L’homme leva un doigt, prononça des paroles incompréhensibles. Gwendal tenta de lui sauter dessus, mais il reçut un javelot de lumière en plein front, s’écroula, évanoui. Rose tenta d’éprouver son pouvoir, mais l’elfe semblait impuissante face au vieil homme.
Pierre voulut intervenir à son tour ; il se rappela la pelle dans son sac, brandit cette arme dont le luxe était d’un autre âge, s’approcha, tandis que Rose continuait vainement son combat. Notre ancien directeur au visage poupin (la scène est ridicule, avouons-le) essaya d’assommer l’homme. Mais il fut incapable d’abattre sa pelle. Médusé, il s’effondra, tandis que la pelle voltigeait à quelques mètres de là.
L’inconnu sans foi ni loi sourit en réalisant une étrange contraction de sa bouche, puis beugla au-dessus de Pierre, abattu à ses pieds :
- Monsieur Stanline. Croyez-vous que votre entreprise pleurera votre perte ? S’en souciera-elle ?
Pierre leva des yeux vides. Que lui voulait cet individu ? Pourquoi s’acharnait-il ? Le vieil homme le maintenait dans un état de stupeur et de rigidité dont il ne parvenait pas à se défaire. Il détourna les yeux, ce qui suffit à éteindre le maléfice et (car la victoire ne tient parfois à rien), donna un grand coup de pied au hasard dans l’anatomie adverse… Le vieil homme, qui n’était plus habitué à ces acrobaties, se plia en deux, endolori. Pierre, sans trop savoir où il en était, lui arrachait les cheveux en appelant à l’aide.
- Rose. Pourrais-tu remettre cette personne à sa place ?
Au dernier moment, cependant, l’homme arriva à dégager son bras à grand peine, et il toucha la joue de Pierre du bout de son doigt. Ce dernier en éprouva une douloureuse surprise : il s’accroupit instinctivement, les deux mains sur la bouche.
Rose ne laissa pas s’enfuir le bonhomme pour autant, qu’elle liait de cordes et bâillonnait. Elle écrivit une phrase sur ses habits. « Renvoi vers l’autre monde ». L’homme se débattait, lâchant des petits « Hic ! ». Rose sortit un Traceur de sa poche.
*
Rose avait renvoyé l’étrange humain dans son monde. Pierre fut rétabli au bout de plusieurs heures.
« Gwendal ?
- Ça va aller.
- Rose... Où est passé la Pierre ? »
Cette dernière se tut. Pierre comprit.
« Disparue ?
- Elle a été détruite par un sort que j’ai lancé par mégarde. Je suis désolée, Pierre. », répondit-elle avec une toute petite voix de souris.
Pierre ne parvenait pas à réaliser… La Pierre ? Détruite ? Mais... lui? Il s’éloigna.
Et c’est là qu’il découvrit qu’elle n’était pas morte…
*
Médium Teket se releva. L’Autre avait échoué. C’était à lui et à son maître de passer à l’action, à présent. Et de soumettre et voler ces larves. Il ricana. Un jeu d’enfant. Ces dernières ramperaient très vite.
*
Ça y est ! Je savais ! Je savais qu'ils étaient impliqués... Mais je ne pouvais pas en parler. Pourquoi ?
Tout simplement parce que l’on m’avait enfermé dans une cave. Où ?
C’était la nouvelle question. Et j’étais résolu à y répondre.
M’enfuir, c’était impossible. Tout avait été confisqué, pas de lien direct avec le soleil ou la Lune, aucun moyen d’utiliser mes pouvoirs. Seuls quelques maigres repas.
J’étais obligé d’attendre patiemment.
Très patiemment.
*
Enfin, Rose reçut un appel. L’A.P.E.M.A allait arriver. Parfait. Elle avait réussi. Tout ce chemin pour maîtriser l’homme avait porté ses fruits.
Non, elle n’était pas là pour Pierre.
Oui, tout avait été manigancé.
Et oui, elle serait gradée.
Mais cela n’avait plus aucune importance.
Car oui, elle appréciait finalement Pierre Stanline, un homme qui, quoiqu’il ne le sache pas encore, venait d’être promu à l’A.P.E.M.A.
S’il l’acceptait, bien entendu.
S’il avait su dès le début qu’il resterait un infans jusqu’au bout, et qu’il deviendrait Agent, il se serait enfui.
Mais aujourd’hui ?
Car Pierre avait changé. C’était une certitude.
*
Rose tentait de ranimer le malheureux Kobold. Remis sur pied, il entendit l'elfe lui déclarer qu’il avait eu beaucoup de chance de ne pas avoir perdu la mémoire. Il ne fut pas non plus triste pour Pierre, car il trouvait que les humains adultes n’étaient plus que des robots sans vie qui travaillaient dur au profit de quelques personnes seulement dans le monde.
Quand Pierre revint, il n’était pas seul. En effet, il était devancé par une personne. Rose poussa un cri strident.
- Bonjour, Rose. Tu ne me reconnais pas ?
Une voix douce et calme.
Cette personne avait les yeux bleus, et le tic de caresser régulièrement ses longs cheveux et ses longues boucles rousses.
C’était la cousine de l’elfe, la fille de Beleg et Katia Aldarío, oncle et tante de Rose, censée être morte depuis une centaine d’années.
Pierre la laissa parler à Rose de ce qui lui était arrivé, ce n’était « pas ses oignons », comme il aurait dit à ses employés.
Lui, il avait été appelé avec Gwendal.
À l’entrée du domaine de la Pierre de Plancton, chez les Gardiens.
Difficile de lutter contre la magie avec une pelle.
Quelle est la durée de vie des elfes? Une centaine d'années, plusieurs centaines d'années ?