Chapitre 25

Par AliceH
Notes de l’auteur : Aaaaand that's a wrap ! Merci aux personnes qui ont lu et commenté cette histoire ♥

Babylone avait quitté la compagnie de Hans et de ses deux nouveaux subordonnés. Le trio s'était déplacé jusqu'à l'Université Démoniaque après un bref voyage en Hydre et ils se trouvaient à présent dans le hall d'entrée qui fourmillait d'activité. Les personnes autour d'eux s'activaient, les bras emplis de paperasse, à s'invectiver, se dire de se dépêcher pour la première vraie rentrée en quinze ans. Miss Fortune n'osait pas bouger de peur d'être piétinée, tout comme son collègue qui n'en menait pas large. Hans, qui n'avait jusque-là pas cessé de regarder le sol en marmonnant « Ehtameh Ehtameh Ehtameh », redressa la tête et contempla la foule grouillante alentour. Après quelques secondes, son visage carré blêmit sous sa barbe abondante. Il lâcha pour la énième fois d'une voix livide:

– Ehtameh ! »

Les yeux de Miss Fortune se posèrent sur une jeune femme à la peau mate et aux longs cheveux noirs épais en train de descendre un petit escalier situé à leur droite. Elle semblait être en grande conversation avec deux de ses employés et désignait quelques vitres brisées et marches branlantes de la main. Sa voix était ferme signifiait qu'elle s'attendait à ce que ses directives soient respectées à la lettre, et le plus tôt était le mieux. Ehtameh remarqua le trio planté bêtement au milieu de l'entrée de l'Université. Elle s'avança vers eux à grands pas. Elle s'arrêta à quelques centimètres de Hans qui n'en menait pas large, ce qui était étrange vu que la démone lui arrivait à peine à la poitrine.

– Hans Sehen, cela faisait longtemps ! J'ai cru apprendre qu'il y avait des changements par chez vous.

– Oui, Ehtameh, répondit-il avec difficulté.

– Je suppose que ce sont vos nouveaux employés et mes futurs élèves, n'est-ce pas ? continua-t-elle en tendant la main en direction de Miss Fortune qui la serra. Je pense que vous n'aurez pas besoin d'une formation longue, mais je m'attends à ce que vous soyez appliqués dans vos études.

Sur ces mots, elle tendit la main à Sir Prize. Celui-ci, au lieu de la serrer comme l'avait fait sa collègue, décida de lui baiser le bout des doigts. Il n'allait quand même la saluer comme si elle était un homme, il était un gentleman après tout. Miss Fortune vit Hans ouvrir la bouche au moment où les lèvres de son collègue se posaient sur la main de Ehtameh tandis que la jeune démone se contentait de sourciller froidement. Puis, elle frotta énergiquement ses doigts sur sa robe et fixa Sir Prize d'un regard glacé.

– J'apprécierais que vous ne vous permettiez pas ce genre de familiarité déplacée. Je n'aime pas qu'on me touche, et j'aime encore moins être embrassée par des gens que je ne connais pas. Même si c'est par politesse, galanterie ou je ne sais quoi d'autre. À l'avenir, quand je vous tendrai la main, vous vous contenterez de la serrer comme tout démon civilisé.

Celui-ci eut du mal à avaler sa salive face à l'autorité qui se dégageait de la démone qui lui faisait face. De mauvaise grâce, il murmura un « Mes excuses » du bout des lèvrest. Il trouvait qu'elle faisait des histoires de pour rien, celle-là. Pas étonnant que Hans en ait peur, si elle faisait des scandales pour un baise-main, qu'est-ce qu'elle pouvait faire si on lui refusait une priorité à gauche ?

– Vous allez au guichet A3 récupérer vos dossiers d'inscription et vous les déposerez avant la semaine prochaine. Vous les faites à l'encre noire et vous écrivez en majuscules, s'il vous plaît. Bonne journée.

 

Ehtameh les quitta sur ses mots. Hans, Miss Fortune et Sir Prize partirent à la recherche du guichet A3. Hans leur dit qu'il n'était sûrement pas loin de l'entrée : or, après vingt minutes à chercher dans le hall et les couloirs alentours, il n'y avait aucune trace du guichet A3. Alors Sir Prize émit l'hypothèse que si le guichet était nommé A3 et non B3, c'était qu'il devait se trouver dans le bâtiment A où ils se trouvaient, y compris dans les étages. Après une exploration très poussée du rez-de-chaussée (y compris des toilettes, on ne savait jamais), du premier étage (y compris les placards où étaient entreposés les produits ménagers, on ne savait jamais) et le second étage (y compris dans le compteur électrique, on ne savait jamais), ils durent se rendre à l'évidence ; ce fichu guichet n'était nulle part en vue. Puis Miss Fortune, à bout de nerfs, s'écria qu'il devait bien exister ce guichet, après tout, Ehtameh ne l'avait pas inventé ! Ils retournèrent dans l'immense hall d'entrée carrelé de marbre noir et demandèrent à différentes personnes où se trouvait le guichet A3. La démone aurait bien voulu commencer par là mais aucun de ses camarades masculins n'avaient voulu la laisser demander de l'aide à autrui. Et ce n'était pas plus mal puisque personne ne semblait pouvoir les aider.

– Le guichet quoi ?

– Bah il peut pas être loin !

– J'en ai jamais entendu parler, et puis, je suis pas sûre qu'on ait déjà les dossiers d'inscription...

– Guichet A3 ? Connais pas.

Alors qu'ils étaient sur le point d'abandonner leurs recherches, un démon grisonnant sortit d'une pièce de repos près du comptoir d'accueil et grommela quelque chose à propos du fait que personne ne venait à son guichet chercher leurs dossiers d'inscription. Les joues rouges de fureur, Sir Prize se pencha vers lui.

– Guichet A3?

– J'en reviens.

– Oui, ça, j'avais compris. Mais vous êtes situé où dans cette université ?

– Dans le bâtiment B, à côté de la cantine, répondit le démon en face de lui comme si c'était l'évidence même.

– Comment on est sensé trouver où vous êtes s'il n'y a aucun plan ni affichette pour indiquer où vous trouver ?

– J'y suis pour rien moi ! On a retiré les anciens plans de l'université pour en faire des nouveaux !Vous avez juste à chercher un peu, c'est pas si grave que ça, non ?

Face à la mauvaise foi criante de son interlocuteur, Sir Prize serra les dents et marmonna :

– Vous avez encore des dossiers d'inscription ?

– Oui.

– On vous retrouve au guichet A3 dans cinq minutes alors.

– Non.

– Et pourquoi ? soupira-t-il.

– J'ai fini ma journée. Revenez demain.

Le démon leur tourna vivement le dos puis s'éloigna à grands pas. Cois, le trio resta les bras ballants quelques instants avant de se promettre de revenir le lendemain à la première heure, direction le guichet A3. Sauf que celui-ci n'ouvrait qu'à treize heures et bien qu'en revenant sur place à treize heures pile comme quelques autres futurs étudiants, ils ne trouvèrent personne. Le démon grisonnant de la veille consentit enfin à faire une apparition expresse, de quinze heures dix à quinze heure quarante, tout ceci en dépit de l'affichette qui clamait « Ouvert tous les jours de treize heures à dix-sept heures sans interruption ». Durant ce court laps de temps, Miss Fortune et Sir Prize avaient tous deux réussi à mettre la main sur leurs précieux sésames. Leurs fronts moites de sueur, ils retrouvèrent Han Sehen qui était en pleine conversation avec Ehtameh. Ou plutôt: qui écoutait attentivement Ehtameh avec l'allure d'un chien qui vient de se prendre un savon pour avoir fait pipi sur le canapé. Celle-ci les salua d'un sourire poli puis s'éclipsa.

– Que vous disait-elle pour que vous fassiez cette tête ? demanda la démone.

– D'essuyer correctement mes pieds sur le paillasson parce que, je cite, « les employés de nettoyage ne sont pas à votre service personnel. » Vous avez vos dossiers ?

– Oui, répondit Sir Prize en exposant son dossier durement obtenu. Elle exagère un peu, cette Ehtameh. Je vois la ressemblance avec W.Asser maintenant. Elles seront vieilles filles pour l'éternité, à faire les mégères coincées.

Miss Fortune ne voyait pas très bien en quoi des femmes exerçant leur travail et faisant preuve de l'autorité liée à leur rang leur rendait moins mariables que d'autres. Après avoir surpris le regard de connivence entre Sir Prize et Hans Sehen, elle préféra ravaler sa remarque. Alors qu'ils s'installaient tant bien que mal dans un recoin du hall d'entrée et fouillaient leurs poches et sacs à la recherche de stylo, la voix de Lénore lui revint à l'esprit. Elle ne pensait pas à une phrase en particulier : résonnait juste le ton sec de sa voix quand la femme-corbeau s'adressait à Sir Prize.

Elle savait bien que celui-ci était peu apprécié car son charme pouvait sembler forcé, ressembler à une ruse. Elle avait parfois l'impression de voir un éclat de moquerie dans son sourire quand il la regardait, et ceci d'autant plus depuis leur retour. Mais cette voix intérieure qui se couplait à celle de Lénore fut abruptement coupée par une autre qui lui rappelait qu'il l'avait embrassée et pas qu'une fois, deux ! Personne ne l'avait forcé à le faire et personne ne l'avait forcé à la choisir entre toutes les connaissances (douteuses ou non) de son collègue ! C'était une preuve de confiance, non ? Peut-être même une preuve d'amour, qui savait ? Miss Fortune fit une pause après avoir maladroitement rempli les premières cases de son formulaire d'inscription. Son regard se posa sur les longues mains de son collègue qui ne semblait pas remarquer son émotion. Il avait sauvé l'Enfer, avec elle. Comme il l'avait tirée de la dangereuse Salle des Archives du BRHH, il avait tiré l'Enfer de son terrible destin, il l'avait soustraite à l'annihilation pure et simple de son âme. Elle lui devait reconnaissance, et pas seulement pour elle-même, pour tous les autres démons et démons qu'il avait sauvés. Elle pouvait bien fermer les yeux un petit instant sur le frisson que pouvait parfois lui provoquer son sourire, faire l'oreille sourde aux rumeurs sur Sir Prize, non ? Bien sûr que si. Après tout, elle lui devait tant. Alors elle reprit son stylo et finit de remplir son dossier qu'elle déposa à l'accueil. Hans et Sir Prize l'attendaient au dehors. Son collègue s'abritait sous son parapluie au manche d'argent et marcha près d'elle afin de la protéger de la pluie qui tombait sans discontinuer. Elle ne savait pas très bien ce qui était le plus froid : les gouttes glacées qui tombaient du ciel gris ou la main de Sir Prize sur son épaule.

_____

Dewey finissait tranquillement de remettre en ordre la salle des archives de la Ligue des Demon Delenders quand il entendit Ahmed s'approcher. Le jeune homme lui adressa un franc sourire avant de s'étonner de ne pas voir Arsinoé avec lui.

– Il est parti acheter des vêtements avec Louise. Il en a assez de porter des clades de seconde main, que ce soient les tiennes ou les miennes. En plus, elles sont trop petites pour lui.

– D'accord. Je viens de retrouver cette photo dans un de mes bureaux, et j'ai pensé que tu aimerais l'avoir, exposa Ahmed en lui tendant un cliché jauni.

– Pour les archives ?

– Non, pour toi.

Perplexe, Dewey saisit la photographie et ses yeux s'écarquillèrent. Elle avait été prise dans le jardin de Mary, sans aucun doute: il en reconnaissait les fenêtres et hortensias. Un sourire un brin fanfaron aux lèvres, posait son frère Léo. Un silence s'installa et Ahmed commençait à se sentir mal à l'aise de voir son nouvel ami contempler ce cliché sans ciller ni dire un mot.

– Comment as-tu su que c'était mon frère ?

– Les Rustedhook, ça ne court pas les rues. J'avais presque oublié que j'avais cette photo jusqu'à te rencontrer, pour tout avouer. Mais je n'arrêtais pas de me dire que tu me rappelais quelqu'un et ça m'est soudainement revenu tout à l'heure ! s'exclama-t-il.

– Tu trouves que je lui ressembles ?

– Oh oui, pas de doute ! Vous avez le même nez, les mêmes taches de rousseur, et la même fossette sur la joue droite aussi et... Dewey ? Ça va ? Pourquoi tu pleures ?

Oui, ça allait. C'était tout simplement la première fois en plus de vingt ans d'existence que Dewey entendait quelqu'un lui dire qu'il ressemblait à son grand frère adoré. Après avoir rassuré Ahmed, tous deux sortirent prendre l'air dans le jardin. À peine assis, ils entendirent la lourde porte d'entrée s'ouvrir puis se refermer avec fracas. Après avoir rangé leurs nouveaux achats, Louise et Arsinoé les rejoignirent. Alors qu'ils commençaient seulement à raconter leur après-midi rempli de découvertes fabuleuses sur le monde des humains pour Arsinoé1, Ahmed rentra à toute vitesse à l'intérieur de la maison et en ressortit quelques instants plus tard avec un imposant appareil photo sur les genoux et Mildred à ses côtés. Les trois amis se turent aussitôt.

– Cela peut paraître maladroit mais je viens de penser que ce serait bien qu'on vous prenne en photo. Nous prenons tous nos membres en photo, après tout ! avança Ahmed qui rougissait à vue d’œil.

– Vous n'êtes pas encore membres de notre Ligue, mais ça ne saurait tarder, ponctua Mildred. Oui, tous les trois. Cela ne signifie pas que vous devez vous impliquer à cent pour cent dans nos activités. Considérez plutôt cela comme... un titre honorifique.

– Je vois, souffla Dewey. Je serais très heureux d'être un Demon Delender honorifique. Et d'être pris en photo aussi.

Ses deux amis opinèrent du chef. Mildred et Ahmed installèrent l'appareil puis la vieille dame cadra l'image. Arsinoé se décida alors à exprimer une réflexion qui le turlupinait depuis au moins deux minutes:

–Je trouve cela assez ironique de faire d'un démon un membre honorifique d'une ligue d'exterminateurs de démons...

Quand la photo fut développée et donnée aux trois amis le lendemain, Dewey put remarquer qu'il avait effectivement une fossette sur la joue droite qui était la copie conforme de celle qu'avait son frère. Après avoir remercié Ahmed, Mary et Mildred de leur accueil, il alla rejoindre Louise qui était assise sur le perron de la maison, à l'affût du taxi qui devait amener ses deux compagnons à la gare de Beauxjardins.

–Tu savais que Mildred savait faire des faux papiers toi ? demanda-t-il.

– Elle est plutôt douée pour ça, oui. Mary y excellait mais sa vue n'est plus aussi bonne qu'il y a trente ans. Au moins, Arsi' pourra voyager comme bon lui semble.

– C'est bizarre. Je n'avais jamais vraiment eu d'amis dans mon enfance et voilà qu'à plus de vingt ans, je m'en fais enfin.

– Oui, des amis, répéta Louise avec un petit sourire mesquin.

– Louise, pour la dernière fois, il n'y a rien entre Arsinoé et moi ! marmonna-t-il alors que son visage devenait rouge pivoine.

– Je dis tout simplement que tu sembles très sensible à-

– OH REGARDE NOTRE TAXI EST ARRIVÉ, QUEL DOMMAGE QUE NOUS NE PUISSIONS PAS FINIR NOTRE CONVERSATION !

Sur ces mots, il s'éclipsa et laissa son amie en proie à un fou rire. Arsinoé sourcilla quand il la vit hilare mais Dewey ne lui laissa pas le temps de lui demander le pourquoi de son état. Après avoir posés leurs maigres bagages dans le coffre avec l'aide du conducteur, ils prirent place sur la petite banquette arrière. Dewey baissa sa vitre pour faire face à Louise qui était à présent calmée.

– Rentre vite. Je n'ai pas assez de patience pour expliquer à Arsinoé tout ce qu'il voit et travailler à côté, lança-t-il.

– Dis tout de suite que je suis un boulet !

– Non, tu es tout simplement très curieux.

– Vous inquiétez pas. Et ne faites pas de bêtises en mon absence, dit-elle avec un clin d’œil appuyé.

–On t'appelle quand on est arrivés, lui promit Arsinoé qui posa sa main juste à côté de celle de Dewey sur le cuir du siège.

– Messieurs, on y va ou...? voulut savoir leur chauffeur avec mauvaise humeur.

– On y va. À bientôt Louise !

Le véhicule démarra. Après avoir salué une dernière fois Louise de la main, Arsinoé la reposa à quelques millimètres de celle de Dewey. Cette partie du siège lui semblait étonnamment confortable.

_____

Lénore rentra dans la Tour Mortifère, les bras remplis de nourriture à emporter. Elle réussit tant bien que mal à poser les multiples plats sur le bureau de sa compagne et la chercha du regard. Celle-ci était assise à même le sol, plongée dans la lecture d'un imposant ouvrage et leva à peine les yeux de sa lecture. Des dizaines de livres étaient organisés en piles autour d'elle.

– À table.

– Mmmm-mmm, fut tout ce qu'elle eut en guise de réponse.

– J'ai pris des raviolis comme tu les aimes.

– Mmmm-mmm.

– Et la sauce piquante.

– Mmmm-mmm.

– Et en réalité, je suis hétérosexuelle.

– Mmm-mm- Pardon? demanda Mort qui consentit enfin à refermer son livre.

–Je plaisantais à ce sujet, ne t'inquiète pas. Qu'est-ce que c'est que tous ces livres ?

– Je fais des recherches car vois-tu, mon Secteur va être revalorisé.

– Tu n'as jamais été victime de la maladie de Satan vu que ton secteur est universel et ne souffre pas de coupes budgétaires où que ce soit, opposa Lénore en sortant les plats et les couverts du sac du restaurant.

– J'ai quand même moins d'employés en Enfer qu'ailleurs, et ça va changer. Donc, je vais avoir moins de charges de travail, continua sa compagne en piochant dans ses raviolis favoris. Et comme l'Enfer va avoir droit à une petite réorganisation, notamment politique... Avec ce renouveau et avec les nouvelles idées que Sir Prize a importé du monde des humains – je lisais justement sur ce sujet, je pense m'atteler à un nouveau projet...

– Projet qui est ?

La Mort avala quelques gorgées de bière puis offrit à sa petite amie son plus sourire avant de poser calmement:

– Je vais me présenter aux élections parlementaires.

 

FIN.

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(1) Notamment les fleurs en tissu, l'épilation et les dynamos industrielles.

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