Chapitre 22 — Ben

Le garage de mon père.

Voilà un lieu où je n'avais pas mis les pieds depuis de longues années. Depuis que j'avais rejoint Snoke dans son entreprise, je m'étais séparé brutalement de ma famille et de tout ce qui pouvait les entourer.

Néanmoins, rien n'avait changé. En particulier cette vieille voiture coupée à l'entrée. Une Mustang rouge. Celle de mon père. Elle n'avait pas changé avec le temps, mis à part quelques éraflures sur les portières. En même temps, je connaissais mon père et sa conduite, parfois ça avait pu m'effrayer en étant gamin.

Puis les rétroviseurs dépareillés me rappelèrent d'autres souvenirs en compagnie de mon père. Je connaissais l'histoire derrière cette erreur esthétique. Encore un de ces nombreux soirs où mon père et moi avions exploré les rues abandonnées de la ville pour venir les remplir de quelques tags. Au début, juste une simple soirée où nos mains et nos vêtements s'étaient retrouvés tachés de mille et une couleurs. Puis tout s'était assombri quand le gyrophare d'une voiture de police avait hurlé dans nos oreilles. En sentant le danger s'approcher de nous, nous avions fui et ce rétroviseur avait été un dommage collatéral parmi tant d'autres.

Échapper à la justice, mon père s'y connaissait bien. Il n'avait pas respecté les règles, mais il savait jouer avec, comme toujours. C'était quelque chose qu'il avait toujours voulu m'inculquer dès le plus jeune âge : le bon, le mauvais, ça ne voulait rien dire. Tout ce qui comptait, c'était de rester fidèle à soi et aux valeurs viscérales à nos yeux. Probablement l'un de ses meilleurs enseignements.

Par la suite, comme toujours, ma mère nous avait réprimandés et elle avait probablement eu l'impression de devoir gérer deux gamins en pleine crise d'adolescence. Elle avait beau être bien plus stricte que mon père, elle m'avait appris à toujours voir le bon partout, même dans les pires moments. Juste, à espérer.

Dire que cette simple Mustang écarlate serra mon cœur... Mais je ne pouvais pas effacer tout ce que j'avais vécu, quand bien même Snoke avait tenté de le faire.

La peinture de la carrosserie était du même rouge vif que mes souvenirs, comme si rien n'avait changé. Malheureusement, c'était probablement tout ce qui avait persisté avec le temps...

Après une longue respiration, je fis un pas vers la grande porte gardée ouverte. Un aboiement me tira de mes pensées.

Chewie ?

Ce grand chien aux poils longs et bruns se jeta sur moi, prêt à me lécher le visage si je le laissai faire. Je dus le retenir et le calmer. Un grand sourire se dessina sur mon visage en me rendant compte qu'il ne m'avait pas oublié. Même à mes éclats de rire, il ne s'arrêta pas. J'aurais pu être un inconnu aux yeux de ce Berger de Bargame, mais loin de là. Il se souvenait de moi, comme si c'était hier.

Les aboiements du chien finirent par interpeller mon père. Il leva enfin le nez de la voiture qu'il était en train de réparer. Ses sourcils se froncèrent d'inquiétude et d'incompréhension. Puis cette expression passagère fut remplacée par un timide sourire. Il lâcha ses outils pour s'approcher de moi, d'un pas hésitant. Accompagné de Chewie, je le rejoignis.

Après tant de temps, nous étions vraiment face à face, et de mon plein gré. Un frisson parcourut mon corps et un mutisme me prit. J'avais terriblement eu envie de voir mon père, mais voilà que je ne savais plus quoi lui dire. En même temps, combien de temps s'était-il passé depuis notre dernière conversation à cœur ouvert ?

— Ben... Je ne pensais pas te voir, souffla-t-il, comme si l'espoir avait fini par le tuer.

— Désolé, j'aurais peut-être dû prévenir. Mais ça m'est venu sur un coup de tête.

— Ne t'en fais pas pour ça ! Je suis vraiment heureux de te voir.

Il y avait un grand sourire sur son visage, mais pas entier, encore empreint d'une triste nostalgie. Son regard se posait par moment sur ma cicatrice. Malheureusement, il était en train de redécouvrir son fils mutilé au visage. Cette longue balafre qui aurait pu me coûter la vie mais qui m'avait tout de même poussé à avoir des comportements dangereux. Si seulement il savait à quel point mon cœur avait été meurtri dans ces derniers évènements...

Chewie continuait de danser autour de nous et d'aboyer, heureux de nous voir tous les deux réunis. Et à vrai dire, cette simple pensée me fit sourire. J'avais beau m'être éloigné de mon père violemment, il y avait toujours quelque chose de viscéral entre nous.

J'avais comme la sensation qu'il avait envie de me prendre dans ses bras, mais n'osait pas. Après autant de temps éloigné l'un de l'autre, tous nos repères avaient été détruits. Nous étions chacun à une extrémité d'un pont que nous devions entièrement reconstruire.

Encore une fois, les mots me manquaient. J'étais venu, poussé par une soudaine envie, mais rien de concret. C'était d'autant plus compliqué de s'exprimer quand je repensais à notre dernière discussion. Cet échange qui m'avait paru comme une violente claque, un moment où je retrouvais enfin le contact de la réalité.

Mon père respectait ce moment de silence et ne cherchait pas à l'interrompre. Il m'avait brusqué une fois, pas deux.

De nouveau, Chewie me fit la fête à mes pieds, ce qui m'arracha aussitôt un sourire et calma en partie mes angoisses. Sa joie se manifesta par de bruyants aboiements que mon père tenta d'adoucir du mieux qu'il pouvait. Et mon sourire persistait, parce que je venais de trouver les mots.

— À propos de la dernière... Tu m'as parlé de ce trouble... Et j'en ai pas parlé à grand-monde. En fait, j'en ai parlé à personne. Même pas à Rey.

Je détournai mon regard un instant sur ces quelques mots. Un jour, j'allais devoir lui en parler. Elle était très compréhensive, très tolérante... Et pourtant, j'avais la sensation que ça pourrait ne pas passer.

— Et de l'autre côté, j'ai beau voir que tout colle et ça me déprime de voir à quel point c'est juste. Mais j'ai pas envie de croire que ça me concerne moi ce genre de choses... Je ne sais pas pourquoi.

Mon père opina timidement de la tête, l'air compréhensif.

— Malheureusement, je ne pourrais pas te donner de réponses là-dessus. J'aurais bien voulu le faire. Mais je n'ai pas l'expertise dessus contrairement à un psy... Et probablement pas les mots justes non plus.

Évidemment. Je ne pouvais pas lui en vouloir d'avoir une réaction totalement lucide sur la situation. J'avais, certes, besoin de réponses, mais il me fallait les bonnes personnes en face.

J'avais envie de lui parler du fond de ma pensée, mais j'avais peur que ce soit trop violent pour lui.

Parce que j'avais passé des heures et des heures à consulter des sites internet à la recherche de réponses, de ce qui me pousserait à avoir le fameux déclic. Mais au lieu de ça, je voyais la même liste de symptômes, les mêmes critères de diagnostic. Juste des textes impersonnels qui ne me donnait clairement pas une réponse affirmative ou négative.

Puis, j'avais vu trop de ressemblances pour juste rester dans le déni par moment. Alors là, j'avais juste déprimé. Mais violemment. Je me considérais condamné, comme si jamais je ne pourrais revenir sur le droit chemin.

Pendant un moment, je ne pouvais plus me projeter et tout était devenu noir. Je ne pouvais plus penser à rien, sauf à la fatalité de ma vie.

Dire que mon grand-père avait été dans le même pétrin... Ce grand-père que j'idolâtrais tellement au point de lui ressembler. Finalement, on se ressemblait sur beaucoup de points, mais pas ceux qui me plaisaient le plus avec le recul...

— Mais même si je n'ai pas le recul professionnel qu'il faut pour t'accompagner, je suis là pour te soutenir, peu importe ce qu'il se passe, ajouta mon père, les yeux larmoyants.

Sa loyauté, je l'avais bien vu. Quand bien même j'avais pu me comporter comme un con, il avait toujours été présent, prêt à m'accueillir dès le moment où je changerais d'avis. Je m'en voulais de l'avoir rejeté à ce point, peu importe qui tirait les ficelles derrière mes actes.

— J'irai voir un psy... Et il faudrait que j'en parle à Rey, lâchai-je d'une voix affaiblie en baissant le regard. Mais j'ai peur qu'elle ne le supporte pas... C'est comme si j'allais lui dévoiler de ce qu'il y a de plus sombre, de plus noir en moi... J'ai jamais été capable de lui dire réellement en face ce que j'éprouvais réellement pour elle au début. Je me suis caché derrière de stupides prétextes.

Ce n'était même pas une question de premier regard avec Rey, mais presque. Je la voyais régulièrement dans l'immeuble. Je la voyais discuter avec des commerçants aux alentours. Une fille adorable. Un magnifique sourire. Et surtout, une détermination hors pair, qui rendrait jaloux quiconque. Elle avait quelque chose de fascinant et j'avais terriblement envie d'en apprendre plus sur elle, de mieux cerner ce qui m'intriguait à ce point. Malheureusement, je n'avais jamais été capable de m'en rendre compte en quelques échanges brefs de regards, et j'avais donc immédiatement saisi cette opportunité de faux couple. Quelle ironie...

— Ça n'a rien d'obscur Ben, tenta de me rassurer mon père. Ça fait partie de toi et tu peux probablement le tirer à ton avantage. Et je suis persuadé que Rey te comprendra. Mettre un mot sur ce que tu vis ne changera pas tout ce que tu as vécu avec elle... Tu as toujours été comme ça, à ta manière.

Pour la première fois, j'avais l'impression de me reconnecter vraiment avec moi-même, de me recentrer sur ma véritable identité, comprendre qui j'étais réellement... Il y avait tout de même une douloureuse sensation. Parce que je me sentais stupide que ça ait duré autant de temps.

— Je pourrais tout mettre le dos sur ce trouble, parce que j'ai fait des horreurs par moment... Mais j'ai pas envie que ce soit mon excuse pour tout ça. Je n'ai pas envie de prétendre que quelqu'un a agi à ma place...

— Ne sois pas trop dur envers toi-même. Tu as totalement le droit d'avoir été submergé par ça. Tu l'as toujours été.

Malheureusement, il avait raison. Mes émotions avaient toujours été très intenses, très violentes. Je ne pouvais occulter tous ces moments de ma mémoire ; ces moments où ma colère avait été si intense que j'avais jeté tout ce qui me passait sous la main dans ma chambre. Puis les crises de larmes avaient été nombreuses. Tout s'était déclenché à l'adolescence, et même si j'avais tenté de le cacher à ma famille, ils avaient fini par le savoir.

— J'ai pas envie que ça excuse tout non plus... Je dois tout de même reconnaître où sont mes torts, peu importe qui je suis réellement, dans quel état j'étais... Je sais que ça ne sera pas évident, mais je suis prêt à le faire.

Un sourire se dessina sur le visage de mon père. Un sourire que je connaissais à la perfection. Ce sourire qui était l'incarnation de toute son admiration pour moi. Après tout, il avait toujours été fier de moi, quand bien même je lui avais montré les pires facettes de ma personnalité.

— Ne te détruis pas non plus dans cette voie, m'avertit-il d'une douce voix en posant sa main sur mon épaule. La rédemption est un long chemin, un chemin qui demande beaucoup d'énergie, alors n'hésite pas à t'éloigner de tout ça dès que ça deviendra trop insupportable pour toi. Préserve-toi avant tout.

J'opinais timidement de la tête, parce que j'étais bien trop occupé à retenir mes larmes. Puis mon regard se posa sur Chewie qui s'était calmé entre temps. Il s'était assis et nous regardait à tour de rôle. Il se mit alors à aboyer pour faire taire ce silence. Je mis à son niveau pour le prendre dans mes bras.

— Chewie... Tu m'avais tellement manqué, lâchai-je dans un murmure.

Il me lécha aussitôt ma joue et je ne pus m'empêcher d'en rire en le repoussant gentiment.

— Est-ce que tu dois partir rapidement ? s'enquit mon père d'un air inquiet.

— Non... Je vais rejoindre Rey ce soir, mais rien d'important de prévu. Je peux rester ici le reste de l'après-midi.

Il sourit à cette simple réponse. Nous allions enfin partager un moment entre père et fils. Un simple moment comme nous avions l'habitude fut un temps. Il allait retaper ces vieilles voitures et j'allais le regarder avec toute l'admiration qu'un gamin pouvait avoir.

Comme au bon vieux temps...

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Jess Swann
Posté le 16/05/2021
Ahhh jolie discussion avec Han et j'aime beaucoup Chewie le chien (même si je crains que notre wookie favori ne soit pas de cet avis mdrrr)
J'attends avec impatience que Palpapy passe à l'action
MissRedInHell
Posté le 18/05/2021
Haha désolée Chewie, mais bon compliqué dans un AU moderne de faire autrement xD
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