Chapitre 22 : Le Royaume du Cristal

Par Ayunna
Notes de l’auteur : Chères jolies plumes, voici une nouvelle version de ce chapitre pour terminer cette année 2022 en beauté !
Je vous souhaite la même chose :)

Nous gagnâmes son beau jardin après le petit déjeuner, et nous assîmes sur un rocher, à côté du ruisseau. J’écoutais le bruissement apaisant de l’eau. Avorian voulait m’enseigner le fonctionnement de ma planète natale, et sur ce point, je ne pouvais qu’approuver sa démarche.

Il m’informa que tous les peuples, aussi singuliers soient-ils, communiquaient en Orfiannais, langue que je m’étais mise à parler instinctivement.

« Chaque nation possède toutefois son propre dialecte, ainsi que ses représentants. On appelle ces derniers des « Gardiens » : leur incroyable pouvoir en font de puissants protecteurs, les seuls capables de contrer les monstres créés par les Terriens. Ils sont désignés par une pierre de pouvoir appelée « Pierre de Vie » ; ce joyau s’illumine lorsqu’il trouve son porteur. On ne sait jamais à l’avance qui sera choisi. C’est extraordinaire ! La Pierre de Vie reconnaît toujours son Gardien, et ce, dès sa naissance. »

Je me demandais à quoi pouvaient ressembler ces fameuses Pierres. Il me raconta que leur existence sur Orfianne remontait à des temps immémoriaux. 

– La Gardienne des Guéliades est donc morte ? m’avançai-je

Le mage demeura interdit. Il inspira à fond en plongeant son regard dans l’eau, comme s’il y cherchait de l’aide.

– Oui. Elle a tenté l’impossible pour sauver notre peuple. Mais cela n’a pas suffi.

– Alors, comment moi, un nourrisson, ai-je pu survivre sur le champ de bataille ?

– Parce que tu te trouvais encore dans le ventre de ta mère, bien à l’abri… elle arrivait certainement proche de son terme, ce qui t’a permis de naître en bonne santé et de rester en vie, bien que la sienne l’ait définitivement quittée.

Ma mère biologique était donc enceinte de moi lorsque ces horribles créatures l’ont assassinée ?

J’en ressentis un haut-le-cœur. Ces monstres avaient tué d’autres mères, leurs enfants et même… des bébés ! Je ne pouvais pas le réaliser. Et moi… j’avais survécu.

– Vous souvenez-vous d’elle ? Pourriez-vous me la décrire ?

– Hélas, non… J’étais moi-même aux portes de la mort, et surtout trop occupé à défendre ma famille.

Sa réponse me frustra. Mais c’était peut-être mieux ainsi. Mon esprit se la représentait à l’image de la statue… belle, aux cheveux bleus, avec une robe blanche.

– Ce n’est pas moi qui t’ai sortie de son ventre. Des femmes d’un autre peuple t’ont aidée à naître avant qu’il ne soit trop tard. Arianna et Swèèn nous ont ensuite emmenés, toi et moi, dans le désert de Gothémia, mais ils étaient gravement blessés, et n’ont malheureusement pas pu téléporter le corps de ta défunte mère. Shirin, une amie très chère, t’a nourrie là-bas de son sein. Et une petite phase plus tard, nous t’avons placée sur Terre.

J’en eus le souffle coupé.

Swèèn… le fameux lion ailé qui m’avait sauvée dans l’église. Avorian le considérait comme un « vieil ami ». Ils avaient donc combattu ensemble, aux côtés d’Arianna.

– J’aimerais rencontrer Shirin, répondis-je énergiquement.

Cette femme incroyable m’avait sauvée de la faim.

– Je t’en fais la promesse. Nous irons la voir dans quelques temps.

 

Je partis marcher dans ce beau jardin, tentant d’intégrer toute cette histoire.

Celle de mon passé.

Un peu plus tard, le mage poursuivit sa narration, faisant fi de mes états d’âmes. Toutes mes questions l’avaient coupé dans son explication quant au fonctionnement de cette planète :

« Afin de garantir la prospérité dans notre monde, deux grands Sages[1] règnent sur notre planète. L’un masculin, l’autre féminin. Les âmes des Sages se réincarnent, toujours en un homme et une femme ; un couple uni par leur amour éternel, au-delà du temps. Seule Arianna, la reine des fées, parvient à les reconnaître de vie en vie, car elle est immortelle, et guidée par Héliaka : cette dernière émet en effet une lumière particulière lors de la naissance de nos deux Éclairés. Grâce à un rituel ancestral, Arianna parvient à déterminer l’endroit précis de leur apparition sur Orfianne. »

Un peu comme le Dalaï-Lama sur Terre, qui revient lui aussi dans un nouveau corps, me dis-je.

« Les décisions à l’échelle planétaire sont confiées à ces archétypes. Les deux Sages assurent le lien entre les différentes dynasties et rassemblent les Orfiannais lors de cérémonies. Leurs capacités d’empathie sont exceptionnelles, leur érudition n’a pas de limite. Ils résident dans un endroit que l’on appelle le Royaume de Cristal. »

Tout en l’écoutant attentivement, je me dirigeai vers un arbre, m’adossant contre lui. Il ressemblait fortement à un catalpa avec son tronc assez court, son port étalé, ses larges feuilles deltoïdes et ses fruits en longues gousses marrons.

Repoussant une mèche rebelle de mes cheveux, je résumai les choses ainsi :

– Si je comprends bien, la magie régit ce monde. Chaque nation est représentée par un Gardien, qui la protège, tandis que deux Sages et une fée règnent sur la planète. Le Royaume de Cristal est une sorte de centre névralgique, un peu comme le cœur politique d’Orfianne. Rien n’est laissé au hasard !

– Exactement. Nous ne croyons pas beaucoup au hasard. Nous faisons confiance en la magie, qui est pure et respectée de tous, dénuée d’une volonté liée à l’égo. La magie est aussi vieille que l’Univers, elle œuvre pour le bien de la planète et de toutes ses créatures. Malheureusement, il ne reste plus qu’un seul Sage. Sa bien-aimée est morte lors de la grande bataille. C’était une Guéliade... Elle a voulu défendre son peuple. Les créatures issues des pensées des Terriens sont redoutables. Orion ne s’en est jamais remis. Je te laisse imaginer son chagrin ; les Sages se réincarnent ensemble depuis la nuit des temps. C’est la première fois que l’un d’entre eux est assassiné. Même si notre Éclairé sait qu’il retrouvera sa compagne dans leur prochaine vie, son deuil n’en reste pas moins difficile.

Je baissai les yeux, interdite, priant pour l’âme de cette illustre femme, morte pour sauver son royaume. J’admirais sa bravoure.

Nous marchâmes en silence le long du ruisseau.

– Le Sage actuel souhaite te rencontrer, me dit-il quelques minutes plus tard. Je te laisse imaginer combien c’est important pour lui.

– Comment est-il au courant de mon arrivée ?

– La créature qui t’a sauvée dans « l’é-glise » vit au Royaume de Cristal. Les Limosiens ont le pouvoir de se volatiliser. Swèèn est retourné de suite là-bas pour le prévenir. Sa réponse ne s’est pas faite attendre ! Nous répondrons à cette invitation. Il n’y a plus un instant à perdre : l’attaque d’hier soir m’en a fait prendre conscience. Le chemin sera long : plusieurs phases de marche.

Je réalisai que plusieurs jours – une bonne semaine d’ailleurs – s’étaient déjà écoulés depuis ma capture dans l’église par Sèvenoir. Je vivais sur Orfianne depuis… combien de temps ? Deux semaines, peut-être plus ? Cela me paraissait complètement fou !

– Plusieurs quoi ? répétai-je.

J’avais remarqué qu’Avorian utilisait de nombreuses fois deux termes qui se rapprocheraient en français des mots « cycle » et « phase », avec cette idée de « boucle » ou de période, de quelque chose qui se répète de façon naturelle, comme une Loi de l’Univers. Je maîtrisais manifestement très bien l’Orfiannais, mais certains concepts m’échappaient encore. J’avais tendance à traduire en français dans ma tête, au lieu de penser les choses dans cette langue. Or, quelques-unes de ses notions ne correspondaient à rien de connu sur Terre.

– Nous parlons de « cycles » pour désigner une longue période, correspondant à la révolution d’Orfianne autour de notre étoile. Et de « phases » pour désigner les lunaisons d’Héliaka.

Héliaka doit être le nom de la fameuse lune beige, devinai-je.

– Oh, je vois, cela correspond au mot « année » en français. Et nous parlons de « mois » pour désigner les cycles lunaires.

– D’accord, je vais essayer de retenir ces deux termes et de les réutiliser avec toi ! Revenons à notre voyage : je ne fabriquerai pas de transgèneur, pour les raisons que tu connais : ton corps a subi bien trop de voyages en quelques jours à peine ; je suis étonné que tu ne montres aucun symptôme, quelle résistance ! Nous devrons nous rendre sur de hauts lieux énergétiques. Nous irons tout d’abord à la grotte des feux sacrés : cet antre chargé d’une magie ancestrale te mettra en symbiose avec Orfianne. Cela t’aidera à t’adapter à ses fréquences, et te purifiera, pour éviter que tu ne bascules vers la magie des émotions.

– La magie des émotions…, répétai-je, pensive. Avec tout ce qui m’arrive, j’ai tellement peur de sombrer dans cette faille…

 – Nêryah, ton cœur est pur. La grotte va te ramener à l’essentiel, rassure-toi. Nous visiterons également, en chemin, le domaine des fées. J’espère que tu aimes marcher.

– Le domaine des fées ? répétai-je, ébahie. On croit rêver ! Mais vous n’utilisez pas de transports, comme sur Terre ?

– Non. Nous voulons préserver notre planète. Nous ne souhaitons pas construire de route, ni ouvrir des voies dans le ciel, cela perturberait l’écosystème. Bien évidemment, nous sommes capables de produire des transports écologiques. Mais nous ne les employons que rarement. Seuls deux peuplades parcourent les cieux à bord de leurs vaisseaux silencieux, non-polluants, et de façon limitée. Nous ne voulons pas accélérer le temps. C’est notre philosophie de vie. Ce qui se passe sur Terre est un très bon exemple des dérives de la technologie. Nous ne souhaitons pas reproduire les erreurs des Terriens, ni tomber dans les extrêmes. Marcher renforce le corps, permet les rencontres. Dans ton cas, c’est primordial : tu dois t’accoutumer aux énergies de ta planète, apprendre à découvrir sa faune et sa flore.

– D’accord, mais plusieurs « phases » de marche, ça fait long ! On ne pourra pas se « transgèner » dans quelques temps, au moins pour nous rapprocher du Royaume ?

– À part les créatures magiques comme les fées et les Limosiens, qui peuvent se volatiliser à leur guise et sans dommages, nous n’avons pas le pouvoir de nous téléporter facilement. Le transgèneur ne s’emploie qu’en cas d’extrême urgence, son utilisation peut s’avérer très dangereuse pour le corps. C’est la règle !

J’avais besoin de temps pour assimiler toutes ces informations. Avorian, toujours aussi prévenant, me laissa à mes pensées.

 

Le reste de la journée fut agitée. Avorian s’affairait aux préparatifs de notre long voyage. Partir pendant plusieurs mois nécessitait une excellente organisation. Le mage avait enchanté les sacs, de sorte qu’ils puissent contenir un nombre incalculable d’objets tout en restant petits et légers : le rêve de toute femme sur Terre ! Il entassa ainsi couvertures, vêtements, provisions, affaires de toilettes, me donnant ainsi plusieurs tenues de voyage : des pantalons souples et confortables, adaptés aux longues heures de marche à venir. C’était pour le moins déconcertant de voir autant de choses rentrer dans un si petit bagage !

Je me demandais toujours si ces vêtements de femme avaient pu appartenir à des Guéliades. Cela aurait pu expliquer son regard triste lorsqu’il me voyait dans l’une de ces robes… qu’une autre avait certainement porté avant moi. 

J’étais réellement affligée d’avoir quitté la Terre, ma famille. J’essayais de faire taire mes émotions face à cette réalité inéluctable. Je ne pouvais plus y retourner. Et mes parents m’avaient oubliée. Mon cœur se brisait rien qu’à cette pensée. J’entrais dans une phase de déni pour me protéger de ma propre souffrance. Ce mécanisme de défense m’aidait à supporter la situation, à me préserver de la folie. Je ne me sentais pas encore prête à affronter la vérité. Mais curieusement, je devais bien me l’avouer : j’avais vraiment hâte de découvrir cette nouvelle planète et de rencontrer ses habitants. Surtout les fées ! Un rêve de petite fille. Je tenais aussi à en savoir plus sur mes origines et sur cette terrible bataille. J’avais du mal à digérer toutes ces informations. Le puzzle se reconstituait peu à peu. Il me manquait encore quelques clés pour tout saisir.

Mes affaires enfin prêtes, je m’exerçai dans le jardin à former un bouclier magique. Je m’entrainais sans relâche, histoire d’oublier un instant ma condition de « pantin perdu au milieu de nulle-part ». Avorian m’observait du coin de l’œil en cueillant des fruits. Je voyais bien qu’il s’inquiétait pour moi. Il m’assura qu’il avait mis en place avec Arianna un sort très puissant pour protéger les lieux d’éventuelles instruisons d’êtres des ombres. Un mur magique rendait toute sa propriété invisible, comme située dans un autre espace-temps. Nous pouvions dormir tranquilles. Mais cet enchantement exigeait bien trop d’énergie pour pouvoir le faire perdurer plusieurs jours. 

Toutes ces mésaventures m’avaient épuisée. J’allai de suite me coucher après le dîner.

 

[1] Nêryah traduit par le mot « Sage », pour simplifier. En réalité, le terme Orfiannais utilisé, « Nahalé », désigne plutôt une étoile, un soleil. En Orfiannais, « soleil » se dit d’ailleurs « Umbhalé », les deux termes ont la même racine, leur signification est très proche. On pourrait dire à la place de « Sages » « les deux éclairés », « les deux astres incarnés ».

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Makara
Posté le 18/12/2022
Coucou Ayunna ! Me revoilà !
Un chapitre qui nous en apprend plus sur le monde d'Orfianne. J'ai beaucoup aimé le passage sur les sages ! Ainsi que l'idée de cycles et de phases. Dans de nombreuses civilisations, le temps n'était pas calculé de la même manière ou n'avait pas le même sens. Je trouve ça bien que tu l'utilises :)
Ces informations tombent à point nommé pour reprendre ma lecture en tout cas ! Cela me permet de raccrocher les wagons :p
En tout cas, j'ai trouvé les introspections bien gérées dans ce chapitre ! Tout est fluide et agréable à lire !
Où en es-tu dans la réécriture du tome 1 et l'écriture du tome 2 ?
Tu sais que tu peux demander des bêta-lectures sur le forum si tu t'y investie un peu ? (cela te permettrait d'avoir un retour sur l'ensemble de ton œuvre si tu acceptes de faire la même chose pour une autre plume).
Pleins de bisous volants !
Ayunna
Posté le 18/12/2022
Coucou Makara, merci pour ta lecture, j'ai changé et réécrit beaucoup de choses, j'ai modifié le chapitre 17 depuis que tu l'as lu, et complètement changé les chapitres 19 et 20, juste avant ta lecture, ce qui modifiera la suite. Je te conseille de découvrir les nouvelles scènes du chapitre 20 au moins avant de poursuivre. Donc oui je suis en pleine réécriture. J'ai très bien avancé dans mon tome 1 (pour la réécriture), j'ai un bêta-lecteur. Je reprends mon tome 2 ensuite :)
Merci du conseil pour le forum, je ne savais pas ;)

Tant mieux si c'est fluide et clair, merci !

A bientôt, sur nos histoires !!
Art of You
Posté le 11/10/2022
"– Exactement. Nous ne croyons pas beaucoup au hasard, sur Orfianne. Nous faisons confiance en la magie, qui est pure et respectée de tous, dénuée d’une volonté liée à l’égo. La magie est aussi vieille que l’Univers, elle œuvre pour le bien de la planète et de toutes créatures. Malheureusement, il ne reste plus qu’un Sage sur Orfianne. Sa bien-aimée est morte lors de la grande bataille. Elle a voulu défendre son peuple. Les créatures issues des pensées des Terriens sont redoutables. Je te laisse imaginer son chagrin ; les Sages se réincarnent ensemble sur Orfianne depuis la nuit des temps. C’est la première fois que l’un des Sages est assassiné. Même si notre Éclairé sait qu’il retrouvera sa compagne dans leur prochaine vie, son deuil n’en reste pas moins difficile."
C'est un autre exemple de tes répétitions, ici, tu pourrais tout simplement supprimer le premier "Orfianne.
Regarde combien de fois tu écris "sur Orfianne", c'est impressionnant ! Et tu as tendance à faire ça également avec certains noms, également.
Merveilleuse, cette introduction du monde d'Orfianne !
Tu devrais, en début d'ouvrage introduire un lexique qui résume tous ces nouveaux personnages et termes que explique parfois en fin de chapitre, je crois que ça aiderait les lecteurs.
Bref... j'adore de plus en plus. Impatient de continuer ce voyage fantastique avec toi !
Ayunna
Posté le 11/10/2022
Merci ! Je note, et c'est une bonne idée le lexique !!
Vous lisez