En fait ils voient les costumes, mais ça ne les choque pas plus que ça ! Jin s’en sert comme d’un outil pour entretenir l’illusion plus facilement, le plus important étant de masquer l’identité de Nodia et surtout sa peau bleu nuit tout en la protégeant de la lumière. Si les autres voient deux maegis habillés de façon un peu bizarre dont une des filles de Fenara, c’est pas dramatique pour Jin x)

« Je voyais bien venir une alliance élargie, donc je me demande jusqu’où ils vont aller avant de s’étriper ^^ »
Je vais rien dire mais cette supposition me fait beaucoup rire xD

« Nodia est très rancunière (mais en vrai je comprends carrément, je suis rancunière aussi) »
Et puis surtout elle a 100% une excellente raison de ne pas être indulgente, Lo dort toujours et elles voulaient la tuer, faut être un ange pour pardonner ça x)

« Je suppose que le Nahara en question est Zaza, en revanche pour la Dame aucune idée, peut-être Fenara ? »
Je crois qu’il va falloir que j’insère une explication quelque part, dans ma tête c’était clair avec cette formulation que la Dame était une Nahara mais après relecture nope, absolument pas x) Du coup un peu de background gratuit : les Nahara sont LA famille noble chez les Valeni, ils ont à leur tête la Dame (pas une reine, le plus souvent une femme mais il arrive que ce soit un homme qui décide de prendre le titre de Dame) et tous ses enfants sont appelés des princes et princesses et garderont ce titre toute leur vie sauf celle (ou celui) qui devient la Dame. Ils se concertent sur qui sera la prochaine, généralement la personne qui a prévu de porter ou d’adopter le plus d’enfants pour qu’il y ait encore assez de princes et princesses à la génération suivante. (Du coup techniquement Zaza pourrait revendiquer le titre de Dame puisqu’il est le seul survivant, mais il en est pas encore à penser à ça le pauvre)

« Moi je l’aime bien Zakaria pourtant T_T »
Il est tellement doué pour se faire des amis, aussi...

C’est noté pour les corrections et les typos, merci ^^
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