Chapitre 24

Jour 3  

 

Leith se trouvait au-dessus d’elle, la surplombant de son corps élancé d’elfe, torse nu, les muscles saillants. Il la fixait de ses beaux yeux océans, sans jamais la lâcher du regard, un doux sourire sur ses lèvres qu’elle avait tant embrassé qu’elles s’en retrouvaient gonflées et rouges. Ses mains étaient posées sur ses hanches, il se trouvait entre ses jambes, et Anastae était incapable de le repousser. 

Ses mèches rousses tombèrent devant ses yeux quand il se pencha pour l’embrasser. Sa bouche avait toujours ce goût de danger, de cerise, et elle se perdait dans ses bras, sans jamais lui dire quoique ce soit, complètement à sa merci. Elle se mouva sous lui, haletante, incapable de cesser, et chuchota entre ses lèvres elles aussi gonflées son prénom. 

Mais alors qu’il lui souriait, ses yeux remarquèrent une silhouette dans le coin de la chambre, les bras croisés, et aussi rigide qu’une statue. Leith l’embrassait toujours, quand elle aperçut l’éclat rubis des yeux de l’elfe. Décontenancée, elle essaya de repousser l’elfe au-dessus d’elle mais son corps ne lui obéissait plus.
L’elfe aux yeux rubis poussa un ricanement, suivit de : 

- Rien n’a d’importance à ses yeux.

Anastae sentit Leith s’éloigner légèrement de sa bouche et pousser un petit rire, comme si lui aussi l’avait entendu. Le souffle de l’elfe lui chatouilla le coin des lèvres, et il murmura, si doucement que seules ses oreilles en partie fée lui permettait de l’entendre : 

- Les belles histoires sont importantes. 

L’éclat rubis devint plus important, comme si de la colère s’y trouvait, mais la jeune fée ne pouvait pas bouger, ne pouvait rien faire d’autre que regarder la scène, impuissante, et écouter: 

- Et tu sais pertinemment, Anastae, que lorsque j’en veux une, je l’invente. 

Il ria : 

- Tu n’es pas une autre conquête. 

Ses mains se dirigèrent vers son cou : 

- Tu es une belle histoire. 





 

Anastae se redressa en sursaut dans son lit, haletante, un cri coincé dans sa gorge, trempée de sueur alors qu’il faisait un froid glacial dans la petite chambre. Sans qu’elle ne puisse même penser à son rêve, une nausée violente la saisit, et le plus rapidement possible, elle se jeta dans la salle de bain. 

Incapable de se retenir, elle se pencha vers le lavabo, et vomit l’intégralité du maigre repas qu’elle avait ingurgité la veille. Prise de haut le cœur, elle sortit cependant de sa torpeur. 

Depuis qu’elle se trouvait dans cette ville, les rêves, cauchemars, se multipliaient, comme si on essayait de lui dire quelque chose, à moins qu’elle soit juste en train de se monter la tête. Ou alors, était-ce la présence de cette fée aveugle dans la ville ? Etait-ce des sortes de visions ? 

Un nouvel haut de cœur saisit Anastae, elle vomit cette fois ci de la bile, et un souffle haché sortit de sa bouche. 

Elle jeta un coup d'œil derrière son épaule : les deux frères dormaient, tellement serrés dans ce petit lit, mais ses vomissements ne les avaient pas réveillés. Ne souhaitant pas changer cela, elle ferma la porte derrière elle et se laissa glisser contre cette dernière. 

Que faisait-elle ici ? 

Tout avait commencé avec Emma, se glissant dans sa chambre, l'amenant ensuite dans le Palais pour lui expliquer toute la situation. Devant l’elfe élémentaire, devant son doux sourire mais la détermination dans ses yeux, Anastae avait senti une nouvelle énergie parcourir ses veines. De l’importance, c’était ce qu’elle souhaitait, mais comme l’avait remarqué Thalion, elle n’en n’avait jamais eu.

Lorsqu’elle avait parcouru les rues avec Hélios, poursuivie par une fée, elle avait aimé trouver une solution, les sortir de cette situation, et aider. Lorsque Emma avait parlé de cette mission en dehors de la capitale, Anastae n’avait pas hésité à deux fois, malgré la peur des coups de son père et ses mots blessants ainsi que sa colère. La fée avait toujours vécu dans la peur, dans l’indifférence, se traînant comme un cadavre dans ce monde, dans cette vie sans saveurs.

Tout avait commencé avec Luciana, cette belle fée qui lui avait parlé dès le premier jour, sans désespérer de la voir accepter son amitié, et désormais Anastae, avait tout gâché. Comme elle l’avait fait avec Thalion : ce serait se mentir à elle-même de dire qu’elle n’appréciait pas en silence son sourire de chat, ses coups d’oeils malicieux, et si elle s’était entêtée à lui tenir tête, à rester loin de lui, Anastae avait compris que c’était impossible. 

Le visage de la fée aveugle apparut devant ses propres yeux, son calme glacial, ses mots tranchants, son contrôle permanent sur elle, et la manière qu’elle avait eu de faire naître de la nostalgie dans un regard pourtant éteint. Et cette fée avait disparu, sans laisser aucune trace, alors qu’il s’agissait de la seule chose concrète qu’ils avaient trouvé.

Désormais, Anastae s’en rendait malade, cauchemardait sans cesse. Même la petite Anastasia de son enfance avait fait son apparition, comme si cette ville la replongeait dans ses souvenirs.

Sans savoir pourquoi, ni comment, son esprit dériva vers sa véritable mère. 

Elle gardait une image si floue d’elle, mais Anastae savait que si elle venait à la revoir, ne serait-ce qu’une fois, elle la reconnaîtrait. Cette belle femme, qui ne souriait jamais, mais qui la chérissait, qui effleurait ses oreilles du bout de ses doigts, sans en avoir peur. Cette femme qui la bordait, en lui racontant sa vie d’avant avec un ton légèrement enjoué, sans qu’elle sourisse pour autant. Elle lui parlait de sa grand-mère, de son travail, de choses foncièrement humaines, mais jamais elle n’avait abordé le sujet de ses oreilles, de ses yeux noirs, de ses cheveux blancs. 

Elle lui faisait croire que c’était normal, qu’elle ne devait pas en avoir honte. 

Anastae se souvenait de son parfum de roses lorsqu’elle se penchait sur elle pour embrasser le haut de son front en guise de bonne nuit. 

Le dernier souvenir d’elle : son premier sourire, les mains tachées de sang, lui hurlant des informations sans logique pour elle à l’époque. 

La jeune fée l’aimait tellement, pour avoir été la seule à lui porter de l’amour, à avoir garder une image parentale malgré ce qu’elle avait dû endurer. Bien entendu, Anastae s’était déjà posé des questions sur son passé, tard le soir. Comment avait-elle rencontré son père ? Où ? Quand ? De quelle façon était- elle reliée à ce monde ? S’il y avait eu un quelconque amour entre elle et son père ? 

Mais Anastae n’avait aucune réponse car elle n’avait jamais osé en parler à son géniteur, de peur qu’il s’enflamme, qu’il la tue pour avoir osé aborder le sujet de sa véritable mère.

Avec le goût persistant de son vomi, elle se leva et se rinça la bouche ainsi que le visage. Dans le noir obscur de la seule de bain, seuls ses cheveux blancs ressortaient dans le miroir en face d’elle, et elle tenta de se rémémorer la couleur de ceux de sa mère : blonds, très certainement, mais couleur sable, presque aussi blancs que les siens, foncés ? 

Elle poussa un long soupir, lassée, fatiguée, et sur la pointe des pieds, elle se dirigea vers son lit. 

Les nausées avaient disparu, mais elle ne ferma pas l'œil du reste de la nuit. 

Son passé l'empoisonnant trop pour cela. 























 

- Tu es beaucoup trop lente. 

Anastae releva son visage trempé de sueur vers Thalion, qui avait les mains sur les hanches, le menton relevé, sans aucun sourire de chat, gardant un visage si froid qu’elle avait le sentiment de regarder Hélios. A l’aube, il l’avait traînée par la peau des fesses dans un champ pour son entraînement, sa part du marché. Il ne l’avait cependant pas adressé un regard amical, malicieux, et ne lui avait parlé que pour le strict minimum. 

Tant mieux, pensa Anastae. Elle non plus n’avait aucune envie de lui parler : il lui faudrait du temps pour digérer ses paroles. 

Pourtant, depuis près d’une heure, elle apprenait des techniques de combat, de défenses, d’attaque, et Thalion pointait ses défauts les uns après les autres, d’un ton glacial. La jeune fée avait les cheveux trempés de sueur, collant sur sa nuque désormais que sa natte s’était défaite. Elle haletait, les mains posées sur ses genoux, penchée en avant, et sa vision floue. 

Elle n’avait rien avalé depuis ses vomissements et son ventre hurlait de faim, ce qui ne facilitait aucunement ses entraînements. Trouvant cependant le courage de continuer, elle tourna aussi rapidement qu’elle le pouvait sur elle, pour décrocher à Thalion un coup de pied retourné. Cependant, ce dernier l’intercepta aisément en saisissant sa cheville, et la plaqua contre le sol comme si de rien n’était. 

Le dos de la jeune fée frappa durement le sol, qui était heureusement couvert d’herbe, et elle poussa un léger gémissement entre ses lèvres crispées. Ainsi, elle resta quelques secondes, incapable de se relever : 

- Tu as progressé, déclara alors le Prince. Mais tu es loin d’être douée, tu te reposes trop sur ton agilité. 

- Continuons dans ce cas, siffla-t-elle difficilement. 

Anastae roula sur le côté, força sur ses bras pour se relever, et grimaça devant sa tunique tachée d’herbe. Une fois debout, elle se pencha pour lacer une de ses bottes longues tout autant tachées : 

- Le bras droit, continua Thalion. Puis le gauche, ensuite tu feras une rotation, et tu utilises tes muscles, pas que ton élan. Tu dois les contracter, pour te donner plus de force : ton coup de pied n’en sera que plus fort. Et si tu en es capable, penche toi plus en avant. 

La demi-fée prit une grande respiration, relia au second plan ses douleurs musculaires et son estomac qui criait de faim. 

Elle prit appui sur ses jambes, et sans prévenir, elle balança son coude dans le menton de Thalion, qu’il contra, bien évidemment. Elle n’en tint pas rigueur et tourna légèrement pour abattre le plat de sa main sur l’intérieur de son bras. Haletante, Anastae fit tout de même la rotation exigée et se pencha davantage en avant. Son pied fendit l’air alors qu’elle serrait tous ses muscles. Bien que ce dernier ne rencontra rien, il ne fut pas interrompu : elle le posa à terre et fit demi-tour. 

Thalion n’avait aucune blessure mais il s’était reculé de quelques centimètres pour l'esquiver : 

- Bien, déclara-t-il. Ton coup n’était pas facile à parer, j’ai pu seulement l’éviter : tu t’améliores.  

Anastae tanga légèrement sur ses pieds mais esquissa un début de sourire, qu’elle s’empressa d’effacer en se rappelant ce que Thalion lui avait dit la veille. Elle se contenta donc d’un bref hochement de tête et se remit en position de combat. Dans ce processus, elle jeta un petit regard à son arc qui était posé sur une pierre, ce qui n’échappa pas au Prince : 

- Tu as déjà une bonne manière d’user de ton arc. Nous allons plutôt nous concentrer sur tes points faibles. 

Elle se mordit la joue intérieure pour ne pas laisser une remarque désagréable sortir de sa bouche. 

Mais la Reine savait qu’elle en avait envie. 

Thalion s’approcha alors d’elle, saisit son poignet entre ses doigts frais de la rosée du matin, et le pivota : 

- Tu auras plus de force dans cette position, se contenta-t-il d’expliquer. 

Ses doigts glissèrent jusqu’à sa taille, et il les fit également tourner dans le même axe que son poignet. Anastae prit sur elle pour ne pas regarder ses mains et continua de fixer le paysage, droit devant elle. Thalion se plaça derrière elle et pivota également ses épaules alors qu’elle sentait son souffle sur sa nuque. 

Elle pinça ses lèvres : 

- Tu as fini, demanda-t-elle, crispée. 

- Regarde vers ta droite. 

Elle fit ce qu’il lui disait et attendit la suite de ses explications : 

- Ainsi tu auras plus de force pour donner un coup de poing, si tu places toutes tes articulations dans le même axe. 

Anastae hocha la tête, sans bouger le reste de son corps, et Thalion se mit dans son axe, la main levée. D’un hochement de tête, il lui fit signe de mettre en action ses explications, ce qu’elle s’empressa de faire. 

Elle poussa sur ses jambes, eut vaguement le sentiment que ses hanches se déplaçaient de son plein gré, et son poing entraîna tout son corps en avant. 

Anastae pinça ses lèvres, surprise quand son poing percuta violemment la paume du Prince, qui ne bougea pourtant pas d’un millimètre. 

Elle, par contre, se recula de quelques centimètres, fière d’elle. 

Jusqu’à ce que Thalion lui dise, terminant ainsi la séance : 

- Pas terrible. On continuera tout ça demain. 





Anastae tourna pour la énième fois la page d’un énième livre où elle espérait, une énième fois, y trouver une information intéressante. Cependant, cela faisait presque deux heures que Hélios et elle lisaient, sans jamais s’arrêter, ni parler, et son cerveau à moitié humain commençait à se lasser de cette activité alors que l’elfe à côté d’elle semblait toujours en pleine forme. 

Malgré elle, elle se déconcentra, à force de lire des informations inutiles sur la construction de la ville, et comment certains rebelles avaient conservé l’horloge humaine construite dans une époque révolue. La jeune fée poussa un long soupir, et repoussa ce livre qui lui indiquaient simplement les matériaux utilisés pour cette dernière. 

Hélios remarqua, ou sentit, son impatience, et relva lui aussi le nez de son ouvrage pour la dévisager de ses yeux si semblables à ceux de Thalion ce matin : 

- Tu es contrariée, se contenta-t-il d’énoncer. 

La jeune fée s’adossa à sa chaise : 

- On tourne en rond depuis que j’ai rencontré cette fée. On a beau parcourir toute la ville, il n’y a aucun indice et nous n’avons pas le temps de faire tous les bâtiments pour trouver un refuge très bien caché. Je commence à croire que nous repartirons sans ce talisman. 

- Il nous reste encore quatre jours, répliqua Hélios. Il est encore un peu tôt pour baisser les bras. D’autant plus que le bordel où nous nous rendons ce soir nous révélera une information importante. 

Anastae montra d’un vague geste la table où des livres s'entassaient dans cette vieille bibliothèque au centre-ville. La sirène qui semblait servir de remplaçante à la véritable propriétaire, leur avait indiqué du doigt cette table et les avez conjoint d’un regard noir de ne pas faire de bruit. 

Cependant, cette dernière était trop occupée à remplir une bassine d’eau pour y tremper ses pieds pour les surprendre en train de parler pour la première fois depuis deux heures. 

La jeune fée avait sauté sur l’occasion en apprenant que Hélios se rendait dans cet endroit, et s’était empressée de quitter Thalion qui avait grogné quelque chose comme “Je vais continuer mes recherches dans mon coin”. 

Cela lui fera les pieds, pensa Anastae. 

C’était lui, la veille qui l’avait critiqué sur ses choix de vie sociale, comme si elle était une simple idiote qui ne parvenait pas à relier les événements. Certes, elle l’avait sûrement également blessé, mais il avait eu cette manière de penser qu’il comprenait mieux sa vie qu’elle-même que cela l’avait fait sortir de ses gonds.  

Désormais, elle se trouvait en meilleure compagnie avec Hélios, bien que ce dernier était toujours aussi froid et aussi distant : 

- En tout cas, continua la demi-fée. Je ne pense pas qu’on trouvera quoi que ce soit d’intéressant dans ces livres. 

- Alors pourquoi m’as-tu accompagné ? 

Elle fronça ses sourcils : 

- Ne dis rien, la coupa Hélios dans son élan. Je sais que c’est pour fuir la compagnie de Thalion.

Elle voulut le contredire mais quand sa gorge commença à la brûler, elle se rendit compte que si elle commençait à se mentir à elle-même, elle n’irait pas bien loin. Anastae soupira donc, et remit en place ses cheveux derrière ses oreilles si peu pointues face à celles d’Hélios.
Ce dernier ne s’y attarda pas et tourna une autre page de son livre : 

- Je ne sais pas pourquoi tout s’est envenimé entre vous deux et je ne dis pas ça pour que tu lui pardonnes, mais Thalion est sur les nerfs en ce moment. 

Anastae se retint de pousser un ricanement mais à la vue du regard du Prince, ses émotions lui avaient fait comprendre toute seules qu’elle pensait que cela ne pardonnait en rien ses mots : 

- Cela excuse son comportement mais ne le pardonne pas, j’en ai bien conscience. Mais à la vue des émotions de mon frère, toi aussi tu lui as causé de la peine. 

- Je me suis défendue, s’écria-t-elle puis devant le haussement de sourcil de Hélios. Je veux bien t’accorder que c’était puéril, mais il était si arrogant… Si convaincu de ce qu’il disait alors qu’il ne me connaît pas, qu’il ne connaît pas ma vie… Je me suis énervée. 

Hélios finit par délaisser son livre et roula des épaules comme s’il s’était figé dans la même position pendant des heures, ce qui était courant pour les elfes et les fées. 

Il passa une main dans ses cheveux de jais, l’air de réfléchir, et Anastae le contempla, devant son air si calme, alors qu’il était en train de sentir l’énervement de la sirène qui n’arrivait pas à soulever sa bassine, l’incompréhension d’une pixie qui feuilletait un livre sans cesse, et sa propre incompréhension : 

- Tu sais, déclara-t-il. Les émotions sont bien plus complexes que vous le pensez. Une en cache souvent une autre. Celle de surface est juste bien plus violente que celle en profondeur. Tu devrais te pencher sur ce que tu ressens, tu devrais essayer de comprendre tes propres émotions. 

Anastae l’observa un moment, impressionnée par ses mots, et un véritable respect, qui allait au-delà de son titre royal, naissa pour lui. Un petit sourire naissa alors sur le coin de ses lèvres et presque attendrie, elle lui demanda : 

- C’est ce que toi-même tu fais ? 

Cependant, le Prince se referma sur lui-même. 

Son visage se glaça encore plus et ses yeux s’accrochèrent aux siens pour lui faire comprendre que ce n’était pas un sujet dont elle pouvait parler avec lui. Devant son air si placide, un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale : ses iris venaient de briller, comme celles de Thalion la veille. 

Il siffla : 

- Je ne souhaite pas en parler. 

Anastae secoua sa tête : 

- Désolée, ce n’était pas très délicat de ma part. 

- Bon, claqua alors une voix aiguë qui résonna dans la bibliothèque. Taisez-vous !

La sirène, qui avait fini de batailler avec sa bassine d’eau et avait désormais les mains plongées dedans, leur adressa un regard pour lequel quelqu’un de son espèce dans la capitale aurait fini par être tué. Mais cette dernière ne s’en préoccupait pas, comme tous ceux de cette ville, et vivait comme ils l’entendaient. 

Ses lèvres bleuies étaient crispées dans une moue énervée, et elle désigna Anastae d’un geste du menton dédaigneux : 

- Si vous n’êtes pas capable de tenir votre langue, dehors ! 

La jeune fée fronça ses sourcils et répliqua sur un ton tranchant : 

- Nous nous efforçions de murmurer, contrairement à vous. 

La sirène émit un léger ricanement et plongea ses pieds dans la bassine : 

- Vous, les fées et les elfes, toujours à vous croire supérieurs. Vous n’en n’avez pas assez d’agir comme si vous saviez mieux que tout le monde sur tout ? 

- Puis-je vous poser une question si cela ne vous importune pas, demanda alors très calmement Hélios. 

La sirène tourna un regard surpris vers lui et commença doucement à sourire, bien que cela ressemblait plus à un rictus. Intéressée, il semblerait, elle croisa ses jambes et secoua ses pieds pour avancer vers leur table, d’un pas mal assuré : 

- Vous, vous n’êtes pas comme cette fée prétentieuse. 

Anastae cilla. 

A la capitale, elle était considérée comme quelqu’un de clément, en tant que fille de noble, qui n’abattait pas son courroux sur les serviteurs selon ses humeurs. Elle était celle qui leur autorisait à quitter leur demeure plus tôt, celle qui glissait quelques pièces en secret dans le panier des serviteurs… Cette ville était différente des autres, de bien des façons : 

- Votre question, continua la bibliothécaire. J’écoute. 

- Qu’est ce qui fait la différence dans ce lieu ? Il y aurait-il des endroits… étranges ? Des légendes ? 

La sirène agrandit son rictus et balança ses cheveux éternellement trempés derrière son épaule : 

- La plus grande différence, c’est qu’il n’y a pas de rangs supérieurs à d’autres. Tout le monde est libre, il n’y a pas d’esclave et la discrimination est punie. La seule ville du Royaume entier. Voilà pourquoi l’horloge humaine n’est pas détruite, bien que considérée comme maudite. 

Elle se pencha vers leur table, et murmura si doucement que Anastae dû tendre l’oreille pour l’entendre : 

- Je ne devrais pas le dire, mais dans cette ville, même les humains ont leur place, d’une certaine façon. 

La jeune fée sursauta alors que Hélios se crispait, les sourcils froncés : 

- Vous êtes en train de me dire qu’il y a des humains dans cette ville ? 

Anastae eut le sentiment que le sol s’ouvrait sous ses pieds. 

Être humain était le pire crime jamais commis dans ce Royaume, si cette ville était surprise à en abriter elle en serait détruite, ainsi que ses habitants, considérés comme complices de ce crime. Les humains devaient vivre séparés du monde des fées et des elfes, très loin d’eux, et seule cette falaise avec cette eau magique était le lien entre eux. 

Elle jeta un regard à Hélios : elle y lisait du dégoût. La seule mention d’êtres humains lui provoquaient une telle réaction… Elle n’osait pas imaginer la situation s’il découvrait que se tenait à côté de lui, que dormait dans la même chambre, une sang-mêlée. 

Si il savait qu’elle pouvait mentir… un des crimes ultimes, considéré comme une chose impure, contre Nature… il serait capable de la tuer ici, dans cette bibliothèque : 

- Non, chuchota la sirène. C’est tout bonnement impossible, aucun humain ne serait capable de mettre les pieds dans notre Royaume, pas sans magie, ce qui n’existe pas dans leur monde. Il s’agit tout simplement d’une vieille légende, dûe au fait d’avoir une construction humaine dans notre ville. 

Elle se redressa : 

- C’est tout ce que je peux vous dire. Je ne sais pas si cela vous sera utile. 

Anastae l’observa s’éloigner de leur table, non sans un sourire carnassier pour la jeune fée, et se tourna vers Hélios, les sourcils légèrement froncés : 

- Tu penses que ce qu’on cherche est en rapport avec des humains ? Que l’organisation est composée des membres humains ? 

Hélios pinça ses lèvres : 

- C’est étrange. Les humains n’ont aucune idée que notre Royaume existe, et le seul passage entre leur monde et le notre se trouve dans l’eau de la falaise. Ils n’ont aucune magie pour ouvrir le portail, et quand bien même ils en auraient trouvé, ils se seraient fait dévorer par les sirènes cannibales. Aucun humain ne peut se trouver sur nos terres. 

- Et s’il existait un autre portail ? 

Anastae, âgée de sept ans, n’avait pas plongé dans l’eau magique de la falaise. Sa mère humaine l’avait simplement poussée en arrière avec un dernier regard déchirant, et elle savait sombré dans un noir profond pour atterir dans une des plaines près de la demeure de son père. 

Encore aujourd’hui, elle ne savait pas comment cela avait été possible mais la mort de sa mère était un mystère total : rien n’avait de logique. 

Hélios, la dévisagea longuement, comme s’il lisait dans ses pensées, et cela la fit légèrement déglutir : 

- Quand bien même il y aurait des humains dans cette organisation, ça ne règle pas la question de comment on récupère ce talisman ni de où il se trouve . Cette découverte ne ferait que soulever de nouvelles interrogations. A moins que… 

Il releva la tête : 

- Nous savons que le talisman se trouve dans cette ville. Mais si d’autres objets magiques avaient été déplacés dans le monde des humains ? 

- Nous ne pourrions pas nous y rendre. Le passage est interdit. Pourtant, tout semble concorder vers une piste humaine.

Ta différence est la clef. Pour beaucoup plus de choses que tu ne le penses. 

Tout s’éclaira. 

Ce qui était étrange dans cette ville, c’était tout ce qu’y demeurait profondément humain, ce que les créatures considéraient comme étant une chose maudite. Le lien était alors facile à faire. 

Les membres de cette organisation ne voulaient pas être découverts, voulaient garder leurs secrets dans un lieu sûr où personne ne se rendrait de lui-même. 

La fée lui avait dit. Depuis le début, elle savait où se trouvait ce qu’il cherchait. L’indice qu’elle lui avait donné était désormais si évident… 

Le lien humain de cette ville, le sang qui coulait dans ses veines, si la fée lui avait dit que sa différence était la clef…: 

- Que se passe-t-il, demanda le Prince qui avait dû sentir son brutal changement d’émotions. 

- Le clocher, souffla-t-elle. Nous n’avons pas vérifié le clocher. 

Le Prince écarquilla ses yeux. 

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