Chapitre 21 : L’île au trésor

Chapitre 21 : L’île au trésor

 

Evangile de Spirale, Numéro 5, Verset 1

 

« Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es beau ! Tes yeux sont des étoiles de mer, derrière ton voile ; tes cheveux sont un banc de sardines ondulantes au fond du tanafas.

Tes dent, des coraux qui épousent la côte. Chacune a sa jumelle et nulle n’en est privée.

Tes lèvres, un fil d’écarlate et tes discours sont ravissants. Tes joues, des moitié de palourdes, derrière ton voile… »

*

Des années plus tôt…

 

Un matin, elles s’étaient senties mal.

La douleur était venue du ventre et les avaient envahies comme de grandes vagues de souffrance dans lesquelles elles s’étaient empêtrées.

La vague venait et repartait, le soleil tournait autour du monde et à l’intérieur des ventres.

Elles vomirent. L’une s’enfouie jusqu’au cou dans un bain tiède, attendant que la souffrance se répande dans l’eau comme une plaie qui suppure.

L’autre renversa tout ce qui lui passait sous la main, torturée par quelque chose de pire encore.

Le soleil se coucha et la tempête se leva. Elles avaient si mal, si mal, qu’elles croyaient bien qu’elles allaient mourir. Des mains les accompagnèrent, parfois tendre, parfois brutales. Elles se transformèrent lentement en bêtes, jusqu’à ce que le sang coule, dans des blessures qu’elles ne sentaient même plus.

Le soleil tourna encore et ce fût le matin.

Il y eut deux femmes qui se firent amputer… l’une d’un bébé mort et l’autre d’un bébé volé.

 

Le vide était vertigineux.

Le soleil au zénith infligeait au monde une température de plus de quarante degrés. La mer grondait en bas en tourbillonnant contre les rochers.

Honorine écrasa un énième moustique sur sa joue et jeta une dernière pelleté de terre sur la tombe minuscule avant de s’appuyer sur sa bêche, le regard encore un peu hébété.

La corniche dominait l’île, on voyait Hàgiopolis en contrebas. Les insectes bruissaient, les cacatoès chantaient et le vent emmêlait ses longs cheveux rouges.

Elle entendit des bruits de pas qui froissaient l’herbe et tourna légèrement la tête pour voir la silhouette de Melchior qui montait le sentier. Elle le laissa venir en silence.

— Je suis venu voir comment tu allais.

— Je vais bien.

— Je ne te crois pas.

Honorine soupira et planta sa pelle dans la terre molle, plus pour occuper ses mains que par véritable nécessité. Elle fixait avec intensité le tourbillon de cailloux qu’elle avait placé sur la tombe de l’enfant mort, pour se forcer à ne pas pleurer.

— La toubib a dit que je n’aurais plus jamais d’enfants. Elle dit aussi que c’était pas une fausse-couche normale. Elle pense que quelqu’un m’a empoisonnée.

— Il ne faut pas beaucoup réfléchir pour deviner qui.

— Mais on a pas de preuves.

— C’est tout comme.

Elle se demanda s’il savait que le bébé mort était son fils. Qu’importe, il avait toujours témoigné une souveraine indifférence à l’encontre des dizaines de rejetons dont il était à présent le géniteur.

— Je m’en fiche. Je n’ai pas besoin de me venger. Terfez a gagné. La prochaine fois que je prendrai la main, qu’est ce qu’elle me volera d’autre ? Que reste t-il ? Ma mère ? J’aimerai déjà qu’on la retrouve… J’aurai eu besoin d’elle, maintenant, mais Spirale est folle.

— Non.

— Qu’est ce que ça veux dire ?

— Elle n’est plus folle. Je suis désolé, je porte une mauvaise nouvelle.

Spirale se retourna. Melchior était debout sur le sentier, il tenait dans ses mains un chapeau et un parchemin.

— On a retrouvé sa barque, vide. Elle avait juste laissé son chapeau et cette lettre, pour expliquer son geste.

Il lui tendit les deux objets :

— Spirale n’est plus folle, parce que Spirale, maintenant, c’est toi.

Un silence gênant s’étala entre eux, où Spirale finit par prendre le chapeau pour se l’enfoncer sur la tête avant de s’emparer du message pour le lire.

Quand elle eut finit, elle pleurait.

— Tu comprends ce que ça veut dire, n’est ce pas ? murmura Melchior.

Oh oui, elle comprenait.

Quand elle rejoindrai Hàgiopolis, il n’y aurait plus de terre sous ses pieds, mais le pont de Mumit. Elle n’avait plus de mère, plus d’enfant, plus d’amant. Elle était maintenant Grande mère et représentante de ‘Ilaaha sur terre.

Elle se demanda vaguement pourquoi ce rôle lui avait semblé si enviable, il y a peu. Pour quoi ?  La reconnaissance, la gloire, le pouvoir ?

Elle réalisa qu’elle ne pourrait plus jamais venir se recueillir ici non plus, et si tout le reste la laissait juste dans un complet sentiment d’hébétude, celui-là la révolta.

— Nous reverrons-nous ? demanda Melchior.

— Il y a des règles…

— Tu n’as jamais aimé les règles.

— Alors tu as ta réponse. Maintenant, laisse-moi, je veux être seule.

Il ne protesta pas, se retourna et descendit tranquillement le sentier, du pas languide qui était désormais le sien.

Spirale posa sa tête dans ses mains. Elle serait enfermée sur son navire pour le restant de ses jours ou presque. On ne lui en voudrait pas d’emporter un petit souvenir.

La pelle se renfonça dans la tombe fraichement creusée et la grande mère déterra le cadavre.

*

Gaspard arpentait le port de sa démarche légèrement chaloupée. Il se sentait dans les heures qui suivent un ouragan. On trouvait des tonneaux éventrés dans la rue, des chiens errants qui humaient les environs, les vitres des troquets et des bordels étaient brisées. Certains bâtiments brûlaient et s’effondraient dans le marais. Des femmes silencieuses entassaient leur morts.

Il vit une silhouette debout sur le quai, qui regardait le large dans sa longue vue. Il rejoignit Dolorès. Pendant ce temps, les derniers vaisseaux étaient amarrés dans le port et leurs soldates rapatriées par chaloupes.

— Ca y est, c’est fini ?

— On dirait. La ville est à nous, en tout cas.

La sombre se retourna et le détailla des pieds à la tête.

— C’est un peu déstabilisant de parler de ce genre de choses avec un homme. Un homme brun, qui plus est.

— Pas plus que de discuter avec une sombre peinturlurée comme une actrice de théâtre, si je peux me permettre.

— Ma foi, c’est tout à fait vrai.

La pluie avait fait couler le maquillage de la peau de Dolorès et les faux yeux blancs qu’elle avait dessiné avec de la chaux sur ses paupières faisaient des rigoles crayeuses le long de ses joues.

Gaspard croisa les bras :

— Les jumbees dans les marais, c’était vous ?

Dolorès eut l’air surprise :

— De quoi est-ce que tu parles ?

— Quand Larifari est revenue de son expédition au nord de l’île, il y avait des jumbees dans le marais, elles les ont toutes vues. C’était peu de temps avant que vous ne capturiez Spirale. Et l’idée de se déguiser venait de vous. Quelque chose me dit que ce n’est pas la première fois que vous utilisez ce procédé. Vous aviez besoin d’un endroit où accoster et attendre en attendant que Spirale ne soit à votre merci. Après avoir accosté à Hàgiopolis pour faire du commerce, vous avez contourné l’île comme si vous rentriez chez vous, mais au lieu de continuez votre route, vous avez fait escale dans le marais en attendant qu’un des espions de Dédale ne vous prévienne. Et vous tuiiez ou effrayez toutes les brunes que vous avez croisé, comme ce village païen où la sorcière pâle a été trouvé.

Dolorès esquissa une mimique qui aurait put être une grimace ou un sourire :

— C’est fort astucieusement trouvé, vous pourriez faire de la politique… ou bien écrire un livre.

— Je pense plutôt à la politique.

La sombre éclata de rire :

— Sérieusement ?

— Oui.

Elle cessa de rire et le détailla du regard, plus sérieusement.

— Plus je vous regarde, plus je vois à quel point vous ressemblez à votre mère. Ce n’est pas uniquement un compliment. Derrière ce faux regard soumis, il y a une redoutable ambition et une lignée impitoyable de reines pirates. Mais vous êtes un homme et c’est un obstacle plus haut que bien des montagnes.

— Capitaine, que vous ont promis les brunes en échange de votre coopération ?

— Un accord commercial.

— Je m’en doutais. Sans doute un traité de vente exclusive de l’algue shifa à votre flotte, et un autre de non-agression de vos navires.

— Quelque chose dans ce goût-là.

— Moi aussi, on m’a fait une promesse en échange de mon aide.

— Il faut se méfier des promesses. J’ai encore mes femmes pour m’assurer que ce traité sera respecté… sinon, ce sera à nouveau la guerre et Hàgiopolis a besoin d’un peu de temps pour panser ses plaies.

— Vous ne savez pas à quel point mensonges et vérités ont joué dans cette affaire, Capitaine. Si je me débrouille bien, je pourrai bientôt retrouver une personne qui permettra d’écarter définitivement tous les menteurs. Quand à la promesse en elle-même, peut-être n’est-elle pas aussi satisfaisante que la vôtre, mais…

— Ne tournez pas autour du pot plus longtemps, on vous a offert l’indépendance, n’est ce pas ?

— Oui, et le droit de vote.

Dolorès écarquilla les yeux avant de les baisser :

— Spirale n’aurait pas dû vous promettre ce qu’elle n’est pas capable de faire. C’est de la folie.

— Non, j’obtiendrai ce droit, de grès ou de force.

Les yeux de Gaspard étincelaient.

— Je vois une ouverture. Notre monde est en train de changer. Le rapport entre les bruns et les sombres, entre les hommes et les femmes… Un jour, les dominants comprendront qu’avec des alliés, on peut faire plus de choses qu’avec des ennemis et tout le monde sera gagnant.

— Hum, il faudra certainement un peu plus d’arguments que cela pour me convaincre, mais je vous souhaite bonne chance dans votre entreprise.

Sur le port, un groupe de pirate arrivaient derrière eux et les montrèrent du doigts en poussant des hourras.

Dolorès glissa les mains derrière son dos :

— Regardez, en l’absence de Spirale, ils viennent vous porter en triomphe. Peut-être avez-vous raison et que votre entreprise n’est pas perdue.

Les pirates enthousiaste arrivèrent et Gaspard leur demanda :

— Quelles sont les nouvelles ?

— Le temple de la vie est entre nos mains ! La victoire est complète !

Gaspard sentit que son ventre se nouait. Il souffla :

— Spirale et Dédale ?

— On ne sait pas encore, elles sont toutes les deux dans les souterrains, vers la salle du trésor, on devrait avoir la conclusion bientôt.

— Si elles se débrouillent bien, aucune ne devrait mourir, mais trouverons-t-elles la force de ne pas s’étriper ?

— Allons-y pour le savoir !

— Je vous suis, souris Dolorès, tandis que Gaspard se faisait attraper par sa chemise pour être hissé au dessus de la foule qui montait jusqu’au temple.

Avant d’être semé, elle précisa :

— Au fait, Monsieur, si jamais vous avez besoin de conseils, n’hésitez pas à venir dans ma cabine et je saurais vous orientez.

Gaspard soupira intérieurement. Que les femmes étaient pénibles avec ça. Il lui répondit avant qu’on ne l’emporte :

— Je suis navré Capitaine, mais je ne mélange jamais la politique avec le plaisir.

*

— Tu n’avais pas toujours les meilleurs notes.

— Non, c’est vrai.

— J’étais meilleure que toi en écriture, lecture, mathématique et science politique. Toi, tu ne brillais que dans les matières où il fallait faire la maligne.

— Encore une fois, c’est vrai. Mais ce n’est pas un crime !

— Sans doute pas. Mais tu avais tout, tu avais même Melchior et tu le traitais comme la boue de tes chaussures. Ça a commencé à cause de ça : une simple jalousie.

— Hum !

Spirale s’était allongée sur le tas d’or. Ça avait quelque chose de grisant, d’enfantin, de battre les bras au milieu de toutes ces pièces et de les sentir coller sous ses pieds nus. Dédale lui lança un regard méprisant du haut de sa montagne clinquante, tandis que son pistolet était braqué sur elle :

— Tu n’as pas peur que je te tue ?

— Pas trop. Déjà, on ne se tuera pas avant d’avoir parlé. Ensuite, parce que celle qui tuera l’autre sera condamnée à mort d’après le Livre. Essayons de trouver une autre solution.

Dédale eut un rictus :

— L’autre solution, espèce de chiure de merde, c’est de blesser et d’enfermer l’autre au cachot jusqu’à la fin de sa vie.

Spirale hocha la tête, pensivement :

— Ce serait bien.

Puis elle se retourna :

— Tu sais ce qui nous manque ? Une bonne bouteille ! Est-ce que le vin dans ta chambre était empoisonné ?

— Quoi ? Non !

— Je l’ai fais tomber, dommage…

— Hein ? Il venait du continent ! protesta Dédale, scandalisée. Tu sais combien il m’a couté, putereau !

Spirale éclata d’un rire rocailleux avant de murmurer, rêveuse :

— On aurait dû être amies, Terfez, on aurait pu épargner tellement de vie. Conquérir le monde à la place.

Pour toute réponse, Dédale tira dans les pièces d’or qui firent un geyser doré qui retomba en pluie sur le chapeau et la redingote de Spirale. La grande mère se jeta sur le côté :

— Woh arrête ! Tu fais peur !

— Tu ne me prends vraiment pas au sérieux, pas vrai ?

La grande mère de la mort enfonça son chapeau sur son visage jusqu’à ce qu’on ne puisse plus voir que son immense sourire. C’était comme si toute sa haine s’était évanouie quand elle avait trouvé son éternelle rivale assise en haut de son tas d’or, comme une diva de théatre.

Les masques étaient tombés alors.

— Ce n’est pas ça. Je crois que je prends un certain plaisir à être là. Est-ce que tu vois à quelle point cette situation est spéciale ? Nous qui nous détestons depuis le tout début, c’est la première fois que nous sommes seules toutes les deux.

— Faux. On était seules quand tu m’as pris ma jambe.

— On était bourrées, ça ne compte pas. C’est la première et la dernière fois qu’on peut prendre un peu le temps de papoter. Ça ne veut rien dire pour toi ?

Les yeux glacés de Dédale se posèrent sur son adversaire.

— Papoter à propos de quoi ?

Spirale s’assit en enroulant ses longs bras maigres autour de ses genoux.

— Je voulais te demander pardon.

Dédale resta muette une bonne minute avant de faire son habituel rictus :

— Pardon pour quoi ? Il y a tant de choses…

— Pour avoir été si imbuvable, adolescente. Je savais très bien ce que je faisais quand je t’humiliais. La fille de la grande Dédale, ça m’amusait beaucoup. Pardon pour ta jambe aussi, même si tu le méritais.

— Si tu veux me faire des excuses, fais les correctement, Foutredieu!

— …

— Quoi ?

— … Et toi ? Tu n’as rien à me dire ?

— Je m’excuse. Pour Melchior.

— C’est tout?

— Tu ne vas peut-être pas me croire, mais ce n’est pas moi qui…

Sa phrase mourût avant d’avoir été prononcée correctement. Dédale s’enferma dans un silence bourru et le sourire de Spirale se fit plus amer.

— Je sais que ce n’est pas toi qui a tué ma fille. Je pensais plus à ta tentative de me butter. Ça, c’était quand même pas sympa.

La grande mère de la Vie l’ignora :

— Comment peux-tu en être sûr pour ton enfant ? Même moi, j’ignore qui c’est.

Son adversaire la dévisagea d’un air ahurit :

— Quoi ? Mais c’est ta mère, enfin !

— Hein ? Tu as des preuves ?

— Non, mais je suis sûre que c’est elle. C’est la conclusion la plus logique.

— Je… Ne comprends pas.

Spirale inclina sa tête entre ses bras qui reposaient eux-même sur ses genoux. De là où elle était, Dédale ne voyait maintenant plus que ses yeux, et sa longue chevelure rouge qui coulait sur le trésor.

— Terfez, je t’ai pris ta jambe parce que tu as humilié Melchior. Qu’est ce que je t’aurais fait si tu avais pris mon enfant ?

Elles restèrent silencieuse un moment avant que la plus jeune ne souffle :

— Tu aurais pris la vie du mien.

— Exact. Et c’est parce que tu as gardé cette peur dans ton ventre toute ta vie qu’on en est arrivé à cet enlèvement. Oui, derrière ce faciès de pirate ravagée…

— Oh ravagée toi-même !

— … il y a le coeur de dattes fondante d’une mère qui protège farouchement sa progéniture. Quand à ta mère, elle ne demandait pas mieux que de se débarrasser de ma descendance et pourquoi pas de moi en prime. Quand aux risques que cela faisait prendre à son petit fils, je crois que ça ne l’intéressait pas.

— Pourquoi tu as compris ça sur ma mère alors que moi non ?

— Parce que contrairement à toi, j’ai renié la mienne. Arrêtons de vivre dans l’ombre de ces vieilles salopes. Jetons nos principes.

— J’ai peur de ce que tu vas proposer.

— On prend de l’or, on se casse par une fenêtre en nouant des draps, on vole une barque et on part à l’aventure.

— Quoi ?

— Je suis sérieuse !

Spirale s’était levée :

— On embarque Melchior, je veux bien partager ! On vit d’amour, d’or et de rhum. On se la donne sur des plage de sable blanc au milieu des oeufs de tortues et on profite d’une retraite bien méritée.

Dédale avait un sourcil levé et l’air de quelqu’un qui essaye de ne pas énerver un fou. Néanmoins, elle articula sèchement :

— Ça me parait acceptable.

— C’est vrai ?

— Est-ce que j’ai le choix ? J’ai perdu, pas vrai ? Je préfère m’enfuir avec ma pire ennemie que de croupir dans un cachot à vie ou de me faire pendre.

— C’est cohérent.

Une voix tierce les fit sursauter.

— Mais je ne pense pas que ça se passera comme ça.

Les deux femmes se redressèrent toutes les deux. Melchior se trouvait dans l’encadrement de la porte, un pistolet à la main.

— J’ai attendu trop longtemps pour que vous vous en tiriez comme ça. L’une d’entre vous doit mourir, aujourd’hui, ici même.

Dédale le regarda avec mépris et secoua la tête dans un carillon de piécettes d’or :

— Ça suffit, ne te comporte pas comme un enfant.

Il resta de marbre et soupira :

— Je vous ai aimé, mais cet amour n’est pas suffisant pour réparer. Je crois que tout ira mieux, quand je vous aurai tuées, toutes les deux.

Dédale ouvrit la bouche, Spirale se leva et l’homme tira, sans aucune hésitation.

Cela fit comme un grand tonnerre et Spirale baissa les yeux sur son ventre, mais la tâche rouge s’ouvrit sur la poitrine de la Grande mère de la Vie, dessinant de nouveaux chemins sur la tatouage labyrinthique. Elle tomba en arrière ; ses nattes et ses colifichets tintinnabulèrent une toute dernière fois.

— Terfez !

Spirale se précipita sur son ennemie, mais elle était morte. Elle se retrourna vers son amant.

— Melchior ! Tu n’aurais pas dû faire ça, tu seras lapidé !

Le proxénète secoua la tête, pensivement. Ses yeux avaient l’air encore plus triste que d’habitude. Il baissa le pistolet encore fumant, se rapprocha et plaça l’arme entre les doigts d’une Spirale interloquée.

— Ça n’arrivera pas. Parce que tu vas prendre ma place.

— Quoi ?

— Ma vie a été détruite par ta faute. Tu avais promis. C’est un juste prix, non ?

— …

— Tu as toujours regretté d’avoir faillit. Tu as une dette envers moi, envers ta mère. Ce poids a toujours pesé sur ta vie. Alors voyons voir ce que peut encore faire l’ombre d’une vieille salope.

*

— Attention, ça va piquer.

— Humf !

Les dents de Lactae se reserrèrent sur la lanière de cuir tandis que l’aiguille s’enfonçait dans sa joue, encore et encore, afin de redonner un semblant d’humanité à son visage.

La doctoresse se pencha sur elle.

— C’est bientôt terminé, Amy khabira.

Amy khabira. Ça y était, elle était officiellement grande mère de la naissance. Ce n’était pas trop son style de rêvasser, mais si elle avait pu idéaliser un portrait de ce moment-là, il aurait sans doute été un peu différent de cet épisode de souffrances.

— Tenez, buvez-ça, c’est pour éviter l’infection.

— Je ne bois pas d’alcool.

— Aujourd’hui, ce n’est pas de l’alcool, c’est le médicament que je vous prescrit.

— Vous auriez pu me le prescrire plus tôt, pour m’anesthésier la bouche.

— Je n’en ai pas non plus des quantités infinies.

La doctoresse posa la bouteille de rhum sur le sol et laissa sa patiente s’appuyer contre le mur pour aller s’occuper d’autres blessés. Larifari était assise là, elle aussi, son visage endormi et mutilé appuyé contre son épaule.

Lactae toucha du doigt les fils qui cousaient ses joues ensemble. Elle soupira et souleva la bouteille. Il restait un centimètre de rhum au fond. Elle prit la gorgée et le liquide lui brûla les chairs. La douleur la fit trembler et Larifari frémit contre elle. Ses paupières battirent au dessus du néant, sa main se referma sur la chemise crottée de sa camarade. Des doigts sans ongles, auxquels il manquaient un doigt, maintenant enroulée de bandelettes comme une petite momie.

— Lactae…

— Je suis là.

— Je ne vois plus rien.

— Je sais.

— Tu crois que je vais guérir ?

Lactae ne répondit pas. La cicatrice faisait un trait net qui passait d’une tempe à l’autre. C’était trop cruel de le dire à voix haute. Elle finit par passer son bras autour des épaules de Larifari et les lui tapota maladroitement :

— Ça va aller mieux maintenant. Nous avons gagné.

La petite mère des morts se redressa :

— Et Spirale ?

— Qui sait. Elle a rejoint Dédale, c’est leur problème maintenant. Mais même si Dédale gagne le combat, on l’emprisonnera et ç’en sera finit d’elle. Il ne reste qu’à attendre.

— Cougnette est morte, croassa Larifari.

— Oui, comme beaucoup d’autres. C’est ça, la guerre…

— Je crois que j’ai besoin d‘air frais.

— Je vais t’aider. En dehors des sous-sols, le temple est entre nos mains.

Les deux petites mères s’épaulèrent pour monter sur les remparts. Après une accalmie, une petite bruine glacée se remit à tomber, mélangeant la sueur et le sang sur leurs peaux.

Larifari leva ses yeux crevés vers le ciel, et laissa couler la pluie. Lactae regarda la petite mère des morts qui s’appuyait contre les remparts. Le vent sentait le sel. Elle humidifia sa bouche de sa langue. Larifari prit la parole.

— Quand Murène t’as proposé de nous sauver toutes les deux en échange de ta reddition, tu n’as même pas hésité.

C’était une affirmation, mais Lactae sentit tout de même le reproche latent qui y était caché. Elle prit le temps de se justifier, bien que ses joues soient de plus en plus douloureuses :

— Murène nous a manipulées, l’une après l’autre. D’abord toi, avec la Capitaine Cougnette. Et puis moi, avec toi. Murène parlait la langue des djinns. Si j’avais laissé tomber, elle nous aurait tuées toutes les deux ou bien on aurait été torturé dans les geôles de Dédale.

— Ça te convient de penser ça ? C’est trop facile. Moi, ça ne me va pas du tout. Tu ne sais pas à quel point j’ai eu mal…

— Je suis tellement désolée.

— Trop facile. Moi, je me suis fait torturer et toi, tu as eu ton heure de gloire…

Sa réplique fut suivie d’un silence glacé.

La petite mère des morts avait l’air misérable, mais pas autant que celle de la naissance qui était livide.

— Je…

— Economise ta salive.

— Lari…

—Tu sais quoi ? Je crois que j’en ai marre de toi, Lactae.

Cela mis fin à leur conversation. Les deux femmes avaient beau être proches physiquement, il leur semblait se trouver à des kilomètres l’une de l’autre. La petite mère de la naissance recula doucement avant de descendre l’escalier.

— J’ai compris. Je vais dire à la toubib de venir te chercher un peu plus tard.

Larifari attendit de ne plus entendre ses pas pour éclater en sanglots.

*

L’ouverture de la grotte faisait comme une bouche.

Lù monta les derniers mètres avant de se laisser tomber, pantelante, sur un rocher glissant. La pluie avait redoublée en fin d’après-midi, laissant la place à des torrents de boue.

Raclure reniflait tout autour de lui ; visiblement, il n’était jamais monté aussi haut sur le volcan.

— Et si il entre en éruption ? murmura Honorine. Il faudrait encore tout recommencer.

— C’est arrivé lors des dix dernières années ? interrogea Lù.

— Seulement une fois, précisa Balthazar.

— Le risque est quand même faible, et cette grotte est sur une protubérance hors de portée de la lave. C’est sans doute fait exprès d’ailleurs, qu’est-ce que j’étais déjà maligne, il y a deux mille ans.

Taïriss déposa Balthazar qui entoura son torse de ses bras :

— On ne risque pas de rencontrer des djinns ?

Lù leva les sourcils :

— Il faudrait déjà que les djinns existent, et pour le moment rien n’est moins sûr… dans cette dimension.

L’adolescent voulu protester — Bien sûr qu’ils existent ! — mais on entendit un cri provenir de l’intérieur de la grotte. Ils se précipitèrent dans sa direction pour trouver Honorine, tremblante, qui montrait du doigt un petit tube grisâtre en parchemin épais qui flottait dans les airs.

— Là ! Y’a d’la magie noire ici. C’tuyau vole, et quand on r’garde à travers …

Si on utilisait le tuyau comme une longue vue, on pouvait voir que de l’autre côté se trouvait une pièce très étrange, qui n’avait rien à voir avec les maison de Hàgiopolis, ni de nulle part d’ailleurs, car les murs étaient tapissés d’un papier recouverts de dessins extrêmement symétriques.

— Pas de panique, c’est ma faille, précisa Lù tandis que ses doigts venaient triturer instinctivement son collier de perles. La sortie si vous préférez. Une fois le trésor en poche, on se barre par là.

— Je vais commencer à creuser pour trouver le trésor, annonça Taïriss tandis que Honorine se penchait en avant pour observer le trou dans les dimensions de plus près.

— J’suis beaucoup trop grosse pour passer la d’dans, murmura-t-elle, déconfite.

— Je devrais pourvoir agrandir un peu, sourit Lù en rejoignant son amoureux.

Réalisant avec dépit qu’il aurait été malin de prendre une pelle, ils se mirent à creuser à mains nues, ce qui fut très vite un travail pénible et chronophage. Excédé, le robot finit par décoller le latex qui recouvrait ses mains pour creuser directement avec le métal, sous les regards ébahis de Honorine, Balthazar et Raclure.

Il travaillèrent encore une bonne heure, jusqu’à ce que Lù se mette à se plaindre :

— Tu es sûr que c’est là ? Il commence à être grand, ce trou.

— Maintenant que tu le dis, ce n’était pas là, ironisa Taïriss.

Mais sa plaisanterie tomba à plat car au moment où il la prononçait, sa main de métal rencontra une boîte en fer blanc dans un bruit de conserve.

— C’est ça ? demanda Honorine tandis que les amoureux déblayaient frénétiquement. Oooh, on voit qu’c’est un objet très précieux.

— Mais pas vraiment un coffre au trésor, comenta Raclure.

C’était un boite de biscuit, rouillée, peinte avec une publicité où un enfant aux joues rouges préparait son diabète.

Lù prit la boite avec dévotion et la porta jusqu’à l’entré de la grotte pour s’asseoir à côté de Balthazar.

— On va enfin savoir, Andr, ajouta-t-elle d’un air réjoui.

Taïriss les rejoingnit à l’entrée, la mine infiniment plus soucieuse.

— Ouvrir boîte ! jappa Raclure.

Honorine s’accroupit, le nez juste au dessus.

Lù ouvrit la boîte.

Elle était presque vide, à l’exception d’une paire de boucle d’oreilles en lapis lazulis couvertes de vert de gris, un manuscrit ancien et un vieux carnet aux bords cornés.

La jeune fille prit le carnet et l’observa. Ce n’était pas du papier, mais une matière inconnue qui avait visiblement bien résisté au temps. Une main du passé, à l’écriture ronde, avait noté sur la couverture :

 

Extrait du journal numéro 30 – Monde numéro 15 : Luminosa – 16e année

 

Cette écriture n’était pas la sienne et sa simple vue lui serra le coeur.

— Les carnets d’Andiberry… murmura Taïriss en s’accroupissant.

— Qui ? demanda Honorine.

— Andiberry. C’était le compagnon de Lù lors de sa première incarnation. Il avait pour habitude de prendre des notes sur les mondes qu’ils traversaient, mais les carnets ont été perdus quand Lù est morte pour la première fois.

— Je ne me souviens pas

— C’était il y a deux mille ans.

L’adolescente eut l’air triste. D’un geste hésitant, Balthazar tendit le bras et pris les boucles d’oreille dans sa paume. Son regard était indéchiffrable, mais son coeur se mit à battre plus vite.

A nouveau, il vit l’oeil, pointé droit sur lui et il y avait une fille assise sur un chameau, qui lui cachait le soleil. Ses boucles d’oreilles dansaient autour de ses joues quand elle parlait… Quand elle riait. Et puis il y avait deux garçons, deux frères… Un malingre et laid et l’autre beau et athlétique.

Une migraine commença à envahir son crâne.

L’oeil était là. Il était à la fois une arme et un sexe de femme. Dans les deux cas, il le terrifiait.

Taïriss prit le journal des mains de Lù et commença à lire à voix haute :

— Je pense que nous avons fait une très grosse bêtise ici. Lùshka refuse d’en parler. Pour commencer, nous nous sommes inventés une identité pour nous mêler aux autochtones. Ici, je m’appellerai donc Andr… 

Il s’arrêta de lire. Tout le monde se tourna vers Balthazar qui serrait son crâne entre ses mains.

— Si c’est Andiberry qu’est Andr, alors c’est qui çui-là ? demanda Honorine, perplexe.

L’adolescent leva son regard ; ses prunelles étaient hagardes et la sueur coulait sur son front.

— Je crois… Je crois que je sais qui je suis…

— C’est à dire ? demanda Lù en croisant les bras.

Taïriss feuilletait le journal et finit par laisser retomber son bras sur le côté, mollement. Balthazar resta muré dans son silence, alors le robot conclut, d’une voix glaciale :

— C’est un Euphrate. Le tout dernier d’entre eux.

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Nathalie
Posté le 15/11/2022
Bonjour Gueule de Loup

Voici mes corrections pour ce chapitre :

des moitié de palourdes → moitiés
parfois tendre → tendres
J’aimerai déjà qu’on la retrouve → J’aimerais
J’aurai eu besoin d’elle → J’aurais
Quand elle eut finit → fini
Quand elle rejoindrai Hàgiopolis → rejoindrait
Vous aviez besoin d’un endroit où accoster et attendre en attendant que Spirale ne soit à votre merci. → Répétition de « attendre »
la sorcière pâle a été trouvé → trouvée
un groupe de pirate arrivaient derrière eux et les montrèrent du doigts en poussant des hourras. → un groupe de pirates arrivait derrière eux et les montra du doigt en poussant des hourras.
Les pirates enthousiaste arrivèrent → enthousiastes
trouverons-t-elles la → trouveront-elles la
Je vous suis, souris Dolorès → sourit
je saurais vous orientez → je saurai vous orienter
Je l’ai fais tomber → fait
d’un air ahurit → ahuri
dattes fondante → dattes fondantes
sur des plage de sable → plages
d’avoir faillit → failli
je vous prescrit → prescris
on aurait été torturé → torturées
Cela mis fin → mit
La pluie avait redoublée → redoublé
comenta Raclure → commenta
C’était un boite de biscuit → C’était une boîte à biscuits
Lù prit la boite avec dévotion et la porta jusqu’à l’entré de la grotte → « boîte » puis « entrée »
Balthazar tendit le bras et pris les boucles d’oreille dans sa paume → prit
A nouveau → À nouveau
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