Chapitre 24 - Blaine

Dès mon retour à la maison, j'avais évité une grande partie de ma famille en me réfugiant dans la maisonnette. Mis à part moi, peu de gens y allaient. Ma grand-mère s'y était isolée quelques fois, tout comme ma sœur. Dernièrement, j'avais commencé à y voir un peu plus ma mère. Chacun y allait à tour de rôle pour se ressourcer généralement et y trouver un peu de calme. Mais personnellement, j'y allais pour fuir une tout autre réalité...

J'avais envoyé un message pour prévenir Charlier qu'elle pouvait venir dès qu'elle le pouvait et je pris une rapide douche en l'attendant.

Alors que l'eau chaude coulait sur mon corps, j'eus quelques réminiscences de cette après-midi. Encore une fois, j'avais joué avec les apparences par rapport à ma relation avec Charlie. Et d'un certain côté, ça me faisait toujours un peu chier. Parce que je haïssais ces histoires de famille et que j'aimais Charlie. Malheureusement, il en était ainsi pour le moment...

Au bout de quelques minutes, je quittai la douche, une simple serviette sur les hanches pour chercher mes vêtements dans la chambre. En passant par le salon, j'aperçus Charlie. Ses sourcils se levèrent un instant puis elle sourit.

— Je ne penserais pas que tu arriverais aussi vite, lançai-je maladroitement.

— Moi non plus, mais je ne le regrette pas.

Elle croisa ses bras tout en me dévorant du regard. Elle mordit sa lèvre inférieure. Il n'y avait pas la moindre gêne dans sa manière de me fixer et c'était assez plaisant de la sentir joueuse à ce point.

Elle se rapprocha lentement de moi pour déposer délicatement ses lèvres sur les miennes. Ses mains se posèrent sur mon cou. Puis elle s'arrêta un instant, ses lèvres à quelques centimètres des miennes, ce qui me permit de sentir son souffle lent et chaud.

— C'est terriblement tentant de t'empêcher de t'habiller...

— Peut-être que je devrais quand même enfiler un pantalon, juste au cas où.

Même s'il y avait peu de chances que quelqu'un débarque, on n'était jamais à l'abri d'une intrusion à n'importe quel moment.

Elle passa son index sur mes lèvres et son regard m'indiquait qu'elle était vraiment prête à jouer avec moi pendant un bon bout de temps. C'était assez étonnant de la voir ainsi, mais je n'allais clairement pas m'en plaindre.

— Très bien, je te laisse.

Elle fit un pas en arrière et croisa ses mains derrière son dos. Elle avait presque un air sage sur le visage, sauf que je savais que ses pensées ne l'étaient plus du tout.

Je m'éclipsai un instant dans la chambre pour enfiler un caleçon et un jean d'un bleu presque noir. Elle me suivit et se posa sur le chambranle de la porte en passant son index sur ses lèvres.

— Tu as de très douces lèvres, Charlie, lança-t-elle par pure provocation.

C'était exactement mot pour mot ce que je lui avais sorti lors de la fête du Nouvel An chez Kate.

— Est-ce que tu m'en veux ? demandai-je naïvement.

— Je ne t'en veux pas pour m'avoir embrassé aussi bien, peut-être un peu trop vu les circonstances.

— C'était tout de même extrêmement tentant... Je pense que, toi aussi, tu aurais saisi l'occasion.

Elle esquiva brièvement mon regard et mordit sa lèvre inférieure. Je savais bien qu'elle avait à chaque fois tout autant envie que moi de lui sauter dessus. Elle s'approcha alors de moi pour m'embrasser langoureusement et me poussa dans le lit. J'atterris sur le rebord de celle-ci et elle me chevaucha pour se mettre au-dessus de moi. Elle saisit fermement mon cou.

— En effet, j'aurais saisi l'occasion comme tu l'as fait pour embrasser ta belle gueule, déclara-t-elle en rapprochant son visage du mien.

— Alors, fais-le maintenant.

Ses lèvres se plaquèrent alors sur les miennes et ses mains poussèrent mon visage contre le sien. Ce baiser était rapide, brusque, mais aussi plein de frustration. Cette frustration que j'avais créée à cette soirée. J'avais bien remarqué sa manière de me regarder. Elle avait dû se contenir et résister à la tentation alors qu'elle était morte d'envie d'être aussi intrusif que moi.

Elle m'allongea dans le lit et me suivit dans le mouvement. Elle s'arrêta un instant de m'embrasser pour passer ses doigts dans ma chevelure tandis qu'elle plaquait son entrejambe contre la mienne. Son regard n'avait pas changé un instant, elle me désirait toujours autant.

Aucun d'entre nous n'osait dire quoi que ce soit et on se contentait de se regarder dans cette drôle de position. On aurait pu rester pendant un bon bout de temps, mais quelqu'un frappa à la porte.

Elle se releva brusquement tandis que j'en enfilai rapidement un léger pull noir. Je pris immédiatement les devants pour voir de qui il s'agissait. Ce n'était que Kayla et je la fis rentrer sans y réfléchir plus longtemps.

Dès qu'elle franchit le seuil de la porte, un grand sourire se dessina sur ses lèvres. Quand je voyais une telle expression sur son visage, je comprenais pourquoi elle avait pu bien s'entendre avec Charlie. Toutes les deux jouaient avec les apparences pour ne pas montrer leurs blessures en public.

— J'espère que je ne vous dérange pas.

Il y avait ce sourire plein de sous-entendus sur le visage de ma sœur. Bien évidemment, elle était loin d'être totalement innocente et savait très bien ce que pouvaient faire deux adultes consentants tous les deux attirés l'un envers l'autre.

— Pas du tout, rétorqua aussitôt Charlie.

À son ton de sa voix, je pouvais discerner qu'elle prenait un peu de plaisir à se jouer de la situation.

— Je sais pas si tu te rappelles, mais je voulais te dire quelque chose à propos de ta tante.

Elle croisa ses mains et ses doigts s'entortillèrent entre eux. Elle baissa son regard pour éviter le mien. Je lui proposai de s'asseoir. Elle accepta silencieusement et je m'installai en face d'elle. Blaine se posa à côté de moi, sans dire un mot.

— Je l'ai vue avant que... avant son suicide, articula-t-elle d'une faible voix. C'était ce jour-là. J'étais à l'hôpital et je l'ai vue... Elle semblait perdue, mais j'ai surtout reconnu le désespoir dans ses yeux. Parce que j'avais vécu le même. Et je savais ce qu'elle allait faire...

Elle reprit une brève inspiration et retenait quelques sanglots.

— Ce n'est pas de ta faute, tu n'as pas à t'en vouloir, tenta de rassurer Charlie en lui prenant sa main. Personne n'est coupable dans ce genre de situation.

La voix de Charlie était si rassurante et malgré ces douloureux aveux, il y avait toujours une étincelle dans ses yeux, celle qui voulait chercher le positif dans n'importe quelle situation.

— J'aurais dû l'aider. Il suffisait peut-être d'une seule discussion pour la sauver. Mais au lieu de ça... Je suis restée dans mon coin, parce que j'attendais mon traitement et que je ne supportais pas mon sevrage... Si j'étais pas une foutue toxico, j'aurais pu agir.

— Ne t'en veux pas pour ça.

Kayla se détacha de la main de Charlie et brisa ainsi leur contact.

— Mais c'était ta tante quand même... Tu pourrais m'en vouloir.

— Je ne vois pas pourquoi je ferais ça. Tu avais le droit d'aller mal et de penser d'abord à toi dans ces circonstances. Tu n'as pas été égoïste. Et ce n'est pas avec des "et si" qu'on fera revenir les morts.

Les mots que prononçait Charlie, je les connaissais et j'avais malheureusement encore un peu de mal à les assimiler.

— Ma tante avait besoin de bien plus qu'une discussion. Ce n'est pas toi qui aurais fait la différence à ce moment-là. Je peux t'assurer que, si je suis encore là pour te dire, ce n'est pas à cause d'une discussion, mais parce que j'ai été bien entourée, parce que j'étais dans un bon environnement, parce que j'ai eu la chance de pouvoir prendre du recul sur ma vie... Beaucoup de facteurs qui ne dépendent pas d'une seule discussion. Alors ne culpabilise pas... Tu as déjà ton combat à mener et c'est déjà beaucoup.

Ma sœur releva sa tête et ses yeux n'arrivaient plus à retenir ses larmes. Mais il y avait désormais un sourire qui se dessinait sur son visage, comme un arc-en-ciel après la tempête.

Elle reprit la main de Charlie.

— Merci, souffla-t-elle.

— Ne me remercie pas pour ça... C'est normal.

C'était affolant de voir à quel point Charlie pouvait considérer sa gentillesse et son altruisme comme une norme, parce que je n'avais pas encore ce point de vue.

— Je pensais vraiment que tu m'en voudrais...

— Non, je n'ai aucune raison de faire ça. 

Charlie se tourna vers moi et son regard était assez équivoque sur ce qu'elle était prête à me dire : ça vaut aussi pour toi. Malheureusement, elle commençait à comprendre le pattern dans la fratrie : nous culpabilisions beaucoup trop pour des évènements qui ne dépendaient pas de nous. En même temps, ce n'était pas très étonnant vu notre éducation.

L'attention de Kayla se porta alors sur son téléphone. Elle s'empressa de pianoter quelque chose sur son clavier.

— Tu comptes refaire de l'escalade avec Hailey et Lenny ? me demanda-t-elle.

— Peut-être bien... On en a vite fait parlé.

— Parce que Hailey me propose d'y retourner dès lundi. Lenny sera probablement là et on pourra manger ensemble après...

— Pourquoi pas... Ça peut se faire.

Elle sourit et envoya aussitôt un message, probablement pour confirmer l'évènement.

Charlie n'avait pas détourné son regard de moi, mais il était légèrement différent cette fois-ci. Elle était curieuse.

— Je suppose que ça va être compliqué pour que je vous rejoigne, lança-t-elle, l'air un peu contrit.

— Lenny et Hailey te connaissent... De loin, mais suffisamment pour savoir qu'on n'est pas censé s'entendre.

— Mais Charlie et moi, on s'apprécie, même publiquement, annonça Kayla, un grand sourire sur les lèvres. Ça peut être moi qui l'invite.

— Pardon ?

Charlie et Kayle échangèrent un sourire un peu trop satisfait au vu de la situation. Bien évidemment, Charlie connaissait les risques d'être aussi proche publiquement, mais je voyais bien qu'elle aussi avait du mal à prétendre. Je l'avais bien constaté lors de la soirée du Nouvel An, en particulier lors de ce baiser. Et je ne m'étais pas gêné pour la provoquer. Pendant un moment, j'avais espéré qu'elle transgresse les règles, mais elle avait bien trop confiance des conséquences pour se faire.

— C'est ballot, on va devoir encore agir comme si on se détestait, lâcha ma copine avec une voix niaise pour me provoquer.

— Devrais-je te rappeler qui en a le plus souffert la dernière fois ?

Elle fronça les sourcils, parce qu'elle devait reconnaître que, malheureusement, j'avais raison.

Ma sœur arqua un sourcil et prit la parole, légèrement hésitante :

— J'ai loupé quelque chose je crois bien.

— À la soirée du Nouvel An chez Kate, Blaine m'a provoqué pour que je l'embrasse, ce que j'ai fait dans l'optique d'un défi, commença à raconter Charlie. Mais la manière dont il m'a embrassé n'avait rien d'un défi.

— Bien sûr que si ! C'était censé être une grosse pelle et tu avais hésité la première fois ! Il fallait bien pimenter ça !

— En me frustrant sexuellement ?

Nous étions tous les deux en train de rire et nous n'arrivions même plus à enchaîner le moindre mot dans cette fausse dispute. Kayla nous suivit dans nos rires. Puis Charlie déposa un bref baiser sur mes lèvres, ce qui fut suffisant pour attendrir ma sœur. Elle était, évidemment, la fan numéro de notre couple. Après tout, elle avait réussi à nous rapprocher et était en partie responsable de la situation.

— Je regrette vraiment de ne pas avoir été là, ça devait vraiment être drôle, déclara Kayla entre quelques rires.

— Surtout extrêmement frustrant ! la corrigea aussitôt Charlie.

Kayla se contenta de hocher la tête, toujours aussi souriante, puis elle se leva d'un bond en nous annonçant qu'elle allait voir où en était le repas du soir. Elle s'en alla avec un regard lourd de sens.

Dès qu'elle franchit le seuil de la maisonnette, un silence où Charlie me dévora du regard s'installa. Son visage s'approcha lentement du mien et je posai une main derrière sa nuque pour l'embrasser langoureusement. Elle glissa immédiatement ses mains sous mon pull pour remonter jusqu'à mon torse.

— C'était si frustrant que ça ? le provoquai-je de nouveau.

— Complètement ! Tu ne peux pas savoir à quel point... Et peut-être que cette fois-ci, on inversera les rôles lundi.

— J'ai hâte de voir ça...

Elle m'embrassa une énième fois tout en retenant un petit rire. De nouveau, nous allions encore jouer avec les apparences, quitte à prendre des risques, mais après tout, qu'on sorte ensemble était impensable pour beaucoup de personnes...

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