Chapitre 21 : Elena (18 ans)

Par Zoju
Notes de l’auteur : Lorsque j'écris cette deuxième partie, j'ai tendance à y aller à tâtons. Ce chapitre sur le passé d'Elena est probablement le dernier. N'hésitez pas à me donner votre avis sur l'agencement des chapitres et sur le contenu. J'espère que ce chapitre vous plaira. J'ai pris du plaisir à l'écrire. Bonne lecture ! :-)

Je laisse échapper un juron quand Luna appose du désinfectant sur ma joue blessée.

- Arrête de bouger tout le temps ! m’intime-t-elle. Toujours autant douillette à ce que je vois.

- Mais, j’ai mal ! m’exclamé-je.

Le regard de mon ainée se fait plus sombre.

- C’est vrai qu’il ne t’a pas ratée. À peine arrivée et déjà baptisée. Je pensais que père allait au moins patienter quelques jours.

- Parce que toi aussi tu as subi ça ? m’étonné-je en oubliant d’un seul coup mes tourments.

Ma sœur imbibe l’ouate qu’elle a en main en silence. Ce n’est que lorsqu’elle appuie la compresse sur mes plais qu’elle m’apprend :

- C’est une sorte de… rituel. Père veut s’assurer qu’il a des soldats performants sous ses ordres, mais c’est surtout une manière d’engendrer un genre de compétions entre les nouveaux pour qu’ils se surpassent. D’habitude, ces combats ont lieu en groupe. C’est juste que toi tu as eu droit à une séance un peu… particulière.

Je me retiens de ricaner en entendant ses propos. « Une séance un peu particulière » ? J’avais plutôt l’impression qu’il s’agissait d’une humiliation pour me prouver que je n’étais rien. Toutefois, j’ignore si le résultat n’aurait pas été pire si j’avais dû me confronter aux autres soldats. Je n’ai pratiquement vu aucune femme depuis mon arrivée et il est fort probable que j’aurais dû affronter la gent masculine. Si j’en crois les paroles de Charles, je n’aurais pas été épargné. Depuis que nous l’avons quitté, je ne cesse de penser à lui. Finalement, je ne lui ai pas donné ma réponse quant à sa proposition de m’entrainer. Je devrais refuser, mais je dois avouer que je doute. Une question tourne en boucle dans mon esprit : est-ce que je peux lui faire confiance ? Et s’il voulait vraiment m’aider ? Je serais enclin à penser que oui, mais alors pourquoi le ferait-il ? Je ne le connais pas et c’est réciproque. À part, les deux trois échanges que nous avons eus, j’ignore qui est cet homme. Toutefois, j’ai bien vu au regard de Luna que c’était le genre de personne à éviter comme la peste.

- J’ai besoin de savoir, Luna.

- Quoi donc ?

- Qu’est-ce que ça fait de vivre ici ?

Ses épaules s’affaissent.

- C’est dur, finit-elle par lâcher après un court silence. Très dur.

- Dans quel sens ?

Luna soupire et me dit avec réticence comme si cela la répugnait :

- Il faut toujours prouver aux autres sa valeur. Ne montrer aucune faiblesse ou l’on te détruira.

- Charles m’affirmée la même chose, remarqué-je triste que ses propos soient confirmés par ma sœur.

Les mots m’ont échappé et je réalise en découvrant l’expression de mon interlocutrice que j’aurais mieux fait de me taire. Elle m’empoigne violemment et je suis de nouveau surprise de voir cette hargne qui ne lui ressemble pas sur son visage.

- Tu oses appeler cette ordure par son prénom ! crache-t-elle.

J’ignore où me mettre et pour la première fois de ma vie, Luna me terrifie.

- C’est comme ça qu’il s’est présenté à moi, déclaré-je d’une voix vacillante.

Ma sœur plante son regard dans le mien.

- Écoute-moi bien, Elena. Ceci n’est pas un conseil, mais un ordre. Ne t’approche pas de lui !

- Mais pourquoi ? demandé-je de plus en plus incertaine. Il s’est montré plutôt prévenant.

Même s’il s’est comporté comme une brute dès que je suis entrée dans le bureau de mon père, rajouté-je pour moi. Les ongles de Luna s’enfoncent douloureusement dans mes épaules.

- Elena, je ne plaisante pas ! Cet individu est particulièrement dangereux. Il n’agit que par intérêt personnel et est le bras de notre père pour faire sa sale besogne !

Je me dégage et ce sentiment qui m’avait envahi quand ma sœur avait pris ma défense, refait surface.

- Il n’empêche qu’il a raison quand il dit que je suis faible, crié-je presque.

Cette vérité m’est tout simplement insupportable. Je note que les sourcils de mon ainée se sont froncés.  

- Et alors ? C’est parce qu’il a relevé une évidence que tu vas lui faire aveuglément confiance ?

En entendant la violence de ses paroles, j’ai l’impression de recevoir une gifle. Luna continue avec un étrange détachement.

- Laisse-moi deviner, après il t’a offert dans sa plus grande bonté de t’entrainer en te faisant son sourire charmeur ?

- Pourquoi tu dis ça ? demandé-je dans un filet de voix.

Elle ricane.

- Parce qu’il m’a proposée la même chose, sauf que moi les prédateurs je les repère à des kilomètres. Des gens comme ça, j’en ai côtoyé des centaines. Tellin est l’un d’eux. Il va profiter de tes faiblesses pour que tu sois douce comme un agneau quand il souhaitera te mettre la main dessus.

J’aimerai riposter, mais au fond je me demande si Luna n’a pas raison. Une proie, voilà comment je me suis sentie dans la salle d’entrainement de mon père, pourtant, depuis mon arrivée, c’est Charles qui m’a aidée. Alors oui, il semble être un soldat un peu trop zélé, toutefois il paraissait sincèrement inquiet face à ma rébellion contre le maréchal. Si d’habitude, je me remets entièrement au jugement de mon ainée, ici j’éprouve quelques réticences. Il faut dire que depuis nos retrouvailles avec ma sœur, j’ai du mal à la reconnaitre. Elle a beau agir comme quand nous étions enfants, protectrice et bienveillante, la personne en face de moi m’a l’air inconnue ou plutôt étrangère. Froide et sèche, ce n’est pas la Luna qui m’a quittée il y a cinq ans. C’est sans doute un détail, mais à aucun moment elle ne m’a serré dans ses bras ou montré un quelconque signe d’affection autre que prendre de mes nouvelles et celle de Magda. Je sais que je suis injuste envers elle. J’ignore ce qu’elle a vécu entre ces murs et il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que cela a dû être particulièrement pénible. En disant ces mots, je suis persuadée qu’elle ne veut que mon bien, néanmoins… Je ne pourrais pas toujours compter sur elle. Il va falloir que je m’endurcisse et ce n’est pas elle qui va m’aider. Mes doigts se contractent sur mes genoux. J’ai fait mon choix. Ne désirant en aucun cas perdre ce lien qui semble s’être fragilisé entre elle et moi, je décide de prendre sur moi et tente un pauvre sourire.

- Pardon, Luna. Je parle comme si je savais déjà tout, alors que je suis incapable de comprendre ce qui m’arrive.

Les traits de mon interlocutrice se détendent quelque peu.

- Je n’aurais pas dû te traiter de la sorte, pardonne-moi, Elena. C’est juste que je ne supporte pas cet homme.

Hésitante, elle pose ses doigts sur mon bras, mais ce geste bien que tendre ne dégage aucune chaleur.

- Promets-moi que tu te tiendras éloigné de lui.

- J’essayerai, dis-je quelque peu évasive.

Un sourire apparait enfin sur les lèvres de mon ainée.

- Allez, viens, petite sœur. Je vais te faire le tour des lieux et puis on ira manger, il commence à se faire tard.

Pour toute réponse, je me contente d’opiner du chef.

 

Il est encore relativement tôt quand Luna me raccompagne à ma chambre. À force de bâiller à cause d’un manque de sommeil évident lié à sa dernière mission, elle a finalement accepté après de nombreuses insistances de ma part d’aller se coucher. Toutefois avant de me quitter, elle ne peut s’empêcher de me demander une nouvelle fois :

- Tu sais, on peut rester un peu pour discuter si tu le souhaites ?

- Tu tombes de fatigue, Luna. Cela ne sert à rien de te ruiner la santé pour moi.

- Mais…

- De toute façon, nous sommes enfin réunis, la coupé-je un sourire en coin. Et puis, des moments passés ensemble, on en aura d’autre.  

Mon ainée se mord la lèvre inférieure comme si elle voulait répliquer, toutefois elle se contente de poser sa main sur mes cheveux.

- Tu as raison, petite sœur.

Elle se tait un instant puis rajoute d’une voix tremblante.

- Je vais être honnête avec toi. Même si j’aurais préféré que tu ne viennes jamais ici, je suis contente que tu sois là, Elly.

C’est bien la première fois que je suis heureuse d’entendre ce surnom qui ne cesse de m’écorcher les oreilles. Une brusque gêne s’empare de moi quand je pense à la trahison que je m’apprête à commettre. Je me dégage gentiment de son contact me sentant soudain indigne de son attachement. Mon interlocutrice laisse échapper un rire en comprenant de travers mon geste.

- Je vois que tu ne supportes toujours pas que je t’appelle comme ça.

Je décide d’entrer dans son jeu.

- Tu peux rêver pour que je l’accepte un jour !

Un sourire espiègle se dessine sur sa bouche.

- Je prends ça comme un pari, s’esclaffe-t-elle.

Pendant un instante, je retrouve la Luna que j’ai tant espéré, avant que son sourire ne disparaisse aussitôt et qu’elle ne remette son masque de distance, ce qui m’attriste plus qu’elle ne pourrait le croire. Après un dernier signe, elle tourne les talons et s’éloigne dans le couloir pour rejoindre sa chambre qui se trouve un peu plus loin de la mienne. Je referme derrière moi et me laisse glisser contre la porte. Je ne souris plus. Je patiente encore un quart d’heure sans bouger ruminant ce que je me prépare à faire avant de me lever. J’hésite un instant à baisser la poignée que je suis en train de contempler. Et si au lieu de faire le bon choix, je me jetais tout simplement dans la gueule du loup ? Je secoue la tête. Je ne changerai pas d’avis ! Comme un enfant s’apprêtant à commettre une bêtise, j’ouvre le plus discrètement possible. Le couloir est vide. Je me faufile à l’extérieure et me dépêche de quitter les lieux. C’est d’un pas sûr que je me dirige vers le QG. En arpentant la base avec Luna, je me suis rapidement repérée à travers le dédale de couloirs. Au fond, quand on comprend la logique de construction, c’est plutôt simple de se situer. J’ai ma destination bien en tête. Il reste juste à espérer qu’il sera là. Je presse l’allure, toutefois étant dans mes pensées, je ne remarque pas la personne à un tourant et lui rentre dedans de plein fouet. Je bascule en arrière. Étant courbaturé par mes nombreux combats de la journée et n’ayant plus aucune force dans mes jambes, j’empoigne la veste de l’inconnu en face de moi pour retrouver l’équilibre. Malheureusement prise dans mon élan, je l’entraine dans ma chute et nous nous étalons à terre. Je retiens un cri étouffé quand ma tête heurte durement le sol. Je m’empresse de me redresser pour m’excuser, cependant je suis coupée par le regard furieux de l’infortuné qui reprend ses esprit. De haute stature et avec ses cheveux sombres plaqués sur son crâne, il est particulièrement intimidant. Je me sens minuscule à côté de lui.

- Tu pourrais faire attention quand tu marches ! aboie-t-il.

- Pardon, commencé-je, hésitante. Je ne t’avais pas vu.

- Eh bien, la prochaine fois, apprend à utiliser tes yeux, empotée ! me rabroue-t-il de mauvais poil.

Charmant… Décidément, ce n’est pas la politesse qui l’étouffe. Alors que je m’apprête à riposter, mon interlocuteur se prend une tape désapprobatrice derrière la tête. Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque la personne se tenant à nos côtés. Avec ses cheveux noirs et ses lunettes, je lui trouve un visage beaucoup plus sympathique que l’autre individu.

- Elle a dit qu’elle était désolée, Hans, relève-t-il. Et puis, ce n’est pas parce que tu t’es fait reprendre par notre supérieur que tu dois passer tes nerfs sur les autres.

Pour toute réponse, le dénommé Hans grommelle, mais ne rajoute rien. Ne voyant aucune réaction de la part de son collègue, l’homme debout se détourne de lui et se penche en avant pour me tendre sa main. Je l’empoigne sans hésiter. D’une traction énergique, il me remet sur pied.

- Excuse mon frère, me dit-il. C’est un vrai rustre.

- Ce n’est rien, l’assuré-je plus pour la forme.

Son regard s’attarde un moment sur moi comme s’il cherchait quelque chose en me détaillant de la sorte.

- Je pense que c’est la première fois que nous nous voyons. Tu t’appelles comment ? Moi, c’est Nikolaï Wolfgard, m’apprend-il, puis complète en désignant Hans. Et ce malpoli est mon petit frère, Hans Wolfgard.

- Je m’appelle Elena… Darkan, le renseigné-je en étant quelque peu réticente quant à l’emploi de mon nom de famille. Je suis arrivée dans la journée.

- Tu es de la famille du maréchal ? s’étonne Hans qui vient de se relever à son tour.

- Je suis sa fille.

- J’ignorais qu’il en avait deux.

Ce n’est que debout que je me rends vraiment compte de sa grande taille. Je lui lance un regard glacial. Je ne supporte pas que l’on me renvoie systématiquement à mon père.

- Le capitaine Luna Darkan est ma sœur, l’informé-je les dents serrées, avant de déclarer en essayant d’être un peu plus amical. Je dois d’ailleurs vous laisser, j’ai quelque chose à faire.

- Pas de problème, me rétorque Nikolaï le sourire aux lèvres. Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas à venir nous trouver. On se fera un plaisir de te secourir. N’est-ce pas, Hans ?

- On verra, se contente de répondre ce dernier à contrecœur.

- Merci, dis-je.

Je les salue et reprends ma marche quelque peu mitigée par cette rencontre. Les revoir, il ne fait aucun doute que cela sera le cas, toutefois pas avec la même envie. Nikolaï, avec plaisir ! Hans, certainement pas ! Avant que nous soyons hors d’atteinte l’un de l’autre, je perçois un ultime échange entre les deux frères.

- Qu’est-ce qui t’as pris de te comporter de la sorte avec elle ? s’emporte Nikolaï. Elle t’a pourtant dit qu’elle ne l’avait pas fait exprès.

Hans se tait comme s’il réfléchissait avant d’avouer :

- Face à cette fille, je me suis senti mal à l’aise et je n’ai pas su comment réagir.

L’instant d’après, ils sont trop loin et seuls des murmures incompréhensibles me parviennent. Sans me préoccuper davantage d’eux, je repars vers ma destination. Je pense aux paroles de Hans et j’ignore pourquoi j’ai éprouvé un pincement au cœur. Sa remarque m’a blessée. Au fond à l’extérieure comme ici, on me rejette pour ce que je suis. J’arrive rapidement au QG qui est beaucoup plus calme que lors de ma venue avec Luna. Je pose un pied à l’intérieur. Si l’attention de certains soldats se trouvant sur les lieux atterrit sur moi un regard intrigué, la plupart ne me prête pas le moindre intérêt, trop occupé dans leurs tâches. En essayant d’arborer une certaine assurance, je me dépêche d’atteindre mon objectif. Les portes défilent sous mes yeux et puis je parviens devant la sienne. Je fixe un instant le bout de papier collé dessus avec son grade, prénom et nom inscrit dessus. Je peux encore faire marche à arrière. Au fond de moi, c’est ce que je voudrais faire. Mes ongles s’enfoncent profondément dans ma paume et je grimace en sentant la douleur affluer. Je t’interdis de le faire, Elena ! Tu as juré de ne plus être faible. Mon bras se lève et je frappe. Dans un premier temps, rien ne se passe, puis on m’invite à entrer d’une voix ferme. D’un mouvement sec, j’abaisse la poignée et ouvre. Il se trouve à son bureau, une pile de feuilles devant lui. Il relève la tête. Si la surprise se lit d’abord sur son visage, un sourire apparait tout de suite après. Il me fait signe d’approcher.

- Ne reste pas planter là, Elena. Entre !

Je m’exécute et me campe face à lui, raide comme un piquet. Avant qu’il ne puisse dire quoi que je sois, je prends les devants et déclare sans une once d’hésitation.

- J’accepte ta proposition, Charles.

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