Joey replaça à la hâte la dalle du faux plafond et s’allongea à plat ventre dans l’obscurité. Avec la plus grande délicatesse, elle se fraya un chemin entre les grandes tiges de fer qui soutenaient la structure du faux plafond. Arrimées dans de la vieille brique, celles-ci ne tiendraient pas longtemps si elle continuait sa progression. Joey s’immobilisa et s’arrangea pour répartir équitablement le poids de son corps sur les jointures des plaques. Rester gainée ainsi lui demandait un effort considérable, mais elle n’avait pas d’autre choix : si le plafond cédait, elle s’écraserait sur le sol de la loge et ses occupants.
À chaque inspiration, les poumons de Joey s’emplissaient d’un air sec et poussiéreux qui lui chatouillait les narines au passage. Le bruit des battements de son cœur était assourdissant. Joey se força à ralentir le rythme de sa respiration pour calmer la cavalcade qui se jouait dans sa poitrine. Était-elle la seule à pouvoir l’entendre ?
Juste en dessous d’elle, les voix mates de plusieurs hommes s’entrechoquaient dans un flot ininterrompu.
— Voici donc le clou du spectacle ! s’exclama soudain une voix enjouée.
Joey était en nage, mais un frisson lui parcourut l’échine. Par la brèche d’une dalle abîmée, elle aperçut Lord Neville approcher de la couveuse. Le directeur du musée allait en soulever le voile quand il fut interpellé par une voix grave :
— Monsieur, je dois encore vous le demander : est-ce que vous avez bien réfléchi ? Il est encore temps de faire marche arrière...
Neville s’arrêta net. Il se retourna vers son interlocuteur avec une lenteur déconcertante.
— Faire marche arrière ? Est-ce que vous avez bien regardé autour de vous ? questionna-t-il en avançant. Observez, écoutez et redites-moi si je suis en position de tout abandonner. J’ai investi des millions dans ce projet. J’ai engagé ma fortune personnelle, une partie de celle de mes actionnaires et toute ma crédibilité !
Neville appuyait le bout de son index sur le torse de l’homme.
— C’est juste que... Ce que vous me demandez de faire...
— Et bien quoi ? Vous n’en êtes pas capable ?
— Si, bien sûr, je peux le faire. C’est pas le problème. Mais si quelqu’un découvre que... enfin, vous voyez... Nous finirons tous derrière les barreaux.
— Contentez-vous d’améliorer encore la formule. Vos derniers essais n’étaient pas très probants. L’idée n’est pas d’en faire des imbéciles heureux lobotomisés. La seule véritable question est : serez-vous prêt pour la rentrée à Saint-Georges ?
Joey ne parvenait pas à voir le visage de celui à qui Lord Neville s’adressait avec tant d’agressivité. Elle ajusta légèrement sa position et devina une paire de mocassins marron dont le cuir était allègrement râpé.
— Oui, oui, bien sûr... J’ai obtenu de très bons résultats dernièrement. Les souris répondent très bien au traitement. Les évènements traumatiques auxquels je les ai confrontées n’ont eu aucune incidence sur leur tempérament.
Tout à coup, Magnus apparut dans l’angle de vue de Joey. Elle sursauta. Le bruit du sang qui battait violemment jusqu’à ses tempes la rendit sourde à nouveau quelques instants. Il fallait qu’elle se détende. L’assistant de Neville s’approcha de l’escabeau qu’elle avait abandonné là un moment plus tôt. Dépitée, Joey ferma les yeux : elle avait laissé derrière elle le plus flagrant des indices. Quand elle les rouvrit, un léger couinement l’interpella dans la pénombre. Elle releva le menton et découvrit à quelques centimètres de son visage un petit rongeur poilu. Joey écarquilla les yeux de surprise. La bestiole s’avança davantage pour lui renifler le bout du nez. Joey secoua la tête vigoureusement pour faire fuir l’animal tout en gardant un œil sur Magnus qui tournait autour de l’escabeau et semblait chercher la raison de sa présence ici. S’il levait la tête, il verrait la dalle mal ajustée et c’en serait fini.
— Parfait, parfait..., acquiesça Lord Neville. Magnus, où en est le recrutement des professeurs ?
Les yeux du bras droit du directeur montaient une à une les marches de l’escabeau.
— Magnus ?
L’homme détourna enfin son regard.
Quand Joey souleva la tête, dégoulinante de transpiration, mais soulagée, elle dut se rendre à l’évidence : le rongeur n’était pas décidé à la laisser en paix. Il s’approcha davantage et continua de poser le bout de son museau çà et là sur son visage. « Va-t’en, va-t’en... », suppliait Joey intérieurement. Le chatouillement des moustaches de la souris autour de ses narines prenait l’allure d’une séance de torture. Joey ne pourrait plus tenir bien longtemps. Elle souffla sur le museau de l’animal mais, après une brève pause, celui-ci continua son inspection. Joey finit par éternuer si fort que sa jambe droite traversa l’une des dalles cartonnées tandis que son coude en enfonça une autre. Joey observa la souris déguerpir par une bouche d’aération. « Brillante idée », pensa Joey. Tout n’était pas encore perdu. La corpulence fluette de la fillette lui permettrait de prendre le même chemin que le rongeur et d’échapper à Neville et Magnus. Elle attrapa la première tige de fer qui s’offrait à elle et se hissa de toutes ses forces, mais le morceau de ferraille s’arracha du plafond de brique, déséquilibrant toute la structure. Le dernier mouvement de genou de Joey accéléra sa chute et elle s’effondra avec fracas sur le sol de la loge en même temps que la moitié du faux plafond.
— Encore toi ! s’exclama Magnus. Petite sotte ! Sortez, j’appelle la sécurité !
Joey se frotta les yeux, incapable de les ouvrir. Recouverte de poussière et de poudre de brique de la tête aux pieds, Joey se rendit vite à l’évidence : chaque battement de cils brouillait encore davantage sa vue. Elle voulait absolument voir à qui appartenaient les mocassins râpés mais sa vue resta floue. Elle n'aperçut que l’ombre d’un homme et d’un enfant quitter la pièce. Joey s’assit au milieu des dalles en polystyrène qui avaient amorti sa chute et frotta vigoureusement son visage du revers de sa manche. Quand elle les rouvrit enfin, la porte avait disparu. La perspective n’était pas plus réjouissante : une montagne de muscles se dressait devant elle.
Le vigile de la ruelle.
Il l’attrapa par le bras comme il aurait ramassé une brindille.
— Je... Je... Je suis l’apprentie de l’électricien ! bafouilla Joey.
— Oui, et moi la Reine d’Angleterre !
Le regard de Joey se durcit. Vexée par l’ironie désabusée du gorille, elle se sentit submergée par une vague de colère :
— Lâchez-moi ! Vous n’avez pas le droit !
Elle se débattait avec ferveur, mais ses efforts étaient vains. Le gorille la balança sur son épaule comme elle l’avait fait avec son rouleau de câble un peu plus tôt.
— Emmenez-la en lieu sûr, ordonna Magnus. Je n’ai pas le temps de faire intervenir une seconde fois la police pour cette petite fouineuse. Nous nous en occuperons en temps et en heure. Pour l’instant, faites juste en sorte qu’elle ne puisse plus perturber la cérémonie.
Au début, tu as la répétition du mot "faux plafond" dans les deux premières phrases. Rien de grave, mais cela saute aux yeux lorsque l'on est pas soi-même l'auteur ;-)
"L’idée n’est pas d’en faire des imbéciles heureux lobotomisés". Hum... je ne vois pas exactement de quoi il parle, mais la possibilité est glaçante...
Bon, Joey est dans de sales draps là... Je clique sur suivant !
Ce chapitre est, a mon avis, un peu plus à travailler, notamment dans les dialogues.
La discussion entre Neville et Magnus reste trop mystérieuse pour moi. J’ai vraiment l’impression qu’il faudrait peut etre nous donner plus d’informations sur ce qui pourrait les amener en prison etc (peut être l’as tu dit et je ne m’en souviens plus). Il faudrait vraiment jouer le jeu c’est à dire qu’ils doivent parler normalement, comme s’ils ignoraient qu’une 3ème personne s’y trouvait. Je m’explique « Mais si quelqu’un découvre que... enfin, vous voyez... Nous finirons tous derrière les barreaux. » J’ai l’impression que cette phrase par exemple ne devrait pas être aussi mystérieuse. Et que c’est une « facilité » scénaristique que de rester dans le flou. Alors ils pourraient parler par ellipse par peur des mots, mais bon, je sais pas trop.
Peut etre que d’autres avis ne seront pas d’accord avec moi. En tout cas la scène avec la souris est bien drôle. Joey ne crie pas de peur, je l’admire !
« Oui, et moi la Reine d’Angleterre ! » ⇒ J’adore cette réplique !
Tu as raison, d'autant que ce chapitre est un chapitre ajouté après coup.
Je suis très frileuse à laisser l'inconnu s'exprimer davantage parce que toute l'intrigue (à peu près) tient sur cette révélation là. Le projet est encore plus fou que ce qui était prévu de base...
Je vais voir comment faire ! Merci de ton retour !
Me re-voilà !
J'ai une petite question concernant le chapitre 16 : Comment Siméon et Meggie ont-ils su qu'elle se trouvait là ? Que font-ils là alors que notre héroïne est seulement accompagnée de son oncle ? Et comment ont-ils récupéré le talkie de l'oncle ? Comme ma lecture du dernier chapitre remonte un peu, il se peut que j'ai oublié quelques détails... Mais en lisant ce passage, je me dis que c'est peut-être trop facile la manière dont ils la trouvent. Ou peut-être que je veux aller trop vite et que ma réponse se trouve dans le chapitre suivant !!
Mes petites corrections (il n'y en a qu'une !) :
Au fond, elle souhaitait aussi découvrir le visage de celui qui en deviendrait le maître et l’emporterait, la privant à jamais de pouvoir veiller sur lui (sur elle ? pour que ça s'accorde avec "la créature du bout du couloir)