Chapitre 21 : Prévisible

Notes de l’auteur : tw : Automutilation, Suicide

Comme convenu, j'allais devoir suivre Heather pour me présenter à l'intégralité de sa famille lors d'un repas qui n'avait aucun sens. Je connaissais son père, c'était suffisant pour appréhender une mauvaise journée. J'imaginais déjà tout ce que cet enfoiré avait pu dire à sa famille. Ils avaient tous une certaine image de moi, que je le veuille ou non. Je le saurais à la minute même où je franchirais le seuil de la maison. C'était une évidence.

Pourquoi Nash était-il le père de Heather ? Pourquoi n'avais-je pas de chance ?

En compagnie de Heather, je m'approchai de la maison de ses parents. Nous n'étions plus qu'à quelques pas de la porte. Je détestais ça. J'avais un très mauvais pressentiment et le cœur assez serré, une sensation que je ne connaissais qu'à peine.

— Ne t'en fais pas, tout ira bien, me rassura Heather en caressant mon bras. Je te promets que tout se passera bien.

— Je n'y crois pas une seconde, dis-je d'un ton pessimiste, ne pouvant m'en empêcher.

Nous arrivâmes sous le porche. Elle m'embrassa passionnément. Elle tentait du mieux qu'elle pouvait de me calmer. Elle pouvait toujours essayer. Rien n'y faisait.

— Ton père sera dans les parages, poursuivis-je pour la convaincre qu'il s'agissait d'une très mauvaise idée.

— Je croyais que tu n'avais pas peur de lui, lâcha-t-elle d'un air amusé en serrant mon bras contre elle.

— En effet, soupirai-je.

— Alors—

— Chut, la coupai-je en posant mon index gauche sur ses douces lèvres.

Ça n'avait vraiment aucune importance. On n'avait pas besoin d'en parler davantage.

Je sonnai puis me tournai vers Heather pour lui adresser un sourire. Elle était suspicieuse, mais tellement adorable. Son froncement de sourcils était très sexy au passage, j'aurais tellement aimé la prendre en ce moment même. Si seulement nous n'allions pas nous rendre chez ses parents et que nous étions chez elle ou chez moi, peu importe, mais un lieu qui nous permettrait de le faire dans l'immédiat.

Finalement, une femme ayant dépassé la quarantaine nous ouvrit. Il s'agissait sûrement de sa mère. Je compris que j'avais raison quand elle se montra très enjouée à la vue de Heather. C'était bel et bien sa mère. Celle-ci remit sa longue chevelure brune en place et prenait un air presque hautain. Ça s'annonçait mal...

Nous entrâmes et Heather commença à faire les présentations :

— Maman, je te présente Cole Triaghan.

— Ah, lâcha-t-elle dans un murmure en durcissant subitement son regard.

Nash lui avait évidemment parlé de moi. À sa réaction, je compris immédiatement quels préjugés son mari lui avait imposés à mon propos. Prévisible. J'étais désormais le pire gendre existant pour sa parfaite petite fille. 

— Cole, voici ma mère, Nerissa, poursuivit Heather.

— Enchanté, m'empressai-je de dire.

Elle ne tarda pas à me faire comprendre pourquoi elle ne m'appréciait pas. Tant pis, c'était la belle-famille... Quelle importance ?

— Ne seriez-vous pas un ennemi de mon mari ? demanda-t-elle tout en sachant déjà la réponse.

— On s'en fiche de leur travail, rétorqua immédiatement Heather.

— Donc c'est bien lui, en conclut sa mère, le regard plus méprisant que jamais.

Une petite adolescente brune entra dans la pièce. Elle était bien plus jeune que Heather, sûrement sa petite sœur. La brunette la prit dans ses bras, très enjouée de la voir. Elles devaient être très proches. Apparemment c'était comme ça qu'était constituée une famille.

— Cole, voici Eliza, ma petite sœur. Eliza, voici Cole, mon copain.

— Enchantée ! s'exclama-t-elle, enthousiaste.

— Moi de même, répliquai-je d'un ton assez neutre presque courtois.

— On se fait la bise ?

— Si tu veux, répondis-je comme si ça n'avait aucune importance.

Ce n'était pas dans mes habitudes, ni même dans les habitudes de personne. J'ignorais d'où elle sortait ça. Mais peu importe, j'acceptai. Nous nous fîmes rapidement la bise. Ceci semblait lui plaire, tant mieux pour elle, bien plus qu'à sa mère qui levait déjà les yeux au ciel.

— Tu t'es enfin trouvé quelqu'un ! dit Eliza à sa sœur.

Heather sourit immédiatement. Elle non plus n'avait jamais présenté quelqu'un à ses proches, malheureusement, toute sa famille me connaissait et me détestait déjà.

— Eliza, viens aider en cuisine, s'interposa sa mère.

— Je peux aider, me proposai-je.

— Tu es un invité.

— Non, ça me ferait plaisir. Laissons les sœurs entre elles.

Elle finit par accepter, à contrecœur. Pourtant, j'étais poli, serviable et aimable. Je n'avais rien du mauvais gendre jusqu'à là. Mis à part les ragots propagés par Nash, qui, malheureusement, étaient suffisants pour me juger.

 

*

 

Eliza et Heather étaient en pleine discussion entre sœurs dont je devais sûrement être le sujet. Pendant ce temps, j'entrai en cuisine en compagnie de Nerissa. Nash était présent et me fusilla immédiatement du regard. Je pouvais le comprendre. Après, j'étais quand même un de ses concurrents et dans sa propre maison. Évident. Cependant, je ne voulais pas que les affaires s'immiscent dans ce repas.

— Je ne viens pas là en tant qu'ennemi, annonçai-je d'un ton qui se voulait calme.

— Tu viens toujours en tant qu'ennemi, me rétorqua-t-il sèchement.

— Laissez tomber vos rivalités de travail quelques instants, s'opposa Nerissa.

— Il avait qu'à ne pas sortir avec notre fille, cracha-t-il sans se gêner pour me montrer tout son mépris à mon égard.

Cette discussion n'allait mener à rien. Je décidai de changer le sujet de conversation sans le moindre remords :

— Qu'est-ce que je peux faire pour aider ? proposai-je à Nerissa d'un ton courtois.

— Quel faux cul, lâcha Nash.

Il me mitrailla une dernière fois du regard puis s'éclipsa. Évidemment, il n'allait certainement pas rester dans la même pièce que moi.

Nerissa était en train de me chercher une occupation, mais elle semblait gênée et ignorait quoi me proposer. Je remarquai que la vaisselle n'était pas faite. Je pouvais m'en charger. Elle refusa aux premiers abords, puis elle accepta lorsque j'insistai.

Je m'approchai du lavabo, relevai mes manches et commençai à faire la vaisselle. À ce moment, Nash entra dans la pièce. Il semblait prêt à prendre la parole, mais se retint lorsque son regard se posa sur moi.

— Quelque chose à dire ? demandai-je.

— Non... En fait... Rien...

Il partit précipitamment. Sa réaction était plutôt étrange. Je tentais de comprendre puis mes cicatrices me sautèrent aux yeux. Merde... Quel con...

 

*

 

J'avais abandonné la cuisine pendant quelque temps pour rendre visite aux filles dans le salon, mais surtout parce que je ne me rendais pas encore compte de ma connerie. Elles étaient assises en compagnie d'un homme que je n'avais jamais croisé jusqu'alors. Il semblait un peu plus âgé que Heather, sûrement son grand frère.

Il se leva pour me serrer la main et je pus alors constater qu'il était plutôt petit pour un homme. Les ressemblances familiales me sautèrent alors aux yeux : le même regard qu'Heather et les mêmes cheveux qu'Eliza. L'air de famille était plus qu'évident, pourtant, si on ne me l'avait pas dit, j'en aurais sûrement douté.

— Bonjour, je suis Bevan, le frère d'Heather.

— Enchanté, Cole Triaghan.

Je pris sa main dans la mienne pendant un bref instant. Il ne semblait pas me craindre. Me connaissait-il vraiment ? Ni lui ni Eliza n'éprouvaient la moindre peur à mon égard. Au contraire, ils semblaient plutôt heureux de me rencontrer.

— Vous allez vous marier ? demanda Eliza, surexcitée.

— Tu ne penses vraiment qu'à ça, rétorqua son frère. Ce n'est pas parce qu'ils sont en couple qu'ils vont se marier de sitôt.

Je ne pouvais m'empêcher de sourire à cette remarque. Le plus tôt serait le mieux.

Bevan se tourna vers moi, plutôt curieux.

— Je ne m'attendais pas à ce que ma sœur vienne accompagnée cette fois-ci.

— Il faut bien un début à tout. En tout cas, c'est un plaisir d'être ici, prétendis-je.

Certainement pas un plaisir, une vraie torture. Je voyais bien que Nash ne cessait de me regarder d'un mauvais œil, tout comme sa femme. Sûrement le comportement de n'importe quels parents voulant protéger leur fille...

Je partis bien rapidement aider en cuisine, même s'il n'y avait pas grand-chose à faire. Au moins, ça m'évitait d'avoir de longues et pénibles discussions.

 

*

 

Le repas fut alors prêt. Toute la famille était au complet, installée à table. Le premier plat avait été servi. Quelque chose de simple : un bout de viande avec quelques légumes.

Eliza était très intriguée par ma présence, tellement qu'elle ne put s'empêcher de me poser des tas de questions :

— Donc t'as une entreprise toi aussi ? Comme mon père ?

— En effet. Sauf que je réussis bien mieux que lui, répondis-je, me laissant aller aux moqueries, ce qui était plus fort que moi.

— Pas du tout, rétorqua Nash. J'étais déjà en pleine réussite quand tu ne faisais encore que pisser dans tes couches.

— Heureusement que les choses changent, ajoutai-je à son propos.

Eliza ne put se retenir de pouffer. Son père lui lança un regard terrifiant comme pour la sermonner. Il voulait qu'elle soit de son côté, pas du mien. C'était lamentable. Cette fille semblait vraiment avoir cinq ans d'âge mental.

Bevan finit par prendre la parole en notre faveur, comme s'il voulait la paix dans le monde.

— On s'en fiche du travail... Si ça marche entre vous... C'est tout ce qui compte.

Il échangea un rapide sourire avec sa sœur. Celle-ci était contente que ses frères et sœurs l'encouragent contrairement à ses parents.

Cependant, Nash n'avait pas dit son dernier mot. Il me posa une question, plutôt déstabilisante, je ne m'attendais pas vraiment à celle-ci :

— Tu vas voir un psy ?

— Pardon ?

— Papa ! s'exclama Heather. C'est complètement déplacé !

— Alors explique-moi pourquoi il a les bras entièrement recouverts de cicatrices...

Heather ne répondit rien. Elle-même n'en savait pas grand-chose. Elle savait que ça m'arrivait, mais elle ignorait tout du pourquoi du comment parce que j'avais toujours refusé de lui en parler.

Néanmoins, j'aurais dû me douter que ça allait me retomber dessus un jour. Ces cicatrices me semblaient tellement naturelles qu'il m'arrivait de ne plus y prêter attention des fois. Mais les autres les voyaient immédiatement, ce pourquoi j'avais pris l'habitude de les cacher.

— Ça n'a aucune importance, lâchai-je en espérant détourner le sujet de la conversation.

— Vraiment ? Alors comment c'est arrivé ? me demanda Nash d'une manière déstabilisante.

— Ça n'a vraiment aucune importance.

— Tu veux épouser ma fille, j'ai bien le droit de tout savoir sur mon futur gendre.

Je me tus. Que pouvais-je dire ? Ne comprenait-il pas que je n'en avais rien à foutre de nos querelles professionnelles en ce moment même ? Pourquoi ne voulait-il pas comprendre le fait que Heather puisse m'aimer ?

— Alors tu as perdu ta langue pour la première fois de ta vie, ajouta-t-il d'un air fier.

— Excusez-moi...

Je quittai précipitamment la table pour sortir dans le jardin. Il fallait que je prenne l'air. Je passai rapidement mes mains sur mon visage. Je le savais que ce repas allait dégénérer. Je le savais. Alors pourquoi avais-je accepté ? Comment avais-je pu croire que j'aurais pu faire une bonne impression à sa famille ?

Je pris mon paquet de cigarettes. J'en avais besoin. Toujours la même routine et j'en tirai une grande bouffée. Ce repas était clairement un désastre.

Nash finit par me rejoindre. Ne pouvait-il pas me laisser seul cinq minutes ? Merde !

— Tu fumes ?

— Occasionnellement, mentis-je.

— On n'y croit pas une seconde.

— Ouais très souvent, et alors ? rétorquai-je avec dédain.

Il fronça les sourcils. Que voulait-il dans le fond ? Que je quitte sa fille ? Je n'en avais pas l'attention.

— Va te faire foutre de toute manière, ajoutai-je entre quelques bouffées.

— Tu oses me dire ça ? Je suis le père de Heather.

— Vas-y, dis ce que tu veux de moi ! m'emportai-je en détachant clairement chacun de mes mots.

Je tirai une autre bouffée de ma cigarette avant qu'il ne puisse reprendre la parole.

— En tout cas, je sais ce que j'ai vu, affirma-t-il sèchement.

— Tu n'as rien vu, prétendis-je.

— Beaucoup de cicatrices et des coupures, très récentes...

— Ce ne sont pas tes affaires.

Je ne voulais plus lui parler. J'éteignis ma clope bien qu'elle ne soit pas complètement finie. Je n'étais pas sorti pour avoir à lui parler. Il me retint en me prenant fermement par le bras, quitte à me faire mal.

— Tu comptes épouser ma fille. Alors peut-être qu'on est des rivaux... mais elle ne mérite pas de finir avec un mec qui a bien plus de problèmes qu'on le croit.

— Ok... Je me suis fait ça tout seul et alors ?

— Tu es suicidaire ou quoi ? s'enquit-il, sérieusement.

— Je n'ai pas à en parler avec toi, répliquai-je sèchement.

Je tentais de le repousser, mais il me serrait davantage. Il ne voulait pas me laisser partir. Il voulait savoir. Ils voulaient tous savoir.

— J'aimerais mieux connaître mon futur gendre, m'annonça-t-il d'un ton presque amical.

— Arrête de dire n'importe quoi... Tu n'en as rien à foutre ! Tu veux juste avoir l'information que tu pourrais divulguer aux autres...

— Si c'est vraiment des tentatives de suicide, non, je n'en parlerai pas. Je veux bien te faire chier, mais il y a certaines limites. Il y a des choses que je ne ferais pas.

Je ne pouvais pas le croire sérieusement. À sa place, je n'aurais pas hésité à tout dire. J'aurais lancé un scandale. Je n'en aurais eu rien à foutre.

— Ah oui, c'est vrai que tu n'as aucune éthique, ajouta-t-il dans un soupir.

Ce n'était pas faux. L'éthique n'était qu'une barrière dans mes plans. Elle ne me servait à rien.

— Va te faire foutre !

— Quelle réaction de lâche ! Tu peux dire ce que tu veux de mon âge, mais tu es bien trop jeune pour vraiment comprendre le monde.

Voilà que désormais il tentait de me faire la morale. Il en était hors de question. Il ne savait rien, absolument rien.

— Je le comprends mieux que toi en tout cas, tentai-je de le contredire.

— Alors pourquoi tu as tenté de te suicider ?

— Je n'ai pas dit ça.

— Dis-moi tout Cole. Je peux facilement convaincre ma fille de te quitter. Moi aussi je peux user de la force s'il le faut.

— Je ne parle pas quand j'ai un couteau sous la gorge, ripostai-je, fermement.

— Parle, s'acharna-t-il.

— Mais qu'est-ce que ça peut te foutre que je me mutile ou que je sois suicidaire ? C'est mon problème !

— Tu comptes épouser ma fille, ça deviendra son problème. Je n'ai pas envie qu'elle pleure un connard qui a décidé de se flinguer du jour au lendemain.

Il tentait de m'intimider par son regard, mais en vain. Ses propos, je les avais bien trop de fois entendus et ils ne m'atteignaient même plus. Je finis alors par me détacher de son emprise sans dire un mot et partis.

 

*

 

Le reste du repas se passa plutôt dans le calme malgré quelques regards assassins traînant çà et là.

Heureusement qu'il y avait une fin à tout ça ! Je rentrai chez moi en compagnie de Heather, complètement excédé par ce repas. Je n'en pouvais plus. Comment avait-elle pu me traîner là-bas ?

— Ça aurait pu être pire, me dit-elle pour me rassurer.

En effet, mais ça l'était déjà pas mal. C'était dur de faire pire. Pour ça, il aurait facilement fallu au moins une dizaine de morts.

— Mais bien sûr... En attendant, ce n'était pas glorieux. Quelle idée d'aller à ce repas de merde !

— Oui, mais si on n'y était pas allés, ça aurait été bien pire, me contredit-elle d'une douce voix.

— Bref... On s'en fiche.

Je n'en pouvais plus. Tout ce que je voulais, c'était passer du temps avec elle. Je m'approchai d'elle et l'embrassai, mais elle me repoussa bien rapidement.

— Non. On ne s'en fiche pas.

— On s'en fiche.

— Mais—

Elle finit par se taire, n'osant même pas continuer sa phrase. Peut-être avait-elle finalement compris mon ressenti, parce que j'avais plus que détesté ce repas. Puis elle afficha un doux sourire et la manière qu'elle avait de me dévorer du regard était bien trop attendrissante.

— Quoi ? m'étonnai-je.

— Merci d'être quand même venu...

— Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix.

— Désolée, je n'aurais peut-être pas dû autant te forcer la main...

— Ce n'est pas grave, ça allait bien finir par arriver un jour.

Et assez naturellement, je me mis à sourire à mon tour. Elle s'approcha alors de moi pour m'embrasser tendrement et peut-être que c'était suffisant pour mettre cette journée de côté...

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