👑 CHAPITRE 21 👑

Contrairement à mes aînés, je suis une princesse ignorante. Tout ce que je sais, je ne le sais qu’en ayant laissé mes deux oreilles traîner ici et là en ville dans les tavernes que je fréquentais ou bien à l’intérieur même du palais en écoutant les discussions et les bavardages des domestiques. Je ne sais rien de mon royaume. Rien de son peuple. Je ne suis guère au courant de ses maux et n’est guère prêter attention aux multiples voix s’élevant. J’ai grandis dans une bulle. Maintenue dans l’optique que ce que faisait la famille royale était forcément pour le mieux, que le Roi était un homme bon et juste et que la Reine était une femme autoritaire mais à l’écoute de son peuple. Tout était fait en sorte que la moindre information qui sortait corroborée cette vision. Le Service de l’Information veillait à cela. Les princes et princesses étaient mis en avant, rendant leurs moindres faits et gestes comme une attraction pour touristes moyens. Et cela marchait. Byron était adulé, Ivory était vénérée, Cybele et Kybele étaient appréciés et Chester, Gavin et Isidora, vivants à part, gardaient cette part de mystère qui rendait la chose encore plus attrayante dès qu’ils firent une apparition. Quant à moi, je servais la part d’ombre de la famille, maintenant un certain équilibre. Sur mon compte n’existaient que rumeurs et fausses informations développées à leurs maximums. J’étais la princesse détestée. Fille d’une servante donc n’ayant qu’une moitié de sang noble. Enfant peu éduquée, moquée, raillée, pointée du doigt pour ses manières pratiquement non existantes. Je l’avais bien compris. Je l’ai réalisé avec leurs regards. Leurs murmures. Leurs traitements. J’ai compris que j’étais différente et que cette différence allait probablement me poursuivre.

Jusqu’au Duc. Honnêtement, je ne m’attendais pas à un miracle, à dire vrai, je n’en espérais même pas un. Je savais que le Ruler Game approchait, que cela allait être compliqué et que je n’avais aucune chance de réussir dans cette course au trône. Je ne l’escomptais même pas. Le trône ne m’intéressait pas. C’était ce dont j’étais convaincue du moins, jusqu’à cette soirée. Si Owen de Norlia était apparu plus tôt dans ma vie, je l’aurais probablement couronné du titre de «sauveur» ou de «héros». J’aurais alors vu sa main tendue à mon égard comme une échelle gigantesque me permettant de sortir enfin du trou dans lequel j’étais tombée, ou plus justement dans lequel on m’avait allègrement poussée. Malheureusement, il est arrivé un poil trop tard. Trop tard pour que je puisse voir en lui ma lueur d’espoir, mais suffisamment tôt pour que je puisse m’accrocher à l’idée que je peux tendre à la victoire. Le trône qui n’était qu’une douce illusion et un lointain rêve est redevenu un objectif concret et accessible.

Même pour quelqu’un comme moi.

Donc oui, me savoir recroquevillée sous un feuillage, à attendre que l’orage passe me chagrine car je n’ai pas pour habitude de confier mon avenir à quelqu’un d’autre que moi-même. Me voilà prise d’inquiétudes tandis qu’un groupe de bandits armés sortent ici et là du bosquet qui les dissimulaient jusqu’à présent, entourant les deux hommes restants. Suis-je supposée rester muette et simplement regarder ? La situation présente n’est-elle une répétition pour l’avenir ? Vais-je devoir continuer à rester observatrice d’une guerre dans laquelle je meurs d’envie d’être actrice ? Parce qu’il est tout bonnement question de cela. Malgré l’appréhension, les doutes et les interrogations, je participe au Ruler Game dans le seul et unique but de le gagner, piétinant à chaque occasion, les membres de cette pseudo famille complètement décousue.

Cependant, une part de moi a parfaitement conscience que je leur serais probablement inutile et que je pourrais même les gêner. Je ne sais pas me battre. J’ai des bases de défenses, mais uniquement dans les cas les plus extrêmes et ce n’est pas comme si ma maigre stature pourrait tenir la distance face à une bande organisée et visiblement bien préparée.

Ainsi, je vais juste me tenir tranquillement à l’écart observant l’homme le plus puissant du royaume mettre à mal un groupe de fripouilles.

Chose qu’il fit merveilleusement bien. En le voyant agir, je fus surprise de constaté qu’aucun de ses mouvements n’était de trop et que les traits de son visage restèrent étrangement calmes. Il en allait de même pour le Baron. Le fait qu’ils soient tous deux en infériorité numérique ne semblait nullement les perturber, bien au contraire. Avant même que les hostilités ne commencent, ils se savaient déjà gagnants.

- Votre Altesse peut sortir de sa cachette à présent. Le danger est écarté, m’informe le Baron

Essayant de repartir à quatre pattes comme je suis venue, je m’aperçois que le bas de ma robe est pris dans les branchages à proximité. Tirant dessus, rien ne semble pouvoir m’en défaire. J’en viens donc à déchirer le tissu agripper, laissant une petite fente à hauteur de ma cuisse.

- Pouvez-vous m’expliquer ? Vous êtes celle n’ayant rien fait et sortant en ayant un bout de votre jupon en moins et nous sommes ceux venant d’affronter une bande de vauriens et n’ayant rien, siffle le Duc en me dévisageant avec un air curieux

- Sachez Votre Excellence, que nous avons tous nos propres batailles à mener, lancé-je en guise de réponse. Vous c’était contre ces hommes et moi ce fut contre Dame Nature elle-même.

- Je vois. J’espère que cela ne s’est pas avéré trop fastidieux comme tâche et que vous avez su remporter la victoire.

- Ma présence à vos côtés réponds à votre questionnement, non ? J’ai vaincue en effet.

Un tas de branches mortes. Visiblement, il n’y a pas de petites victoires. A ce propos et comprenant que ma tenue n’est guère appropriée pour nos alentours, j’en viens à retrousser mon jupon, déchirant le tissu superflu susceptible de m’encombrer plus qu’autre chose. Ainsi, je me retrouve devant deux hommes, les cuisses à l’air sous leurs regards plus que choqués.

- Je savais que vous étiez particulière, mais là... pouffe le Baron en ramassant nos affaires

- Princesse ! Je doute qu’avoir ce genre de comportement alors que nous sommes filmés soit bien approprié ! souffle le Duc en me faisant les gros yeux.

- Au moins certains en auront pour leur argent. N’est-ce pas tout ce dont il est question ? Divertir le peuple ?

- S’exhiber n’est pas compté comme un divertissement.

J’ai l’impression d’entendre Ambrose. En fait, dans de rares moments, le Duc me le rappelle et je me demande bien pourquoi. Quelle stupidité que de penser à lui à un moment pareil alors qu’il est probablement déjà confortablement installé en compagnie de Byron. Il est même à parier qu’aucune difficulté ne s’offrira à lui à présent. Je ne comprends toujours pas comment il a pu me faire ça. Les promesses, les mots, ont-ils si peu d’importance et d’impact de nos jours pour qu’on puisse ainsi les ignorer ? Les sentiments ont-ils si peu d’intérêt pour qu’on puisse ainsi les piétiner sans même prendre un instant pour les considérer ?

- Votre Altesse ? Votre Altesse ? répète le Baron en agitant sa main devant mes yeux comme pour attirer mon attention.

Sortant de mes pensées, je lève les yeux vers sa personne, les perdant une fois sur lui et une fois sur le Duc, comprenant que je n’avais guère le temps pour me perdre ainsi dans de telles futilités. Il fallait que je me concentre sur le présent. Sur mon objectif et sur ce qui allait nous arriver.

- Je vous pensais moins prude que cela Duc, sifflé-je en leur passant devant reprenant la tête du petit groupe.

- Je ne le suis guère, mais je ne tiens pas particulièrement à voir une image défiler sur les réseaux concernant vos jambes.

- Détendez-vous, ce ne sont que des jambes. Il faut bien plus qu’un petit bout de chair pour exciter la nation toute entière, continué-je

- La Princesse n’a pas tort, rajoute le Baron en me rejoignant

- N’êtes-vous pas censé nous aider Baron Decloff ?

- J’ai accepté de soutenir la Princesse.

- Préserver une bonne image est le meilleur moyen de séduire le peuple, explique le Duc

- Son Excellence n’est pas sans savoir que ma réputation me précède et qu’ainsi, il est inutile de me faire passer pour quelqu’un que je ne suis pas aux yeux des Nettiviens.

- N’avez-vous pas envie qu’ils vous voient sous un autre jour ? Autre que celui de ces ridicules rumeurs à votre sujet ?

- Honnêtement ? Je n’ai pas envie de gouverner dans le mensonge. Je laisse l’hypocrisie, l’usurpation d’identité, la tromperie et la mascarade à tous ces accros de l’écran. Si je dois...quand je gouvernerais, je veux le faire en étant pleinement et entièrement moi-même.

Je n’ai que faire des belles promesses que l’on ne tient jamais, des beaux discours à demi mots que personne n’écoute réellement. Je veux être vraie. Dans un monde de faux semblants, je pense que c’est la seule chose qui saura alors faire la différence.